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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2022 DU 12 DECEMBRE 2022
– STATUANT SUR SAISINE APRÈS CASSATION –
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00469 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E5YU
Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de STRASBOURG, R.G.n° 14/00044, en date du 27 novembre 2015,
DEMANDERESSE À LA SAISINE :
Société R+V ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 4] (ALLEMAGNE)
Représentée par Me Maxime JOFFROY de la SCP JOFFROY LITAIZE LIPP, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
Plaidant par Me Marc JANTKOWIAK, avocat au barreau de STRASBOURG
DÉFENDERESSES À LA SAISINE :
S.A.S. LINGENHELD ENVIRONNEMENT, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2]
Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY
SA SMA, venant aux droit de SAGENA, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]
Représentée par Me Barbara VASSEUR de la SCP VASSEUR PETIT, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
Plaidant par Me Stefania CARMINATI, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 03 Octobre 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 Novembre 2022, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 12 Décembre 2022.
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 12 Décembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 16 octobre 2009, la société par actions simplifiée (SAS) Lingenheld (la société Lingenheld) a conclu avec la société de droit allemand Thermovolt AG, assurée auprès de la société de droit allemand R+V AllgemeineVersicherung (la société R+V), un contrat de livraison de panneaux photovoltaïques.
Elle a le même jour conclu avec la SAS Thermovolt France, assurée par la société Sagena, devenue SMA, un contrat portant sur le montage desdits panneaux sur son site d'[Localité 3] (67).
Alléguant un dépassement des délais de réalisation des prestations ainsi qu’un rendement électrique insuffisant, la société Lingenheld a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins d’organisation d’une expertise.
Le magistrat susvisé a le 19 juin 2012 ordonné la mesure d’instruction sollicitée et a désigné pour y procéder Monsieur [I] [F].
L’expert a le 27 juillet 2013 déposé son rapport définitif en chiffrant à 950337 euros le préjudice subi par la société Lingenheld.
Le 25 juillet 2013, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de la société Thermovolt France.
Le 1er octobre 2013, le tribunal d’instance de Rostock (Allemagne) a, quant à lui, ouvert une procédure d’insolvabilité à l’égard de la société Thermovolt AG.
Le 29 novembre 2013, la société Lingenheld a saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg d’une action directe en responsabilité contre les sociétés R+V et Sagena, assureurs de ses cocontractantes, sollicitant leur condamnation solidaire ou in solidum ou conjointe, à lui payer deux sommes de 918292 euros et 32045 euros en principal.
Par conclusions du 21 septembre 2015, la société R+V a saisi le juge de la mise en état auquel elle a demandé :
– de se déclarer territorialement incompétent pour juger de l’application du contrat d’assurance souscrit par la société Thermovolt AG dans le cadre de l’action directe diligentée par la société Lingenheld,
– de dire et juger que la loi allemande avait exclusivement vocation à s’appliquer au rapport subrogatoire entre le tiers lésé et la compagnie d’assurance,
– de dire et juger que la procédure était irrecevable compte tenu de l’absence d’existence, en droit allemand, du droit d’action directe du tiers lésé à l’encontre de la compagnie d’assurance du cocontractant,
– à titre subsidiaire, de constater que le contrat d’assurance souscrit par la société Thermovolt AG ne couvrait pas les défauts de montage des panneaux photovoltaïques, ni les défauts ou manques de performance de production énergétique contractuelle des panneaux photovoltaïques,
– d’inviter la société Lingenheld à mieux se pourvoir,
– de la condamner à tous frais et dépens de l’instance, ainsi qu’au versement de 10000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 27 novembre 2015, le juge de la mise en état a :
– rejeté l’exception d’incompétence,
– dit que le surplus relevait de la compétence de la juridiction du fond,
– réservé à statuer pour le surplus.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu :
– que les règlements Bruxelles I et Bruxelles II permettaient à la victime d’attraire l’assureur du responsable devant l’une des juridictions énumérées aux articles 8, 9 et 10 du Règlement Bruxelles I à la condition que l’action directe soit admise par le droit désigné par la règle de conflit,
– que les documents contractuels conclus entre les sociétés Lingenheld, Thermovolt AG et Thermovolt France ayant stipulé la compétence de la juridiction française, la loi française concernant l’action directe sont applicables aux contrats de livraison et de montage.
Par arrêt du 16 novembre 2016, la cour d’appel de Colmar a, par d’autres motifs, confirmé le rejet de l’exception d’incompétence en retenant que la règle de conflit énoncée à l’article 18 du règlement du 11 juillet 2007, dit Rome II, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, pour ce qui concernait l’action directe, était celle du lieu où le délit avait été commis, en l’espèce un chantier situé en France.
Par arrêt du 24 janvier 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions la décision rendue entre les parties par la cour d’appel de Colmar et a remis, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite décision et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour de Metz.
Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a retenu :
– que pour rejeter l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société R+V, l’arrêt avait énoncé :
– qu’il résultait de l’article 13 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 que les règles de compétences prévues aux articles 10 à 12 du même règlement, qui offraient à l’assuré un choix entre plusieurs options de compétence, notamment la juridiction du lieu où le demandeur avait son domicile, étaient applicables à l’action directe intentée par le tiers victime contre l’assureur dès lors qu’une telle action était possible,
– que l’admissibilité de l’action directe dépendait de la loi désignée par la règle de conflit du for, énoncée à l’article 18 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, lequel désignait la loi du lieu où le délit avait été commis,
– que le dommage prétendument causé par la mauvaise exécution des contrats étant localisé sur un chantier situé en France, où les panneaux en cause avaient été livrés et installés, la loi française était applicable,
– que l’article L.1243, alinéa 1, du code des assurances ouvrant droit à la victime une action directe à l’encontre de l’assureur de son cocontractant, les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître du litige,
– qu’en statuant ainsi, alors que l’article 18 du Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil n° 864/20,07 du 11 juillet 2007, dit Rome II, n’était applicable qu’aux actions directes exercées contre les assureurs de personnes devant réparation en raison d’une obligation non contractuelle, la cour d’appel avait violé les textes susvisés.
Par arrêt du 17 décembre 2019, la cour d’appel de Metz a :
– dit recevable l’exception d’incompétence de l’ordre juridictionnel français présentée par la société R+V,
– confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance prononcée le 27 novembre 2015 par le juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg,
– condamné la société R+V aux dépens de première instance et d’appel, incluant ceux de l’instance suivie devant la cour d’appel de Colmar,
– condamné la société R+V à payer à la société Lingenheld et à la SA SMA 3000 euros, chacune, en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de toute autre demande.
Par arrêt du 13 octobre 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions la décision rendue entre les parties par la cour d’appel de Metz et a remis, en conséquence, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite décision et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la présente cour.
Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a retenu :
– que pour rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la société R+V, l’arrêt a énoncé que les demandes dirigées contre les sociétés Thermovolt et Thermovolt France présentent un lien étroit, dès lors que l’une a fourni et l’autre installé les panneaux photovoltaïques défectueux,
– que les limites de leurs interventions respectives ne sont pas clairement établies et que diverses fautes sont imputables à chacune d’elles, de sorte que les conditions posées par l’article 6 du règlement n° 44/2001 sont remplies,
– qu’en statuant ainsi, alors que le renvoi aux critères généraux opéré par l’article 8 du règlement n°44/2001 exclut l’article 6, la cour d’appel, qui devait apprécier sa compétence au regard des articles 9 à 11, a violé les textes susvisés.
Le 24 février 2022, la société R+V a saisi la présente cour sur renvoi après cassation.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 10 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société R+V demande à la cour, au visa du Règlement européen UE 1215/2012, du Règlement européen UE 593/2008 dit Rome I, de l’article 18 du Règlement UE 864/2007 du 11juillet 2017 dit Rome II, de :
– déclarer la saisine de la cour d’appel de Nancy par la compagnie d’assurance de droit allemand R+V en qualité de cour d’appel de renvoi après cassation recevable et bien fondée,
– faire droit au moyen unique pris en sa première branche par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 octobre 2021,
En conséquence,
– dire et juger que l’article 18 du Règlement UE 864/2007 dit Rome II est inapplicable aux actions directes exercées par un tiers lésé contre une compagnie d’assurance, assureur de personnes, devant réparation en raison d’une obligation non contractuelle,
– constater au besoin dire et juger que la clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant la société R+V à la société Thermovolt AG est opposable au tiers lésé et en particulier à la société Lingenheld et à la compagnie d’assurance SMA venant aux droit de Sagena,
– déclarer l’ordre de juridiction français territorialement incompétent pour connaître d’une action directe exercée par la société Lingenheld à l’encontre de la société d’assurance de droit allemand R+V, ladite action directe étant destinée à juger de l’application d’un contrat d’assurance souscrit par la société Thermovolt AG aujourd’hui liquidée auprès de la compagnie d’assurance allemande R+V,
– inviter la société Lingenheld à mieux se pourvoir devant la juridiction étrangère compétente, à savoir devant l’ordre de juridiction allemand, étant rappelé que la présente juridiction ne peut renvoyer directement devant une juridiction étrangère, et donc ne peut renvoyer devant la juridiction territorialement compétente, à savoir celle de Wiesbaden, mais peut uniquement inviter la société Lingenheld et/ou la compagnie d’assurance SMA à mieux se pourvoir, c’est-à-dire à réintroduire leur action devant l’ordre de juridiction étranger compétent, sans que cet ordre de juridiction ait besoin d’être nommé ou désigné précisément et territorialement par la société R+V,
– déclarer que la cour d’appel de renvoi de Metz de même que la cour d’appel de Colmar, et le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Strasbourg ont illégalement renvoyé aux critères généraux opérés par l’article 8 du règlement 44/2001 excluant l’article 6, alors que la question de la compétence juridictionnelle internationale et communautaire devait être appréciée au regard des articles 9 à 11 du règlement CE n°44/2001,
– déclarer que la pluralité de demandes formées par la société Lingenheld ne présente aucun lien de droit suffisamment étroit permettant de retenir la compétence de l’ordre juridictionnel français, dès lors que ces demandes concernent des questions de responsabilité contractuelle concernant soit la mauvaise performance de production d’électricité des panneaux photovoltaïques, soit des désordres dans l’installation de ces panneaux photovoltaïques, domaines qui sont tous exclus du contrat d’assurance souscrit par la société Thermovolt AG auprès de la compagnie d’assurance allemande R+V, puisqu’il s’agit expressément d’un contrat d’assurance de dommages et non d’un contrat d’assurance de responsabilité,
– dire et juger au surplus que la loi allemande a exclusivement vocation à s’appliquer aux rapports subrogatoires entre le tiers lésé, à savoir la société Lingenheld, et la compagnie d’assurance R+V,
– constater, au besoin dire et juger, en conséquence que la procédure, en tant qu’elle est dirigée par la société Lingenheld à l’encontre de la compagnie d’assurance allemande R+V, est irrecevable et à tout le moins mal fondée,
A titre infiniment subsidiaire,
– inviter en tout état de cause la société Lingenheld à mieux se pourvoir,
– condamner la société Lingenheld en tous frais et dépens de l’instance de renvoi après cassation devant la présente cour d’appel ainsi qu’au versement d’une indemnité de procédure de 15000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner en outre la société Lingenheld aux entiers dépens de première instance ayant abouti à l’ordonnance du juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg du 27 novembre 2015, RG 14/00044, et aux entiers dépens de la procédure d’appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 24 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Lingenheld demande à la cour, au visa des articles 8 et suivants du Règlement (CE) N°44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I), des articles 1, 3 et 4 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), de l’article 771 du code de procédure civile, de :
– déclarer l’appel recevable mais mal fondé,
En conséquence,
– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance prononcée le 27 novembre 2015 par le juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg,
– condamner la société R+V à payer à la société Lingenheld la somme de 10000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société R+V aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 29 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SMA demande à la cour de :
A titre liminaire, vu l’article 75 du code de procédure civile,
– juger irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société R+V qui n’a pas désigné la juridiction estimée selon elle compétente, toute régularisation étant impossible dès lors que cette désignation doit être faite avant toute défense au fond,
Vu le Règlement CE 44/2001,
Vu les articles 10 et 11 de ce Règlement,
– déclarer la société R+V irrecevable et mal fondée en son appel,
– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 27 novembre 2015 en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence territoriale internationale de la société R+V,
– la débouter de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société R+V aux entiers dépens ainsi qu’à payer à la SMA SA la somme de 10000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 5 septembre 2022.
Par ordonnance du 8 septembre 2022, la présidente de la première chambre civile a rejeté la demande de révocation de clôture formée par Maître [C] pour le compte de la SA SMA venant aux droits de Sagena.
L’audience de plaidoirie a été fixée le 3 octobre 2022 et le délibéré au 28 novembre 2022, prorogé au 12 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par la société R+V le 10 juin 2022, par la société Lingenheld le 24 mai 2022 et par la SMA le 29 avril 2022, et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l’article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l’instruction prononcée par ordonnance du 5 septembre 2022 ;
Sur l’irrecevabilité tirée de l’article 75 du code de procédure civile
La SMA soutient que les demandes de la société R+V sont irrecevables dès lors que les dispositions impératives de l’article 75 du code de procédure civile portant sur la désignation de la juridiction estimée compétente avant toute défense au fond, n’ont pas été respectées ; il considère ainsi que la société R+V n’a pas mentionné devant quelle juridiction la demande devait selon elle être portée, que ce soit dans le dispositif de ses conclusions ou même dans ses conclusions dans leur intégralité, la simple mention, dans le corps de ses écritures, d’une prétendue application de la « loi allemande » ne saurait suffire ;
Aux termes de l’article 75 du code de procédure civile, ‘s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée’ ;
l’article 81 du même code prévoit en outre que ‘lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.
Dans tous les autres cas, le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu’il estime compétente. Cette désignation s’impose aux parties et au juge de renvoi’ ;
Il est constant qu’en application de ces dispositions, en matière internationale, la recevabilité de l’exception d’incompétence au profit d’une juridiction d’un autre Etat, n’est pas subordonnée à l’indication de la juridiction de cet Etat qui doit être saisie de l’affaire ;
Dès lors l’irrecevabilité de la demande de la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. n’est pas encourue ;
Sur le bien fondé du recours
Le litige oppose la société Lingenheld, cliente, aux assureurs respectivement français et allemand de ses co-contractantes, des sociétés de droit français Thermovolt France, en vertu d’un contrat de fourniture et de livraison d’une installation photovoltaïque sur son site en Alsace, assurée par Sagena devenue SMA et de droit allemand, Thermovolt A.G. assurée par la société R+V Allgemeine Versicherung A.G., laquelle était titulaire d’un contrat de montage et mise en place des installations photovoltaïques sur ce même site, faisant l’objet toutes deux d’une procédure collective ;
A l’appui de son recours contre l’ordonnance du juge de la mise en état de Strasbourg du 27 novembre 2015 ayant écarté l’incompétence territoriale soulevée, la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. se fonde sur l’inapplicabilité du droit allemand au litige, lequel ne connaît pas l’action contre l’assureur provenant du tiers lésé, hors mise en cause de l’assuré ; ensuite elle fait valoir qu’il existe une clause attributive de juridiction au profit de la juridiction allemande, qui est opposable à l’assurée et par conséquent, au tiers subrogé dans ses droits ;
elle ajoute que l’assurance conclue par la société Thermovolt AG, ne concerne aucunement le sinistre dénoncé relevant notamment du défaut de rendement des panneaux solaires, mais indemnise uniquement les dommages occasionnés aux produits vendus ;
Elle se fonde sur les dispositions des articles 11 à 16 puis 25 du Règlement Communautaire UE 1215/2012 ce dernier se rapportant à la prorogation de compétence, laquelle est opposable à la société Lingenheld Environnement ainsi que l’annonce l’article 12, qui prévoit la possibilité de saisine de la juridiction ‘du lieu du fait dommageable s’il s’agit d’une assurance de responsabilité ou d’assurance portant sur des immeuble ou meubles couverts par une même police et atteints par un même sinistre’ ce qui n’est pas le cas en l’espèce, s’agissant d’une assurance de dommages ;
elle indique à cet égard que les défauts de conception et de fabrication ne sont pas garantis par l’assureur recherché ; elle ajoute que l’action directe n’existe pas en droit international, lorsqu’une assurance garantit une responsabilité contractuelle et que le droit allemand des assurances ne connaît pas l’action directe du tiers lésé ;
Elle rappelle que la Cour de cassation a sanctionné une première fois la cour d’appel, en ce qu’elle avait fait application du Règlement UE 864/2007 (Rome II) lequel n’est applicable pour les actions contre les assurances de personnes devant réparation en vertu d’une obligation non contractuelle ;
Y ajoutant et rappelant la sanction opposée en deuxième lieu par la Cour de cassation à la décision de la cour d’appel, excluant l’application de l’article 6 du Règlement CE 44/2001, la société La société R+V Allgemeine Versicherung A.G. considère qu’il n’y pas au demeurant de lien étroit entre les demandes diligentées contre la société de droit allemand et celle de droit français ; elle conclut par conséquent, à la compétence de la juridiction allemande ;
enfin elle se réfère aux termes du contrat d’assurance qu’elle produit pour conclure aux prestations différenciées des sociétés allemandes (fourniture et livraison) et françaises (montage) ainsi qu’aux sinistres pris en charge (assurance de dommages couvrant uniquement la destruction fortuite de l’ouvrage avant réception et avant transfert des risques au donneur d’ordre) ;
Les arguments développés à hauteur de cour par la SMA SA, venant aux droits de la Sagena, assureur de la société Thermovolt France, portent sur l’inopposabilité du contrat souscrit avec la société R+V Allgemeine Versicherung A.G., dont les conditions générales comportant la clause attributive de compétence contestée ne sont pas signées par l’assurée ;
Elle se prévaut également pour la première fois des dispositions de l’article 10 du Règlement CE 444/2001 qui prévoient que ‘l’assureur peut en outre être attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit, s’il s’agit d’assurance de responsabilité ou d’assurances portant sur les immeubles’ (tout comme celle portant) ‘à la fois sur les immeubles et meubles couverts par la même police et atteints par le même sinistre’ ;
Elle fait également valoir un moyen tiré des dispositions de l’article 8 du règlement UE 1215/2012 qui reprend les dispositions de CE 44/2001 dans son article 6 qui prévoit que ‘s’il y a plusieurs défendeurs devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à la condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps, afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément’ pour affirmer qu’une partie qui doit normalement être assignée devant une juridiction étrangère pourrait dans ces conditions, être assignée devant une juridiction nationale française ;
Pour sa part, la société Lingenheld Environnement fait valoir que que l’ordonnance du juge de la mise en état du 27 novembre 2015 n’a nullement été remise en cause par la Cour de cassation dans ses deux arrêts, d’autres motifs adoptés par les cours d’appel de Colmar et de Metz ;
Elle observe qu’avant de se prononcer sur la question de la compétence juridictionnelle, il est indispensable d’analyser la possibilité pour la société Lingenheld d’entreprendre une action directe à l’encontre de l’assureur, ce qui renvoie nécessairement à la question de la loi applicable au litige ;
elle soutient qu’au vu de la jurisprudence, il convient de considérer que les parties ont choisi de régir leur contrat par la loi d’un pays, lorsque cela résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ; elle affirme en l’espèce, que les sociétés Lingenheld et Thermovolt AG ont indiscutablement entendu régir leurs relations contractuelles par la loi française et non de la loi allemande, comme l’a relevé l’ordonnance déférée ;
à défaut il y a lieu de retenir que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec la France plutôt qu’avec l’Allemagne, comme le requiert l’article 4 du Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) ;
Elle fait valoir que la clause attributive de compétence invoquée par la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. ne lui est pas opposable, comme a pu le reconnaître dans un cas similaire la CJUE dans une décision du 13 juillet 2017 et la Cour de cassation dans un arrêt n°07-10.216 du 19 mars 2008, aux termes duquel une clause attributive de juridiction figurant dans un contrat d’assurance ‘n’est pas opposable aux victimes et à l’assureur subrogé dans les droits de son assuré, exerçant l’action directe, qui n’ont pas expressément souscrit ou accepté ladite clause et ont leur domicile dans un État contractant autre que celui du preneur d’assurance et de l’assureur’ ;
Enfin, sur de la question de l’absence de couverture par la police d’assurance des dommages découlant d’un défaut de montage des panneaux photovoltaïques avancée par l’appelante, elle fait valoir qu’il n’appartient pas au juge de la mise en état (mais à la juridiction de fond) de trancher cette question, ainsi que l’a jugé le juge de la mise en état de Strasbourg ;
Les articles 9 à 11 du règlement du CE 44/2001 (Bruxelles I) consolidé par le Règlement UE 1215/2012 tiennent aux règles de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; elles sont applicables aux litiges opposant des parties domiciliées dans deux Etats membres distincts ;
Il en résulte que s’agissant de la matière de l’assurance, l’assureur domicilié sur le territoire d’un Etat membre peut être attrait devant les tribunaux de l’Etat membre où il a son domicile (article 9), devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit s’il s’agit d’une assurance de responsabilité ou d’une assurance portant sur les immeubles ou en encore, sur les immeubles et meubles couverts par une même police et atteints par un même sinistre (article 10) ou encore, s’agissant de l’assureur de responsabilité, celui-ci peut être attrait devant le tribunal saisi de l’action de la personne lésée contre l’assuré, si la loi de ce tribunal le permet (article 11) ;
enfin cet article en ses points 2 et 3 précise que ces règles de compétence sont applicables en cas d’action directe de la victime contre l’assureur lorsque l’action directe est possible, le tribunal étant alors également compétent le cas échéant, s’agissant de la mise en cause du preneur d’assurance ou de l’assuré ;
Il en résulte qu’il y a lieu d’analyser quelle est la loi applicable à l’action directe du tiers lésé et d’apprécier, si étant déterminée, elle admet l’action directe sus énoncée ;
Le présent litige concerne l’exécution de contrats de prestations ; aussi la société Lingenheld peut saisir soit la juridiction du lieu d’exécution du contrat, soit celle qui régit le contrat d’assurance dont elle entend se prévaloir à son bénéfice ;
Ainsi il résulte des mentions de l’ordonnance déférée, non démenties par les écritures des parties, que les règles de compétence territoriales relatives aux deux contrats signés avec les sociétés Thermovolt A.G. et Thermovolt France, renvoient à la France ; dès lors le recours aux dispositions de l’article L. 124-3 du code des assurances relatives à l’action directe du tiers lésé contre l’assureur, est possible devant la juridiction française ;
En effet le contrat conclu avec la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. porte sur tous les biens désignés dans la police d’assurance à savoir’ toutes les opérations de montage des installations photovoltaïques du souscripteur qui font partie de son catalogue de prestations et qu’il réalise pendant la durée de son contrat’ ;
il est précisé que ‘peuvent être assurés en tant qu’élément faisant l’objet d’une opération de montage, neufs ou d’occasion, les constructions de toute nature, les machines et dispositifs mécaniques, les pièces de rechange correspondantes, les échafaudages (…)’; l’indemnisation porte sur ‘tous les dommages et toutes les pertes de biens assurés dont la survenance pendant la durée du contrat est imprévisible’ ; enfin il ajoute dans son article 4 que ‘les lieux assurés sont ‘l’espace désigné dans la police d’assurance ou dans la déclaration comme lieu de montage constitue le lieu assuré’ (pièces 5 et 4 intimée) ;
Il en résulte que le contrat conclu avec la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. recouvre les termes de l’article10 du Règlement CE 444/2001, s’agissant des éléments justifiant la compétence, dès lors que ses garanties souscrites par la société Thermovolt A.G. ne ressortent pas de la garantie aux personnes, mais de l’assurance de dommages, laquelle comprend les assurances de responsabilité, en ce sens qu’elles prennent en charge les dommages causés par l’assuré à un tiers victime ;
à ce titre le tribunal de grande instance de Strasbourg, devenu tribunal judiciaire, a été valablement saisi par la société Lingenheld Environnement ;
Enfin les dispositions de l’article 13 de même texte relatives à la prorogation de compétence, ne sont pas utilement invoquées par l’appelante au cas d’espèce, dès lors que bien que conclue avant le contrat en litige, il est constant que, tel que relevé par le premier juge, qu’elle ne produit ses effets qu’à l’égard des parties y ayant consenti, ce qui n’est pas le cas de la société Lingenheld Environnement ;
Dès lors, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’obligation de couverture du sinistre par l’assureur, question relevant des juges du fond, il y a lieu de constater que l’exception d’incompétence territoriale a été valablement rejetée par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société R+V Allgemeine Versicherung A.G., partie perdante, devra supporter les dépens ; en outre elle sera condamnée à payer à la société Lingenheld Environnement et à la SMA SA, chacune la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; en revanche la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Déclare recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société R+V Allgemeine Versicherung A.G.,
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Strasbourg du 27 novembre 2015,
Y ajoutant,
Condamne la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. à payer à la société Lingenheld Environnement la somme de 5000 euros (cinq mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. à payer à la société SMA la somme de 5000 euros (cinq mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société R+V Allgemeine Versicherung A.G. aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en douze pages.