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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 5
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022
RENVOI APRÈS CASSATION
(n° , 24 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/15019 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCQPF
Sur arrêt de renvoi de la Cour de Cassation en date du 09 septembre 2020 (pourvoi n°A17-11.522) prononçant la cassation partielle de l’arrêt rendu le le 01 juin 2016 par le pôle 5 chambre 4 de la cour d’appel de Paris sur appel du jugement en date du15 février 2011 rendu par tribunal de commerce de Bobigny (RG n°2008F00179) et de l’arrêt rectificatif en date du 22 mars 2017 (RG n°17/00837).
DEMANDERESSE À LA SAISINE
S.A.S. BBL TRANSPORT
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 6]
N°SIRET : 410 881 148
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Ayant pour avocat plaidant Me Franck DOLLFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0048
DÉFENDERESSES À LA SAISINE
Société SC BELLVILLE RODAIR INTERNATIONAL SRL, société de droit roumain (dénommée société OAI Global )
Ayant son siège social [Adresse 14] (Roumanie)
Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Ayant pour avocat plaidant Me Carole LAWSON, avocat au barreau de PARIS, toque : R218
Société ORTAKOY, société de droit turque
Ayant son siège social [Adresse 9],
[Localité 12] (TURQUIE)
Non représenrée (Acte de transmission à autorité compétente étrangère en application de l’article 684 du CPC a été dréssé le 06 janvier 2021)
Société UPI TRANS TASIMACILIK VE VICARET LTD, société de droit turque
Ayant son siège social [Adresse 16],
[Localité 4] (TURQUIE)
Non représenrée (Acte de transmission à autorité compétente étrangère en application de l’article 684 du CPC a été dréssé le 06 janvier 2021)
Société ANADOLU ANONIM TURK SIGORTA A.S., société de droit turque
Ayant son siège social [Adresse 13]
[Localité 11] (TURQUIE)
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant Me Laurence LEPINOIX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0010
S.A. GENERALI IARD
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 5]
N°SIRET : 552 062 663
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Ayant pour avocat plaidant Me Caroline COURBRON TCHOULEV, avocat au barreau de PARIS, toque : E0827
S.A.S. THALES LAS FRANCE (anciennement dénommée THALES AIR SYSTEM)
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 7]
N°SIRET : 319 159 877
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Ayant pour avocat plaidant Me Caroline COURBRON TCHOULEV, avocat au barreau de PARIS, toque : E0827
Société NETRA INTERNATIONAL TRANSPORT SHIPPING AND TRADING, société de droit turque
Ayant son siège social [Adresse 10] (TURQUIE)
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Non représenrée (Acte de transmission à autorité compétente étrangère en application de l’article 684 du CPC a été dréssé le 06 janvier 2021)
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 24 Mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Annick PRIGENT, Présidente du Pôle 5 chambre 5
Mme Nathalie RENARD, Présidente
Madame Christine SOUDRY, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Christine SOUDRY dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mianta ANDRIANASOLONIARY
ARRÊT :
– par défaut
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Annick PRIGENT, Présidente du Pôle 5 chambre 5 et par Yulia TREFILOVA, greffère à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******
Faits
La société Thalès ATM (ci-après société Thalès) est une société de droit français spécialisée dans les systèmes de défense.
La société Balkans Bosphore Logistique (ci-après société BBL) est une société de droit français exerçant une activité de commissionnaire de transport.
La société Bellville Rodair International (ci-après société Bellville) est une société de droit roumain exerçant une activité de commissionnaire de transport.
La société Upitrans et la société Ortakoy sont des sociétés de droit turc spécialisées dans le transport routier international de marchandises.
La société Netra International Transport Shipping and Trading (ci-après société Netatrans) est une société de droit turc spécialisée dans la logistique et le transport routier international de marchandises.
La société Thalès a vendu à la société Uzaeronavigatsia, société de droit ouzbek, un radar aéronautique.
Elle a confié à la société Thalès Geodis Freight & Logistics (ci-après société Geodis) le conditionnement et l’organisation du transport de ce matériel depuis [Localité 8] (France) jusqu’à [Localité 15] (Ouzbekistan).
Le 16 juin 2006, la société Geodis a confié l’emballage des matériels à la société Sofembal, qui les a conditionnés en différents colis.
Le 14 novembre 2006, la société Geodis a confié à la société BBL l’organisation du transport routier des colis. Deux caisses contenant le joint tournant et l’antenne du radar devaient être convoyées en transport exceptionnel.
Le même jour, la société BBL a mandaté la société Bellville pour déplacer la marchandise par la route entre [Localité 8] et [Localité 15].
Selon une lettre de voiture du 1er décembre 2006, la société Upitrans a été chargée d’effectuer le transport de la marchandise jusqu’à Istanbul.
Puis, en vertu d’une lettre de voiture du 18 décembre 2006, la société Ortakoy a pris en charge la marchandise entre Istanbul et [Localité 15].
La marchandise est arrivée à l’aéroport de [Localité 15] le 4 janvier 2007. Aucune réserve n’a été émise à la livraison.
Le 5 janvier 2007, un procès-verbal de constat a été établi à la demande de la société Uzaeronavigatsia, la marchandise étant apparue endommagée.
Le 11 janvier 2007, la société Geodis a adressé à la société BBL un courrier émettant des réserves.
Le 19 janvier 2007, une expertise a eu lieu dans les locaux des douanes ouzbèkes.
Procédure
Par acte du 28 décembre 2007, les sociétés Thales et Uzaeronavigatsia ont assigné les sociétés BBL et Sofembal en paiement d’une somme de 120.000 euros à titre d’indemnisation des dommages subis par une partie de la marchandise lors du transport.
Par acte du 4 janvier 2008, la société BBL a assigné en garantie la société Bellville en qualité « d’intermédiaire » et les sociétés Upitrans et Ortakoy en qualité de voituriers.
Le 11 juillet 2008, la société Bellville a assigné en garantie les sociétés Netatrans, Upitrans, Ortakoy et l’assureur de celle-ci, la société de droit turc Anadolu Anonim Turk Sigorta Sikerti (ci-après la société Anadolu).
Le 27 octobre 2009, la société Generali IARD (ci-après société Generali), assureur de la société Thales, est intervenue volontairement à l’instance.
Le 5 novembre 2009, les sociétés Thales, Uzaeronavigatsia et Generali se sont désistées de toute instance et action à l’égard de la société Sofembal.
Le 17 décembre 2009, la société Uzaeronavigatsia s’est également désistée de toute instance et action au motif qu’elle avait été indemnisée de son préjudice.
Par jugement du 15 février 2011, le tribunal de commerce de Bobigny a :
reçu les sociétés Thalès Air Systems et Generali Iard en leur demande principale ;
reçu les sociétés Balkans Bosphore Logistique et Bellville Rodair International en leurs exceptions d’irrecevabilité, les a dites non fondées, les a rejetées, dit que la société Thalès Air Systems justifie pleinement de son identité, que les sociétés Generali et Thalès Air Systems ont qualité à agir ;
reçu la société Upitrans en son exception d’incompétence soulevée à l’encontre de la société Balkans Bosphore Logistique, l’a dite non fondée, l’a rejetée et s’est déclaré compétent pour connaître du litige ;
reçu la société Bellville Rodair International en son exception d’incompétence soulevée à l’encontre de la société Balkans Bosphore Logistique, l’a dite non fondée, l’a rejetée et s’est déclaré compétent pour connaître du litige ;
rejeté la demande de disjonction des instances formulée par les sociétés Thalès Air Systems et Generali Iard ;
constaté le désistement d’instance et d’action des sociétés Thalès Air Systems, Generali Iard et Uzaeronavigatsia à l’encontre de la société Soflog-Sofembal ;
constaté le désistement d’instance et d’action de la société Uzaeronavigatsia à l’encontre de l’ensemble des parties ;
dit recevable l’appel en garantie formé par Balkans Bosphore Logistique à l’encontre des sociétés Bellville Rodair International, Upitrans et Ortakoy, disant son action non prescrite au jour des assignations ;
dit irrecevables les appels en garantie formés par Bellville Rodair International à l’encontre des sociétés Netra International Transport Shipping & Trading, Upitrans, Ortakoy et Anadolu Anonim Turk Sigorta AS, disant son action prescrite au jour des assignations ;
dit que la responsabilité de Balkans Bosphore Logistique est engagée, qu’elle a commis une faute lourde, privative du bénéfice des limitations de responsabilités prévues à l’article 23 de la convention CMR ;
condamné Balkans Bosphore Logistique à verser à la compagnie Generali Iard la somme de 73.412,03 euros et à la société Thalès Air Systems, la somme de 30.000 euros, outre intérêts au taux de 5 % l’an à compter du 28 décembre 2007 ;
reçu la société Balkans Bosphore Logistique en sa demande d’appel en garantie à l’encontre de Bellville Rodair International et l’a dite partiellement fondée ;
condamné la société Bellville Rodair International à garantir et à relever Balkans Bosphore Logistique de toute condamnation mise à sa charge à hauteur de 30 % ;
reçu Balkans Bosphore Logistique en sa demande d’appel en garantie à l’encontre de la société Upitrans, l’a dite non fondée et l’a déboutée de sa demande à ce titre ;
reçu Balkans Bosphore Logistique en sa demande d’appel en garantie à l’encontre de la société Ortakoy et l’a dite partiellement fondée ;
condamné la société Ortakoy à garantir et relever Balkans Bosphore Logistique de toute condamnation mise à sa charge à hauteur de 37.901,50 DTS ;
dit que les intérêts échus pour une année entière sur ces condamnations seront capitalisés dans les conditions prévues à l’article 1154 du code civil ;
condamné la société Balkans Bosphore Logistique au paiement de la somme de 10.000 euros aux sociétés Thalès Air Systems et Generali Iard en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné in solidum les sociétés Balkans Bosphore Logistique et Bellville Rodair International au paiement de la somme de 5.000 euros à la société Upitrans en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté cette dernière du surplus de sa demande à ce titre ;
condamné la société Bellville Rodair International au paiement de la somme de 15.000 euros à la société Anadolu Anonim Turk Sigorta AS outre les entiers dépens y inclus les frais de traduction ;
ordonné l’exécution provisoire ;
condamné in solidum les sociétés Balkans Bosphore Logistique et Bellville Rodair International aux entiers dépens ;
liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 268,74 euros TTC.
Par déclaration du 4 octobre 2011, la société Bellville a interjeté appel de cette décision en intimant les sociétés BBL, Upitrans, Netatrans et Anadolu.
La société BBL a formé appel incident en intimant les sociétés Thales et Generali.
Par arrêt du 1er juin 2016, la cour d’appel de Paris a :
infirmant le jugement sur la condamnation de la société Netatrans, sur l’appel en garantie de Bellville contre Anadolu, sur la part de garantie de Bellville au profit de BBL, sur la limitation de la réparation due par Ortakoy à Bellville, sur l’indemnité pour frais irrépétibles,
statuant à nouveau sur le tout :
déclaré recevables les demandes de la société Generali, Thalès contre la société BBL,
déclaré recevable la demande de BBL contre Bellville,
déclaré irrecevable la demande de Bellville contre Anadolu,
condamné BBL à payer à Thalès la somme de 30.000 euros et à Generali la somme de 73.412,03 euros outre les intérêts légaux à compter du 28 décembre 2007 et dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du code civil,
condamné les sociétés Bellville, Ortakoy et Upitrans à garantir la société BBL des condamnations mises à sa charge,
condamné in solidum les sociétés Upitrans et Ortakoy à garantir la société Bellville des condamnations prononcées contre elle,
débouté la société Bellville de ses demandes contre la société Netatrans,
condamné la société BBL à payer à la société Generali et à la société Thalès la somme de 12.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
condamné la société Bellville, la société Ortakoy et la société Upitrans à payer à la société BBL la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
condamné la société Ortakoy et la société Upitrans à payer à la société Belleville la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
condamné les sociétés BBL, Bellville, Ortakoy et Upitrans aux entiers dépens qui seront recouvrés par les conseils des parties avec le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Anadolu Anonim Turk Sigorta AS a saisi la cour d’une requête présentée sur le fondement de l’article 463 du code de procédure civile pour compléter l’arrêt du 1er juin 2016.
Par arrêt rectificatif du 22 mars 2017, la cour d’appel de Paris a :
complété le dispositif de la décision du 1er juin 2016 par la mention suivante : ‘condamne la société Bellville Rodair International à verser à la société Anadolu Sigorta la somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’,
ordonné qu’il soit fait mention de cet ajout en marge de la minute de l’arrêt en cause et des expéditions qui en seront délivrées,
dit que l’arrêt complémentaire à intervenir devra être notifié an même titre que l’arrêt précédent,
dit que les frais et dépens seront à la charge du Trésor Public.
La société Bellville a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu le 1er juin 2016.
La société BBL a formé un pourvoi incident provoqué contre le même arrêt.
Les sociétés Generali et Thalès ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Par arrêt du 9 septembre 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :
cassé et annulé, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Bellville Rodair International sur l’appel en garantie formé à son encontre par la société Balkans Bosphore logistique et, statuant à nouveau, il a déclaré recevable la demande de la société Balkans Bosphore logistique à l’égard de la société Bellville Rodair International, a déclaré irrecevable la demande de la société Bellville Rodair International contre la société Anadolu AnonimTurk Sigorta Sikerti, a condamné la société Balkans Bosphore logistique à payer aux sociétés Thales Air systems et Generali les sommes de 30. 000 et 73.412,03 euros avec intérêts légaux à compter du 28 décembre 2007, et a dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du code civil, a condamné la société Bellville Rodair international à garantir la société Balkans Bosphore logistique, a condamné celle-ci à payer la somme de 12.000 euros aux sociétés Thales et Generali en application de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné la société Bellville Rodair international à l’égard de la société Balkans Bosphore logistique en application de ce même texte, a condamné les sociétés Balkans Bosphore logistique et Bellville Rodair International aux dépens, l’arrêt rendu le 1er juin 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;
condamné les sociétés Upi Trans Tasimacilik VE Ticaret LTD, Ortakoy et Anadolu AnonimTurk Sigorta A.S. aux dépens ;
aux motifs que :
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Visant l’article 23.1 c) du règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale :
« Pour statuer sur la demande formée par la société BBL contre la société Bellville, l’arrêt constate qu’il n’existait, avant le transport du radar, aucun courant d’affaires entre les deux sociétés. Il retient ensuite qu’à l’occasion du transport litigieux plusieurs courriers électroniques ont été échangés entre les parties, la société Bellville terminant les siens par la mention « toutes les opérations sont soumises aux conditions générales de l’Association Britannique Internationale de Transport (la BIFA) » et la société BBL visant, pour les conditions d’assurance de la cargaison, l’application de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR. Il en déduit que la société Bellville ne rapporte pas la preuve, lui incombant, que la société BBL avait accepté les conditions BIFA.
En se déterminant ainsi, au regard des seuls cas prévus par les paragraphes 1. a) et 1. b) de l’article 23 du règlement (CE) 44/2001, sans rechercher si les conditions de l’article 23 paragraphe 1. c) étaient remplies, quand la société Bellville se prévalait de l’usage, pour les opérateurs du transport international, de faire référence à des conditions générales nationales comprenant une clause attributive de compétence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Sur le second moyen,
« Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
Pour déclarer prescrit l’appel en garantie formé par la société Bellville contre la société Anadolu, l’arrêt retient que l’empêchement d’agir dont fait état la société “BBL” (lire Bellville) en exposant que l’assignation lui avait été délivrée le dernier jour du délai de prescription, « soit le 4 février 2008 », ne résulte ni de la loi, ni de la convention, ni de la force majeure, et relève que l’assignation délivrée à la société Bellville n’est même pas versée aux débats.
En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d’appel, la société Bellville excipait d’une impossibilité d’agir en garantie contre l’assureur du transporteur Ortakoy avant le mois d’avril 2008, non au motif mentionné par l’arrêt, mais parce qu’elle n’avait pas reçu l’assignation datée du 4 janvier 2008 et n’avait eu connaissance de l’action diligentée à son encontre par la société BBL que par la réception d’un avis, daté du 18 avril 2008, en vue de l’audience du 22 mai 2008, la cour d’appel a violé le principe susvisé. »
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident provoqué relevé par la société BBL
« Vu les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce et l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 :
Il résulte de la combinaison de ces textes que le commissionnaire de transport n’engage sa responsabilité de son fait personnel que si celui-ci est à l’origine des avaries ou des pertes de marchandises.
Pour condamner la société BBL à payer certaines sommes aux sociétés Thales et Generali, l’arrêt constate d’abord qu’elle a confié à la société Bellville, sous-commissionnaire, le soin de réaliser le transport entre la France et l’Ouzbékistan, qu’elle ignorait quelle société en définitive serait chargée de la réalisation du transport, qu’elle n’a pas été en mesure d’établir un rapport sur le déroulement du transport entre ces deux pays et a indiqué, le 11 janvier 2007, à la société Thales qu’elle attendait des explications de la part du transporteur sur ce qui avait pu arriver en route. Il retient que l’une des obligations essentielles du commissionnaire est de connaître les conditions d’exécution du transport de la marchandise qui lui a été confiée, de savoir exactement où elle se trouve, d’en assurer le suivi jusqu’à destination et d’informer son mandant et en déduit qu’en l’espèce ces obligations n’ont pas été assurées.
En se déterminant ainsi, sans dire en quoi les manquements retenus contre la société BBL étaient à l’origine du dommage, lequel résultait d’un mauvais arrimage de la caisse, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Sur le même moyen, pris en sa seconde branche,
« Vu les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce et l’article 29-1 de la CMR :
Il résulte de la combinaison de ces textes que le commissionnaire de transport est responsable du fait du transporteur substitué dans la limite de l’indemnisation prévue par la CMR, sauf, en l’état du droit applicable avant la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009, faute lourde de ce dernier. Ne constitue une telle faute qu’une négligence grossière confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu’il a contractuellement acceptée.
Pour condamner la société BBL en tant que garante de ses substitués, l’arrêt retient que la société Ortakoy, transporteur professionnel, qui a pris en charge la marchandise sans émettre de réserves et qui connaissait l’état des routes de la partie asiatique du transport, a réalisé, lors du transbordement à Istanbul, un arrimage totalement inefficace, ce qui est d’autant plus inexcusable que la mention « fragile » portée sur les caisses, la longueur du trajet et l’état des routes imposaient un soin particulier pour assujettir les caisses au camion. Il en déduit que, la société Ortakoy ayant ainsi commis une faute lourde équivalente au dol selon la CMR, son garant, la société BBL, ne peut elle-même, en tant que garante de son substitué, limiter sa responsabilité.
En se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser la faute lourde de la société Ortakoy, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Sur le moyen unique du pourvoi incident des sociétés Thales et Generali
« Vu les articles L. 132-4, L. 132-5 et L. 132-6 du code de commerce, 27, § 1 de la CMR, et l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
Selon les trois premiers de ces textes, le commissionnaire de transport, qui est garant des avaries ou pertes de marchandises et effets, s’il n’y a stipulation contraire dans la lettre de voiture ou force majeure, est garant des faits du commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises comme du voiturier qui effectue le transport.
Selon le dernier texte, les intérêts de l’indemnité que peut demander l’ayant droit sont calculés au taux de 5 % l’an.
Pour condamner la société BBL à payer aux sociétés Thales et Generali certaines sommes avec intérêts légaux à compter du 28 décembre 2007, l’arrêt retient que celles-ci ne peuvent bénéficier des intérêts au taux de 5 % prévu par l’article 27 de la CMR, dès lors qu’elles forment leurs demandes contre la société BBL, non en application de ladite convention, mais en application des textes du droit français relatifs aux commissionnaires de transport.
En statuant ainsi, alors que les sociétés Thales et Generali demandaient la confirmation du jugement en ce qu’il avait fait application des intérêts au taux de 5 % prévu par l’article 27 de la CMR et que la société BBL avait été condamnée en sa qualité de commissionnaire garant du fait de son substitué, la société Ortakoy, transporteur international soumis aux dispositions de la CMR, la cour d’appel, qui a dénaturé les conclusions des sociétés Thales et Generali, a violé les textes et le principe susvisés. »
Par déclaration du 20 octobre 2020, la société BBL a saisi la cour de renvoi et demande l’infirmation du jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 15 février 2011 en ce qu’il a :
rejeté les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la société Balkans Bosphore Logistique,
dit que la responsabilité de Balkans Bosphore Logistique est engagée, qu’elle a commis une faute lourde, privative du bénéfice des limitations de responsabilités prévues à l’article 23 de la convention CMR,
condamné Balkans Bosphore Logistique à verser à la compagnie Generali Iard la somme de 73.412,03 euros et à la société Thales Air Systems la somme de 30.000 euros, outre intérêts au taux de 5 % l’an à compter du 28 décembre 2007,
dit partiellement fondée la demande d’appel en garantie de la société Balkans Bosphore Logistique à l’encontre de la société Bellville Rodair International et limite la condamnation de la société Bellville Rodair International à garantir et relever Balkans Bosphore Logistique de toute condamnation mise à sa charge à hauteur de 30 %,
dit que les intérêts échus pour une année entière sur ces condamnations seront capitalisés dans les conditions prévues à l’article 1154 du code civil,
condamné la société Balkans Bosphore Logistique au paiement de la somme de 10.000 euros aux sociétés Thales Air Systems et Generali Iard en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum les sociétés Balkans Bosphore Logistique et Bellville Rodair International au paiement de la somme de 5.000 euros à la société Upitrans en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum les sociétés Balkans Bosphore Logistique et Bellville Rodair International aux entiers dépens.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 1er juillet 2021, la société BBL demande à la cour de :
Vu la Convention CMR de 1956,
Vu le règlement 44/2001,
Vu les articles 9, 42 et 333 du code de procédure civile,
Confirmer le jugement en ce qu’il a :
Rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Bellville Rodair ;
Jugé que les conditions BIFA n’ont pas vocation à s’appliquer dans les relations entre la société Balkans Bosphore Logistique et la société Bellville Rodair ;
Jugé que l’action n’est pas prescrite à l’encontre de la société Bellville Rodair
Y ajoutant que la référence faite par Bellville Rodair dans chacun de ses emails aux conditions BIFA n’est pas conforme à l’usage ‘ au sens de l’article article 23 alinéa 1, c) du Règlement CE 44/2001 – pour les opérateurs du transport terrestre international, de faire référence à des conditions générales nationales comprenant une clause attributive de compétence
Statuant de nouveau :
Juger que la société Balkans Bosphore Logistique n’a pas commis de faute personnelle et que les prétendus manquements allégués contre elle ne sont pas à l’origine du dommage ;
Juger que la faute lourde des transporteurs n’est pas caractérisée ;
Juger que l’indemnité en application de la Convention CMR ne saurait excéder la somme de 13744,5 DTS et limiter toute condamnation à l’encontre de Balkans Bosphore Logistique à la somme de 13744,5 DTS
Condamner les sociétés Bellville Rodair, Ortakoy et Upi Trans à relever et garantir la société Balkans Bosphore Logistique de toute condamnation mise à sa charge,
Condamner les sociétés Bellville Rodair, Ortakoy et Upi Trans à payer à la société Balkans Bosphore Logistique la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner les sociétés Bellville Rodair, Ortakoy et Upi Trans aux dépens y compris les frais de traduction.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par le RPVA le 8 mars 2022, les sociétés Generali et Thalès demandent à la cour de :
Recevoir les sociétés Thalès Las France SAS, anciennement dénommée Thalès Air System SA, et Generali Iard en leur appel incident à l’encontre du jugement entrepris,
Y faire droit,
Vu les articles 455 et suivants du code de procédure civile,
Vu l’article 29 de la Convention de Genève en date du 19 mai 1956 dite « Convention CMR»,
Vu les articles L.132-4 et suivants du code de commerce,
Réformer le jugement en ce que la faute lourde de la société Ortakoy n’a pas été retenue et en ce que la responsabilité de la société Ortakoy a été limitée à 37.901,50 DTS en application de l’article 23 de la Convention CMR
Et, statuant à nouveau sur ce point,
Vu l’article 122 du code de procédure civile,
Juger les sociétés OAI GLOBAL SRL et BBL Transport irrecevables à contester la cause du dommage, en vertu de l’autorité de la chose jugée,
Juger que la faute lourde de la société Ortakoy a été écartée sans répondre aux conclusions des sociétés Thalès et Generali, en violation de l’article 455 du code de procédure civile,
Juger que les fautes lourdes commises par la société Ortakoy sont directement à l’origine des dommages,
En conséquence, juger que la société Ortakoy est tenue à une indemnisation intégrale sans pouvoir bénéficier de limitations de responsabilité,
Condamner la société BBL Transport, en sa qualité de garant du fait de la société Ortakoy, à payer, en réparation de l’intégralité du préjudice subi :
la somme principale de 73.412,03 euros à la société Generali Iard ;
la somme principale de 30.000 euros à la société Thalès Las France SAS, anciennement dénommée Thalès Air System SA;
Juger que ces sommes porteront intérêts au taux de 5 %, tel que prévu par l’article 27 de la Convention CMR, à compter du 28 décembre 2007, avec anatocisme dans les conditions de l’article 1343-6 du code civil.
Confirmer le jugement en ce que la responsabilité de la société BBL Transport a été retenue pour fautes personnelles ;
Juger que les fautes personnelles de la société BBL Transport sont des manquements à ses obligations essentielles qui ont un lien direct avec l’arrimage défectueux à l’origine des dommages,
En conséquence,
Confirmer la condamnation de la société BBL Transport, sur le fondement de sa responsabilité pour faute personnelle, à payer, en réparation de l’intégralité du préjudice subi :
la somme principale de 73.412,03 euros à la société Generali Iard ;
la somme principale de 30.000 euros à la société Thalès Las France SAS, anciennement dénommée THALES AIR SYSTEM SA;
Juger que ces sommes porteront intérêts au taux de 5 %, tel que prévu par l’article 27 de la Convention CMR, à compter du 28 décembre 2007, avec anatocisme dans les conditions de l’article 1343-6 du code civil.
Confirmer la condamnation de la société BBL Transport à payer aux sociétés Thalès Las France SAS, anciennement dénommée Thalès Air System SA et Generali Iard la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance.
Y ajoutant,
Condamner la société BBL Transport à payer aux sociétés Thalès Las France SAS, anciennement dénommée Thalès Air System SA et Generali Iard la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Débouter la société BBL Transport de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la société BBL Transport à supporter les entiers dépens de la présente instance incluant les frais de traduction, dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 3 mars 2022, la société OAI Global SRL, anciennement dénommée Bellville Rodair International, demande à la cour de :
Vu les conditions générales de la BIFA,
Vu le règlement 44/2001,
Vu la Convention CMR de 1956,
A titre principal :
Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la compétence des juridictions françaises et, statuant à nouveau, renvoyer la société BBL Transport à mieux se pourvoir devant la High Court de Londres.
Subsidiairement :
Déclarer l’action de BBL Transports à l’égard de OIA Global Srl prescrite,
Plus subsidiairement,
Limiter toute condamnation à la charge de la société OIA Global Srl à la contrevaleur en euros de 13.744,50 DTS ;
En cas de condamnation à l’encontre de la société OIA Global Srl, condamner in solidum les Sociétés Netra International Transport Shipping & Trading, Upitrans, Ortakoy et Anadolu Anonim Türk Sigorta ‘irketi à la relever de toutes condamnations en principal, intérêts et frais, ainsi qu’au paiement de la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 mai 2021, la société Anadolu demande à la cour de :
Vu la Convention CMR du 19 mai 1956,
Vu la loi n°2008-561 du 17 juin 2008,
Vu les articles 2223 et 2234 du code civil,
Vu les articles 699, 700 du code de procédure civile,
Vu les articles L133-6 et L133-8 du code de commerce,
A titre liminaire :
Mettre hors de cause la société Anadolu Sigorta, pour le cas où la Cour ferait droit à l’exception d’incompétence ou la prescription soulevées par Bellville Rodair International ;
Sur la recevabilité de la demande de garantie :
Constater que l’action directe de Bellville est irrecevable ;
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit irrecevable l’appel en garantie formé par Bellville Rodair International à l’encontre de Anadolu Anonim Turk Sigorta AS ;
Subsidiairement : sur le fond du litige :
Mettre hors de cause la société Anadolu Sigorta, pour le cas où la Cour jugerait que la responsabilité de Bellville Rodair International n’est pas établie ;
Dire et juger que la police d’assurance de la société Anadolu Sigorta ne couvre pas les avaries subies par la marchandise transportée par la société Ortakoy, dès lors qu’Ortakoy n’a pas respecté ses engagements contractuels ;
Dire et juger que la responsabilité de la société Ortakoy dans la réalisation des dommages subis par la marchandise n’est pas établie et qu’aucune faute ne peut lui être reprochée ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il « condamne la société Ortakoy à garantir et relever Balkans Bosphore Logistique de toute condamnation à sa charge à hauteur de 37.901,50 DTS » ;
Statuant à nouveau :
Dire et juger que la faute d’Ortakoy n’est pas caractérisée ;
Débouter la société Bellville Rodair International de l’intégralité de ses demandes fins et conclusions à l’encontre de la société Anadolu Sigorta ;
A titre infiniment subsidiaire, si par impossible la société Anadolu Sigorta devait être tenue de garantir une quelconque condamnation :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité la somme pouvant être réclamée à Ortakoy selon les limitations prévues par la CMR ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé cette limite à la somme de 37.901,5 DTS et qu’il « condamne la société Ortakoy à garantir et relever Balkans Bosphore Logistique de toute condamnation à sa charge à hauteur de 37.901,50 DTS » ;
Statuant à nouveau :
Dire et juger que le montant de la garantie de la société Anadolu Sigorta sera limité à la somme de 13.744,50 DTS, et qu’il devra être déduit de ce montant, le montant de la franchise de 750 euros ;
En tout état de cause :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il « condamne la société Bellville Rodair International au paiement de la somme de 15.000 euros à la société Anadolu Anonim Turk Sigorta AS outre les entiers dépens y inclus les frais de traduction » ;
Y ajoutant :
Condamner la société Bellville Rodair International à verser à la société Anadolu Sigorta la somme additionnelle de 18.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la présente procédure,
Condamner la société Bellville Rodair International aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de la Selarl Pellerin De Maria Guerre, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Netatrans n’a pas constitué avocat. La déclaration de saisine et les conclusions de la société BBL lui ont été signifiées par acte du 6 janvier 2021 remis au ministère de la justice turc.
La société Upitrans n’a pas constitué avocat. La déclaration de saisine et les conclusions de la société BBL lui ont été signifiées par acte du 6 janvier 2021 remis au ministère de la justice turc.
La société Ortakoy n’a pas constitué avocat. La déclaration de saisine et les conclusions de la société BBL lui ont été signifiées par acte du 6 janvier 2021 remis au ministère de la justice turc.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la compétence pour statuer sur l’appel en garantie formé par la société BBL contre la société Bellville
La société OAI Global SRL, anciennement Bellville Rodair International, affirme que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de l’appel en garantie formé par la société BBL à son encontre.
Elle fait valoir que cette exception d’incompétence a bien été soulevée in limine litis. Elle souligne qu’un appel en garantie ne constitue pas une défense au fond per se, que dans son appel en garantie, elle a indiqué qu’elle se prévalait à titre principal de l’incompétence du tribunal de commerce de Bobigny et que devant ledit tribunal, elle a soulevé oralement in limine litis l’exception d’incompétence.
Elle dément toute renonciation à se prévaloir de la clause attributive de juridiction convenue en saisissant, dans le cadre d’une autre instance, la juridiction roumaine pour obtenir paiement de la prestation de transport dès lors que la clause a été stipulée dans son intérêt et qu’il s’agit de deux instances distinctes portant sur des questions juridiques distinctes.
A l’appui de l’exception soulevée, elle se prévaut de la clause attributive de juridiction insérée à l’article 28 des conditions générales de la British International Freight Association (BIFA) qui donne compétence aux tribunaux anglais pour connaître des contrats qui y font référence. Or elle prétend que le contrat la liant à la société BBL renvoie aux conditions générales de la BIFA. Elle explique en effet que les courriels échangés avec la société BBL renvoyaient aux conditions générales de la BIFA en des termes explicites. Elle affirme également qu’il est d’usage pour les opérateurs de transport international de faire référence à des conditions générales comprenant une clause attributive de compétence. Elle explique que bien que son siège social soit situé en Roumanie, elle fait partie d’un groupe anglo-canadien issu du rapprochement du groupe anglais Bellville et du groupe canadien Rodair, ce qui explique le renvoi de compétence devant les juridictions anglaises.
Elle en déduit que le consentement de la société BBL à la clause attributive de compétence prévu par la BIFA est présumé établi en application de l’article 23 paragraphe 1 c) du règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
La société BBL réplique que s’il est d’usage que les rapports du commissionnaire avec ses substitués soient gouvernés par la législation spéciale applicable au transport ou à la prestation considérés et s’il est d’usage, pour les opérateurs du transport terrestre international, de faire référence à des conditions générales nationales comprenant une clause attributive de compétence au profit du tribunal de leur siège social, la référence faite par la société Bellville dans ses courriels aux conditions de la BIFA n’est pas conforme à cet usage. Elle explique en effet que le renvoi par la société Bellville, dont le siège social est en Roumanie, aux conditions générales de la BIFA, qui désignent les juridictions anglaises, n’est pas conforme aux clauses attributives de compétence qui désignent habituellement les juridictions du siège social de l’opérateur de transport. Dès lors, elle estime que son consentement à cette clause était nécessaire et ne peut être présumé. Or elle soutient n’avoir jamais accepté une telle clause. Elle prétend en effet avoir voulu appliquer uniquement les dispositions de la CMR. Elle ajoute qu’elle ignorait le contenu des conditions de la BIFA.
Par ailleurs, elle relève que la société Bellville a saisi le tribunal de Brasova, en Roumanie, d’une demande du paiement du fret CMR, ce qui démontre qu’elle a renoncé à se prévaloir de la clause de compétence prévue par la BIFA.
Enfin la société BBL invoque l’irrecevabilité de l’exception d’incompétence en affirmant qu’elle n’a pas été soulevée in limine litis. Elle fait en effet valoir que la société Bellville a assigné en garantie plusieurs sociétés et que cet appel en garantie constituait une défense au fond.
Sur la recevabilité
Il ressort des dispositions de l’article 74 du code de procédure civile que les exceptions d’incompétence doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées in limine litis, avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
En l’espèce, il résulte de l’acte d’appel en garantie des sociétés Netatrans, Anadolu, Ortakoy et Upi Trans par la société Bellville, daté du 11 juillet 2008, que la demande de condamnation de ces sociétés n’a été formée qu’à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le tribunal de commerce de Bobigny se déclarerait compétent pour statuer sur la demande de la société BBL à l’encontre de la société Bellville. Par ailleurs, il résulte du jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 15 février 2011 qu’à l’audience du 17 juin 2010, la société Bellville a soulevé oralement in limine litis l’incompétence du tribunal et demandé que la société BBL soit renvoyée à mieux se pourvoir.
Dans ces conditions, il convient de déclarer recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Bellville. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur l’exception d’incompétence
Selon l’article 23 paragraphe 1, c) du règlement UE 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, il est prévu que :
« Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un Etat membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un Etat Membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ; cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre
elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ».
Contrairement à ce que soutient la société BBL, le fait qu’elle ait entendu se référer exclusivement aux conditions de la convention CMR n’exclut pas l’existence d’une clause attributive de juridiction dans ses rapports avec la société Bellville.
En effet, l’article 31 de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route dite CMR conclue à Genève le 19 mai 1956 indique que :
« 1. Pour tous litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la présente Convention, le demandeur peut saisir, en dehors des juridictions des pays contractants désignées d’un commun accord par les parties, les juridictions du pays sur le territoire duquel
a) le défendeur a sa résidence habituelle, son siège principal ou la succursale ou l’agence par l’intermédiaire de laquelle le contrat de transport a été conclu;
ou
b) le lieu de la prise en charge de la marchandise ou celui prévu pour la livraison est situé, et ne peut saisir que ces juridictions. »
Il en ressort que ce n’est qu’en l’absence de clause attributive de juridiction stipulée par les parties au contrat de transport que l’article 31 de la CMR prévoit des dispositions relatives à la juridiction compétente pour connaître des litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à ses dispositions.
Par ailleurs, si la société BBL reconnaît l’existence d’un usage par lequel les opérateurs du transport terrestre international feraient référence à des conditions générales nationales comprenant une clause attributive de compétence au profit du tribunal de leur siège social, elle conteste que la clause attributive de juridiction dont se prévaut la société Bellville corresponde à un usage du commerce international et observe qu’une telle clause aboutirait à faire trancher par les juridictions anglaises un litige opposant une société française à une société roumaine.
La société Bellville produit aux débats plusieurs conditions générales édictées par des organismes regroupant des opérateurs de transport, autre que maritime, comprenant une clause attributive de juridiction, soit au profit des tribunaux dans le ressort desquels se trouve le siège social de l’opérateur de transport, soit au profit des tribunaux de l’Etat dont est originaire l’organisme ayant édicté les conditions générales. Ces éléments font ressortir l’existence d’un usage largement connu et régulièrement observé par lequel les opérateurs de transport international font référence à des conditions générales comprenant une clause attributive de compétence soit au profit des tribunaux dans le ressort desquels se trouve leur siège social, soit au profit des tribunaux de l’Etat dont est ressortissant l’organisme ayant édicté lesdites conditions générales.
En l’espèce, la société Bellville produit aux débats une vingtaine de courriels échangés avec la société BBL entre le 30 octobre 2006 et le 15 novembre 2006, précédant et suivant la conclusion du contrat les liant, dans lesquels la société Bellville indique à dix reprises que : « Toutes les opérations sont soumises à la dernière édition des Conditions Générales de l’Association Britannique Internationale de Transport, dont la copie peut vous être envoyée sur votre demande. »
Or, l’article 28 des conditions générales de la British International Freight Association (BIFA) précise que : « Ces conditions et tout acte ou contrat auxquels elles s’appliquent seront régies par le droit anglais et tout litige né de tout acte ou contrat soumis à ces conditions est soumis à la compétence exclusive des tribunaux anglais. »
Ainsi les courriels échangés entre la société BBL et la société Bellville font directement référence aux conditions générales de la BIFA, association britannique regroupant des transporteurs, qui contiennent une clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises, laquelle est expressément et clairement stipulée. Il sera relevé que la société BBL ne prétend pas qu’il ne lui a pas été possible de prendre connaissance des conditions générales en cause.
Il sera en outre retenu que la société BBL est un praticien de longue date de l’organisation des transports vers les destinations d’Europe de l’Est, d’Asie centrale et du Moyen-Orient qui s’adresse de manière habituelle à tous autres commissionnaires ou transporteurs. Elle est donc censée connaître l’usage invoqué par la société Bellville et est donc présumée l’avoir accepté d’autant plus qu’elle n’a, à aucun moment, contesté le renvoi aux conditions générales de la BIFA dans les échanges précédant la conclusion du contrat la liant à la société Bellville.
Par ailleurs, il sera rappelé que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes de son titulaire manifestant sans équivoque la volonté de renoncer.
Dès lors, il ne peut être déduit de la saisine par la société Bellville du tribunal d’instance de Brasov en Roumanie d’une action en paiement à l’encontre de la société BBL au titre du paiement prévu au contrat litigieux, une renonciation à se prévaloir de la clause attributive de juridiction stipulée aux conditions générales de la BIFA dans une instance ultérieure ayant trait à la responsabilité découlant d’un tel contrat. Il sera en effet relevé que ces deux instances portent sur des questions juridiques distinctes.
En conséquence, la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales de la BIFA doit s’appliquer à l’appel en garantie formé par la société BBL contre la société Bellville et la société BBL sera invitée à mieux se pourvoir. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur l’action directe de la société Bellville contre la société Anadolu, assureur de la société Ortakoy
La cour ayant invité la société BBL à mieux se pourvoir en ce qui concerne son appel en garantie de la société Bellville, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Bellville tendant à se voir garantir par la société Anadolu de toute condamnation qui serait mise à sa charge.
Sur la responsabilité de la société BBL du fait de ses substitués
Les sociétés Generali et Thalès invoquent la faute lourde de la société Ortakoy. Elles font en effet valoir qu’alors que la marchandise devait être acheminée sans transbordement jusqu’à [Localité 15], elle a été transbordée à Istanbul. Or elles soutiennent qu’il ressort des rapports d’expertise que la société Ortakoy, qui a pris en charge la marchandise à Istanbul sans émettre de réserve, a mal arrimé la caisse endommagée à la remorque du camion. Elles exposent en effet que la caisse était arrimée à la remorque au moyen de deux sangles, ce qui était insuffisant pour stabiliser et garantir l’intégrité de la marchandise d’autant plus que les routes traversées étaient très accidentées. Elles affirment que la cour d’appel, dans son arrêt du 1er juin 2016, a définitivement retenu que l’origine du sinistre résultait d’un défaut d’arrimage imputable à la société Ortakoy. Elles considèrent que ce défaut d’arrimage concernant une marchandise dont la société Ortakoy connaissait la valeur et la fragilité, qui faisait l’objet d’un convoi exceptionnel en raison de son poids et de ses dimensions, caractérise une négligence grossière de la part du transporteur qui ne pouvait ignorer l’état des routes empruntées. Elles ajoutent que la société Ortakoy, alertée par son chauffeur des dommages causés à la marchandise, a fait le choix de faire poursuivre le transport sans même solliciter les instructions du donneur d’ordre. Elles estiment que l’endommagement de la marchandise résulte directement des fautes lourdes de la société Ortakoy, qui ne peut bénéficier des limitations de responsabilité prévues par la convention CMR.
La société BBL répond que le transport ayant été effectué en 2006 et 2007, seule la preuve d’une faute lourde du transporteur est susceptible d’écarter les limitations de garantie prévues par la convention CMR. Or elle relève que les rapports d’expertise produits aux débats n’ont pas permis d’attribuer le dommage subi par la marchandise à une cause déterminée. Ils émettent ainsi différentes hypothèses consistant en un emballage défectueux, en un défaut d’arrimage, en un choc contre un pont ou encore dans les secousses provoquées par le mauvais état des routes. Elle ajoute qu’en tout état de cause, le seul arrimage défectueux de la marchandise ne permet pas de constituer la faute lourde du transporteur. Elle fait encore valoir qu’aucun lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage n’est démontré.
Selon l’article 29 de la convention CMR, le transporteur n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions du présent chapitre qui excluent ou limitent sa responsabilité si le dommage provient d’une faute considérée comme équivalente au dol, suivant la loi du for.
Il convient donc de se référer, s’agissant de la faute, à la loi française.
Par ailleurs, le transport litigieux ayant été effectué en 2006 et 2007, la loi n°2009-1503 du 8 décembre 2009 instituant l’article L. 133-8 du code de commerce, qui a substitué à la faute lourde la faute inexcusable, n’est pas applicable. Seule une faute lourde est donc susceptible d’exclure les limitations de garantie prévues par la convention CMR.
La faute lourde peut être définie comme une négligence grossière confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu’il a contractuellement acceptée.
Le juge du fond doit tenir compte des circonstances dans lesquelles a été commise la faute et un simple manquement contractuel, même portant sur une obligation essentielle du contrat, ne peut constituer une faute lourde sans autre circonstance.
Par ailleurs, le seul arrimage défectueux ne permet pas de caractériser la faute lourde du transporteur.
Contrairement à ce qu’affirme la société Thales et son assureur, il n’a pas été définitivement statué sur l’origine des dommages subis par la marchandise au cours du transport litigieux puisque la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er juin 2016 en ce qu’il a condamné la société BBL à indemniser la société Thales et son assureur de l’intégralité du préjudice matériel. Il appartient dès lors à la cour de réexaminer la totalité du litige relatif à la responsabilité de la société BBL.
En l’espèce, selon instructions d’expédition données le 14 novembre 2016, la société Geodis a confié à la société BBL le transport routier de deux caisses n°4107/005 et 006, de longueur respective de 1,98 mètre et 5,36 mètres, de largeur respective de 1,98 mètre et de 2,32 mètres, de hauteur respective de 3,44 mètres et 3,59 mètres et de poids respectif de 2.900 kg et de 1.650 kg, par convoi exceptionnel, entre [Localité 8] et [Localité 15].
Il est établi que la marchandise a été transbordée à Istanbul pour être prise en charge par le camion de la société Ortakoy.
Un procès-verbal de constat a été réalisé le 5 janvier 2007 dans la partie réservée aux douanes de l’aéroport de [Localité 15] par M. [R] [Y], en présence du destinataire, la société Uzaeronavigation, et d’un représentant de la société Thales.
Il a été relevé que :
« l’équipement est fixé sur des palettes de bois entourées de chaque côté par des planches de contreplaqué avec des cadres en bois, cloués. Les caisses contenant l’équipement sont placées sur le camion, benne ouverte. »
Sur la caisse dans laquelle se trouvait le mécanisme d’entrainement du radar, il a été observé que : « les boulons de serrage des supports sont déformés, le filetage est dénudé et les supports sont tombés de la plateforme, le tube de connexion du réducteur (ensemble de transmission) avec le capteur d’huile est déformé, la prise est cassée. Pendant l’examen, il a été observé que les supports du mécanisme d’entraînement étaient arrachés de l’endroit de fixation aux palettes, les côtés du cadre en bois du revêtement en contreplaqués est sorti de son logement, l’emballage intérieur est déchiré, le mécanisme d’entraînement est sorti de son logement et est couché sur le côté, les rabats de la boite contenant les composants du mécanisme d’entrainement ne sont pas fixés. »
Le 19 janvier 2007, une expertise amiable a été diligentée par le cabinet DPS Marinex en présence de la société Thales, de la société Uzaeronavigatsia et de la société BBL. L’expert, M. [W] [L], a noté les dommages suivants sur l’emballage :
« La caisse en contreplaqué 4107/6/002 contenant le mécanisme d’entrainement de l’antenne AN 2000 n’a pas été conservée intacte pour l’inspection, mais les parties qui la composent (palette, capot et parois latérales) étaient présentes. Les cadres latéraux étaient endommagés.
La palette de la caisse 4107/6/002 était visiblement endommagée en son milieu. Il y avait un trou, qui a pu apparaître suite au déplacement de la partie supérieure de l’encodeur cassé.
Il y avait également des tâches d’huile suite à des fuites venant du tube à huile détérioré.
Un des plateaux supérieurs des supports de transport jaunes était cassé. Les écrous de fixation des autres supports jaunes étaient endommagés avec un filetage déformé et des filetages intérieurs des trous d’écrous faussés. Les fixations d’écrou des poteaux jaunes étaient fortement relâchées. »
L’expert conclut son rapport en indiquant que : « Sur la base des informations obtenues, les caisses de marchandises n’étaient pas bloquées/assujetties au plancher du camion (elles étaient juste sanglées sur les côtés) et un mouvement relativement libre de la caisse à l’intérieur du camion peut avoir provoqué un mouvement de la marchandise à l’intérieur des caisses causant les dommages décrits ci-dessus. En gardant à l’esprit l’état des routes en Iran et au Turkménistan, un emballage, un sanglage et un arrimage extra-rigides à l’intérieur des camions sont fortement recommandés. »
Il ressort des conclusions d’expertise que l’expert n’a pas pu déterminer avec certitude l’origine des dommages subis par la marchandise. Il indique en effet que le défaut d’arrimage de la marchandise peut être à l’origine des dommages sans l’affirmer. Il résulte également des constatations de l’expert ainsi que de celles issues du procès-verbal établi par M. A. [Y] qu’un défaut d’emballage de la marchandise est susceptible d’être aussi à l’origine des dommages.
Les sociétés Thales et Generali produisent également un rapport d’expertise amiable du cabinet DFA daté du 30 août 2008, réalisé en présence de la société BBL, qui conclut que : « D’après les photographies prises à [Localité 15], le support du joint tournant a subi un choc violent. Ce choc est plus vraisemblablement la résultante d’un heurt de pont plutôt que le passage dans un nid de poule comme le dit le commissaire d’avarie qui est intervenu sur place.
Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur les causes et circonstances du sinistre car BBL, affrété par TGFL, n’a pas fourni de rapport sur le déroulement du transport entre [Localité 8] et [Localité 15]. (‘) »
Il ressort de ces conclusions que l’origine de l’avarie n’a pu être déterminée. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Thales et Generali, aucune faute de conduite du transporteur n’est établie. En outre, si le rapport d’expertise du cabinet DPS mentionne que le chauffeur aurait constaté les dommages pour la première fois lorsqu’il se trouvait sur la frontière entre le Turkménistan et l’Ouzbékistan et aurait néanmoins poursuivi sa route à une vitesse réduite, il n’en demeure pas moins que l’expert n’a fait que relater les propos du représentant de la société Uzaeronavigatsia et n’en a pas été le témoin direct. Aucune faute du transporteur ne peut donc être retenue de ce chef.
En tout état de cause, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation, le fait pour la société Ortakoy, transporteur professionnel, qui a pris en charge la marchandise sans émettre de réserves et qui connaissait l’état des routes de la partie asiatique du transport, d’avoir réalisé, lors du transbordement à Istanbul, un arrimage totalement inefficace, ce qui était d’autant plus inexcusable que la mention « fragile » portée sur les caisses, la longueur du trajet et l’état des routes imposaient un soin particulier pour assujettir les caisses au camion, est insuffisant pour caractériser une faute lourde.
Dans ces conditions, en l’absence de preuve d’une faute lourde commise par la société Ortakoy, les plafonds de responsabilité prévus par la convention CMR doivent s’appliquer.
Sur la responsabilité de la société BBL de son fait personnel
Les sociétés Generali et Thalès soutiennent que la société BBL a commis des fautes engageant sa responsabilité personnelle. Elles prétendent ainsi que la société BBL a manqué à ses obligations de conseil et d’information du client en étant dans l’incapacité de le renseigner sur le moment exact de la survenance du dommage en cours de transport, d’identifier les substitués intervenant dans la chaîne du transport et de transmettre le numéro d’immatriculation du camion, en ne l’informant pas des difficultés survenues en cours de transport, en ne sollicitant pas ses instructions aux fins d’éviter ou de minimiser les dommages résultant des difficultés rencontrées, en ne répondant pas à ses questions et en ne sauvegardant pas ses intérêts. Elle lui reproche encore de s’être désintéressée du transport et de ne pas avoir suivi la marchandise de sorte qu’elle n’a pas été avisée du transbordement de la marchandise à Istanbul et n’a pas pu en informer son client qui aurait pu donner des instructions pour que les marchandises soient arrimées correctement. Elles affirment que ces manquements ont un lien de causalité direct avec l’arrimage défectueux à l’origine des dommages.
La société BBL dénie toute faute personnelle. Elle explique que la société Geodis avait imposé un transport par la route. Elle ajoute avoir informé son donneur d’ordre de l’itinéraire emprunté par la marchandise et du transbordement prévu en Turquie. Elle fait valoir qu’elle a accompli sa mission en donnant les informations sollicitées par son client. Elle affirme qu’en tout état de cause, aucun lien de causalité n’est établi entre les fautes reprochées et la réalisation du dommage.
En vertu des articles L.132-4 et suivants du code de commerce, les commissionnaires de transport répondent du fait de leurs substitués et peuvent voir leur responsabilité engagée du fait de fautes personnelles.
Le commissionnaire est responsable de son propre fait si la perte des marchandises lui est imputable. Il a notamment une obligation de surveillance et de suivi de l’opération de transport. Il doit également répondre de ses choix concernant le transporteur ou le mode de transport et préserver le recours de son client.
En l’espèce, il résulte des échanges de courriels entre la société BBL et la société Geodis du 11 janvier 2007 que la société BBL a informé son donneur d’ordre de l’avarie dès qu’elle en a eu connaissance et qu’elle l’a renseigné sur ses substitués ainsi que sur le numéro d’immatriculation du camion.
Par ailleurs, contrairement à ce que la société Thales et la société Generali soutiennent, il ressort des pièces versées aux débats que le transbordement des marchandises à Istanbul était prévu dès l’origine. En effet, deux devis ont été adressés à la société BBL par la société Bellville : l’un d’un montant de 23.500 euros avec transbordement et l’autre de 33.500 euros sans transbordement et le choix s’est porté sur le devis moins disant.
En outre, la société BBL a assuré à la société Geodis que des photographies du chargement avaient été prises avant le départ de la marchandise d'[Localité 8] et que le chargement sur le camion de la société Ortakoy à Istanbul avait été effectué à l’identique.
Il sera rappelé qu’au titre de l’obligation de surveillance de l’opération de transport, il n’incombe pas au commissionnaire de superviser le chargement des marchandises.
Dès lors, aucun manquement de la société BBL à ses obligations n’est caractérisé. Il sera de surcroît relevé que les sociétés Thales et Generali ne démontrent aucun lien de causalité entre les griefs qu’elles forment à l’encontre du commissionnaire et la détérioration de la marchandise au cours du transport étant rappelé qu’il n’est pas acquis qu’elle soit en lien avec un arrimage défectueux.
En conséquence, la responsabilité personnelle de la société BBL en qualité de commissionnaire ne peut être retenue. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur l’indemnisation
L’article 23 de la convention CMR prévoit que :
« 1. Quand en vertu des dispositions de la présente Convention, une indemnité pour perte totale ou partielle de la marchandise est mise à la charge du transporteur, cette indemnité est calculée d’après la valeur de la marchandise au lieu et à l’époque de la prise en charge.
2. La valeur de la marchandise est déterminée d’après le cours en bourse ou, à défaut, d’après le prix courant du marché ou, à défaut de l’un et de l’autre, d’après la valeur usuelle des marchandises de même nature et qualité.
3. Toutefois, l’indemnité ne peut dépasser 8,33 unités de compte par kilogramme du poids brut manquant.
4. Sont en outre remboursés le prix du transport, les droits de douane et les autres frais encourus à l’occasion du transport de la marchandise, en totalité en cas de perte totale, et au prorata en cas de perte partielle; d’autres dommages-intérêts ne sont pas dus. »
En l’espèce, il est établi que la valeur de la marchandise contenue dans les deux caisses 4107/5 et 4107/6 s’élève à 500.000 euros.
Il convient en conséquence de tenir compte du plafond d’indemnisation fixé à 8,33 DTS par kilogramme de marchandise endommagée. Or en l’espèce, seul le mécanisme d’entrainement du radar contenu dans la caisse 4107/6/002 a été endommagé et le poids de cette caisse était de 1.650 kg, soit une indemnité maximum correspondant à la contrevaleur en euros de 13.744,5 DTS.
La société BBL sera donc condamnée à payer à la société Thales une somme correspondant à la contrevaleur en euros de 13.744,5 DTS. La société Thales et la société Generali seront déboutées du surplus de leur demande d’indemnisation. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur le taux des intérêts applicable à la condamnation de la société BBL
La société Thales revendique l’application d’un taux d’intérêts de 5% l’an en application de l’article 27 paragraphe 1 de la convention CMR.
L’article 27 paragraphe 1 de la convention CMR prévoit que :
« L’ayant droit peut demander les intérêts de l’indemnité. Ces intérêts, calculés à raison de 5% l’an, courent du jour de la réclamation adressée par écrit au transporteur ou, s’il n’y a pas eu de réclamation, du jour de la demande en justice. »
Il convient d’ordonner que la condamnation prononcée à l’encontre de la société BBL soit augmentée des intérêts au taux de 5 % à compter du 28 décembre 2007, date de l’assignation de la société BBL par la société Thalès.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-6 du code civil à compter du 17 juin 2010, date de la première demande en ce sens.
Sur la garantie des sociétés Ortakoy et Upi Trans.
Il sera relevé que l’arrêt de la Cour de cassation du 9 septembre 2020 n’a pas remis en cause le chef du dispositif de l’arrêt du 1er juin 2016 par lequel les sociétés Orakoy et Upitrans ont été condamnées à garantir la société BBL des condamnations mises à sa charge.
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ce point dont la cour de renvoi n’est pas saisie.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société BBL succombe partiellement en ses prétentions. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la société BBL aux dépens de première instance et sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Bellville à supporter les dépens de première instance. Ainsi la société BBL supportera seule les dépens de première instance.
Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu’il a condamné la société BBL à payer aux sociétés Thales et Generali une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La société BBL supportera les dépens de l’instance de renvoi ainsi que les dépens de l’instance d’appel, ces dépens étant également supportés par les sociétés Ortakoy et Upitrans étant précisé que ces condamnations n’ont pas fait l’objet de la cassation.
La société BBL sera condamnée à payer à la société Thales une somme supplémentaire de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La demande de la société BBL sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée. La société Bellville, qui ne supporte pas les dépens de l’instance de renvoi, ne saurait être condamnée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La demande de la société Anadolu de ce chef sera écartée.
PAR CES MOTIFS
La cour, dans les limites de sa saisine,
Statuant publiquement et par arrêt de défaut,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Bellville Rodair International désormais dénommée OAI global ;
L’INFIRME en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Bellville Rodair International désormais dénommée OAI global ;
Statuant à nouveau de ce chef,
INVITE la société BBL Transport à mieux se pourvoir en ce qui concerne son appel en garantie dirigé à l’encontre de la société Bellville Rodair international désormais dénommée OAI global ;
DIT n’y avoir lieu en conséquence de statuer sur la demande de la société Bellville Rodair international désormais dénommée OAI global tendant à se voir garantir par la société Anadolu Anonim Turk Sigorta de toute condamnation qui serait mise à sa charge ;
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la responsabilité de la société Balkans Bosphore Logistique est engagée, qu’elle a commis une faute lourde, privative du bénéfice des limitations de responsabilités prévues à l’article 23 de la convention CMR ;
Statuant à nouveau de ce chef,
DIT qu’aucune faute personnelle ne peut être retenue à l’encontre de la société BBL Transport ;
DIT qu’en l’absence de preuve d’une faute lourde commise par la société Ortakoy, les plafonds de responsabilité prévus par la convention CMR doivent s’appliquer ;
CONDAMNE la société BBL Transport, en sa qualité de commissionnaire, à payer à la société Thales Las France une somme correspondant à la contrevaleur en euros de 13.744,5 DTS avec intérêts au taux de 5% à compter du 28 décembre 2007 ;
PRONONCE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-6 du code civil à compter du 17 juin 2010 ;
REJETTE le surplus des demandes d’indemnisation de la société Thales Las France et de la société Generali IARD ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société BBL Transport aux dépens de première instance et l’infirme en ce qu’il a condamné la société Bellville Rodair international à supporter les dépens de première instance ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société BBL Transport à payer aux sociétés Thales Las France et Generali IARD une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société BBL Transport à payer à la société Thales Las France une somme supplémentaire de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la société BBL Transport sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la société Anadolu Anonim Turk Sigorta au titre des frais irrépétibles exposés au titre de l’instance de renvoi ;
CONDAMNE la société BBL Transport, avec la société Ortakoy et la société Upitrans Tasimacilik Ve Vicaret , aux dépens de l’instance d’appel ;
CONDAMNE la société BBL Transport aux dépens de l’instance de renvoi ;
Le Greffier Le Président