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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53B
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 10 NOVEMBRE 2022
N° RG 22/04132 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VIU4
AFFAIRE :
[O] [G] résidant à [Localité 8], aux Emirats Arabes Unis
…
C/
Société BNP PARIBAS SUISSE
…
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 17 Mai 2022 par le Juge de la mise en état de Versailles
N° RG : 20/04317
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 10.11.2022
à :
Me Anne-sophie REVERS, avocat au barreau de VERSAILLES,
Me Elisa GUEILHERS, avocat au barreau de VERSAILLES,
Me Véronique DUMOULIN-PIOT, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, après prorogation, dans l’affaire entre :
Monsieur [O] [G]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [U] [R] épouse [G]
née le [Date naissance 5] 1957 à [Localité 12] (Maroc) (62260)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par : Me Anne-sophie REVERS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES
Assistée par Me David DANA, avocat plaidant au barreau de Paris
APPELANTS
****************
Société BNP PARIBAS SUISSE
RCS Genève CH 270 3000 542 1
Société anonyme de droit suisse, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 1] / SUISSE
Représentée par : Me Elisa GUEILHERS de la SELEURL ELISA GUEILHERS AVOCAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 129 – N° du dossier 213/20
Assistéee par Me Clément DEAN, avocat plaidant au barreau de Paris
S.A. CBA ASSET MANAGEMENT
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 11] Suisse
Représentée par : Me Véronique DUMOULIN-PIOT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 507
Assistée par Me Guillaume REBUT, avocat plaidant au barreau de Paris
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 Septembre 2022, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Nicolette GUILLAUME, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [O] [G] et Mme [U] [R] épouse [G] ont décidé, au cours de l’année 2006, de vendre leur résidence principale située à [Localité 13] afin d’acquérir un appartement à [Localité 8], aux Emirats arabes unis, destiné à devenir leur nouvelle résidence principale et y louer une clinique dentaire.
Un courtier en financement et gestionnaire de patrimoine, la société de droit suisse CBA Asset
Management, leur a proposé alors un montage financier, dénommé ‘Equity Release’, consistant à emprunter auprès de la société UCB Suisse, devenue BNP Suisse, la somme nécessaire à l’acquisition de l’appartement et la location de la clinique à [Localité 8], au moyen de deux prêts in fine portant sur un capital de 5 000 000 francs suisses.
Deux prêts ont été signés par actes sous seing privés des 30 avril 2007 et 22 août 2007. Des actes notariés ont été établis les 28 mai 2007 et 9 novembre 2007.
M. et Mme [G] ont saisi le 18 août 2020 le tribunal judiciaire de Versailles en sollicitant notamment l’annulation des contrats de prêt.
Par ordonnance contradictoire rendue le 17 mai 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles a :
– déclaré le tribunal judiciaire de Versailles incompétent pour connaître de l’action engagée par M. et Mme [G] à l’encontre des sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management aux termes de l’assignation au fond délivrée le 18 août 2020,
– invité les parties à mieux se pourvoir,
– condamné solidairement M. et Mme [G] aux dépens de l’incident, dont distraction au profit de Maître Véronique Dumoulin-Piot, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamné solidairement M. et Mme [G] à payer à chacune des défenderesses la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 22 juin 2022, M. et Mme [G] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Autorisés par ordonnance rendue le 29 juin 2022, M. et Mme [G] ont fait assigner à jour fixe les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management pour l’audience fixée au 14 septembre 2022 à 14 heures devant la cour d’appel de Versailles.
Copie de cette assignation a été remise au greffe le 27 juillet 2022.
Dans leurs conclusions déposées le 12 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [O] [G] et Mme [U] [R] épouse [G] demandent à la cour de :
– débouter les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management des exceptions d’incompétence soulevées ;
– débouter la société BNP Paribas Suisse de l’exception de litispendance ou de connexité soulevée ;
– débouter les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– condamner les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management à leur payer solidairement la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de l’incident.
Dans ses conclusions déposées le 29 août 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société CBA Asset Management demande à la cour, au visa des articles 73 et suivants et 1448 du code de procédure civile, de :
– confirmer intégralement l’ordonnance rendue le 17 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Versailles ;
– débouter M. et Mme [G] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, en ce compris leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts d’un montant de 30 000 euros ;
– condamner M. et Mme [G] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Véronique Dumoulin-Piot, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
– condamner M. et Mme [G] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions déposées le 5 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société BNP Paribas Suisse demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Versailles ;
en conséquence,
– rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires ;
– déclarer à titre principal le tribunal judiciaire de Versailles territorialement incompétent et renvoyer M. et Mme [G] à mieux se pourvoir devant la juridiction genevoise compétente ;
– faire droit, en tant que de besoin et subsidiairement, à l’exception de connexité et/ou de litispendance et en conséquence renvoyer les parties devant le tribunal de première instance de Genève d’ores et déjà saisi ;
– condamner solidairement M. et Mme [G] au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’audience du 21 septembre 2022, à la suite d’un incident d’audience provoqué par l’observation orale du conseil de la société BNP Paribas Suisse relative à la saisine de la cour en l’absence de demande de l’appelant tendant à l’infirmation de l’ordonnance, la cour s’est retirée pour délibérer.
Elle a indiqué aux parties que l’affaire était renvoyée à l’audience du 28 septembre 2022, les débats étant réouverts et les parties invitées à conclure sur l’absence dans le dispositif des conclusions de l’appelant de toute demande d’infirmation ou confirmation de l’ordonnance attaquée, et à faire venir le représentant du Bâtonnier de Versailles à l’audience de renvoi si elles le souhaitaient. Un message RPVA a été envoyé aux parties en ce sens le même jour.
Par conclusions notifiées le 23 septembre 2022, M. [O] [G] et Mme [U] [R] épouse [G] demandent à la cour de :
– infirmer l’ordonnance rendue le 17 mai 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles ;
et statuant à nouveau,
– juger compétent le tribunal judiciaire de Versailles pour connaître des actions engagées par M. et Mme [G] aux termes de l’assignation délivrée le 18 août 2020 à l’encontre de la société BNP Paribas Suisse et de la société CBA Asset management ;
– débouter les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management des exceptions d’incompétence soulevées ;
– débouter la société BNP Paribas Suisse de l’exception de litispendance ou de connexité soulevée ;
– débouter les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– condamner les sociétés BNP Paribas Suisse et CBA Asset Management à leur payer solidairement la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de l’incident.
Par conclusions notifiées le 23 septembre 2002, la société BNP Paribas Suisse demande à la cour de :
– constater en tant que de besoin l’absence de demande d’infirmation et/ou d’annulation dans le dispositif des conclusions des appelants ;
– confirmer en conséquence l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Versailles du 17/05/2022 ;
– adjuger au besoin à la concluante le bénéfice de ses conclusions précédemment régularisées au fond le 05/09/2022 et, en conséquence et en tant que de besoin :
– rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires ;
– déclarer à titre principal le tribunal judiciaire de Versailles territorialement incompétent et renvoyer M. et Mme [G] à mieux se pourvoir devant la juridiction genevoise compétente ;
– faire droit, en tant que de besoin et subsidiairement, à l’exception de connexité et/ou de litispendance qu’elle a soulevée et en conséquence renvoyer les parties devant le tribunal de première instance de Genève d’ores et déjà saisi ;
– condamner solidairement les époux [G] au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 26 septembre 2022, la société CBA Asset management demande à la cour de :
– se déclarer non saisie des demandes en appel des époux [G] ;
au surplus,
– confirmer intégralement l’ordonnance rendue le 17 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Versailles ;
– débouter M. et Mme [G] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, en ce compris leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts d’un montant de 30 000 euros ;
– condamner M. et Mme [G] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Véronique Dumoulin-Piot, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
– condamner M. et Mme [G] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par message RPVA en date du 26 septembre 2022, la société BNP Paribas Suisse indique : ‘Les conclusions prises après la réouverture des débats pour répondre à une question de droit ou de fait soulevée par la juridiction ne sont recevables qu’autant qu’elles répondent à cette question et qu’il ne s’agit pas de nouvelles prétentions ou de moyens nouveaux’.
Aucune partie n’a demandé la présence du représentant du Bâtonnier lors de l’audience du 28 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
sur la recevabilité des conclusions notifiées par M. et Mme [G] le 23 septembre 2022
En vertu des dispositions de l’article 444 du code de procédure civile, ‘le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés’.
Les débats ont été expressément réouverts par la cour. S’agissant d’une procédure à jour fixe, ne comportant pas d’ordonnance de clôture, il était donc loisible aux parties de conclure jusqu’à la date de l’audience, le cas échéant en formant des demandes nouvelles dès lors qu’elles entraient dans le cadre prévu par les articles 564 à 566 du code de procédure civile.
Il convient de dire en l’espèce que la demande nouvelle formée par M. et Mme [G] d’infirmation de l’ordonnance attaquée est le complément nécessaire des demandes formées dans leurs premières conclusions.
Aucune partie allègue ne pas s’être trouvée en mesure de débattre contradictoirement des conclusions déposées avant l’audience.
Il convient en conséquence de déclarer recevables les conclusions notifiées par M. et Mme [G] le 23 septembre 2022.
Dès lors que M. et Mme [G] sollicitent dans leurs dernières conclusions l’infirmation de l’ordonnance déférée, la cour est valablement saisie de leurs demandes.
sur l’exception d’incompétence
M. et Mme [G] font valoir en premier lieu que l’action intentée par un consommateur peut être portée soit devant les tribunaux de l’État sur le territoire duquel est domicilié le professionnel, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié aux termes des articles 15 et 16 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, entrée en vigueur en Suisse le 1er janvier 2011.
Ils exposent que, pour déterminer le domicile du consommateur, l’article 59 de la convention précise que le juge saisi applique sa loi interne et sollicitent en conséquence, sur le fondement de l’article 111 du code civil, la prise en compte de leur domicile de [Localité 6] comme leur domicile élu, ainsi que mentionné dans les actes notariés des 28 mai 2007 et 9 novembre 2007.
Ils soutiennent que ces actes notariés constituent des contrats de prêt dès lors qu’ils mentionnent les conditions particulières du prêt et que les actes sous seing privés y sont annexés, et non des actes d’affectation hypothécaire, précisant avoir élu domicile à [Localité 9], à l’étude du notaire pour les inscriptions de privilèges immobiliers et hypothèques, en application de l’article 55 du décret du 14 octobre 1955.
Ils rappellent que l’attribution de compétence vaut pour les actions qui se rattachent aux effets de l’acte comportant élection de domicile.
M. et Mme [G] arguent ensuite de leur qualité de consommateurs, faisant valoir que M. [G], dentiste, exerçait sa profession dans le cadre d’une SELARL depuis 2000 et qu’il ne pouvait donc, à la date de conclusion des prêts, contracter un prêt affecté à un usage professionnel, seule sa SELARL Cabinet dentaire [G] ayant pu contracter un tel prêt.
Ils font valoir que tout paiement réalisé par M. [G] pour le compte de ses sociétés doit être qualifié d’avances en compte courant d’associé, qui n’est pas une dépense professionnelle mais un prêt civil conclu entre une société et ses associés.
Ils exposent qu’à supposer que ces paiements soient qualifiés d’apport en numéraire, il ne s’agit en tout état de cause pas de dépenses professionnelles mais de créances civiles qualifiées soit en prêt, soit en investissement en capital.
M. [G] indique avoir créé le 10 juillet 2007 une société de droit dubaïote [Localité 6] Dental Clinic au capital social de 300 000 AED, soit environ 75 000 euros, et exercer son activité de dentiste exclusivement dans le cadre de cette société à responsabilité limitée.
Les appelants affirment que les fonds provenant des deux prêts in fine ont été affectés à des dépenses personnelles, et notamment à des avances en compte courant, la société BNP Suisse n’apportant pas la preuve de l’affectation professionnelle des prêts consentis.
Contestant que la convention de Lugano ne s’applique qu’aux prêts à la consommation, M. et Mme [G] soutiennent qu’elle concerne tout contrat conclu par un consommateur ‘pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle’.
Ils affirment que la destination professionnelle d’un crédit ne peut résulter que d’une stipulation expresse et que la volonté des emprunteurs doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat, les prêts en l’espèce ne pouvant être qualifiés de professionnels.
Sur le mécanisme utilisé, les appelants expliquent que la BNP Suisse leur a accordé deux prêts in fine en devises étrangères, dont le remboursement du capital était différé au terme des prêts d’une durée de 15 ans, une partie des fonds prêtés étant investie dans des placements gérés par elle.
Spécifiquement, sur l’affectation du prêt de 1 250 000 francs suisses, ils exposent que son objet était le ‘Refinancement d’un prêt Crédit Industriel et Commercial et mise à disposition de fonds en vue d’un placement’ et que les fonds ont été employés d’une part à des investissements financiers et d’autre part, au financement de la garantie à première demande, ce qui est étranger à l’activité professionnelle de M. [G].
Sur le prêt de 3 730 000 francs suisses, correspondant à une contrevaleur d’environ 2 520 000 euros, dont l’objet était ‘Investissement à [Localité 8] et remboursement d’un prêt HSBC’, M. et Mme [G] indiquent s’en être servis pour acquitter divers frais, acquérir un bien immobilier à [Localité 8] au prix de 4 millions d’AED, soit environ 1 million d’euros, effectuer plusieurs placements financiers et régler des échéances d’intérêts mensuelles de 13 086 francs suisses.
Ils font valoir que la BNP Suisse n’a pas sollicité de garantie réelle sur le bien financé, ce qui démontre qu’il ne s’agissait pas d’un investissement professionnel, outre que le montage ‘Equity release’ proposé par la BNP Suisse, adressé à des propriétaires de leur résidence principale, n’était destiné qu’à financer des projets personnels, la partie principale du prêt étant obligatoirement affectée à la réalisation d’investissements financiers.
M. et Mme [G] exposent qu’au regard des textes et de la jurisprudence communautaires, doit être regardé comme un consommateur le cocontractant d’un contrat ayant une double finalité si la partie professionnelle du contrat n’a qu’un rôle négligeable, de sorte qu’à supposer même qu’ils aient utilisé une petite partie des prêts à des fins pouvant être considérées comme professionnelles, les contrats devraient néanmoins être considérés comme ayant été conclus par des consommateurs, l’article 15-C de la Convention de Lugano reprenant les articles 13 et 15 de la Convention de Bruxelles.
Ils indiquent qu’au sens de l’article liminaire du code de la consommation, ils sont également des consommateurs.
Contestant le caractère probatoire de la vidéo sur laquelle se fondent les intimées pour démontrer l’usage professionnel de l’utilisation des fonds, qui serait inaccessible, M. et Mme [G] font valoir qu’en tout état de cause, M. [G] n’a pas déclaré avoir investi 2 millions d’euros dans sa clinique.
Ils exposent qu’ils ont été démarchés sur le territoire français par l’intermédiaire de la société CBA Asset Management et que la BNP Suisse, filiale d’une banque française, dirige ses activités vers la France et notamment vers les emprunteurs domiciliés à proximité de Genève.
M. et Mme [G] soutiennent que la clause attributive de juridiction leur est inopposable dès lors qu’ils sont consommateurs et qu’ils sont donc bien fondés à attraire les intimées devant les tribunaux de l’Etat de leur domicile.
Ils affirment que la clause compromissoire stipulée au contrat conclu avec la société CBA Asset Management ne participe pas directement à l’exécution du contrat et qu’elle doit donc être écartée sur le fondement de l’article 17 de la Convention de Lugano.
La société BNP Suisse conclut à la confirmation de l’ordonnance déférée en ce qu’elle a accueilli l’exception d’incompétence territoriale au profit de la juridiction genevoise.
Elle affirme que les contrats, qui ont été annexés dans les actes notariés, prévoient qu’ils sont soumis au droit suisse et contiennent une clause attributive de compétence au profit des tribunaux de Genève.
Elle soutient que le domicile du consommateur, au sens de la Convention de Lugano, doit être apprécié à la date de l’introduction du recours juridictionnel, soit à [Localité 8] en l’espèce pour M. et Mme [G], qui constitue le principal établissement de leur famille depuis 2007.
Contestant l’application de l’article 111 du code civil, l’intimée expose que M. et Mme [G] étaient domiciliés, pour le prêt de 1 250 000 francs suisses, chez CBA à Genève et que l’élection de domicile figurant dans les actes d’affectation hypothécaire ne peut être retenue, dès lors qu’elle ne concerne que l’exécution de ces actes et est inopérante quant à l’exécution des contrats de prêt.
La BNP Suisse entend préciser que les actes notariés ne constituent pas des contrats de prêt mais de simples actes d’affectation hypothécaire.
En tout état de cause, la banque fait valoir que les contrats prévoyaient que si l’emprunteur transférait son domicile à l’étranger, le ‘lieu d’exécution à Genève [devenait] également for de poursuite’.
Elle conclut que, les époux [G] n’étant ni légalement ni conventionnellement domiciliés à Versailles, ils sont en tout état de cause mal fondés à tenter de se prévaloir des dispositions de l’article 16 de la Convention de Lugano aux termes desquelles le consommateur peut choisir d’attraire son cocontractant devant « le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié ».
La BNP Suisse conteste la qualité de consommateurs de M. et Mme [G], faisant valoir en premier lieu que le contrat d”Equity release’ ne constitue ni un crédit à la consommation, ni un crédit affecté, et d’autre part, que le crédit de 3 730 000 francs suisses a été octroyé aux appelants aux fins de réalisation d’un investissement à [Localité 8], à savoir la création de son cabinet dentaire par M. [G].
Elle soutient que M. et Mme [G] ne justifient aucunement du financement de ce cabinet dentaire et que les pièces produites aux débats démontrent au contraire que les prêts qu’elle a octroyés ont été affectés, au moins pour partie, à l’exercice de l’activité professionnelle de M. [G].
Elle en déduit que ceux-ci ne peuvent donc se prévaloir de la qualité de consommateur, à supposer même qu’il s’agisse d’une opération mixte et que l’usage privé des crédits serait prédominant.
Arguant de l’inapplicabilité de la Convention de Lugano, la BNP Suisse expose qu’en tout état de cause, l’option de compétence prévue à l’article 16 ne peut être exercée que si le contrat concerné relève des dispositions de l’article 15, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Elle soutient notamment ne pas exercer d’activité commerciale ou professionnelle en France ni avoir dirigé son activité vers la France au profit de M. et Mme [G], les contrats ayant été négociés et signés à Genève.
La BNP Suisse conclut que les époux [G] ne peuvent donc se prévaloir de l’existence de ‘contrats conclus par les consommateurs’ au sens des dispositions de la Convention de Lugano, de sorte que la clause attributive de compétence territoriale doit recevoir pleine et entière application, à l’inverse des articles 15 à 17 de ladite Convention, qui admet en son principe la validité d’une telle clause à son article 23.1.
La société CBA Asset Management indique être une société de gestion de patrimoine disposant d’un bureau à [Localité 8] et proposant également des services de « Family Office » et des conseils en investissement immobilier.
Soutenant que les actes notariés ne concernent que l’affectation hypothécaire des immeubles donnés en garantie et ne constituent pas des actes de prêt notariés, elle en déduit que la clause d’élection de domicile dont se prévalent les époux [G] n’est stipulée que pour les besoins de l’exécution de l’acte d’affectation hypothécaire accessoire, et ne s’applique donc pas aux contrats de prêt.
Elle indique que le mécanisme de l”Equity release’, d’origine anglo-saxonne, est un contrat qui consiste en un prêt accordé à un propriétaire immobilier, permettant à celui-ci de recevoir de la part d’une banque une somme d’argent équivalente à tout ou partie de la valeur du bien immobilier, somme disposée à être placée en partie sur des produits financiers, et en partie à être remise au débiteur pour des dépenses ou investissements de son choix, et garanti par une hypothèque sur le bien immobilier et par une garantie sur les valeurs mobilières ou les contrats d’assurance souscrits.
Elle en déduit que le litige est de nature essentiellement contractuelle et qu’il ne s’agit ni d’un contrat crédit à la consommation ni d’un prêt immobilier.
La société CBA soutient que le domicile effectif de M. et Mme [G] est à [Localité 8] depuis 2007 dès lors qu’ils y résident et qu’ils y travaillent.
Elle affirme que M. et Mme [G] ne sont pas des consommateurs au sens de la Convention de Lugano dès lors que les contrats de prêt avaient pour but et pour objet de financer l’installation à [Localité 8] du cabinet dentaire de M. [G] et que les éléments produits par les appelants démontrent qu’une part importante des fonds empruntés ont été affectés à l’achat de matériel dentaire.
Elle fait valoir que le domicile de M. et Mme [G] doit être apprécié au jour de l’introduction du recours juridictionnel et que la clause attributive de compétence prévue au contrat doit recevoir application.
La société CBA indique que le contrat la liant aux époux [G], daté du 4 avril 2007, dispose en son paragraphe 5 que : « Le présent contrat de gestion est soumis au droit suisse. Tout différend sera tranché à Genève, par un tribunal arbitral qui se constituera et siégera selon les règles du Concordat suisse sur l’arbitrage ».
Elle en déduit qu’en application de l’article 1448 du code de procédure civile, la juridiction doit se déclarer incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Elle soutient que la Convention de Lugano ne peut trouver à s’appliquer dès lors que M. et Mme [G] ne peuvent se prévaloir de la qualité de consommateurs et qu’au surplus l’arbitrage est exclu du domaine d’application de la convention par son article 1-d.
Elle conclut à l’incompétence du tribunal judiciaire de Versailles, la juridiction compétente étant tout tribunal arbitral siégeant à Genève constitué en conformité des dispositions du Concordat sur l’arbitrage du 27 mars 1969.
Sur ce,
Il est constant que la convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale conclue le 30 octobre 2007 à Lugano, entre la Confédération suisse, la Communauté européenne, le Royaume de Danemark, le Royaume de Norvège et la République d’Islande est applicable en l’espèce.
Cette convention contient un article 23 qui dispose : ‘si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État lié par la présente convention, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État lié par la présente convention pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties’.
Les contrats de prêts conclus entre M. et Mme [G] et la BNP Suisse contiennent une clause attributive de compétence ainsi rédigée :
‘ Le lieu d’exécution du contrat de prêt, et de toutes obligations y afférentes, est à Genève. Si l’emprunteur a son domicile à l’étranger, ou s’il l’y transfère ultérieurement, ce lieu d’exécution à Genève devient également for de poursuite.
Le présent contrat de prêt est soumis au droit suisse. Tout litige entre les parties relatif à l’exécution, à l’interprétation ou à la validité du contrat de prêt relève de la compétence des tribunaux de la République et Canton de Genève, les recours au Tribunal fédéral étant réservés’.
Le contrat de gestion conclu entre M. et Mme [G] et la société CBA Asset management indique en son article 5 : ‘Le présent contrat de gestion est soumis au droit suisse. Tout différend sera tranché à Genève par un tribunal arbitral qui se constituera et siégera selon les règles du Concordat suisse sur l’arbitrage.’
Cependant, l’article 15 de la Convention de Lugano dispose que : ‘1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’art. 4 et de l’art. 5, par. 5:
a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels;
b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets;
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’Etat lié par la présente Convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet Etat ou vers plusieurs Etats, dont cet Etat, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités’.
L’article 16 prévoit quant à lui que : ‘L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’Etat lié par la présente Convention sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié’.
Il s’en déduit que, pour contester l’application des clauses attributives de compétence figurant dans les contrats qu’ils ont signés et voir reconnaître la compétence du tribunal judiciaire de Versailles, il appartient à M. et Mme [G] de démontrer qu’ils ont contracté en qualité de consommateurs, qu’ils sont domiciliés dans le ressort du tribunal judiciaire de Versailles et que la BNP Suisse exerce des activités commerciales ou professionnelles en France ou, par tout moyen, dirige ces activités vers la France, le contrat entrant dans le cadre de ces activités. Ces conditions sont en effet cumulatives (CJUE 26 mars 2020, Primera Air Scandinavia, C-21 5/18, EU:C:2020:235).
Sur le domicile de M. et Mme [G]
La notion de ‘domicile du consommateur’ au sens de l’article 16 de la convention de Lugano susmentionné doit être interprétée comme désignant le domicile du consommateur à la date de l’introduction du recours juridictionnel (CJUE 3 septembre 2020, mBank, C-98/20, EU: C:2020:672).
En vertu des dispositions de l’article 59 de la Convention de Lugano, ‘pour déterminer si une partie a un domicile sur le territoire de l’État lié par la présente convention dont les tribunaux sont saisis, le juge applique sa loi interne’.
En l’espèce, M. et Mme [G] ont saisi le 18 août 2020 le tribunal judiciaire de Versailles.
Les appelants sollicitent, sur le fondement de l’article 111 du code civil, la prise en compte de l’étude notariée de [Localité 9] comme leur domicile élu, ainsi que mentionné dans les actes notariés des 28 mai 2007 et 9 novembre 2007.
L’article 111 du code civil prévoit en effet que ‘lorsqu’un acte contiendra, de la part des parties ou de l’une d’elles, élection de domicile pour l’exécution de ce même acte dans un autre lieu que celui du domicile réel, les significations, demandes et poursuites relatives à cet acte pourront être faites au domicile convenu, et, sous réserve des dispositions de l’article 48 du code de procédure civile, devant le juge de ce domicile’.
En l’espèce, les contrats sous seing privés émis par la BNP Suisse ont été conclus à Genève les 30 avril 2007 et 22 août 2007. Ces contrats prévoyaient comme garantie l’inscription d’une hypothèque conventionnelle de premier rang grevant, pour le premier prêt, une maison d’habitation sise à [Localité 13] et, pour le second, un immeuble sis au [Localité 10].
Deux actes notariés ont donc été établis les 28 mai 2007 et 9 novembre 2007, dans lesquels M. et Mme [G] se déclaraient domiciliés à [Localité 6] et qui contenait cette clause : ‘pour l’exécution des présentes et de leurs suites, les requérants font élection de domicile en leurs demeure et siège respectifs. Pour la validité de l’inscription à prendre en vertu des présentes, domicile est élu en l’étude du notaire soussigné’ [le notaire ayant son étude à [Localité 9]].
Il convient cependant de constater que ces actes notariés étaient intitulés ‘affectation hypothécaire’ , qu’il est indiqué au début ‘Maître [Y] [P] (…) a reçu le présent acte authentique contenant affectation hypothécaire à la requête des personnes ci-après identifiées’.
La société CBA verse aux débats un fax de la BNP Suisse daté du 22 mai 2007 adressé à Maître [P] qui indique notamment : ‘Suite à votre fax du 21.05.2007 concernant le dossier de M. et Mme [G], je vous confirme les éléments suivants : Nous ne demandons pas à ce que le contrat de crédit soit régularisé par acte authentique, soit à ce qu’il soit re-signé devant notaire. Il est soumis au droit suisse et cette forme de régularisation n’est pas requise. Nous souhaitons par contre que soit régularisé l’acte d’affectation hypothécaire qui en résulte constatant la prise de garantie sur l’immeuble. Il va sans dire et comme il est d’usage que cet acte reprendra en son sein les termes du contrat de prêt.’
Il convient donc de dire que les actes notariés des 28 mai et 9 novembre 2007 ne constituaient pas des contrats de prêt notariés mais uniquement des actes d’affectation hypothécaire.
En conséquence, l’élection de domicile réalisée par M. et Mme [G] dans ce cadre est sans incidence sur l’action en nullité des contrats de prêt engagée.
Dès lors qu’il est établi que les appelants résidaient, au moment de l’assignation devant le premier juge, à [Localité 8], où ils s’étaient installés au cours de l’année 2007, ceux-ci ne démontrent pas qu’à cette date ils pouvaient se prévaloir d’un domicile dans le ressort du tribunal judiciaire de Versailles.
En conséquence, M. et Mme [G] ne remplissant pas l’une des trois conditions prévues par les articles 15 et 16 de la Convention de Lugano pour se voir appliquer les règles de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs, les clauses attributives de compétence prévues dans les contrats doivent recevoir effet, sans qu’il soit besoin pour la cour de se pencher sur les deux autres conditions, et l’ordonnance querellée sera confirmée en ce qu’elle a déclaré le tribunal judiciaire de Versailles incompétent pour connaître de l’action engagée et a invité les parties à mieux se pourvoir.
sur les demandes accessoires
L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, M. [O] [G] et Mme [U] [R] épouse [G] ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Ils devront en outre supporter in solidum les dépens d’appel avec application au profit des avocats qui le demandent des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société BNP Paribas Suisse et la société CBA Asset management la charge des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. Les appelants seront en conséquence condamnés in solidum à leur verser la somme de 3 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l’ordonnance entreprise ;
Y ajoutant ;
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne in solidum M. [O] [G] et Mme [U] [R] épouse [G] à verser à la société BNP Paribas Suisse et la société CBA Asset management la somme de 3 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [O] [G] et Mme [U] [R] épouse [G] aux dépens d’appel, avec application au profit des avocats qui le demandent des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,