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N° de minute : 85/2022
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 10 Novembre 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 21/00071 – N° Portalis DBWF-V-B7F-SK3
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Août 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :18/293)
Saisine de la cour : 02 Septembre 2021
APPELANT
S.A.S. EQINOX HEALTHCARE PHARMA, devenue PHARMEVIDENCE, prise en la personne de son Président en exercice, M. [W] [N]
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Caroline MASCARENC DE RAISSAC membre de la SELARL D’AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat postulant au barreau de NOUMEA et par Me Louis DUCELLIER membre de la SAS ENCIMA AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMÉS
Mme [D] [J]
née le 07 Octobre 1972 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat au barreau de NOUMEA
S.A.S. EQINOX HEALTHCARE FRANCE, représentée par la SARL AJIRE, ès qualité d’aministrateur judiciaire
Siège social : SA SEPROPHARM INTERNATIONAL – [Adresse 1] représentée par Me Frédéric DESCOMBES membre de la SELARL D’AVOCATS D&S LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA
S.A.R.L. IQONE HEALTHCARE FRANCE, représentée par son gérant en exercice M. [R] [S] demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Martin CALMET membre de la SARL DESWARTE-CALMET, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 13 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président, M. François BILLON, Conseiller, Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseiller, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.
Greffier lors des débats et lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
La SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE (ci-après dénommée EQINOX) don’t le nom commercial est SEPROPHARM International (cf RCS Lyon octobre 2018) est spécialisée dans la promotion de produits pharmaceutiques et de matériel médical et pharmaceutique qu’elle représente et diffuse en France ou à l’étranger.
Par deux contrats de «’prestation de service’» des 2 janvier et 30 avril 2003, Mme [D] [J] s’est engagée, à promouvoir les produits mis à sa disposition gratuitement par la société SEPROPHARM du 15 janvier au 30 avril 2003 puis, toujours pour le compte de SEPROPHARM, les produits du laboratoire LILLY suivants’: Prozac, Zyprexa, Gemzar sur la Nouvelle-Calédonie du 1er mai au 31 décembre 2003 en contrepartie du règlement de 181’978 XPF d’honoraires mensuels soit 1525’€.
Le 9 février 2004, elle signait avec SEPROPHARM un contrat «’d’agent commercial’» du 18 janvier au 31 décembre 2004, s’engageant à représenter le laboratoire LILLY en Nouvelle-Calédonie avec une gamme de produits élargis soit désormais outre Prozac, Zyprexa et Gemzar, les produits Cialis et Evista. Le tout moyennant une avance mensuelle sur commission de 1675 € et des commissions mensuelles calculées sur le montant du chiffre d’affaires hors taxes des produits (cf article 5) . L’article 11 du contrat prévoyait une attribution de compétence du tribunal de Toulouse en cas de litige entre les parties.
Un avenant était signé entre les parties le 17 février 2005 ajoutant le produit ALIMTA rémunéré à la commission de 3,25’% sur le CA.
En 2005 Mme [J] bénéficiait d’une prime exceptionnelle de 2104’€ de SEPROPHARM en considération de ses résultats obtenus pour le laboratoire LILLY.
Le 17 février 2006, elle confirmait le même contrat d’agent commercial avec SEPROPHARM valable pour 2006, afin de représenter les produits LILLY en Nouvelle-Calédonie auquel était désormais la gamme des «’Insulines LILLY’» outre le 25 mars 2014 les produits ZYPADHERA, FORSTEO et CYMBALTA.
Deux avenants étaient conclus les 15 mars 2006 et 05 mars 2007, le premier prévoyant une commission exceptionnelle de 1.60 % calculée sur le chiffre d’affaires grossistes HT, le second modifiant la rémunération de Mme [J], en diminuant son taux de commission à 4.25 % calculée sur le CA HT sur les produits du laboratoire LILLY, avec effet rétroactif au 1er janvier 2007.
Les contrats d’agent commercial se succédaient jusqu’à mi-décembre 2016’soit les 07 mars 2008, 20 mars 2009, 29 mars 2010, 08 mars 2012, 25 mars 2013, 25 mars 2014, 25 juin 2015, 15 décembre 2016 et attribuaient une compétence en cas de litige au «’tribunal de Toulouse’».
Le 15 décembre 2016, la SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE adressait un contrat d’agent commercial à Mme [J] pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017, qu’elle refusait de signer. S’il maintenait la représentation sur la Nouvelle-Calédonie des produits LILLY moyennant le même taux de commission de 4.5 % et une avance mensuelle de 1675 euros, il faisait mention en son article 10 d’une clause de non-concurrence post-contractuelle et d’interdiction de travailler directement ou indirectement pour une autre société ou entreprise concurrente.
Le 6 décembre 2017, EQINOX adressait à Mme [J] un nouveau contrat d’agent commercial pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018 aux mêmes conditions (pièces N°17 et 20 requérante).
Le 22 février 2018, elle était destinataire de sa nouvelle fiche de poste intitulée délégué médecine générale/médecine hospitalière (pièce N°23 requérante).
Par courriels du 20 juillet 2018, EQINOX informait ses salariés qu’en application de l’article L 141-28 du Code de commerce, la société souhaitait vendre son fonds de commerce de représentation, diffusion en France et à l’étranger de produits pharmaceutiques et de matériel médical et pharmaceutiques.
Par LR/AR du 27 septembre 2018, EQINOX résiliait le contrat qui la liait à Mme [J] depuis le 6 décembre 2017, la relation contractuelle s’étant poursuivie malgré l’absence de la signature de contrat (pièce 26), Un courriel du même jour émanant de M. [S], désormais gérant de la Sarl IQONE Healthcare France créée en 2014 et présentement PDG de la SA Iqone Healthcare Group précisait à Mme [J] que la résiliation prenait effet au 31/12/2018 et qu’Eqinox PHARMA par l’intermédiaire de MM. [N] et [M] allait prendre attache avec elle «’pour mettre en place un nouveau contrat effectif au 1er novembre 2018 qui prendra le relais dès la cession’», les prestations Lilly lui étant réglées par Eqinox jusqu’au 31 octobre 2018.
Le 12 octobre 2018, les SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA et Pharm Evidence étaient immatriculées au RCS de Lyon avec siège social à la même adresse qu’EQINOX [Adresse 4] et [W] [N] désigné président et [C] [M] directeur général.
Par courriel du 25 octobre 2018, M. [N] ès qualités de président d’EQINOX HEALTHCARE PHARMA (ci-après dénommée EQINOX PHARMA (pièce n°24 requérante) adressait un nouveau projet de contrat d’agent commercial à Mme [J] pour une durée de 14 mois soit du 1°’ novembre 2018 au 31 décembre 2019 avec de nouveaux produits Lilly. Ce projet de contrat comportait une commission de 3.5 % du CA HT à concurrence de 45’000’€ outre une avance sur commission mensuelle de 1800’€ (article 6), une clause de non-concurrence post contractuelle (article 11) et une clause d’interdiction de travailler directement ou indirectement pour une autre société ou entreprise concurrente en son article 9 (pièce N° 25 requérante).
Madame [J] faisant valoir que ses commissions étaient baissées unilatéralement et de manière répétée depuis plusieurs années répétées refusait de signer ce contrat en des termes fermes et poursuivait son activité jusqu’au 5 novembre 2018 (pièce 31).
Le 14 novembre 2018, EQINOX HEALTHCARE FRANCE était placée en liquidation judiciaire avec date de cessation des paiements au 31 octobre 2022 par jugement du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon du 5 décembre 2018, avec poursuite d’activité autorisée jusqu’au 6 février 2019 (pièce N°32 [J]) dans le but de finaliser la cession du fonds de commerce à EQINOX PHARMA, qui était autorisée le 1er février 2019. La SELARL AJIRE représentée par Maître [G] était désignée en qualité d’administrateur judiciaire et la SELARL HUMEAU, nommée liquidateur judiciaire, la date de cessation de paiement étant fixée du 31 octobre 2018.
Par jugement du 28 janvier 2019, le même tribunal autorisait la reprise d’EQINOX par PHARMEVIDENCE pour 150’000 € autorisant 4 licenciements (Guadeloupe, Martinique et Réunion) sur 42 salariés et une prise de jouissance au 1er février 2019 avec un plan de redressement de 3 ans sans reprise du passif.
Selon requête introductive d’instance du 8 novembre 2018, Mme [J] a fait convoquer devant le Tribunal du travail, de Nouméa EQINOX, la SARL IQONE HEALTHCARE FRANCE et EQINOX PHARMA aux fins de voir ordonner sous astreinte la remise du rapport de gérance de la SAS SEPROPHARM HOLDING et copie du procès-verbal d’assemblée générale du 11 mars 2015, constater l’existence d’un lien de subordination avec SEPROPHARM depuis 2003 sollicitant ainsi la requalification en contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein des contrats de prestation de service et d’agent commercial conclus de 2003 à 2018. Elle considérait que la rupture du contrat devait s’analyser en un licenciement abusif et sans effet prononcé en violation de l’article Lp.121-3 du Code du travail. Elle demandait que fûssent constatées une collusion frauduleuse entre la société EQINOX et la société SAS PHARMEVIDENCE et une situation de co-emploi entre les sociétés EQlNOX HEALTHCARE FRANCE et IQONE HEALTHCARE FRANCE. Elle fixait son salaire de référence à 699’642 XPF / mois outre la condamnation solidaire d’EQINOX, d’IQONE HEALTHCARE FRANCE et d’EQINOX PHARMA à lui régler indemnités et dommages et intérêts suivants afin de fixer sa créance dans la liquidation d’EQINOX : 2’098’476 XPF (indemnité de préavis), 209’847 XPF (indemnité préavis congés payés), 1’049’238 XPF (indemnité légale de licenciement), 17’500’000 XPF (dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) 4’196’952 XPF (indemnité de congés payés), 5’000’000 XPF (préjudice de brutalité de la rupture), 8’393’904 XPF (préjudice résultant du travail dissimulé), 1’651’420 XPF (cotisations RUAMM), 3’447’234 XPF ( rappel sur primes de fin d’année) et 1’412’364 XPF (rappels sur primes d’ancienneté).
Elle sollicitait également sous astreinte la régularisation de sa situation auprès de la CAFAT et de la CRE la production des bulletins de salaire rectifiés et d’un certificat de travail outre l’exécution provisoire du jugement à intervenir une somme de 350’000 XPF au titre des frais irrépétibles.
Au terme de ses conclusions la SELARL HUMEAU en sa qualité de mandataire liquidateur d’EQINOX concluait en premier lieu à l’incompétence territoriale et matérielle du tribunal de Nouméa faisant valoir que Mme [J] était agent commercial et non salariée pour la société EQINOX HEALTHCARE FRANCE don’t le siège social était à TOULOUSE. Elle exposait également que le contrat conclu l’était entre deux commerçants de sorte que la juridiction compétente en l’espèce était le tribunal de commerce de TOULOUSE en application de la clause d’attribution figurant au contrat.
Sur le fond, elle exposait que le contrat d’agent commercial liant la requérante et la société EQINOX ne saurait être requalifié en contrat de travail car Mme [J] était immatriculée au RIDET et auprès de la CAFAT comme indépendante, bénéficiant dès lors d’une présomption de non salariat (article 23 loi du 1er août 2003 et Lp. 35 de la loi de pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002).
Exerçant son activité comme travailleur indépendant selon les termes de son contrat de prestation de service puis d’agent commercial (article 2) à des milliers de kilomètres, elle disposait d’une totale liberté et indépendance dans l’organisation de son temps de travail, n’étant soumise ni à des horaires de travail, ni à un rythme des visites (article 2 al.2 de son contrat d’agent commercial), ni à des dates de congés et à une obligation d’exclusivité, son rôle consistant à prendre contact avec l’ensemble du corps médical (médecins et pharmaciens) et à représenter les produits du laboratoire.
Le seul contrôle réalisé par EQINOX consistait à solliciter des rapports d’activités quadrimestriels du laboratoire représenté (LILLY) remplacés par un rapport mensuel en 2017, puis hebdomadaire en 2018 (pièce N° 51 req), le suivi des documents promotionnels et des objectifs annuels de visite exigés par le laboratoire. Elle recevait de simples recommandations ou des instructions générales sans interférer sur l’argumentaire de vente’: à cet égard, la mise à disposition de l’lpad et d’un logiciel ainsi que de différents produits et échantillons pharmaceutiques, étaient dictées par le client (LILLY).
Elle ne disposait d’ailleurs d’aucun pouvoir de sanction, l’obligation de formation annuelle aux frais de la société imposée par le laboratoire ne suffisant pas à caractériser un lien de subordination. S’agissant de sa rémunération, celle-ci était librement convenue et renégociée annuellement.
Enfin, à titre subsidiaire, il concluait à l’irrecevabilité de l’action de la requérante en se fondant sur les dispositions de l’article L1471-1 du Code du travail métropolitain qui dispose que toute action sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans estimant l’action de la requérante, du chef de ces contrats, distincts les uns des autres, forclose à compter du 8 février 2017, l’action ayant été engagée par la requérante depuis le 8 février 2019. Quant à la prescription quinquennale s’applique, seules les demandes relatives à la période fixée à partir du 8 février 2015 ne seraient pas prescrites.
Par jugement contradictoire en date du 10 août 2021, le tribunal du travail de Nouméa, se reconnaissait compétent pour connaître du litige, déclarait l’action de Mme [J] recevable, requalifiait les relations entre la société EQINOX ci-devant SEPROPHARM et la requérante en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2003 constatant le transfert du contrat de travail à EQINOX PHARMA devenue PHARMEVIDENCE.
La juridiction indiquait que Mme [J] avait fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que son employeur serait seul tenu des conséquences de la rupture du contrat de travail en l’absence de collusion frauduleuse et de co-emploi établis.
En outre, Mme [J] était déboutée de ses demandes à l’encontre du mandataire liquidateur d’EQINOX et de la SARL IQONE HEALTHCARE FRANCE mais le tribunal condamnait la SAS PHARMEVIDENCE à lui régler les sommes de 2’098’476 XPF (indemnité compensatrice de préavis), 209’847 XPF (indemnité congés payés sur préavis), 1’049’238 XPF (indemnité légale de licenciement), 13’989’840 XPF (licenciement sans cause réelle et sérieuse), 2’908’170 XPF (indemnité de congés payés) et 3’447’234 XPF (rappel sur primes de fin d’année). Le salaire moyen des trois derniers mois était fixé à 699’492 XPF, la SAS PHARMEVIDENCE étant condamnée à remettre à la requérante ses bulletins de salaire de janvier 2003 à novembre 2018 outre un certificat de travail la régularisation sous astreinte de 10.000 F CFP par jour pendant 3 mois à défaut d’exécution volontaire dans un délai de 2 mois à compter de la signification de la présente décision, de sa situation auprès des organismes sociaux (CAFAT et CRE) et 300’000 XPF d’article 700 de frais irrépétibles.
Par requête en date du 1er septembre 2021, PHARMEVIDENCE a relevé appel de cette décision étant ici rappelé que la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA devenue PHARMEVIDENCE n’avait pas comparu malgré une convocation à personne du tribunal du travail pour l’audience de conciliation et l’audience de jugement du 26 juin 2020 (recommandé avec accusé de réception signé).
Mme [J] a relevé appel incident de la décision renonçant à ses demandes sur la responsabilité du groupe de société don’t elle avait été déboutée en première instance.
***
In limine litis la Selarl HUMEAU et Pharmevidence ont repris à leur compte les exceptions de procédure concernant d’une part l’incompétence de la juridiction du travail de [Localité 7] et la prescription de l’action engagée par Mme [J].
PHARMEVIDENCE faisait en outre valoir dans ses écritures d’appel qu’à aucun moment Mme [J] n’a fait l’objet d’une offre de reprise de son contrat d’agent commercial censément rompu au 27 septembre 2018 précisant qu’en toute hypothèse, elle avait cessé de l’exécuter depuis le 06 novembre 2018 ce don’t attesterait un courriel de M. [N].
A titre reconventionnel, elle sollicitait la validation de l”inscription d’hypothèque judiciaire inscrite le 20 avril 2022 sur un immeuble de Mme [J].
Elle concluait à l’infirmation du jugement du tribunal du travail et au remboursement des sommes versées au titre de l’exécution provisoire outre la condamnation de Mme [J] aux dépens de l’instance et 5000 euros (sic) au titre des frais irrépétibles.
***
Sur le fond, la SELARL HUMEAU, en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE soutient pour l’essentiel que cette dernière n’appartient pas au même groupe que les sociétés IQONE HEALTHCARE HOLDING SUISSE et SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA aux motifs qu’IQONE HEALTHCARE FRANCE, IQONE HEALTHCARE HOLDING (Suisse) et SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA ne possèdent pas de parts sociales au sein de d’EQINOX qui ne détient pas de parts dans ces sociétés.
Elle rappelle qu’EQINOX a été cédée à EQINOX PHARMA devenue PHARMEVIDENCE sans aucun dirigeant commun puisque M. [S] dirige IQONE HEALTHCARE HOLDING (Suisse) quand M. [N] est dirigeant de PHARMEVIDENCE).
Elle observe que ces sociétés n’ont pas la même activité ( EQINOX commercialise des produits pharmaceutiques alors qu’IQONE HEALTHCARE FRANCE, la commercialise des produits cosmétiques).
Mme [J] échouerait ainsi à établir une situation de co-emploi faute de l’existence d’un lien de subordination entre elle et ces sociétés, la production d’extraits KBISne prouvant pas une immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale qui a signé les contrats.
Par ailleurs, elle fait valoir’:
– que l’activité de la société EQINOX dépendait de la conclusion des contrats temporaires de promotion avec les laboratoires pharmaceutiques, de sorte que la requérante n’a pas bénéficié d’un contrat à durée indéterminée mais d’une succession de plusieurs contrats à durée déterminée ;
– qu’en tout état de cause, si son contrat est considéré comme un contrat à durée indéterminée, il a été transféré automatiquement à la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA désormais PHARMEVIDENCE en raison de la cession de son fonds de commerce conclue entre les deux sociétés, le 27 septembre 2018 et la proposition de cette dernière de conclure avec elle un contrat d’agent commercial le 25 octobre 2018 que la requérante a refusé le 5 novembre 2018, ce qui constitue une démission ;
– que la requérante n’établit pas l’existence d’une collusion frauduleuse avec la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA de sorte que seule la société PHARMEVIDENCE doit être tenue responsable de obligations résultant de la poursuite du contrat de travail après la cession ;
– que la société SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE ne peut être tenue responsable de la non reprise de Mme [J] par le repreneur alors qu’elle était en liquidation judiciaire et a fait l’objet d’une cession le premier février 2019 et que c’est le cessionnaire qui a proposé à madame [J] une modification de son contrat de travail à l’origine du refus de la poursuite des relations contractuelles ;
– que Mme [J] a déposé sa requête le 8 février 2019 soit postérieurement à l’acte de cession autorisé de sorte que la société SAS PHARMEVIDENCE est seule responsable des conséquences liées à la rupture du contrat de travail.
Elle soutient à titre subsidiaire :
– en ce qui concerne l’indemnité de licenciement, qu’elle ne justifie pas d’une ancienneté ininterrompue de 2005 à 2011 de sorte que son ancienneté doit être prise en compte qu’à compter de 2012 ;
– que la demande de préavis doit être rejetée, madame [J] ayant manifesté son refus de poursuivre l’exécution de son contrat d ‘agent commercial ;
– que sa demande de dommages-intérêts doit être limitée, la requérante n’établissant pas la preuve de son préjudice d’interruption de son contrat entre 2005 et 2011 ;
– qu’il n’est pas établi de préjudice distinct en l’absence de preuve de circonstances brutales et vexatoires et de travail dissimulé faute d’intention de fraude établie ;
– que la requalification d’un contrat de prestation de service n’emporte pas pour l’employeur de rembourser les charges sociales selon la Cour de Cassation.
Elle conclut donc au rejet de toutes les demandes à son encontre ainsi qu’à sa condamnation au règlement de la somme de 480’000 XPF au titre des frais irrépétibles.
IQONE HEALTHCARE FRANCE demandait sa mise hors de cause au motif qu’elle ne possédait aucun lien juridique avec Mme [J], n’ayant pas racheté une partie de l’activité de SEPROPHARM contrairement à ce que celle-ci soutient’: il n’existe aucune confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre IQONE HEALTHCARE FRANCE, EQINOX et PHARMEVIDENCE ( ci-devant EQINOX PHARMA).
Elle sollicite le paiement par Mme [J] de la somme de 500’000 XPF au titre des frais irrépétibles.
Quant à la Selarl HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur d’EQINOX HEALTHCARE FRANCE, elle indique que Mme [J] était agent commercial et que c’est à tort que le premier juge avait requalifié ce contrat.
Elle indiquait à titre subsidiaire qu’en cas de requalification, elle sollicitait confirmation du jugement en ce qu’il avait jugé que le contrat de Mme [J] avait été transféré à al société EQINOX HEALTHCARE PHARMA devenue PHARMEVIDENCE.
Seul le cessionnaire devait être déclaré responsable de la reprise effective du contrat et de l’absence de reprise. Seule une collusion frauduleuse du cédant don’t la preuve n’est pas d’aileurs rapportée pourrait être constitutive d’une fraude visant à faire échec aux droits du salarié.
Au terme de ses écritures et de sa plaidoirie, Mme [J] soutenait concernant les exceptions de procédure soulevées in limine litis d’une part que le tribunal du travail de Nouméa par application des dispositions de l’article 879-1 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie est seul compétent pour connaître de l’existence d’un contrat de travail puisque la prestation de travail réalisée par la requérante s’effectuait en Nouvelle-Calédonie et d’autre part que son action n’est pas prescrite puisque le Code du travail de Nouvelle-Calédonie ne prévoit pas de prescription spéciale en matière de rupture du contrat de travail de sorte que la prescription applicable est celle prévue par le Code de procédure civile, soit 5 ans alors que celle-ci court s’agissant d’une requalification des contrats successifs à compter du terme du dernier contrat et que par ailleurs, elle a travaillé jusqu’au 5 novembre 2018 voire jusqu’au mois de février 2019 en attendant que les nouvelles modalités de son engagement auprès de la société SAS PHARMEVIDENCE soient définies.
Sur le fond, elle considère que la décision du tribunal devra être confirmée concernant la qualification en contrat de travail car elle travaillait dans le cadre d’un service organisé sous la subordination de Pharmevidence ou d’Eqinox.
Ainsi, il résulte d’une appréciation de ses conditions de travail que’:
elle exécutait sa prestation de travail sous l’autorité exclusive de la SAS SEPROPHARM devenue SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE qui assumait le risque économique,
elle était soumise par son employeur à la réalisation d’objectifs de vente et de suivis (tableaux annuels pièces N° 27, 28, 29 requérante) à des instructions sur la vente des produits ou pour cesser commercialisation d’un produit (pièce N°30 requérante),
elle recevait des plans d’actions à réaliser (PAS) adressés par son employeur et était contrainte de rédiger des rapports mensuels de son activité (fréquence des visites et actions à réaliser par cibles) (pièces N°49 à 56 requérante),
elle ne réalisait pas son activité en toute indépendance étant contrainte de suivre les directives d’ EQINOX, dans le cadre de la prospection de clientèle (nombre de médecins ou professionnels de santé à visiter ciblés par l’employeur), devant rendre compte à son employeur qui contrôlait ses visites par l’intermédiaire d’un logiciel (pièces N° 31 à 35 requérante) et lui intimait des ordres (‘ Je veux que cela soit fait pour le 30 septembre 2016, nous ne pouvons pas attendre…’) dans le cadre de son activité’: destruction des médicaments, distribution d’échantillons (pièce N°36, 41, 44 requérante).
l’organisation de son travail était imposée par l’employeur’: ainsi de l’argumentaire commercial exclusif qu’il avait établi et des visites à effectuer selon un rythme défini en utilisant le matériel promotionnel mis à sa disposition (Ipad et logiciel spécifique)
elle devait respecter une charte de visite médicale et des cahiers des charges imposant une obligation de formation et des tests de connaissance (pièces N°39, 40, 46, 66, 68 et 69).
elle ne subissait aucun risque économique, était rémunérée comme une salariée y compris pendant ses congés pour un montant mensuel fixe de 214’797 XPF intitulé avance sur commission (commissions contractuelles, sur factures réalisées par elle à compter du 1er janvier 2017 et remboursement de divers frais) (pièces N° 58 à 65).
elle était soumise sous contrôle régulier de son employeur puisqu’elle devait saisir ses visites quotidiennes dans le logiciel de l’entreprise était soumise à un entretien annuel d’évaluation et ne disposait d’aucun pouvoir de négociation dans les prix et conditions de vente des produits pharmaceutiques fixés par la SAS SEPROPHARM (pièce N° 72 à 74 requérante).
son employeur disposait d’un pouvoir décisionnel important par l’intermédiaire de son pouvoir de modulation des primes et de fixation de déclenchement des primes.
Elle fait valoir par ailleurs qu’elle n’a jamais été licenciée dans le cadre de la liquidation judiciaire prononcée et ce, avant l’homologation du plan de cession partiel intervenu ni par la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA (devenue PHARMEVIDENCE) qui renégociait avec elle un nouveau contrat au terme duquel son taux de commission était réduit, dans le cadre de la cession d’actif autorisée ni par la SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE alors même qu’elle lui avait notifié qu’elle mettait fin à son contrat d’agent commercial à compter du 31 décembre 2018.
Elle relève que le courrier indiquant qu’elle n’accepterait pas les clauses du nouveau contrat commercial le 5 novembre 2018, car elles constituaient des modifications substantielles de son contrat de travail, ne peut s’analyser en une démission puisque Mme [J] ne s’adressait pas à son employeur EQINOX mais à PHARMEVIDENCE et soutient que son licenciement s’analyse en un licenciement verbal abusif.
Par ailleurs, elle considère donc que la rupture de son contrat actée par la société SA EQINOX HEALTHCARE FRANCE au 31 décembre 2018 doit être déclarée sans effet puisqu’elle viole les dispositions de l’article Lp.121-3 du Code du travail qui prévoient ‘lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.’
Elle soutient que tous les contrats de travail ont été transférés à la société SAS PHARMEVIDENCE, créée pour permettre la cession partielle d’actif de sorte que celle-ci est tenue des conséquences liées à la rupture du contrat de travail ce qui résulte en particulier des échanges de courriels entre les cogérants des sociétés cessionnaire et cédante et Mme [J] et de M. [N], Président de PHARMEVIDENCE et ci-devant Directeur des opérations d’EQINOX HEALTHCARE FRANCE. Elle indique à ceté gard que la similarité d’objet et de personnes existant entre l’ancienne et la nouvelle société peut fonder une collusion frauduleuse entre le cédant et le cessionnaire et, à tout le moins, une condamnation solidaire des deux sociétés à régler le paiement de ses demandes, cédant et cessionnaire s’étant mis d’accord pour faire échec au transfert du contrat.
Elle estime donc justifiées toutes ses demandes indemnitaires et salariales fondées ainsi que celle tendant à la condamnation de la société SAS SEPROPHARM pour travail dissimulé sur le fondement de l’article Lp.461-4 du Code du travail de la Nouvelle-Calédonie (12 mois), faute d’avoir été déclarée auprès des services de la CAFAT et à la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux sous astreinte de 50’000 XPF par jour de retard à compter du jugement à intervenir.
Elle sollicite en conséquence la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu la compétence de la juridiction du travail de [Localité 7], a écarté la prescription de l’action engagée par Mme [J], a requalifié en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein la relation entre Mme [J] et EQINOX, constaté le transfert du contrat à Pharmevidence, accordé ses indemnités et fixé le salaire de référence à 699’642 XPF et statuant à nouveau que soit constaté une collusion frauduleuse entre Pharmevidence et EQINOX qui devront être déclarées solidairement responsables de l’ensemble des condamnations à venir, débouter le liquidateur de l’ensemble de ses demandes et lui accorder 5 millions au titre de la brutalité de la rupture, 8’393’904 XPF d’indemnité réparant le préjudice de travail dissimulé, 1’651’420 XPF de remboursement de cotisations RUAMM, 1’412’634 XPF de primes d’ancienneté impayées, ordonner la productiuon des bulletins de salaire rectifiés et d’un certificat de travail sous astreinte outre 500’000 XPF au titre des frais irrépétibles d’appel et la condamnation aux dépens.
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SUR QUOI LA COUR
Sur la qualification de la relation contractuelle et la compétence de la juridiction du travail
L’article 100 de l’ordonnance n° 85-1181 modifiée du 13 novembre 1985 auquel fait expressément référence l’article 879-1 du Code de procédure civile applicable en Nouvelle-Calédonie dispose’:
“La juridiction territorialement compétente pour connaître des différends qui peuvent s’élever à l’occasion du contrat de travail est celle dans le ressort de laquelle est effectué le travail. Toutefois, après la rupture du contrat de travail, le salarié don’t le domicile est situé dans un lieu du territoire de la République autre que celui où a été effectué le travail peut saisir la juridiction du lieu de son domicile.
Lorsque, après la rupture de son contrat de travail, le salarié saisit la juridiction du lieu de son domicile pour connaître d’un différend né à l’occasion de ce contrat, les dispositions applicables au règlement du litige sont celles qui ont régi le contrat de travail de l’intéressé.
Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux dispositions qui précèdent, est réputée non écrite’»
Mme [J] soutient qu’elle est liée aux sociétés défenderesses par un contrat de travail à durée indéterminée et que la rupture du contrat doit être déclarée abusive. Le tribunal du travail étant seul compétent pour apprécier si les contrats doivent être requalifiés en contrat de travail, la demande principale sera examinée étant relevé qu’à défaut, celle-ci sera rejetée, une juridiction du travail n’étant pas compétente pour qualifier autrement la relation contractuelle.
Afin d’apprécier si les contrats successifs d’agent commercial ou de prestation de services signés entre les parties doivent être requalifiés en contrat de travail, il convient dès l’abord de se rapporter à la lettre des contrats lesquels disposent que le prestataire exécutera ses missions de façon ‘libre et indépendante” (contrats des 03 janvier et 30 avril 2003) ou ‘en pleine indépendance et liberté” (article 2 des contrats du 9 février 2004, 15 mars 2006, 05 mars 2007, 07 mars 2008, 20 mars 2009, 29 mars 2010, 08 mars 2012, 25 mars 2013, 25 mars 2014, 25 juin 2015, 15 décembre 2015 ainsi que l’article 2 alinéa 3 des propositions du 15 décembre 2016, article 2 alinéa 7 de la proposition du 06 décembre 2017 ainsi que du projet envoyé en 2018 (pièce n° 30 requérante).
Les contrats de prestation de service précisent également qu’elle devait rendre compte de ses activités par l’envoi d’un rapport bimensuel au minimum et que la société mandante donnera des conseils pour l’organisation des tournées, afin de bénéficier de l’expertise de cette dernière.
ll convient de rappeler que le Code du travail de Nouvelle-Calédonie, contrairement au Code du travail métropolitain, ne prévoit pas le principe d’une présomption d’absence de contrat de travail pour les personnes physiques ou morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. S’il est vrai que dès l’année 2004, lors de la conclusion des contrats d’agent commercial, la société SAS EQINOX HEALTHCARE France a exigé de Mme [J] la preuve qu’elle était immatriculée au registre des agents commerciaux ou au registre du commerce et qu’elle cotisait au RUAMM, ainsi que rappelé par le premier juge, cette inscription n’emporte qu’une présomption simple de non salariat qui peut être combattue par tout moyen.
Par suite, il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat d’en rapporter la preuve (article 1315 code civil)’: les conditions d’exercice de sa profession de Mme [J] seront appréciées au vu des pièces qu’elle produit.
De jurisprudence constante, l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.
Il y a contrat de travail lorsqu’une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la subordination d’une autre, moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, ces critères étant cumulatifs.
Le pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur s’apprécie selon la nature de la profession exercée et au cours de l’exécution de la prestation. En tout état de cause selon la jurisprudence, une inscription au registre du commerce, ainsi que rappelé supra, n’emporte qu’une présomption simple de non salariat en Nouvelle-Calédonie.
Le lien de subordination, qui est un fait juridique et non une simple dépendance économique, se démontre par tous moyens selon un faisceau d’indices tels que l’obligation de rendre compte de l’activité à intervalles réguliers à son employeur, la pratique d’inspections ou de remontrances ou le fait de se voir assigner un planning de travail ou des objectifs de chiffre d’affaires annuel.
Mme [J] se prévaut ainsi d’éléments censés démontrer qu’elle aurait travaillé sous l’autorité de SEPROPHARM, c’est-à-dire qu’elle aurait reçu de cette société des ordres et des directives, avec un contrôle de l’activité ainsi réalisée. Elle expose à cet égard qu’elle avait des objectifs déterminés et devait rendre compte de ses résultats en produisant des tableaux d’objectifs adossés à un système de primes régulières pour motiver les commerciaux. Des objectifs chiffrés lui étaient imposés (pièces N°27, 28, 29) de même que des plans d’actions spécifiques (pièce N°30).’
Elle fournit en ce sens des courriels relatifs à des tableaux mensuels et à des plans d’action annuels d’où il ressort que certains messages sont particulièrement directifs comportant des instructions très précises, tant au niveau des objectifs à remplir que des moyens pratiques d’y parvenir. Quant aux demandes de remontées d’informations, elle indique qu’elles pouvaient être quotidiennes.
Ce pouvoir d’instruction et de contrôle se traduisait par des instructions en cas d’arrêt des ventes de produits, décidé par l’employeur, imposant à la requérante de ne plus en faire la promotion et de détruire l’ensemble des documents concernés ou par des ordres (‘ Je veux que cela soit fait pour le 30 septembre 201, nous ne pouvons pas attendre…”) dans le cadre de l’exécution de son activité (destruction des médicaments ou distribution d’échantillons (pièces n°36, 41, 44).
Elle était également destinataire d’instructions précises quant au choix des médecins visités puisque chaque année, elle devait démarcher un certain nombre de médecins ou professionnels de santé (pièces n°31, 32 et 33) et rendre compte de ses visites en remplissant un tableau indiquant le nom du médecin, sa spécialité et la fréquence de ses visites annuelles avec des dates butoir à respecter (pièce N°32). Le rythme de ces remontées d’information apparaît s’être amplifié à compter de 2014 puisqu’elle devait impérativement entrer avec précision ces données sur le logiciel fourni à cet effet (pièce 33, 34, 35 requérante). Il résulte des courriels qu’elle produit que la société contrôlait régulièrement cette saisie (pièces N°72, 73, 74 requérante) et les comptes rendus de visite. Mme [J] était d’ailleurs évaluée lors de visites accompagnées par le Directeur Général (pièces N°75, 76, 77, 78, 79 et 80).
Elle recevait des instructions sur les produits à promouvoir en priorité ainsi qu’en atteste un courriel du 5 février 2013 (pièce N°36) émanant de SEPROPHARM ‘ Le laboratoire LILLY nous rappelle notre obligation d’assurer la promotion du BYETTA jusqu’au 31 mars 2012. Le nombre de contact BYETTA sera comptabilisé. Si SEPROPHARM ne respecte pas ses obligations, il y aura pénalité, chaque visite devra faire l’objet d’une présentation BYETTA jusqu’au 12 avril. Nous avons prévu 115 contacts sur la période.’.
Dans un courriel du 3 avril 2015, il lui était demandé de visiter une ou deux pharmacies par jour (courriel du 25 septembre 2015 piéce N°38) voire plus d’investissement sur le produit Cymbalia étant rappelé que l’insuline était l’une des priorités 2014 (pièce N°37 requérante).
Pour ce qui concerne le matériel mis à sa disposition par SEPROPHARM et à utiliser impérativement (lpad chargé d’un logiciel permettant la gestion et la transmission pour la société des données promotionnelles et des produits publicitaires et documents préétablis (pièce N°39), Mme [J] devait également présenter aux médecins plusieurs matériels promotionnels (recommandations de bonnes pratiques, documents d’information, plaquettes sur des médicaments, échantillons de produits, mentions obligatoires, clés USB contenant des vidéos, des films, des cartes de visite, des brochures, des «’flyers’», des rapports thématiques, des invitations à des congrès, des stylos, des sacs, des posters, des fiches posologiques….) comportant obligation au final soit de restituer l’ancien matériel, soit de le détruire et d’utiliser l’argumentaire de son employeur.
Sur ce point, et malgré le ton quelque peu comminatoire de certains courriels (pièce n° 41 requérante) le fait que SEPROPHARM mette à disposition de ses agents commerciaux des outils tels qu’une tablette, un logiciel ou du matériel promotionnel ne saurait à lui seul démontrer l’existence d’une relation de subordination puisqu’il pourrait s’inscrire dans le cadre d’une relation contractuelle classique, loyale et de bonne foi, la société mettant à la disposition de son prestataire les moyens de remplir les objectifs fixés (voir notamment les pièces 49 et 50 de l’intimée).
Il en va de même du caractère spécifique des produits pharmaceutiques, fabriqués en laboratoire et présentant potentiellement des risques, lesquels pourraient justifier l’envoi d’instructions précises, du cahier des charges, de la charte de visites médicales (voir piéces 53 et 54 de l’intimée), en matière de pharmacovigilance (voir pièce 55 de l’intimée) ou de formation des agents commerciaux (voir pièce 81 de l’intimée).
En revanche, elle n’avait aucun pouvoir de négociation sur les prix et les conditions de vente fixées au préalable. Elle devait en outre respecter tout autant la charte de visiteuse médicale que le cahier des charges interne à l’entreprise intitulé “Politique qualité EQINOX” qui l’obligeait à se soumettre à une formation et à une évaluation annuelle ainsi qu’à respecter outre les règles de déontologie du visiteur médical, le cahier des charges des entreprises pharmaceutiques clientes (pièces N°46 et 47), ses obligations lui étant rappelées par courriel (pièce N°47).
S’agissant du mode de rémunération, il s’agit d’un critère qui n’est pas nécessairement significatif puisque tant un salarié qu’un agent commercial peuvent être rémunérés avec une part fixe et une part variable constituée de primes de résultats.
Néanmoins, il apparaît sur ce point que Mme [J] ne supportait aucun risque économique, sa rémunération restant identique chaque mois en 2003 et 2004 sous la forme d’une avance sur commission, nonobstant l’importance de son activité lors du mois écoulé. Elle était d’ailleurs payée pendant ses congés. Le fait que son fixe mensuel intitulé depuis l’origine «’avance sur commission’» ait augmenté régulièrement en 15 ans passant de 1500 euros à 1800 euros, loin de démontrer un pouvoir de négociation correspond à une augmentation normale d’un salaire minimum fixe et pour tout dire minimale. (300 euros en 15 ans, soit 20 euros par an) Dès 2003, les contrats mentionnaient l’obligation de rapports et le règlement, non de commissions, mais d’honoraires fixes s’assimilant à un salaire démontrant ainsi qu’elle était déjà sous la dépendance économique de son employeur de manière continue entre 2003 à novembre 2018.
Dans le même ordre d’idées, tous les frais professionnels (internet, billets d’avion, frais de formation) étaient pris en charge par SEPROPHARM, Mme [J] ne supportant aucun frais de fonctionnement lors des manifestations organisées avec les médecins partenaires au moyen de budgets fournis par la société.
S’agissant des commissions complémentaires, celles-ci étaient calculées par le seul employeur jusqu’en 2017. S’il est certain que par la suite, cette tache incombera à la requérante, elle s’effectuait néanmoins sur la base de critères contractuels imposés par l’employeur puisqu’effectués sur la base de chiffres fournis par la société et caractérisant ce faisant le pouvoir discrétionnaire de SEPROPHARM sur ce point. (taux variables en fonction des produits vendus et des clients ciblés outre des commissions exceptionnelles (pièces N°58, 59, 61 contrats). Les courriels adressés à la requérante sur ce point (pièce N°21) tout comme son dernier contrat comprenant un taux de commission revu à la baisse sont révélateurs du pouvoir léonin de Sepropharm et du caractère parfaitement illusoire de la capacité de négociation de Mme [J]. Les contrats étaient rédigés par la direction et le montant des commissionnements lui était imposé unilatéralement en fonction des exigences.
C’est dans ces conditions que la requérante a démissionné puisqu’elle n’acceptait pas les clauses qui lui étaient imposées.
Si Mme [J] disposait d’une certaine liberté dans l’organisation de ses journées, elle devait rendre compte de son activité et recevait des instructions très précises quant aux médicaments à favoriser, aux professionnels à cibler ainsi que sur l’argumentaire et les documents à remettre aux médecins visités. Les actions à effectuer comportaient des dates butoirs à respecter faisant l’objet de visites de contrôle (pièces N°76 à 80) à l’issue desquelles lui était remise une fiche d’évaluation avec des appréciations sur la qualité de son travail’: elle était donc soumise à une obligation d’évaluation caractérisant de plus fort le lien de subordination.
Quant au pouvoir de sanction, inhérent à la situation de force de SEPROPHARM dans le cadre contractuel qui la liait à Mme [J], il est le fait de la subordination de la requérante s’agissant d’un «agent commercial’» don’t l’activité essentielle était de longue date liée à la société, cette dernière conservant toujours la possibilité de mettre un terme à la relation contractuelle engagée ou de réduire la rémunération par le jeu des primes et des commissions.
Il est ainsi démontré que les relations contractuelles entre les parties présentent le caractère d’un lien de subordination et seront requalifiées en contrat de travail de sorte que les dispositions de l’article 879-2 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie s’appliquent et la clause attributive de compétence figurant aux différents contrats déclarée non écrite, la cour d’appel de Nouméa confirmant la solution retenu par le tribunal du travail sur sa compétence tant à raison du lieu que de la matière.
Sur la prescription :
L’article L 1471-1 du Code du travail métropolitain n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie, territoire sur lequel, à défaut de prescription spéciale prévue par le Code du travail local, doivent s’appliquer les dispositions de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, lesquelles prévoient une prescription quinquennale pour les actions personnelles ou mobilières.
En cas de demande de requalification d’une série de contrats en un contrat à durée indéterminée, le délai de prescription applicable ne court qu’à compter du terme du dernier contrat soit le 05 novembre 2018 au cas d’espèce soit moins de cinq ans avant le dépôt de sa requête devant le tribunal du travail.
Mme [J] était en conséquence parfaitement recevable à agir.
Sur la qualification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée :
ll résulte des dispositions légales applicables en Nouvelle-Calédonie (Articles Lp 123-2 et Lp 123-3 du Code du Travail) que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit.
ll comporte la définition précise du motif pour lequel il est conclu et le cas échéant, un terme fixé dès sa conclusion. A défaut, il est réputé pour une durée indéterminée.
ll ne peut excéder un an, compte tenu, le cas échéant de ses renouvellements et peut exceptionnellement être de trois ans dans des cas expressément prévus par la loi qui sont les suivants’:
– absence temporaire ou suspension temporaire d’un salarié;
– exécution d’une tâche occasionnelle précisément définie et non durable;
– lorsque le contrat est conclu au titre des dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de demandeurs d’emploi ;
– attente de l’entrée en service du salarié recruté par un contrat à durée indéterminée au terme d’une formation professionnelle ou dans l’attente de l’organisation et des résultats définitifs d’un concours de recrutement dans la fonction publique.
Conformément à une jurisprudence constante, les cas fixés par la loi sont exclusifs de tout autre et il ne peut y être dérogé contractuellement sauf à s’exposer à une requalification.
L’ensemble des contrats conclus entre les parties peut être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée. Mme [J] justifiant avoir travaillé du 2 janvier 2003 au 5 novembre 2018 au moins pour la société SEPROPHARM devenue EQINOX HEALTHCARE France jusqu’au 31 décembre 2004 et de 2006 à décembre 2011 et de 2013 à novembre 2018.
Elle justifie également par la production de courriels qu’elle n’a pas interrompu son activité en 2005 et 2011 et ce, alors qu’elle ne fournit pas au débat les conventions pour ces deux années.
Cette succession de contrats ne respecte aucunement les formes imposées en cette matière par le Code du travail pour les contrats à durée déterminée et ne rentrent dans aucun des cadres visé à l’article L 123-3 du code du travail.
D’où il résulte que la relation contractuelle des parties doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2003.
Sur la rupture du contrat de travail de Mme [J]
L’article Lp. 121-3 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose’: ‘ Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise’.
Le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombent à l’ancien employeur à la date de cette modification sauf dans les cas suivants :
1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire,
2° Substitution d’employeurs intervenue sans qu’il y ait eu de convention entre ceux-ci.
Le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur sauf s’il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux.”
Le contrat de madame [J] étant un contrat de travail, il ne pouvait prendre fin que par sa démission claire et non équivoque ou par un licenciemen
t.
C’est par des motifs parfaitement exposés et pertinents que la Cour reprend à son compte qu’il a été constaté par el premier juge :
– que par courriel, M. [S], gérant de la SARL IQONE HEALTHCARE FRANCE notifiait le 27 septembre 2018 à la requérante que son contrat serait résilié au 31 décembre 2018 et qu’il ne serait pas renouvelé en raison de la cession du fonds de commerce. Il l’informait cependant que la SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA (devenue PHARMEVIDENCE) lui proposerait un autre contrat à compter du 1er novembre 2018 avec transfert du contrat LILLY.
– que la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA (devenue PHARMEVIDENCE) actait auprès de la requérante la poursuite de son contrat dès que la cession serait effective et lui proposait un nouveau contrat pour une durée de 14 mois du premier novembre 2018 au 31 décembre 2019
– que la requérante notifiait par courriel le 5 novembre 2018 son refus de signer le nouveau contrat avec la société SAS EQINOX HEALHCARE PHARMA (PHARMEVIDENCE) compte tenu des baisses de la rémunération de ses commissions, de al durée du contrat (14 mois) et de l’insertion d’une clause de non-concurrence non rémunérée (pièce N°85 requérante) ;
– qu’en raison d’un passif trop important la société SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE a été placée en liquidation judiciaire le 5 décembre 2018 avec une poursuite d’activité jusqu’au 6 février 2019 de sorte que la cession du fonds de commerce de cette dernière a été conclue le 1er février 2019 suite à un jugement du tribunal de commerce de LA ROCHE-SUR-YON en date du 28 janvier 2019 et non pas le 12 octobre 2018, tel que cela résulte de l’extrait du KBIS produit par cette dernière.
La jurisprudence confirme que la cession d’une unité de production composée de tout ou partie de l’actif mobilier ou immobilier d’une entreprise en liquidation judiciaire réalisée en vertu d’une autorisation du juge commissaire entraîne de plein droit le transfert d’une entité économique autonome et par voie de conséquence, celui des contrats de travail des salariés de l’unité transférée.
D’où il résulte que si la requérante exécutait un contrat de travail à durée indéterminée, elle n’a pas fait l’objet d’un licenciement économique. Le fait de refuser de signer un nouveau contrat comportant une baisse de rémunération et l’insertion d’une clause de non-concurrence non rémunérée avec PHARMEVIDENCE,ne saurait constituer une démission claire et non équivoque. Le contrat de Mme [J] était toujours en cours lors de la cession de fond et du transfert du 1er février 2019 à la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA et a bien été transféré à cette dernière.
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
L’article Lp. 122-3 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose que ‘tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse’
L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige.
ll est constant qu’en application de l’article Lp. 122-6 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie, le licenciement verbal caractérisé par l’absence de remise de lettre de licenciement motivée est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs dans le cadre d’une modification du contrat de travail, le seul refus du salarié ne constitue pas une cause de licenciement.
Selon l’origine de la modification, le licenciement peut être lié à un motif inhérent a la personne. Si ce n’est pas le cas, il est économique. À défaut de motif personnel ou économique, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
La société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA a mis fin à la relation contractuelle après qu’elle a refusé les nouvelles propositions contractuelles alors qu’il lui appartenait de diligenter la procédure de licenciement. Ainsi qu’exposé ci-dessus et contrairement à ce que soutient l’employeur, le refus d’une modification d’un contrat de travail ne saurait constituer ni une démission, ni une cause de licenciement.
Faute d’avoir diligenté la procédure idoine, le licenciement sera considéré dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la collusion frauduleuse :
La jurisprudence considère que si la poursuite du contrat de travail n’implique pas automatiquement le maintien de tous les avantages acquis, la responsabilité du cédant sera retenu en cas de man’uvre pour faire obstacle au transfert. .
Le recours à la modification du contrat de travail ne doit pas être utilisé par le cédant pour faire échec aux dispositions d’ordre public et notamment aux droits du salarié ou en fraude des droits du cessionnaire.
Dans ce cas, le salarié peut demander à l’employeur cédant la réparation du préjudice qu’il subit dans le cadre de la rupture de son contrat de travail.
Le premier juge a conclu que la SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA serait retenu seule responsable des conséquences de la rupture du contrat de travail.
Sur ce point la Selarl HUMEAU agissant ès qualités de mandataire liquidateur d’EQINOX HEALTHCARE FRANCE fait valoir qu’il convient de confirmer la décision du premier juge déclarant el cessionnaire seul responsable de la reprise effective du contrat de travail et ea charge financière du licenciement.
En l’espèce, il résulte du courriel (pièce N°88) de M. [S], président de la SAS EQINOX HEALTHCARE France (pièce n°23) par lequel il notifiait à la requérante que son contrat serait résilié au 31 décembre 2018 et qu’il ne serait pas renouvelé en raison de la cession du fonds de commerce, que celui-ci a également informé la requérante que la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA lui proposerait un autre contrat à compter du 1er novembre 2018 avec transfert du contrat LILY à EQINOX HEALTHCARE PHARMA. Il s’en déduit que la SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE, en liquidation judiciaire, n’avait pas l’intention d’empêcher le transfert de son contrat de travail à la société cessionnaire, celle-ci l’informant du souhait du cessionnaire de reprendre son contrat.
Par ailleurs, un certain nombre d’éléments résultant de pièces versées au débat établissent que les sociétés SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE et son cessionnaire, PHARMEVIDENCE, pour être juridiquement distinctes tenaient le même discours lors du transfert du contrat de travail.
Dans les faits, les deux propositions de contrat faites par Eqinox modifiaient substantiellement la rémunération de Mme [J] et tentant d’imposer une clause de non-concurrence ainsi qu’un CDD de 14 mois émanaient des mêmes personnes soit MM. [N] ou [S].
Il résulte en outre des extraits Kbis produits au débat’ que la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA (devenue PHARMEVIDENCE) est dirigée par messieurs [N] (Président) et M. [M], (Directeur Général) et que M. [N], était directeur des opérations chez SEPROPHARM INTERNATIONAL (devenue EQINOX HEALTHCARE FRANCE). L’identité des sièges sociaux et la nature de leur activité sont parfaitement suffisants pour caractériser une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre la SARL IQONE HEALTHCARE FRANCE et Pharmevidence.
A défaut de co-emploi dont le principe a justement été rejeté par le tribunal, le lien entre les intéressés et les deux sociétés concernées qui se succèdent l’une à l’autre, il s’avère également que M. [N], président de la société cessionnaire (Pharmévidence) n’est autre que le directeur opérationnel de la société cédante, SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA.
Le plan de reprise validé par le tribunal reprenait 38 salariés sur 42 à l’exception du passif et sous couvert de validation d’une reprise d’activité, omettait de faire état des difficultés liées à la situation de Mme [J] dont tant le cédant que le cessionnaire avaient eu à connaître dans les semaines qui précédaient. Il importe peu à cet égard que Mme [J] ne figure pas dans la liste des salariés repris puisque la cession entraînait, à défaut de licenciement ou de démission, de plein droit le transfert des contrats de travail antérieurs au cessionnaire.
D’où il ressort que c’est en parfaite connaissance de cause que les deux sociétés ont agi en fraude des droits de Mme [J] que cette cession a été effectuée. Dès lors, la SAS Eqinox France sera tenue pour responsable des conséquences de la rupture du contrat de travail in solidum avec Pharmevidence.
Sur la moyenne des salaires de madame [J]
La requérante sollicite de fixer à la somme de 699’492 XPF la moyenne de ses salaires sur les douze derniers mois d’exécution du contrat de travail sans observation ou contestation de la défenderesse, c e montant sera donc confirmé.
Sur l’indemnité de préavis et les congés payés sur préavis
L’article 87 de l’Accord interprofessionnel territorial dispose ce qui suit’: ‘Dans le cas de démission ou de licenciement pour motif autre qu’une faute grave commise par le travailleur, ou autre qu’un cas de force majeure, le délai-congé est de (‘) trois mois pour un travailleur ayant une ancienneté continue de plus de dix ans.
En cas de licenciement, l’inobservation du délai-congé par l’une ou l’autre des parties ouvre droit, sauf faute grave du salarié à une indemnité compensatrice distincte de l’indemnité de licenciement.’»
Mme [J] justifiant d’une ancienneté de 15 ans est donc fondée à solliciter une indemnité de préavis équivalant à trois mois de salaire, soit 2’098’476 XPF outre 209’847 XPF au titre des congés-payés sur préavis.
Sur l’indemnité légale de licenciement
Selon l’article Lp.122-27 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie, seul le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte deux ans d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
L’article 88 de l’AlT dispose ‘ Lorsque le travailleur compte deux ans d’ancienneté continue au service du même employeur, il a droit, sauf en cas de faute grave ou en cas de force majeure ou en cas de départ à la retraite à une indemnité minimum de licenciement calculée sur la base :
– de 1/10 de mois par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans d’ancienneté,
– de 1/10 de mois par année d’ancienneté plus 1/15e de mois par année d’ancienneté sur la période au-delà de 10 ans d’ancienneté.
Le salaire servant de base au calcul de l’indemnité est le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l’intéressé, le tiers des trois derniers mois, étant entendu que, dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, qui aurait été versée au salarié pendant cette période, ne serait prise en compte que prorata temporis.
Cette indemnité de licenciement ne se cumule pas avec toute autre indemnité de même nature, et ne supporte pas de cotisations sociales”.
La requérante justifie d’une part par la production de ses contrats qu’elle a travaillé à compter du 2 janvier 2003 pour la société SAS SEPROPHARM INTERNATIONAL devenue EQINOX HEALTHCARE FRANCE jusqu’au 31 décembre 2004 et de 2006 à décembre 2011 et de 2013 à novembre 2018 et d’autre part par la production de courriels qu’elle n’a pas interrompu son activité en 2005 et 2012 de sorte qu’il sera considéré qu’elle a travaillé de manière continue pendant 15 ans pour la SAS EQINOX HEALTHCARE FRANCE devenue Pharmevidence.
En l’espèce, il convient donc d’allouer à la requérante la somme de 1’049’238 XPF telle qu’accordée par le premier juge.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L’article Lp.122-35 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose’: ‘Si le licenciement d’un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Si ce licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité prévue à l’article Lp. 122-27.
Toutefois, lorsque l’ancienneté du salarié est inférieure a deux ans et que le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, l’indemnité octroyée par le juge est fonction du préjudice subi et peut, de ce fait, être inférieure aux salaires des six derniers mois”.
En considération de l’ancienneté de madame [J], du montant de son salaire et de la jurisprudence de la Cour, il lui sera accordé la somme de 13’989’840 XPF soit 19 mois de salaire correspondant aux 6 mois de l’alinéa 2 précités pour les deux premières années outre 13 mois pour aboutir à 15 ans d’ancienneté.
Le jugement déféré sera confirmé par adoption de motifs pour ce qui concerne, l’indemnité compensatrice de congés payés fondée sur l’application de l’article Lp. 241-2 du CTNC’: «’Il lui sera donc alloué à ce titre la somme de 2’908’170 XPF calculée comme suit : 484’695 F CFP/ 10 (699’492 F CFP – 214’797 F CFP) x 60.’»
Sur l’indemnité pour licenciement brutal et/ou vexatoire
ll est de jurisprudence constante qu’un licenciement même justifié par une cause réelle et sérieuse ne doit pas être brutal et vexatoire et qu’à défaut l’employeur peut être condamné à payer au salarié des dommages et intérêts.
A l’évidence, Mme [J] qui travaillait depuis 15 ans pour la même entité’ économique a pu se sentir vexée par les propositions insuffisantes qui lui étaient présentées eu égard à son investissement et son ancienneté ce dont attestent les termes peu amènes du courrier adressé le 05 novembre 2018 à M. [N] (pièce n° 31) traduisant un agacement très perceptible.
Elle a légitimement pu y voir également un manque de respect d’autant que son courrier est demeuré sans réponse après plus de 15 ans de relations.
Il lui sera accordé à ce titre une somme de 2,5 millions de francs.
Sur les dommages et intérêts pour travail dissimulé
Mme [J] sollicite en cause d’appel que lui soit alloué à ce titre une somme de 8’393’904 XPF
L’article Lp. 461-4 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie prévoit qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur
1° Soit de ne pas remettre à chacun des salariés qu’il emploie, lors du paiement de sa rémunération, un bulletin de paie et de ne pas s’inscrire pas sur un registre d’embauche.
2° Soit, satisfaisant à ces obligations, de délivrer même avec l’accord du salarié, un bulletin de paie mentionnant un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
3° Soit de se soustraire intentionnellement a l’accomplissement de la formalité prévue a l’article Lp. 421-3, relatif a la déclaration préalable à l’embauche.
La requalification en contrat de travail d’une relation initialement prévue comme une prestation de service est insuffisante à laisser présumer une intention maligne nécessaire pour démontrer un travail dissimulé. Aucun élément versé au débat ne constitue le moindre commencement de preuve sur ce point ne démontrerait un travail dissimulé.
La requérante sera donc déboutée de sa demande à ce titre conformément à la décision du premier juge.
Sur la régularisation CAFAT et CRE
Il sera fait droit à la demande tendant à faire régulariser la situation de la salariée auprès des organismes sociaux dans les conditions prévues au présent dispositif.
Sur le remboursement des cotisations RUAMM
Cette demande se confond avec la demande de régularisation de la situation de la requérante auprès de la CAFAT de sorte qu’elle en sera déboutée.
Sur la demande en dommages et intérêts pour préjudice distinct
La requérante ne justifie pas qu’elle subira un préjudice au titre de la retraite alors que l’employeur devra régulariser sa situation a ce titre auprès des organismes sociaux.
Les demandes indemnitaires à ce titre ne pourront qu’être rejetées.
Sur les primes de fin d’année
L’article 25 de la convention collective commerce et divers dispose que “les agents relevant des catégories ouvrier, employé, technicien ou agent de maitrise bénéficieront d’une gratification de fin d’année don’t le mode de calcul et de répartition sera déterminé par accord d’établissement’ et des dispositions de l’article 37 de cette convention que ‘les cadres percevront une prime de fin d’année déterminée au sein de chaque entreprise”
Mme [J] aurait dû bénéficier d’une prime de fin d’année étant observé que les parties étaient soumises à la convention précitée.
La somme de 3 ‘447’234 XPF correspondant à un mois de salaire pour chaque année dans les limites de la prescription quinquennale sera confirmée.
Sur les primes d’ancienneté
Aux termes de l’article 23 de la convention commerce et divers “…tout agent relevant des catégories ouvrier, employé, technicien ou agent de maîtrise bénéficie d’une prime d’ancienneté sous forme d’une majoration de 2’% à partir de la troisième année à laquelle s’ajoutera 2’% pour chaque nouvelle période de deux ans accomplis et jusqu’à la vingtième année.”
La demande de Mme [J] a été rejetée, car elle n’amenait aux débats aucun élément de nature à établir que cette convention lui serait applicable.
Or elle indique dans ses nouvelles écritures qu’elle était soumise à la direction et donc un simple agent au sens de la convention collective et non un cadre. En tenant compte de la prescription, elle sollicite que lui soit alloué une somme de 1’412’364 XPF correspondant aux indemnités auxquelles elle avait droit de novembre 2013 au 31 octobre 2018 et ce montant lui sera en conséquence accordé.
Sur la demande de remise de documents sous astreinte
Il convient de condamner la société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA devenue PHARM EVIDENCE à remettre à Mme [J] ses bulletins de salaire, un certificat de travail dans les conditions précisées au présent dispositif.
Sur la validation de l’inscription hypothécaire provisoire’:
Aucune disposition du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie n’autorise la chambre sociale de la cour d’appel à retenir sa compétence en matière de validation d’inscription d’hypothèque laquelle relève du tribunal de première instance
Sur l’exécution provisoire :
Il sera rappelé que l’exécution provisoire est de droit en cause d’appel
Sur l’article 700 Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la requérante les frais irrépétibles qu’elle a engagés’: la société PHARMEVIDENCE et la SELARL HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SAS EQINOX HEALTHCARE France seront condamnées à verser à Mme [J] une somme de 250 000 XPF chacune sur ce fondement.
Inversement, il n’est pas inéquitable de laisser la charge de ses frais irrépétibles à la SARL IQONE HEALTHCARE FRANCE
Sur les dépens
La société SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA devenue PHARMEVIDENCE et la Selarl HUMEAU seront condamnées aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement, publiquement et en dernier ressort,
DÉCLARE recevable et fondé en son principe l’appel en date du 1er septembre 2021 de la SAS PHARMEVIDENCE ci-devant SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA contre le jugement du tribunal du travail de Nouméa en date du 10 août 2021.
CONFIRME le jugement rendu par le Tribunal du Travail de Nouméa en date du 10 août 2021 en ce que’:
il s’est déclaré compétent et a rejeté la prescription soulevée in limine litis,
a requalifié la relation contractuelle de 2003 à 2018, sans interruption entre Mme [D] [J] et la Société EQINOX HEALTHCARE France, en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein,
il a débouté Mme [J] de ses demandes à l’encontre de la SARL IQONE HEALTHCARE France,
il a constaté que le contrat de travail de Madame [J] avait été transféré à la SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA devenue PHARMEVIDENCE,
il a dit que Madame [D] [J] a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse par cette société,
il a condamné la SAS PHARMEVIDENCE à payer à Mme [D] [J] les sommes de 2’098’476 XPF (indemnité compensatrice de préavis), 209’847 XPF (indemnité compensatrice des congés payés sur préavis), 1’049’238 XPF (indemnité légale de licenciement), 13’989’840 XPF de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2’908’170 XPF (indemnité de congés payés), 3’447’234 XPF (rappel sur primes de fin d’année) et 300’000 XPF au titre des frais irrépétibles de première instance
il a fixé le salaire de référence de Madame [D] [J] à la somme de 699’642 XPF,
et statuant à nouveau sur appel incident,
DIT que les Sociétés SAS EQINOX HEALTHCARE France et la Société PHARMEVIDENCE seront tenues solidairement responsables de l’ensemble des condamnations à intervenir, eu égard à la non-transmission du contrat de travail de Mme [J].
DÉBOUTE la SAS PHARMEVIDENCE, la SAS IQONE HEALTHCARE France et la SELARL HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SAS EQINOX HEALTHCARE France de l”ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires,
DIT n’y avoir lieu à statuer sur la demande de validation de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire inscrite le 20 avril 2022 à la Conservation des Hypothèques de [Localité 7], sur le bien immobilier appartenant à Madame [J],
CONDAMNE solidairement EQINOX HEALTHCARE FRANCE représentée à l’instance par la Selarl HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur et la société et la SAS PHARMEVIDENCE à payer à Madame [D] [J] les sommes suivantes :
– 2 500’000 XPF, à titre de dommage et intérêt en réparation du préjudice né de la brutalité de la rupture,
– 1.412.364 XPF au titre de rappels sur primes d’ancienneté,
DIT que les Sociétés EQINOX HEALTHCARE FRANCE représentée à l’instance par la Selarl HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur et PHARMEVIDENCE devront solidairement régulariser la situation de la salariée auprès de la CAFAT et de la CRE et ce sous astreinte de 50’000 XPF par jour de retard à compter du présent arrêt,
ORDONNE la production de bulletins de salaire rectifiés et d’un certificat de travail et ce sous astreinte de 50.000 Francs CFP par jour et document de retard à compter de la date du présent arrêt ;
DIT que les sommes dues produiront intérêt au taux légal, avec anatocisme à compter de la requête introductive d’instance pour les créances salariales et du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;
CONDAMNE enfin solidairement les sociétés EQINOX HEALTHCARE FRANCE représentée à l’instance par la Selarl HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur et la société PHARMEVIDENCE à payer à Madame [D] [J] la somme de 400.000 F CFP au titre des frais irrépétibles engagés en cause d”appel ;
CONDAMNE EQINOX HEALTHCARE FRANCE représentée à l’instance par la Selarl HUMEAU agissant en qualité de mandataire liquidateur et la SAS EQINOX HEALTHCARE PHARMA aux dépens.
Le greffier, Le président.