Clause attributive de compétence : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/08300

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Clause attributive de compétence : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/08300
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/08300 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXAK

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Mai 2022 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2021060439

APPELANTE

S.A.S.U. RAZEL-BEC, RCS d’EVRY n°562.136.036, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée à l’audience par Me Charles NAIRAC, avocat au barreau de PARIS, toque : J002

INTIMEES

S.A. BNP PARIBAS, RCS de PARIS n°662.042.449, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée et assistée à l’audience par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E0022

Société KENYA AIRPORTS AUTHORITY, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1] ( KENYA )

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Représentée à l’audience par Me Alexandre MALAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P574

Société STANDARD CHARTERED BANK KENYA LTD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5] / KENYA

Représentées par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Représentées à l’audience par Me Rémi KLEIMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : J014

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre chargée du rapport

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

En 2017, la société Sogea-Satom et la société Razel-Bec, entrepreneurs en travaux publics, ont ensemble (le Consortium), remporté l’appel d’offres qui avait été lancé par la société Kenya Airports Authority (la KAA), organisme public en charge de la gestion des aéroports au Kenya, afin de réhabiliter les pistes de l’aéroport de [Localité 4] au Kenya.

Le Consortium, en tant que constructeur, et la KAA, en tant que maître d’ouvrage, ont conclu un contrat pour la réalisation de ce projet.

Ce contrat prévoit la souscription par le Consortium d’une garantie de bonne fin au profit de la KAA, d’un montant d’environ 5,5 millions d’euros.

Pour mettre en place cette garantie, la société Sogea-Satom s’est adressée à la société Standard Chartered Bank (SCB UK, société de droit anglais), laquelle, par l’intermédiaire de sa filiale kenyane, la société Standard Chartered Bank Kenya Limited (SCB kenya, société de droit kenyan), a émis la garantie au bénéfice de la KAA.

Cette garantie a fait l’objet de deux contre-garanties émises respectivement par la société SCB UK (s’agissant de la part de marché de Sogea-Satom) et par la société BNP Paribas (s’agissant de la part de marché de Razel-Bec).

Les sociétés Sogea-Satom et SCB UK avaient conclu le 17 juin 2016 un contrat-cadre pour l’émission de garanties en vue de l’émission par SCB UK ou l’un quelconque de ses affiliés des garanties au profit de certains clients de Sogea-Satom. Sogea-Satom et SCB AG (filiale allemande de SCB UK) ont conclu le 5 mars 2019 un contrat de réplication et de modification (nouveau contrat-cadre), qui duplique le contrat-cadre initial.

L’exécution du marché de travaux fait l’objet d’un litige entre les constructeurs (Sogea-Satom et Razel-Bec) et le maître d’ouvrage (KAA), les constructeurs se plaignant du non paiement du prix par la KAA et ayant suspendu puis résilié le marché de travaux le 28 septembre 2021, la KAA contestant cette résiliation, se prévalant de la mauvaise exécution des travaux et arguant de trop versés au titre du prix des travaux.

Ce litige a été porté devant le juge du contrat (le dispute board). Le 6 mai 2021 le dispute board a autorisé les entrepreneurs à suspendre les travaux et ordonné au maître d’ouvrage d’acquitter les montants impayés. Le 7 mars 2022 le dispute board a validé la résiliation du contrat par les entrepreneurs. Le tribunal arbitral a été saisi du litige, la KAA contestant les décisions du dispute board.

Le 10 décembre 2021, la KAA a appelé la garantie principale de bonne fin et le 14 décembre 2021, la SCB Kenya a appelé les contre-garanties, ce que contestent les sociétés Sogea-Satom et Razel-Bec qui considèrent que les conditions de mise en oeuvre de la garantie de bonne fin par la KAA ne sont pas réunies, celle-ci étant débitrice de Sogea-Satom et non l’inverse.

Par acte du 14 décembre 2021, la société Razel-Bec a fait assigner en référé devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés Kenya airports authority, BNP Paribas et Standard chartered bank Kenya limited aux fins de voir :

– prononcer que tout appel de la contre-garantie n°272097/17/02552 émise par la société BNP Paribas par la société Standard chartered bank Kenya limited serait manifestement abusif ;

– ordonner en conséquence à la société BNP Paribas de ne pas procéder à quelque paiement que ce soit au titre de la contre-garantie émise par la société BNP Paribas en faveur de la société Standard chartered bank Kenya limited, n°272097/17/02552 en date du 9 novembre 2017 et qui a fait l’objet d’un avenant en date du 30 décembre 2020, pour un montant de KES 350.412.075,83 (soit environ 2,76 millions euros), dans l’attente d’une décision définitive au fond rendue en application de la procédure impérative de résolution des litiges aux termes de la clause 20 des cgc du contrat ;

– condamner l’organisme Kenya airports authority à payer à la société Razel-bec la somme de 30.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner l’organisme Kenya Airports Authority aux entiers dépens d’instance.

Par ordonnance contradictoire du 11 mai 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a, vu les articles 872 et 873 du code de procédure civile, 2321 du code civil :

– déclaré sa compétence ;

– débouté la société Razel-Bec de l’ensemble de ses demandes ;

– condamné la société Razel-bec à payer à l’organisme Kenya airport authority la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

– condamné la société Razel-bec à payer à la société Standard chartered bank Kenya ltd la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

– condamné la société Razel-bec à payer à la société Bnp paribas la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné en outre la société Razel-bec à payer les dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 75,92 euros TTC dont 12,44 euros de TVA ;

– rappelé que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 12 mai 2022, la société Razel-Bec a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 octobre 2022, elle demande à la cour de :

– infirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 11 mai 2022 en ce qu’il a statué par les chefs suivants :

‘ débouté celle-ci de l’ensemble de ses demandes,

‘ condamné celle-ci à payer à l’organisme Kenya airport authority la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

‘ condamné la société Razel-bec à payer à la société Standard chartered bank Kenya ltd la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

‘ condamné la société Razel-bec à payer à la société Bnp paribas la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ condamné en outre la société Razel-bec à payer les dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 75,92 euros TTC dont 12,44 euros de TVA,

– déclarer infondé l’appel incident de la société Standard chartered bank Kenya ltd et sa demande subsidiaire de sursis à statuer ;

– confirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 11 mai 2022 en ce qu’il s’est déclaré compétent ;

Et statuant à nouveau,

– recevoir l’intégralité de ses moyens et prétentions ;

En conséquence,

– prononcer qu’est manifestement abusif et frauduleux l’appel par la société Standard chartered bank Kenya ltd de la contre-garantie n°272097/17/02552 émise par la société BNP Paribas ;

– ordonner en conséquence à la société BNP Paribas de ne pas procéder à quelque paiement que ce soit au titre de la contre-garantie n°272097/17/02552 émise par la société BNP Paribas, en faveur de la société Standard chartered bank Kenya ltd, en date du 9 novembre 2017 et qui a fait l’objet d’un avenant en date du 30 décembre 2020, dans l’attente d’une décision définitive au fond rendue en application de la procédure impérative de résolution des litiges aux termes de la clause 20 des cgc du contrat ;

En tout état de cause,

– débouter la société BNP Paribas, l’organisme Kenya airports authority et la société Standard chartered bank Kenya ltd de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

– condamner l’organisme Kenya airports authority et la société Standard chartered bank Kenya à lui payer la somme de 40.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner l’organisme Kenya airports authority et la société Standard chartered bank Kenya ltd aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

– dire que ceux d’appel seront recouvrés par Me Audrey Hinoux, la société Lexavoué Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 novembre 2022, la société Standard chartered bank Kenya ltd demande à la cour de :

– infirmer l’ordonnance de référé qui lui est déférée en ce que le président du tribunal de commerce de Paris a déclaré sa compétence,

Statuant à nouveau sur ce point,

– se déclarer et déclarer le président du tribunal de commerce de Paris territorialement et internationalement incompétents pour statuer sur les demandes formulées par la société Razel-bec et sur le caractère manifestement abusif et frauduleux, ou non, de son appel de la contre-garantie n°272097/17/02552 émise par la société Bnp paribas, en sa faveur, en date du 9 novembre 2017 et qui a fait l’objet d’un avenant en date du 30 décembre 2020 ;

– renvoyer la société Razel-bec à mieux se pourvoir devant les juridictions kenyanes compétentes ;

A titre subsidiaire,

– prononcer, dans une bonne administration de la justice, un sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir des juridictions kenyanes sur le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l’appel par l’organisme Kenya airports authority de la garantie de bonne fin n°201020140328-FP émise par elle en faveur de l’organisme Kenya airports authority en date du 10 novembre 2017 et qui a fait l’objet d’un avenant en date du 31 décembre 2020 ;

A titre plus subsidiaire,

– confirmer l’ordonnance de référé qui lui est déférée en ce que le président du tribunal de commerce de Paris a :

‘ débouté la société Razel-bec de l’ensemble de ses demandes,

‘ condamné la société Razel-bec à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

‘ condamné en outre la société Razel-bec à payer les dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 75,92 euros TTC dont 12,44 euros de TVA,

En tant que de besoin, y ajouter :

– juger que son appel de la contre-garantie n°272097/17/02552 émise par la société Bnp paribas n’est pas manifestement abusif ;

En toutes hypothèses,

– débouter les parties de l’ensemble de leurs demandes formulées à son encontre ;

– condamner celle des parties qui succombera à lui payer une somme de 20.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de l’instance d’appel ;

– condamner celle des parties qui succombera à l’instance aux entiers dépens dont distraction pour ceux la concernant au profit de Me Hardouin, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 septembre 2022, l’organisme Kenya airports authority demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance dont appel en toutes ses dispositions ;

– rejeter toutes demandes de la société Razel-bec en toutes leurs dispositions, fin et conclusions ;

– condamner la société Razel-bec à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 16 novembre 2022, la société BNP Paribas demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a reconnu la compétence du tribunal de commerce de Paris ;

– débouter toute partie de ses demandes de sursis à statuer ;

– lui donner acte qu’elle s’en rapporte à justice, tant sur le mérite de l’appel, que sur le demande d’interdiction de payer et sur celle de l’appréciation du caractère abusif ou frauduleux de l’appel en paiement de sa contre-garantie ;

– condamner tout succombant à lui régler une somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner tout succombant aux dépens.

Pour l’exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LACOUR

Sur l’exception d’incompétence

La SCB Kenya soulève l’incompétence de la juridiction française, se prévalant de la clause attributive de juridiction en faveur des juridictions kenyanes contenue dans la garantie principale et de ce qu’il ne peut être statué par la juridiction saisie sur le caractère abusif ou frauduleux de l’appel à la contre-garantie sans apprécier le caractère abusif ou frauduleux de la garantie principale, ce pourquoi elle n’est pas compétente, en sorte que la clause attributive de juridiction en faveur de la juridiction française contenue dans la contre-garantie fournie par la BNP Paribas ne peut faire échec à la compétence des juridictions kenyanes, laquelle a été saisie par Razel-Bec pour faire interdire le paiement de la garantie principale et qui doit statuer sur le litige de manière unitaire.

La société Razel-Bec soulève l’irrecevabilité de cette exception d’incompétence faute d’intérêt de la SCB Kenya dès lors que l’action est dirigée contre BNP Paribas, la SCB Kenya n’ayant été appelée à la cause que pour faire valoir son point de vue, la compétence s’appréciant par le chef de la demande.

Il convient de rappeler que selon l’article 31 du code de procédure civile, “l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention (…)”

Or, comme l’oppose à raison la SCB Kenya, celle-ci a un intérêt légitime au rejet de la prétention de la société Razel-Bec qui tend à faire échec au paiement de la contre-garantie souscrite par BNP Paribas au profit de SCB Kenya, laquelle à un intérêt évident à voir préserver son droit au paiement de la contre-garantie alors qu’elle est par ailleurs tenue au paiement de la garantie principale.

Sur le fond de l’exception d’incompétence, la société Razel-Bec se prévaut de la clause attributive de juridiction en faveur du tribunal de commerce de Paris contenue dans la convention-cadre relative à l’émission d’engagements entre la BNP Paribas et Razel-Bec, de la domiciliation de la BNP Paribas à Paris et de l’article 35 du règlement dit Bruxelles I Bis applicable en matière de mesures provisoires et conservatoires, précisant qu’elle ne se fonde pas sur la clause attributive de compétence en faveur de la juridiction française contenue dans la contre-garantie conclue entre BNP Paribas et SCB Kenya ,dès lors que Razel-Bec n’est pas partie à cette contre-garantie.

A titre liminaire, il doit être précisé que le règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, a vocation à s’appliquer au présent litige qui attrait deux sociétés étrangères (KAA et SCB Kenya Ltd), l’Etat français ayant inscrit à l’article 55 de sa Constitution que “Les dispositions relatives à la compétence judiciaire issues d’une convention internationale ou d’un instrument communautaire liant la France priment sur les règles internes.”

L’article 25 de ce règlement prévoit que “Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet Etat membre […]”

En l’espèce, la clause attributive de compétence contenue dans la convention-cadre conclue le 19 mars 2012 entre les sociétés Razel-Bec et BNP Paribas n’a pas vocation à s’appliquer, le présent litige, qui tend à voir juger du caractère abusif de l’appel de la contre-garantie fournie par BNP Paribas à SCB Kenya et, par suite, à interdire le paiement de cette contre-garantie par le contre-garant au garant, ne met pas en jeu l’exécution du contrat-cadre conclu entre Razel-Bec et BNP Paribas portant sur l’émission de garanties par la banque au profit du donneur d’ordre.

La clause attributive de compétence en faveur de la juridiction kenyane, contenue dans la garantie principale due par la SCB Kenya à la KAA, n’est pas davantage applicable au présent litige, lequel porte sur la contre-garantie due par BNP Paribas à SCB Kenya, cette contre-garantie étant autonome de la garantie principale. Le risque de contrariété de la décision de la juridiction française sur la contre-garantie avec la décision qui sera rendue par la juridiction kenyane sur la garantie principale ne saurait constituer une règle de compétence.

En revanche, l’appelante est bien fondée à voir retenir la compétence de la juridiction française à l’égard de tous les intimés en application des dispositions de l’article 35 du règlement Bruxelles I Bis, aux termes duquel “Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un Etat membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si les juridictions d’un autre Etat membre sont compétents pour connaître du fond.”

Cet article 35 permet en effet au juge des référés français de prendre des mesures provisoires ou conservatoires dès lors qu’il existe un lien de rattachement réel entre les mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État français, étant rappelé que selon la CJUE, les mesures provisoires au sens de cet article 35 sont les mesures qui sont « destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond ».

Or, la mesure qui est sollicitée par la société Razel-Bec tend à voir ordonner à la banque conte-garante de ne pas procéder à quelque paiement que ce soit au titre de la contre-garantie, dans l’attente d’une décision définitive au fond rendue par la juridiction arbitrale saisie du litige opposant les constructeurs français et le maître d’ouvrage Kenyan au titre du contrat de base. L’appelante cherche ainsi à maintenir une situation de fait ou de droit (le non paiement de la garantie et de la contre-garantie souscrite au titre du contrat de base) afin de sauvegarder ses droits en l’attente de la décision de la juridiction arbitrale chargée de trancher le litige opposant les constructeurs et le maître d’ouvrage sur la résiliation du marché de travaux et les comptes à opérer entre les parties. En outre, cette demande a été formée en référé au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, en application desquels le juge des référés français rend des mesures conservatoires et provisoires.

Il convient ici de préciser que si la mesure d’interdiction du paiement de la contre-garantie suppose que soit apprécié le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l’appel à la contre-garantie par le garant conformément à l’article 2321 du code civil, et qu’il s’agit là d’une appréciation de fond, il reste que cette appréciation est faite en référé et donc à titre provisoire, sans autorité de chose jugée, et pour les besoins d’une mesure provisoire et conservatoire d’interdiction de paiement de la contre-garantie tant que le litige au fond n’est pas tranché par la juridiction arbitrale.

La mesure requise par l’appelante est donc bien une mesure provisoire et conservatoire.

Par ailleurs, le lien de rattachement entre la mesure requise et la compétence territoriale de l’État français est manifeste, la contre-garantie dont le non-paiement est sollicité émanant d’une banque française, la BNP Paribas.

L’exception d’incompétence soulevée par la SCB Kenya est par conséquent mal fondée ; l’ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de sursis à statuer

La SCB Kenya demande qu’il soit sursis à statuer sur le caractère manifestement abusif ou frauduleux de la contre-garantie en l’attente de la décision à rendre par la juridiction kenyane, saisie du caractère manifestement abusif ou frauduleux de la garantie principale, faisant essentiellement valoir que l’appréciation du caractère abusif ou frauduleux de la contre-garantie suppose nécessairement que l’appel de la garantie principale ait été lui-même jugé manifestement abusif ou frauduleux.

La société Razel-Bec sollicite le rejet de cette demande, contestant le risque de contrariété de décisions dès lors que tant la juridiction kenyane que la juridiction française sont saisies de demandes de mesures provisoires et que seule la juridiction arbitrale a compétence pour statuer sur le fond du litige. Elle expose toutefois ne pas être opposée à un sursis à statuer en l’attente de la décision au fond du tribunal arbitral.

La BNP Paribas s’oppose au sursis à statuer en l’attente tant de la décision arbitrale que de la décision provisoire des juridictions kenyanes sur la garantie principale, faisant valoir que dans le premier cas, un sursis à statuer reviendrait à priver de tout intérêt la procédure pendante devant la cour, et que dans le second cas, le sursis reviendrait à nier le mécanisme des garanties internationales et l’indépendance des garanties et contre-garanties les unes par rapport aux autres.

Il est constant que la juridiction kenyane est saisie d’une demande des sociétés Sogea-Satom et Razel-Bec tendant à voir juger du caractère abusif ou frauduleux de l’appel de la garantie principale par la société KAA au garant la SCB kenya et, par suite, à voir interdire le paiement de la garantie principale par le garant au maître d’ouvrage.

La SCB Kenya soutient à raison que la cour ne peut apprécier le caractère abusif ou frauduleux de l’appel à la contre-garantie sans d’abord apprécier le caractère abusif ou frauduleux de l’appel à la garantie principale.

En effet, pour que son appel à la contre-garantie soit jugé abusif ou frauduleux, il faut que la banque garante de premier rang ait eu connaissance du caractère abusif de l’appel de la garantie de premier rang.

La cour de céans doit donc apprécier le caractère abusif de l’appel à la garantie de premier rang par la KAA pour pouvoir juger du caractère abusif de l’appel à la contre-garantie par la SCB Kenya. Or, elle n’a pas compétence pour ce faire, seule la juridiction kenyane, qui est saisie à cet effet, ayant cette compétence.

Il est donc nécessaire pour la cour, dans le strict cadre de sa saisine portant sur une mesure provisoire, de surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction kenyane sur le caractère abusif ou frauduleux de l’appel à la garantie principale, et non dans l’attente de la décision du tribunal arbitral saisi du fond du litige, peu important que la juridiction kenyane ait ou non été saisie la première comme il est discuté par les parties, le sursis à statuer étant prononcé sur le fondement de l’article 378 du code de procédure civile dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Le risque de contrariété de décisions sur le prononcé des mesures provisoires est en effet incontestable, dans l’hypothèse où la cour jugerait abusif l’appel à la contre-garantie alors que la juridiction kenyane en jugerait autrement s’agissant de la garantie principale, ou inversement. L’intérêt financier de l’une ou l’autre des parties (Razel-Bec ou SCB Kenya) se trouverait lésé par de telles divergences.

Il sera donc sursis à statuer sur le fond du référé dans les termes du dispositif ci-après, ainsi que sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a retenu la compétence du tribunal de commerce de Paris,

Sursoit à statuer sur le fond du référé, en l’attente de la décision à intervenir des juridictions kenyanes sur le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l’appel par l’organisme Kenya airports authority de la garantie de bonne fin n°201020140328-FP émise par la société Standard Chartered Banc Kenya Limited en faveur de l’organisme Kenya airports authority en date du 10 novembre 2017 et qui a fait l’objet d’un avenant en date du 31 décembre 2020 ;

Dit que l’affaire est retirée du rôle et sera réinscrite sur remise au greffe par l’une des parties de la décision attendue ;

Réserve les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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