Clause attributive de compétence : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02798

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Clause attributive de compétence : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02798
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COUR D’APPEL

de

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/02798

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGIS

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 23 novembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

Section : AD

RG F19/00083

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Clément RAINGEARD

Me Laurent RIQUELME

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [I] [W]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Présent assisté de Me Clément RAINGEARD de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 88 – N° du dossier 20188428.

APPELANT

****

Société UNIBET SERVICES LTD

[Adresse 14]

[Adresse 14]

MALTE

Représentant : Me Laurent RIQUELME de l’AARPI RIQUELME AVOCATS ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0295 – N° du dossier 1977 substitué par Me Emilie BOUQUET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****

Composition de la cour

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 26 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [W], né le 2 juin 1979, a travaillé pour le compte de la société Unibet Services LTD à compter du 15 juillet 2013 en qualité de consultant (auto-entrepreneur), selon contrat de prestation de services dont le terme était fixé au 14 février 2014.

L’entreprise, qui est une société étrangère de droit maltais qui développe une activité dans le secteur de l’organisation de jeux de hasard et de jeux d’argent.

Les parties ont décidé de poursuivre leur collaboration par le biais de divers contrats de prestation de services, le dernier ayant pris fin le 31 mai 2019.

Sollicitant la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée, Monsieur [W] a saisi, le 20 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie aux fins d’entendre juger que la rupture de son contrat s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société a soulevé une exception d’incompétence territoriale et une irrecevabilité des demandes du requérant en se prévalant de l’application du droit maltais, s’est opposée aux demandes de Monsieur [W] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 23 novembre 2020, notifié le 25 novembre 2020, le conseil a statué comme suit :

Se déclare compétent territorialement pour statuer sur le présent litige,

Déboute Monsieur [W] de sa demande de requalification des contrats de travail en contrat de travail à durée indéterminée,

Déboute la société en sa demande reconventionnelle,

Dit que Monsieur [W] supportera les entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d’exécution.

Le 9 décembre 2020, Monsieur [W] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 6 juillet 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 26 septembre 2022.

‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 24 août 2021, Monsieur [W] demande à la cour de :

Confirmer le jugement mais uniquement en ce qu’il s’est déclaré territorialement compétent,

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de requalification des contrats des 15 juillet 2013 et 1er juin 2018 en un contrat de travail à durée indéterminée et de ses demandes afférentes,

Statuant à nouveau :

Dire et juger qu’il est soumis à un lien de subordination et a la qualité de salarié de la société Unibet Services LTD,

Ordonner la requalification des contrats de travail en contrat de travail à durée indéterminée,

Dire et juger que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Condamner la société au paiement des sommes suivantes :

– 2 333 euros au titre de l’indemnité de requalification,

– 13 998 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

– 16 331 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 499,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la date du prononcé du jugement à intervenir,

– 4 666 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 466,60 euros au titre des congés payés sur préavis,

– 19 312 euros à titre de rappels de salaire sur la période de juillet 2016 à juin 2018 inclus,

– 1 931,20 euros au titre des congés payés afférents avec intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2019, date de saisine du conseil de prud’hommes

– 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner la société à lui remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir :

– l’attestation destinée au Pôle Emploi,

– le certificat de travail,

– le solde de tout compte,

– les bulletins de de salaire conformes au jugement à intervenir, sur la période de juillet 2016 à juin 2018 inclus

Condamner la société aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Clément Raingeard, avocat associé de la SCP Boulan Koerfer Perrault & Associés, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 8 décembre 2021, la société Unibet Services LTD demande à la cour, in limine litis et à titre principal, d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie le 23 novembre 2020 en toutes ses dispositions, et de :

Se déclarer incompétente territorialement pour statuer sur le présent litige, et déclarer le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie incompétent au niveau territorial, au profit du tribunal civil du ressort dans lequel se situe la ville de [Localité 21] où est établi la société Unibet Services LTD (Malte) ;

A titre subsidiaire, infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, constater que le droit applicable au présent litige est le droit maltais, et non le droit français et débouter Monsieur [W] de ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire, confirmer le jugement, dire et juger que les demandes de Monsieur [W] sont infondées et le débouter de l’ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause, condamner Monsieur [W] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner aux éventuels dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I ‘ Sur la compétence des juridictions françaises

La société Unibet Services LTD conclut à l’incompétence territoriale du conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie sur le fondement de l’article 21 du règlement UE 1215-2012 du 12 décembre 2012.

La société affirme que selon les stipulations contractuelles la couverture des tournois constituait la prestation de services la plus importante en termes de volume et de nature de diligences réalisées. Elle ajoute qu’au cours des tournois Monsieur [W] a procédé au tournage de vidéos et de photographies, a réalisé et a envoyé des publications sur les réseaux sociaux à la recherche de nouveaux talents dans les tournois.

La société soutient que le salarié n’a pas réalisé habituellement d’activité à son domicile situé en France et qu’aucune activité significative ne s’y est déroulée en pratique.

Revendiquant la compétence de la seule juridiction maltaise sur le fondement de l’article 21 2b2 du règlement UE précité, la société affirme que son établissement ayant conclu les contrats de prestations de services est situé à Malte et qu’elle n’a aucun établissement en France.

Malte étant un État membre de l’union européenne, la société conteste toute application de l’article 20-2 du règlement UE, selon lequel lorsqu’un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un employeur qui n’est pas domicilié dans un E’tat membre mais posse’de une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un E’tat membre, l’employeur est considéré, pour les contestations relatives a’ leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet E’tat membre.

La société Unibet Services LTD conteste que la société Kindred France puisse être considérée comme une de ses succursales, une de ses agences ou un de ses établissements en faisant valoir que certes, les deux sociétés sont des sociétés s’urs pour appartenir au groupe de sociétés dénommé Kindred Group mais qu’elles sont des sociétés distinctes dont l’une a son siège social à [Localité 4] et l’autre à Malte et que leurs activités sont totalement distinctes, Unibet Services LTD développant une activité de marketing et de communication au sein du groupe, alors que la société Kindred France a une activité de support exploitant le site Internet unibet.fr.

Enfin, la société conclut à la validité de la clause attributive de compétence pour être de la volonté expresse des parties.

Elle soutient que la seule limite à la validité d’une telle clause est posée par l’article 23 du règlement européen selon lequel il ne peut être de’roge’ aux dispositions de la pre’sente section que par des conventions poste’rieures a’ la naissance du diffe’rend ou qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indique’es a’ la présente section.

À cet égard elle objecte que selon Monsieur [W] le différend opposant les parties est manifestement né après la conclusion du dernier contrat de prestation de services le 31 mai 2018.

Monsieur [W] conclut à la compétence des juridictions françaises au détriment des juridictions maltaises sur le fondement de l’article R. 1412-1 du code du travail et de l’article 20 2° du règlement UE 1215-2012 du 12 décembre 2012 précité.

Monsieur [W] fait valoir qu’il a été embauché par la société Unibet Services LTD pour exercer son activité auprès d’une clientèle dans plusieurs départements situés en dehors de l’établissement en sorte que la juridiction territorialement compétente est celle de son domicile puisqu’il accomplissait son travail à son domicile et qu’il appartient à l’intimé de prouver le contraire.

Il ajoute que toutes les décisions le concernant ayant été prises à [Localité 13] puis à [Localité 4], il n’a jamais eu aucun contact professionnel avec Malte et ne s’est jamais rendu dans les locaux de Malte.

Monsieur [W] conclut au caractère non écrit de la clause attributive de compétence au motif qu’il ne peut être dérogé aux dispositions impératives du code du travail.

Le contrat de consultant poker de Monsieur [W] comporte une clause attributive de compétence au profit des juridictions maltaises.

S’il est exact qu’en droit français, selon l’article 1221-5 du code du travail, est réputée nulle et de nul effet toute clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail, il est constant que ces dispositions ne sont pas applicables à un contrat international conclu avec une société étrangère, tel celui conclu entre les parties, sauf si la clause fait échec à la compétence internationale impérative d’une juridiction française.

La clause du contrat attribuant aux juridictions maltaises la compétence pour statuer sur le litige pouvant naître de l’exécution du contrat est donc bien opposable au salarié.

La question de la compétence du juge pour connaître d’un contrat de travail international est régie par le règlement européen, n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, (dit [Localité 5], I bis), lequel se substitue au règlement CE n° 44 /3001 du conseil ([Localité 5] I) du 22 décembre 2000.

Malte étant un État membre de l’union européenne, et l’employeur étant domicilié dans cet Etat, l’article 20-2 du règlement UE n’est pas applicable à l’espèce.

L’article 21 qui détermine la juridiction compétente en matière de contrat de travail dispose :

« Un employeur domicilié sur le territoire d’un E’tat membre peut être attrait :

a)  devant les juridictions de l’E’tat membre ou’ il a son domicile ; ou

b)  dans un autre E’tat membre :

i)  devant la juridiction du lieu ou’ ou a’ partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu ou’ il a accompli habituellement son travail ; ou

ii)  lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un me’me pays, devant la juridiction du lieu ou’ se trouve ou se trouvait l’e’tablissement qui a embauche’ le travailleur.

Un employeur qui n’est pas domicilie’ sur le territoire d’un E’tat membre peut e’tre attrait devant les juridictions d’un E’tat membre conforme’ment au paragraphe 1, point b) ».

L’interprétation de la notion de lieu où le travail accomplit habituellement son travail, au sens des dispositions précitées est extensive, et se fait par référence à un faisceau d’indices.

À l’exception d’une stipulation, prévoyant que les factures de Monsieur [W] sont envoyées à Malte, le contrat conclu entre les parties ne comporte aucune précision quant au lieu d’activité et d’exécution de la prestation de l’appelant, ni sur le lieu où l’employeur organise le service ou à partir duquel il adresse ses instructions, ni sur celui où le consultant doit rendre compte de ses missions.

Selon les stipulations du contrat, la première contribution du consultant consistait à couvrir chaque tournoi de poker et prendre des photos pour le blog de tous les joueurs, ses autres missions étant la recherche de nouveaux talents, la réalisation d’interviews et de vidéos ainsi qu’assurer les relations publiques de la société Unibet.

Il y a lieu de considérer que la recherche de nouveaux talents et la réalisation d’interviews étant des missions étroitement liées à la couverture des tournois, leurs réalisations s’effectuaient nécessairement sur les lieux des tournois de poker.

Il ressort d’un récapitulatif des déplacements de Monsieur [W], produit aux débats (pièce 17 du salarié) que celui-ci se déplaçait pour la couverture de nombreux tournois de poker en France ([Localité 8] [Localité 10], [Localité 12], [Localité 18], [Localité 17], [Localité 6], [Localité 20]..) ainsi qu’à l’étranger ([Localité 15], [Localité 19], [Localité 7], [Localité 11], [Localité 3], [Localité 2], [Localité 5], [Localité 16], [Localité 9]..).

La société produit aux débats (pièce 8) un message du 31 mai 2019, de Monsieur [W] posté sur sa page Facebook selon lequel il énonce : « Effectivement, des années à enchaîner 150 déplacements à travers 19 pays différents pour une centaine d’hôtels et Casinos à croiser des milliers de joueurs. Certains que j’ai croisés tous les mois, pendant des années aux quatre coins de l’Europe, comme d’autres avec qui je n’ai discuté qu’une seule fois, mais dont je me souviens encore. Mes trois destinations préférées sont [Localité 19], Malte et [Localité 6] avec une tendresse particulière pour l’UO St-Marteen aux Caraïbes et l’UO Sinaia et son ski en Roumanie. ».

Il se déduit de ce message dans lequel l’appelant reconnaît avoir sillonné tous les mois, pendant des années, les quatre coins de l’Europe que ce dernier n’accomplissait pas habituellement son travail en France, mais à l’étranger, où il effectuait l’essentiel de ses missions (couverture des tournois, interviews, recherche de nouveaux talents.)

Si par ailleurs, l’appelant prétend que la société intimée disposait d’établissements situés en France durant la relation contractuelle, il n’en justifie en aucune façon de sorte que Monsieur [W] n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l’alinéa 2 b) 2. De l’article 21 du règlement européen, n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.

Il s’en déduit l’incompétence de la juridiction prud’homale française pour connaître du présent litige.

L’exception d’incompétence soulevée par la société Unibet sera accueillie. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

En application de l’article 96 du code de procédure civile, lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.

II – Sur les autres demandes

Monsieur [W] sera condamné à payer à la société Unibet Services LTD la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [W] sera condamné aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie du 23 novembre 2020, en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit la juridiction prud’homale française incompétente pour connaître du présent litige.

Renvoie les parties à mieux se pourvoir,

Condamne Monsieur [W] à payer à la société Unibet Services LTD la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne Monsieur [W] aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur EL GOUZI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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