Clause attributive de compétence : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/08299

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Clause attributive de compétence : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/08299
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/08299 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXAG

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Mai 2022 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2021060438

APPELANTE

S.A.S. SOGEA-SATOM, RCS de NANTERRE sous le N° 612 026 807, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée à l’audience par Me Charles NAIRAC, avocat au barreau de PARIS, toque : J002

INTIMEES

Société STANDARD CHARTERED BANK A.G., société de droit allemand immatriculée sous le numéro HRB108109, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 7] / ALLEMAGNE

Société STANDARD CHARTERED BANK, société de droit anglais immatriculée sous le n°ZC000018, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1] / ROYAUME-UNI

Société STANDARD CHARTERED BANK KENYA LTD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3] / KENYA

Représentées par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Représentées à l’audience par Me Rémi KLEIMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : J014

Société KENYA AIRPORTS AUTHORITY, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4] ( KENYA )

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Représentée à l’audience par Me Alexandre MALAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P574

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport ayant été présenté à l’audience par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

En 2017, la société Sogea-Satom et la société Razel-Bec, entrepreneurs en travaux publics, ont ensemble (le Consortium), remporté l’appel d’offres qui avait été lancé par la société Kenya Airports Authority (la KAA), organisme public en charge de la gestion des aéroports au Kenya, afin de réhabiliter les pistes de l’aéroport de [Localité 5] au Kenya.

Le Consortium, en tant que constructeur, et la KAA, en tant que maître d’ouvrage, ont conclu un contrat pour la réalisation de ce projet.

Ce contrat prévoit la souscription par le Consortium d’une garantie de bonne fin au profit de la KAA, d’un montant d’environ 5,5 millions d’euros.

Pour mettre en place cette garantie, la société Sogea-Satom s’est adressée à la société Standard Chartered Bank (SCB UK, société de droit anglais), laquelle, par l’intermédiaire de sa filiale kenyane, la société Standard Chartered Bank Kenya Limited (SCB Kenya, société de droit kenyan), a émis la garantie au bénéfice de la KAA.

Cette garantie a fait l’objet de deux contre-garanties émises respectivement par la société SCB UK (s’agissant de la part de marché de Sogea-Satom) et par la société BNP Paribas (s’agissant de la part de marché de Razel-Bec).

Les sociétés Sogea-Satom et SCB UK avaient conclu le 17 juin 2016 un contrat-cadre pour l’émission de garanties en vue de l’émission par SCB UK ou l’un quelconque de ses affiliés des garanties au profit de certains clients de Sogea-Satom. Sogea-Satom et SCB AG (filiale allemande de SCB UK) ont conclu le 5 mars 2019 un contrat de réplication et de modification (nouveau contrat-cadre), qui duplique le contrat-cadre initial.

L’exécution du marché de travaux fait l’objet d’un litige entre les constructeurs (Sogea-Satom et Razel-Bec) et le maître d’ouvrage (KAA), les constructeurs se plaignant du non paiement du prix par la KAA et ayant suspendu puis résilié le marché de travaux le 28 septembre 2021, la KAA contestant cette résiliation, se prévalant de la mauvaise exécution des travaux et arguant de trop versés. Ce litige a été porté devant le juge du contrat (le dispute board). Le 6 mai 2021, ce juge a autorisé les entrepreneurs à suspendre les travaux et ordonné au maître d’ouvrage d’acquitter les montants impayés ; le 7 mars 2022, il a validé la résiliation du contrat par les entrepreneurs. Le tribunal arbitral a été saisi du litige, la KAA contestant les décisions du dispute board.

Le 10 décembre 2021, la KAA a appelé la garantie principale de bonne fin et le 14 décembre 2021, la SCB Kenya a appelé les contre-garanties, ce que conteste Sogea-Satom qui considère que les conditions de mise en oeuvre de la garantie de bonne fin par la KAA ne sont pas réunies, celle-ci étant débitrice de Sogea-Satom et non l’inverse.

Par acte du 14 décembre 2021, la société Sogea-Satom a fait assigner les sociétés SCB UK, SCB AG, SCB Kenya et la KAA devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, aux fins de voir juger manifestement abusifs et frauduleux l’appel par la KAA de la garantie de bonne fin émise par la SCB Kenya et l’appel par la SCB Kenya de la contre-garantie émise par la SCB UK, et ordonner en conséquence aux sociétés SCB UK et SCB AG de ne pas procéder à quelque paiement que ce soit au titre de l’accord-cadre d’émission de garanties en date du 17 juin 2016, en rapport avec la garantie de bonne fin et en rapport avec la contre-garantie.

Les sociétés défenderesses ont notamment soulevé l’incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit des juridictions kenyanes.

Par ordonnance contradictoire du 11 mai 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

– dit recevable et bien fondée l’exception d’incompétence ;

– déclaré être incompétent au profit des juridictions kenyanes compétentes ;

– renvoyé la société Sogea-Satom à mieux se pourvoir ;

– dit qu’en application de l’article 84 du code de procédure civile, la voie de l’appel est ouverte contre la présente décision ;

– condamné la société Sogea-Satom à payer à la société Standard Chartered Bank Kenya LTD la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

– condamné la société Sogea-Satom à payer à la société Standard Chartered Bank UK la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

– condamné la société Sogea-Satom à payer à la société Standard Chartered Bank AG la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

– condamné la société Sogea-Satom à payer à l’organisme Kenya Airport Authority la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

– condamné en outre la société Sogea-Satom à payer les dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 105,89 euros TTC dont 17,44 euros de TVA ;

– rappelé l’exécution provisoire de plein droit en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 12 mai 2022, la société Sogea-Satom a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 octobre 2022, l’appelante demande à la cour :

– d’infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de:

– déclarer les juridictions kenyanes incompétentes pour connaître du présent litige ;

– déclarer le président du tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître du présent litige ;

– renvoyer l’affaire devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins d’ordonnance en référé sur ses demandes formulées en première instance, qu’elle se réserve le droit d’amender, de retirer ou de compléter à un stade ultérieur de la procédure ;

– débouter la société Standard Chartered Bank AG, la société Standard Chartered Bank et la société Kenya Airports Authority de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

– condamner la société Standard Chartered Bank AG, la société Standard Chartered Bank et la société Kenya Airports Authority à lui payer la somme de 40.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Standard Chartered Bank AG, la société Standard Chartered Bank et la société Kenya Airports Authority aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

– dire que ceux d’appel seront recouvrés par Me Hinoux, société Lexavoué Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 9 novembre 2022, les sociétés Standard Chartered Bank, Standard Chartered Bank AG et Standard Chartered Bank Kenya Limited demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance entreprise,

– subsidiairement, si par extraordinaire la cour infirmait l’ordonnance et déclarait le président du tribunal de commerce compétent,

– juger irrecevables les demandes formulées à l’encontre de la société Standard Chartered Bank AG pour défaut de qualité à défendre et la mettre hors de cause ;

En toutes hypothèses,

– débouter les parties de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre des sociétés Standard Chartered Bank, Standard Chartered Bank AG et Standard Chartered Bank Kenya Limited ;

– condamner celle des parties qui succombera à payer à chacune des sociétés Standard Chartered Bank, Standard Chartered Bank AG et Standard Chartered Bank Kenya Limited une somme de 20.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de l’instance d’appel ;

– condamner celle des parties qui succombera à l’instance aux entiers dépens dont distraction pour ceux la concernant au profit de Me Hardouin conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 septembre 2022, l’organisme Kenya Airports Authority demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

Subsidiairement,

– évoquer et ordonner aux parties de conclure sur le fond à la plus prochaine audience ;

– condamner la société Sogea-Satom à payer à l’organisme Kenya Airports Authority la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.

Pour l’exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

La société Sogea-Satom critique la décision de première instance en ce qu’elle a fait droit à l’exception d’incompétence territoriale soulevée par les sociétés défenderesses au profit des juridictions kenyanes, s’agissant tant de la garantie principale de bonne fin que de la contre-garantie.

Il convient de préciser qu’au cours de la première instance, Sogea-Satom a renoncé à ses demandes relatives à la garantie de bonne fin pour ne maintenir que ses demandes relatives à la contre-garantie, reconnaissant la compétence de la juridiction kenyane pour statuer sur ses demandes relatives à la garantie principale qu’elle a conclue avec la SCB Kenya, laquelle garantie contient une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions kenyanes.

La décision de première instance est donc critiquée en ce qu’elle a écarté la compétence du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur les demandes de la société Sogea-Satom relatives à la contre-garantie.

A titre liminaire, il doit être précisé que le règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, a vocation à s’appliquer au présent litige dès lors qu’elle oppose une société française à des sociétés étrangères (anglaise, allemande et kenyanes), l’Etat français ayant inscrit à l’article 55 de sa Constitution que “Les dispositions relatives à la compétence judiciaire issues d’une convention internationale ou d’un instrument communautaire liant la France priment sur les règles internes.”

Pour conclure à la compétence du tribunal de commerce de Paris, l’appelante se fonde sur une clause attributive de juridiction contenue tant dans l’accord-cadre de cautionnement et de garantie qu’elle a conclu le 17 juin 2016 avec la SCB UK que dans le nouvel accord-cadre (dupliquant le premier) qu’elle a conclu le 5 mars 2019 avec la SCB AG, aux termes de laquelle “Tout litige relatif au Contrat (y compris tout litige concernant l’existence, la validité ou la résiliation du Contrat) sera soumis à la compétence du tribunal de commerce de Paris.” (Souligné par la cour)

A cet égard, il convient de rappeler que l’article 25 du règlement Bruxelles I Bis prévoit que “Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet Etat membre […]”

Toutefois, comme l’opposent à raison les intimées, le présent litige, qui tend à voir juger du caractère abusif de l’appel de la contre-garantie (fournie par SCB UK et SCB AG) au garant (SCB Kenya) et, par suite, à interdire le paiement de cette contre-garantie, ne met pas en jeu l’exécution des contrats-cadre conclus entre Sogea-Satom et les sociétés SCB UK et SCB AG, lesquels définissent les conditions d’émission, de paiement et de remboursement après paiement des garanties émises par les sociétés SCB au profit de la société KAA, alors que le présent litige a trait aux conditions de mise en oeuvre de la contre-garantie par le garant après mise en oeuvre de la garantie principale par le garant au profit du bénéficiaire ; et contrairement à ce que soutient la Sogea-Satom, son obligation de remboursement de la garantie à son garant n’est pas ici concernée puisqu’aucun paiement de la garantie n’est intervenu, l’action en référé de Sogea-Satom tendant précisément à faire obstacle à ce paiement.

La clause attributive de juridiction dont se prévaut l’appelante pour retenir la compétence du tribunal de commerce de Paris n’est donc pas applicable en l’espèce, mais la clause attributive de juridiction en faveur des juridictions kenyanes, dont se prévalent pour leur part les sociétés intimées, n’est pas davantage applicable.

S’il est en effet constant que la contre-garantie, à l’instar de la garantie principale, contient une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions kenyanes, cette contre-garantie n’est pas opposable à la société Sogea-Satom qui n’y est pas partie, la contre-garantie étant conclue entre les sociétés SCB.

Les clauses attributives de juridiction invoquées de part et d’autre ne peuvent donc asseoir la compétence du tribunal de commerce de Paris.

En revanche, l’appelante est bien fondée à voir retenir cette compétence en application des dispositions de l’article 35 du règlement Bruxelles I Bis, aux termes duquel “Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un Etat membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si les juridictions d’un autre Etat membre sont compétents pour connaître du fond.”

Cet article 35 permet en effet au juge des référés français, nonobstant une éventuelle clause attributive de compétence au profit d’une juridiction étrangère, de prendre des mesures provisoires ou conservatoires dès lors qu’il existe un lien de rattachement réel entre les mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État français, étant rappelé que selon la CJUE, les mesures provisoires au sens de cet article 35 sont les mesures qui sont « destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond ».

Or, la mesure sollicitée par Sogea-Satom tend à voir ordonner à la banque contre-garante de ne pas procéder à quelque paiement que ce soit au titre de la contre-garantie, dans l’attente d’une décision définitive au fond rendue par la juridiction arbitrale saisie du litige opposant les constructeurs français et le maître d’ouvrage Kenyan au titre du contrat de base. L’appelante cherche ainsi à maintenir une situation de fait ou de droit (le non paiement de la garantie et de la contre-garantie souscrite au titre du contrat de base) afin de sauvegarder ses droits en l’attente de la décision de la juridiction arbitrale chargée de trancher le litige opposant les constructeurs et le maître d’ouvrage sur la résiliation du marché de travaux et les comptes à opérer entre les parties. En outre, cette demande a été formée en référé au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, en application desquels le juge des référés français rend des mesures conservatoires et provisoires.

Il convient ici de préciser que si la mesure d’interdiction du paiement de la contre-garantie suppose que soit apprécié le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l’appel à la contre-garantie par le garant, et qu’il s’agit là d’une appréciation de fond, il reste que cette appréciation est faite en référé et donc à titre provisoire, sans autorité de chose jugée, et pour les besoins d’une mesure provisoire et conservatoire d’interdiction de paiement de la contre-garantie tant que le litige au fond n’est pas tranché par la juridiction arbitrale.

La mesure requise par l’appelante est donc bien une mesure provisoire et conservatoire.

Par ailleurs, nonobstant le fait que la mesure de non paiement sollicitée sera exécutée par une banque anglaise, le lien de rattachement entre la mesure requise et la compétence territoriale de l’État français est néanmoins réel et suffisant. Il n’est en effet pas discuté que les contrats-cadre qui ont permis la mise en place de la garantie et de la contre-garantie ont été négociés par la succursale parisienne de la SCB UK, ces contrats-cadre contenant d’ailleurs une clause attributive de juridiction en faveur du tribunal de commerce de Paris, et qu’en outre la garantie et la contre-garantie ont été mises en place par cette succursale parisienne, qui est aussi intervenue dans leur gestion en informant Sogea-Satom de la demande de paiement envoyée par la KAA. Si cette succursale parisienne a été radiée le 2 mars 2022 par la SCB UK suite au Brexit, cette radiation est intervenue après la saisine du tribunal de commerce de Paris, la compétence s’appréciant au moment de cette saisine.

En outre, la mesure relative au paiement des garanties conditionne l’obligation de remboursement du donneur d’ordre au garant, laquelle est régie par le contrat-cadre qui comporte une clause attributive de juridiction en faveur du tribunal de commerce de Paris, en sorte que les relations financières entre les sociétés Sogea-Satom et SCB UK et AG dépendent de la juridiction française. Enfin, il est constant que la succursale française demeure aujourd’hui impliquée dans la gestion de la garantie et de la contre-garantie, ses employés français étant désormais ceux de la filiale allemande de la SCB.

Le lien de rattachement entre la mesure sollicitée et la compétence territoriale de l’Etat français étant ainsi suffisamment établi, Sogea-Satom est bien fondée à se prévaloir de la compétence du tribunal de commerce de Paris.

Est inopérant le moyen des intimées tiré de ce qu’en application l’article 8 du règlement Bruxelles I Bis (qui prévoit notamment qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux), SCB AG et Kenya ne pourraient être attraites devant la juridiction française dès lors qu’en vertu de ce texte il ne serait pas possible d’attraire plusieurs parties devant un tribunal qui n’est pas celui du domicile de l’une d’entre elles. En effet, la compétence de la juridiction française étant retenue sur le fondement de l’article 35 du Règlement, s’agissant de mesures provisoires et conservatoires, l’article 8 du Règlement n’a pas vocation à s’appliquer.

Le tribunal de commerce de Paris sera donc déclaré compétent pour juger du litige à l’égard de toutes les intimées, l’ordonnance entreprise étant infirmée.

La SCB AG sollicite sa mise hors de cause si la compétence du tribunal de commerce de Paris devait être retenue, arguant de l’irrecevabilité des demandes formées contre elle à défaut de qualité à défendre, faisant valoir que le nouveau contrat-cadre signé entre Sogea-Satom et SCB AG n’a pas eu pour effet de transférer les garanties et contre-garanties existantes à SCB AG, le nouvel accord stipulant en effet que “le contrat-cadre initial ainsi que toute documentation connexe ne seront pas dénoncés, annulés, déchargés (…)” ; que le nouvel accord-cadre a seulement vocation a régir les relations entre Sogea-Satom et SCB AG pour de nouvelles émissions de garanties de manière similaire à celles qui étaient prévues dans le contrat-cadre initial ; que SCB AG n’intervient donc pas aux droits de SCB UK dans ce litige.

Le cour observe toutefois que le présent litige tend seulement à empêcher le paiement de la contre-garantie, et non à déterminer quel est le débiteur de cette contre-garantie en cas de paiement (SCB UK ou sa filiale allemande SCB AG). S’agissant d’une mesure d’interdiction de paiement, c’est la question de la gestion de la garantie qui est concernée à ce stade du litige entre les parties, en sorte que quand bien même la SCB UK serait seule tenue au paiement de la contre-garantie entre les mains du garant, la SCB AG reste intéressée au présent litige. Il est en effet constant qu’en vertu du nouvel-accord-cadre signé avec Sogea-Satom le 5 mars 2019, la SCB AG intervient dans la gestion de la garantie et la contre-garantie, et cela depuis sa succursale à [Localité 6] dont les employés interviennent comme interlocuteurs commerciaux de la Sogea-Satom, comme l’indiquent les intimées dans leurs écritures.

L’intérêt de la SCB AG à défendre à la présente instance est donc suffisamment établi ; il n’y pas lieu d’accueillir sa fin de non-recevoir.

Il sera fait droit, sur le fondement de l’article 88 du code de procédure civile, à la demande de la société KAA tendant l’évocation du fond du litige, la cour étant juridiction d’appel du tribunal de commerce de Paris compétent et la cour étant parallèlement saisie du litige au fond, similaire au présent, qui oppose la société Razel-Bec aux sociétés KAA, SCB Kenya et BNP Paribas, le tribunal de commerce de Paris s’étant là déclaré compétent.

Les entiers dépens de première instance et d’appel seront réservés en l’attente de l’arrêt à intervenir sur le fond.

PAR CES MOTIFS

Infirme l’ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau,

Déclare compétent le tribunal de commerce de Paris,

Evoque le litige au fond,

Renvoie les parties à conclure sur le fond,

Renvoie l’affaire à l’audience de plaidoirie du 23 février 2023,

Réserve les entiers dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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