Votre panier est actuellement vide !
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 9
ARRET DU 01 DECEMBRE 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/17037 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMUY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2021 – Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2020050078
APPELANTE
S.A.S. LA COMPAGNIE DU MONOCOQUE
N° SIRET : 839 091 816
[Adresse 14]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053, avocat postulant
Représentée par Me Fanny CALLÈDE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0108, avocat plaidant
INTIMES
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 12] (ITALIE)
[Adresse 5]
[Localité 9]
Monsieur [H] [M]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 13] (24)
[Adresse 6]
[Localité 10]
S.A.S. J.J.L.
N° SIRET : 797 494 945
[Adresse 5]
[Localité 9]
S.A.S. MAVIDA INVEST
N° SIRET : 838 699 700
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant
Représentés par Me Diane LAMARCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0134, avocat plaidant
LE SEQUESTRE JURIDIQUE DU BARREAU DE PARIS
[Adresse 11]
[Localité 8]
Représenté par Me Frédéric MASSELIN de la SELARL SCHERMANN MASSELIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R142, avocat postulant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 12 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Sophie MOLLAT, Présidente
Madame Isabelle ROHART, Conseillère
Madame Déborah CORICON, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
– contradictoire
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .
**********
Le 14 mai 2018, MM. [S] [Y] et [H] [M] et leurs holdings respectives, J.J.L et Mavida Invest, ainsi que Mme [V] [M], fille mineure de M. [H] [M], ont cédé l’intégralité du capital de la société Dufour Yachts, fabriquant de voiliers, à La Compagnie du Monocoque, entité spécialement créée par la société Fountaine Pajot en vue de cette acquisition moyennant la somme de 40 millions d’euros et un complément de prix de 4 millions d’euros. L’acte de cession comprenaient diverses garanties, et une somme de 2 millions d’euros sur les 40 était séquestrée en vue d’une éventuelle réclamation de la part du cessionnaire en cas de survenance d’un fait en contradiction avec l’une des garanties.
Le 16 juillet 2019, la société Compagnie du monocoque a notifié aux cédants une réclamation au titre d’un dommage résultant de faits et éléments révélés postérieurement à la cession et en contradiction avec les garanties formulées.
Le 16 mars 2020 la société Compagnie du monocoque a saisi le tribunal de commerce de La Rochelle d’une action en dol, toujours pendante. Elle a formulé dans ce cadre une demande subsidiaire fondé sur la garantie prévue à l’article 6.2.1 du contrat de cession par conclusions notifiées le 22 janvier 2021.
Le 11 mai 2020, les cédants réclamaient auprès du séquestre la libération des fonds séquestrés ce que refusait le séquestre estimant qu’il ne pouvait apprécier le bien-fondé d’une réclamation.
Le 13 novembre 2020, les cédants saisissaient à bref délai le tribunal de commerce de Paris d’une demande de libération du prix séquestré.
Par jugement du 27 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris s’est jugé territorialement compétent, a rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société Compagnie du monocoque et a ordonné la libération du séquestre.
La société Compagnie du monocoque a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 septembre 2021.
*****
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2022, la société Compagnie du monocoque demande à la cour de :
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il l’a déboutée de ses exceptions de compétence et de connexité et en ce que le Tribunal de commerce de Paris s’est déclaré compétent territorialement ;
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté sa demande de sursis à statuer ;
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a ordonné au SEQUESTRE JURIDIQUE DU BARREAU DE PARIS de libérer au profit des Garants la somme de deux millions d’euros dont 1 348 877,37 euros pour J.J.L et 651 122,63 euros pour la SAS MAVIDA INVEST ;
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a ordonné au SEQUESTRE JURIDIQUE DU BARREAU DE PARIS de libérer au profit de chacun des Garants les intérêts générés par chaque compte de placement dont il est titulaire ;
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il l’a déboutée [erreur de plume – condamnée] à payer à M. [S] [Y], M. [M] [H], les SAS J.J.L et SAS MAVIDA INVEST la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes autres, plus amples ou contraires ;
– INFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il l’a condamnée aux dépens ;
– CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a jugé qu’elle n’a pas abandonné la réclamation émise par le 16 juillet 2019 sur le fondement du contrat de cession du 14 mai 2018 ;
– CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté la demande de M. [S] [Y], M. [M] [H], les SAS J.J.L et SAS MAVIDA INVEST de leur demande de condamnation de la SAS LA COMPAGNIE DU MONOCOQUE au paiement d’une somme globale de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau :
I. In limine litis
1.1. A titre principal,
Vu les articles 42 et 48 du Code de procédure civile,
– DIRE ET JUGER que le Tribunal de commerce de Paris est incompétent territorialement pour connaître de ce litige dont la connaissance revient au Tribunal de commerce de La Rochelle ;
En conséquence :
– DÉBOUTER MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest de l’ensemble de leurs prétentions ;
– CONDAMNER in solidum MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest à lui verser une somme de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– LES CONDAMNER in solidum aux dépens ;
1.2. A titre subsidiaire,
Vu les articles 101, 377 et suivants du Code de procédure civile,
– CONSTATER que le Tribunal de commerce de La Rochelle a été préalablement saisi (RG n°2020001275) d’un litige et qu’il est dans l’intérêt d’une bonne justice de le faire instruire et juger conjointement avec le présent litige ;
– SE DESSAISIR du présent litige au profit du Tribunal de commerce de La Rochelle ;
– RENVOYER en l’état la connaissance de cette affaire au Tribunal de commerce de La Rochelle;
A défaut,
– CONSTATER qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive à intervenir dans le cadre du litige actuellement pendant devant le Tribunal de commerce de La Rochelle enrôlé sous le numéro 2020001275 ;
– SURSEOIR A STATUER dans l’attente d’une décision définitive à intervenir dans le cadre du litige actuellement pendant devant le Tribunal de commerce de La Rochelle enrôlé sous le numéro 2020001275 ;
En toute hypothèse,
– DÉBOUTER MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest de l’ensemble de leurs prétentions ;
– CONDAMNER in solidum MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest à lui verser une somme de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– LES CONDAMNER in solidum aux dépens ;
II. Subsidiairement, sur le fond
2.1. A titre principal,
Vu les articles 1103 et 1104 du Code civil,
– CONSTATER qu’il n’est pas établi qu’elle ait renoncé à sa Réclamation ;
– CONSTATER qu’il n’est pas établi que sa Réclamation soit infondée ;
– CONSTATER qu’aucun accord n’est intervenu entre les parties pour résoudre la Réclamation, et qu’aucune décision de justice exécutoire et définitive n’est intervenue pour la trancher ;
– CONSTATER que les conditions fixées à l’article 4.2 de la Convention de Séquestre n°2 pour ordonner la libération des fonds séquestrés ne sont pas réunies ;
– CONSTATER qu’il n’est pas établi qu’elle ait abusé de ses droits au détriment de MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que des sociétés J.L.L et Mavida Invest ;
– DEBOUTER MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest de l’ensemble de leurs demandes ;
– CONDAMNER in solidum MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest à lui verser une somme d’un euro symbolique chacun pour abus de droit ;
– CONDAMNER in solidum MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest à lui verser une somme de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– LES CONDAMNER in solidum aux dépens ;
2.2. A titre subsidiaire,
– CONSTATER que le Séquestre ne peut se libérer des fonds séquestrés qu’en cas de survenance d’une décision devenue définitive et exécutoire relative à la Réclamation ;
– DEBOUTER MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest de leur demande de libération des fonds séquestrés ;
2.3. En toute hypothèse,
– DEBOUTER MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest de leur demande indemnitaire et de leur demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER in solidum MM. [S] [Y] et [H] [M], ainsi que les sociétés J.L.L et Mavida Invest à lui verser une somme de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– LES CONDAMNER in solidum aux dépens.
*****
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 septembre 2022, M. [S] [Y], la société J.J.L., M. [H] [M] et la société Mavida Invest demandent à la cour de :
I/ SUR LES EXCEPTIONS DE PROCÉDURE
Confirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 (RG 2020050078) en ce qu’il a :
– Jugé que le Tribunal de commerce de Paris est compétent territorialement et matériellement pour connaître du présent litige ;
– Rejeté l’exception de connexité soulevée par La Compagnie du Monocoque ;
– Débouté la Compagnie du Monocoque de sa demande de sursis à statuer formée à titre
subsidiaire ;
II/ SUR LA RÉCLAMATION
* Infirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 (RG 2020050078) en ce qu’il a :
– Jugé que La Compagnie du Monocoque n’avait pas abandonné sa Réclamation du 16 juillet 2019 émise sur le fondement du Contrat de Cession du 14 mai 2018 ;
Et statuant à nouveau :
* Juger que la Réclamation émise par La Compagnie du Monocoque le 16 juillet 2019 sur le fondement du Contrat de Cession du 14 mai 2018 est devenue sans objet et est abandonnée par La Compagnie du Monocoque ;
SUBSIDIAIREMENT
* Confirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 (RG 2020050078) en ce qu’il a :
– Jugé que la Réclamation émise par La Compagnie du Monocoque le 16 juillet 2019 sur le fondement du Contrat de Cession du 14 mai 2018 était infondée ;
III/ SUR LA LIBÉRATION DES SOMMES SÉQUESTRÉES
* Confirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 (RG 2020050078) en ce qu’il a :
– Ordonné au séquestre juridique du Barreau de Paris de libérer au profit des Garants, à savoir les sociétés J.J.L. et Mavida Invest, la somme de deux millions d’euros qui constitue le Prix Séquestré n°2 dans la Convention de Séquestre n°2 du 14 mai 2018, à concurrence de sa quote-part visée par l’article 4.2.1 de ladite convention :
– à hauteur de 1.348.877,37 euros au profit de la société J.J.L. ;
– à hauteur de 651.122,63 euros au profit de la société Mavida Invest ;
– Ordonné au séquestre juridique du Barreau de Paris de libérer au profit de chacun des Garants, à savoir les sociétés J.J.L. et Mavida Invest, les intérêts générés par chaque compte de placement dont il est titulaire au titre de l’article 3.1 de la Convention de Séquestre n°2 du 14 mai 2018 ;
IV/ SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS POUR PROCÉDURE ABUSIVE
* Confirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 (RG 2020050078) en ce qu’il a :
– Condamné La Compagnie du Monocoque à payer à Messieurs [S] [Y] et [H]
[M] et les sociétés J.J.L. et Mavida Invest la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;
* Infirmer le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 septembre 2021 (RG 2020050078) en ce qu’il a :
– Rejeté la demande des Associés Fondateurs, à savoir Messieurs [S] [Y] et [H] [M] et les sociétés J.J.L. et Mavida Invest, visant à ce que La Compagnie du Monocoque leur verse la somme globale de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts, à charge pour eux de se répartir cette somme ;
Et statuant à nouveau :
– Condamner La Compagnie du Monocoque à verser aux Associés Fondateurs, à savoir MM. [S] [Y] et [H] [M] et les sociétés J.J.L. et Mavida Invest, la somme globale de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts, à charge pour eux de se répartir cette somme ;
V/ ET AJOUTANT AU JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS DU 27 SEPTEMBRE 2021 (RG 2020050078)
* Débouter La Compagnie du Monocoque de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions;
* Condamner La Compagnie du Monocoque à payer à M. [S] [Y], M. [H] [M], la société J.J.L. et la société Mavida Invest la somme globale de 120.000 euros, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, à charge pour eux de se répartir cette somme ;
* Condamner La Compagnie du Monocoque aux entiers dépens de l’instance.
*****
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 19 mars 2022, le séquestre juridique du barreau de Paris demande à la cour de lui donner acte qu’il s’en remettra à la décision à intervenir et de statuer ce que droit quant aux dépens.
SUR CE,
Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris
La société Compagnie du monocoque demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a retenu la compétence du tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de cession (article 19.2) et dans la convention de séquestre (article 15.2).
– Sur la clause attributive de compétence territoriale
La société Compagnie du monocoque fait valoir que cette clause figurant dans les 2 conventions doit être réputée non écrite sur le fondement de l’article 48 du code de procédure civile qui dispose qu’une telle clause ne peut être conclue qu’entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçants.
S’agissant du contrat de cession, elle fait valoir que 3 personnes physiques non commerçantes (M. [Y] en qualité d’associé et de président, M. [M] en qualité d’associé et de directeur général, et sa fille mineure Mme [V] [M] en sa qualité d’associée), parmi les 6 signataires, ont signé le contrat de cession.
Elle conteste que le fait de les avoir assignés devant le tribunal de commerce de la Rochelle soit l’aveu de leur qualité de commerçant ; qu’une personne mineure ne peut jamais avoir la qualité de commerçant ; qu’il n’est pas démontré que MM. [Y] et [M] exercent des actes de commerce à titre habituel ; que la qualité d’associé d’une SAS et de cédant de titres sociaux ne donne pas la qualité de commerçant.
Elle en déduit que cette clause doit être réputée non écrite et ne peut donc être invoquée à l’égard de tous les signataires ; que conformément aux dispositions de l’article 42 du code de procédure civile, la juridiction compétente territorialement pour connaître du litige est nécessairement celle du lieu ou demeure le défendeur, soit en l’espèce [Localité 10], lieu de son siège social.
Elle indique que le même raisonnement doit être tenu pour la clause attributive de compétence figurant dans la convention de séquestre, qui a été signée par les sociétés J.J.L. et Mavida Invest, et le séquestre juridique du barreau de Paris qui n’a pas la qualité de commerçant ; qu’il n’y a pas de correspondance parfaite entre les intimés et les garants (MM. [Y] et [M] ne sont pas garants). Elle ajoute qu’en outre la réclamation en cours n’est pas tranchée.
Les intimés répliquent que l’article 48 du code de procédure civile vise à protéger la partie non commerçante et que seule la partie que la loi entend protéger peut demander à ce que la clause soit réputée non écrite ; que la société Compagnie du monocoque fait preuve de mauvaise foi en utilisant cet article alors qu’elle a signé le contrat en toute connaissance de cause.
Ils ajoutent qu’en tout état de cause, MM. [Y] et [M] ont la qualité de commerçants, étant à la fois associés fondateurs, mandataires sociaux, cédants et garants, comme l’a affirmé un arrêt récent de la Cour de cassation ; que la clause présente dans la convention de séquestre est également applicable et suffit à elle seule à justifier la compétence du tribunal de commerce de Paris, la clause prévoyant cette compétence pour tout litige entre les garants et l’acquéreur, qui sont commerçants, une autre clause prévoyant la compétence du tribunal judiciaire de Paris en cas de litige impliquant le séquestre juridique du Barreau de Paris.
La présente instance ayant été introduite aux fins de libération de la somme séquestrée en application de la convention de séquestre n° 2conclue le 14 mai 2008, il y a lieu de faire application des dispositions de cette convention pour déterminer le tribunal compétent pour trancher un litige né en exécution de cette convention.
Aux termes de l’article 15.2 de la convention de séquestre n°2 : ‘Tous litiges qui pourraient découler ou survenir à l’occasion de la présente Convention de Séquestre n°2 (notamment concernant sa validité, son exécution ou son interprétation) entre les Garants [J.L.L et Mavida Invest (également dénommée Holding VG)] et l’Acquéreur [ La Compagnie du Monocoque] relèveront de la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de Paris (…)’.
La société appelante fait valoir que le séquestre juridique du barreau de Paris n’ayant pas la qualité de commerçant, cette clause doit être réputée non écrite en application des dispositions de l’article 48 du code de procédure civile. Cependant, il y a lieu de constater que cette clause se découpe en deux parties, l’une concernant les litiges entre les garants et l’acquéreur, relevant de la compétence du tribunal de commerce de Paris, et l’autre concernant les litiges relatif à la responsabilité du séquestre, qui relève de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris. En l’espèce, s’agissant d’un litige entre les garants et l’acquéreur, seule la première partie de la clause est en débat, pour laquelle le séquestre juridique du barreau de Paris n’est pas concerné, le litige se déroulant seulement ‘en sa présence’. Cette clause attributive de compétence ne concernant que des commerçants, les dispositions de l’article 48 du code de procédure civile sont inopérantes, et la clause doit être considérée comme valable.
La société appelante fait également valoir que cette clause ne saurait s’appliquer, faute de concordance entre les parties l’ayant assignée et les garants tels que définis dans la convention de séquestre n° 2. Il ressort de ladite convention que MM. [Y] et [M], demandeurs en première instance et désormais intimés, ne sont pas partie, à titre personnel, à la convention de séquestre. Ils sont néanmoins désignés, dans cette convention, comme dirigeants et ‘garants solidaires’ de JJL pour M. [Y] et de Madida Invest pour M. [M] et les demandes formulés dans le cadre de la présente instance sont toutes relatives à l’exécution de la convention de séquestre, dans les rapports qu’elle fixe entre les garants et l’acquéreur. Il y a donc lieu de considérer que la présence de MM. [Y] et [M] parmi les demandeurs en première instance, devenus intimés en appel, ne fait pas obstacle à l’application de la clause de compétence territoriale prévue à la convention de séquestre n° 2.
Enfin, la question de l’existence d’une réclamation préalablement tranchée relève du fond du dossier, les parties s’opposant notamment sur l’existence même de cette réclamation.
Par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la validité de la clause attributive de compétence prévue dans le contrat de cession, la présente action ayant été introduite sur le fondement de la convention de séquestre, il y a lieu de confirmer le jugement qui a retenu la compétence du tribunal de commerce de Paris.
– A titre subsidiaire, sur l’exception de connexité
La société Compagnie du monocoque invoque les dispositions de l’article 101 du code de procédure civile qui permet la connexité dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Elle soutient que les deux actions reposent sur le même fondement à savoir les dispositions du contrat de cession, et plus particulièrement celles relatives à la garantie de comptes ; que pour obtenir la libération du séquestre, les intimés doivent préalablement établir que la réclamation pendante devant le tribunal de commerce de La Rochelle est infondée.
Elle conteste que le tribunal de commerce de Paris ait été saisi le premier, et affirme que ce n’est qu’en cas de listipendance que le second tribunal saisi doit se dessaisir au profit du premier.
Les intimés répliquent que l’action en dol initiée par la société Compagnie du monocoque concerne des agissements antérieurs à la conclusion du contrat de cession, alors que la garantie des comptes est une garantie contractuelle relative à l’exécution du contrat de cession ; qu’il n’existe donc aucun risque de contrariété de décision ; que la demande subsidiaire sur le fondement de la garantie a été introduite dans des conclusions du 21 janvier 2021 devant le tribunal de commerce de La Rochelle ; que le tribunal de commerce de Paris a donc été saisi le premier sur le fondement contractuel le 13 novembre 2020.
Il ressort des pièces produites que si les deux instances présentent des points communs quant aux parties impliquées et aux faits ayant donné lieu aux assignations devant le tribunal de commerce de La Rochelle et devant le tribunal de commerce de Paris, elles ne reposent cependant pas sur le même fondement et ne sont pas unies par un lien tel qu’il soit d’une bonne administration de la justice de renvoyer la présente instance devant le tribunal de commerce de La Rochelle. La question de l’antériorité d’une assignation sur l’autre est sans incidence dans les hypothèses de connexité.
Il n’y a donc pas lieu de faire application des dispositions de l’article 101 du code de procédure civile, et de confirmer le jugement sur ce point.
– A titre subsidiaire, sur le sursis à statuer
La société Compagnie du monocoque invoque les dispositions de l’article 378 du code de procédure civile pour justifier d’une demande de sursis à statuer au motif qu’il faut nécessairement statuer sur l’affaire pendante devant le tribunal de commerce de La Rochelle avant de décider du sort du séquestre ;que les premiers juges ont d’ailleurs statué sur le bien-fondé de cette réclamation alors qu’elle est pourtant pendante devant un autre tribunal.
Les intimés répliquent que l’action en dol concerne la période précontractuelle et son issue est donc sans influence sur la présente instance.
Le juge saisi d’une demande de levée de séquestre doit vérifier au jour où il statue que les conditions de la levée sont remplies. A défaut, il doit rejeter la demande, qui pourra être représentée par l’une des parties, si elles sont toujours en désaccord, lorsque les conditions seront remplies.
Au regard de cette possibilité pour les parties de représenter une demande de levée de séquestre, il n’apparaît pas justifié de faire droit à une demande de sursis dans l’attente de la décision du tribunal de commerce de La Rochelle statuant sur une réclamation puisque, une fois qu’il aura été statué sur ladite réclamation, l’une des parties pourra de nouveau saisir le juge d’une demande de levée du séquestre.
La demande de surseoir à statuer sera donc rejetée, et le jugement confirmé sur ce point.
Sur la libération du séquestre
– Sur les conditions de la libération
La société Compagnie du monocoque invoque l’article 4.2 de la convention de séquestre qui indique que le séquestre peut être libéré si aucune réclamation n’a été notifiée aux garants, ou, si une réclamation a été notifiée, si une copie d’une transaction définitive ou d’une décision définitive et exécutoire est transmise au séquestre ou si les réclamations ont été quantifiées et sont déduites du montant séquestré ; qu’en l’espèce, aucune décision définitive n’est encore intervenue puisque la procédure est pendante devant le tribunal de commerce de La Rochelle.
Elle conteste avoir renoncé à sa réclamation, rappelant qu’une renonciation ne se présume pas et doit être explicite et dépourvue d’équivoque ; que le contrat de cession n’exclut pas le dol des ‘événements’ susceptibles de constituer un dommage ; que le dol peut juste engendrer un déplafonnement des garanties mais pas leur exclusion comme le prévoit l’article 6.3.4 du contrat de cession ; qu’en tout état de cause, elle a formé des demandes à titre subsidiaire sur la garantie contractuelle ; qu’elle n’a jamais signifié au séquestre son accord pour libérer les fonds.
Les intimés répliquent que le contrat de cession prévoit un mécanisme contractuel permettant d’invoquer la réparation d’une violation des déclarations contractuelles des cédants ‘ parmi lesquelles la Garantie de Comptes ‘ à l’exclusion de leur responsabilité délictuelle qui, par définition, est indépendante des termes du contrat ; que la garantie des comptes prévue par l’article 6.1.2 a été activée par la société Compagnie du monocoque le 16 juillet 2019, auquel il a été répondu par les fondateurs le 9 octobre 2019 ; que suite à cette réponse, la société Compagnie du monocoque ne s’est plus manifestée ; que 8 mois plus tard, elle a introduit une action pour dol à l’encontre des anciens dirigeants de la société, sans plus évoquer la garantie des comptes ; que cette assignation pour dol, sur un fondement délictuel, constitue une renonciation claire et non équivoque à se prévaloir du fondement délictuel, renonciation d’autant plus claire que les garanties contractuelles ne sont pas de la compétence du tribunal de commerce de La Rochelle mais de celui de Paris comme le prévoit l’acte.
Ils expliquent avoir donc saisi le tribunal de commerce de Paris le 13 novembre 2020 pour faire constater l’abandon par la société Compagnie du monocoque de sa réclamation et que le séquestre ordonne la levée des fonds ; que c’est à la suite de cette assignation que la société Compagnie du monocoque a déposé de nouvelles conclusions devant le tribunal de commerce de La Rochelle le 21 janvier 2021 pour solliciter la condamnation des associés fondateurs à lui payer la somme de 4 millions d’euros sur le fondement de la garantie des comptes et qu’elle a ensuite fait valoir cette demande subsidiaire par conclusions du 23 mars 2021 devant le tribunal de commerce de Paris, dans la présente instance.
Ils font valoir que le séquestre de 2 millions d’euros est devenu sans objet puisqu’aucune indemnisation au titre des garanties contractuelles n’était sollicitée par LCM devant le tribunal de commerce de La Rochelle le 13 novembre 2020, et que le délai de 18 mois à compter de la date de paiement de la seconde tranche du prix de base pour émettre une réclamation a expiré le 3 mai 2020 ; que le montant séquestré ne saurait servir un autre objet que celui pour lequel il a été prévu par les parties dans le contrat de cession et n’a pas vocation à servir de garantie dans le cadre de la mise en jeu de la responsabilité délictuelle des associés fondateurs.
Il ressort des pièces du dossier que le tribunal de La Rochelle a été saisi le 16 mars 2020 d’une assignation formée par la société La Compagnie du Monocoque, sur le fondement du dol et du manquement au devoir précontractuel d’information relatifs au contrat de cession du 14 mai 2018, fondement qui présente un caractère délictuel. La société La Compagnie du Monocoque a élargi cette instance, par conclusions notifiées le 21 janvier 2021, à la mise en oeuvre de la garantie prévue au contrat de cession du 14 mai 2018. Une réclamation existe donc au titre de la garantie contractuelle.
Il n’appartient pas à la cour de céans de statuer sur la recevabilité ou le bien-fondé de cette demande, ces questions relevant de la compétence du tribunal de commerce de La Rochelle, saisi de la réclamation. Il doit juste être constaté, de manière objective, l’existence d’une réclamation pendante devant le tribunal de commerce de La Rochelle.
Par ailleurs, les parties n’ont pas entendu confier au juge chargé d’ordonner la levée du séquestre le pouvoir de statuer, dans le même temps, sur la recevabilité ou le bien-fondé d’une réclamation puisque l’article 4 de la convention de séquestre n° 2 prévoit l’existence préalable d’une ‘décision devenue définitive et exécutoire’ relative à la réclamation, pour que la levée du séquestre puisse avoir lieu.
La circonstance que cette réclamation ait été ajoutée à l’action initialement engagée uniquement sur le fondement du dol, en réaction aux moyens développés dans l’assignation relative à la levée du séquestre, importe peu dans la mesure où le juge saisi de la demande de levée du séquestre statue au jour de l’audience et non pas au jour de l’introduction de la demande.
Il s’ensuit qu’au jour de l’audience tant devant le tribunal de commerce que devant la cour, les conditions de la levée du séquestre, s’agissant l’absence de réclamation en cours ou de l’existence d’une décision préalable définitive ayant tranché la réclamation, n’étaient pas remplies.
Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens développés par les parties au sujet de la réclamation, il y a lieu d’infirmer le jugement attaqué et de rejeter la demande de levée du séquestre formée par MM. [Y], [M], et leurs sociétés respectives.
Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive
Les intimés font valoir que la procédure est abusive car la société La Compagnie du monocoque a agi sur le fondement du dol 8 mois après avoir activé la réclamation, qu’elle a modifié ses prétentions après l’introduction de la présente instance pour faire échec à la levée du séquestre ; que ce comportement est déloyal et cause un préjudice aux associés fondateurs qui sont indûment privés des fonds séquestrés. Ils demandent la somme de
500 000 euros en réparation de leur préjudice.
La société La Compagnie du Monocoque réplique qu’elle n’est pas responsable du choix procédural des intimés d’introduire une action en levée de séquestre avant que la réclamation ne soit tranchée ; que les griefs invoqués devant le tribunal de commerce de La Rochelle ont été confirmés par un audit du cabinet Ernst&Young et par le cabinet Mazars ; qu’elle n’abuse donc pas de son droit de faire appel.
La société La Compagnie du Monocoque ayant obtenu, en cause d’appel, l’infirmation du jugement qu’elle attaquait, aucun abus n’apparaît caractérisé. Il y a donc lieu de rejeter l’indemnisation demandée sur ce fondement.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
La société La Compagnie du Monocoque demande la condamnation des intimés à lui verser la somme de 10 000 euros sur ce fondement.
Les intimés demandent la somme de 120 000 euros sur ce fondement.
Au regard des éléments de l’affaire, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 au profit de l’une ou l’autre des parties .
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en ce qu’il a ordonné au séquestre juridique du barreau de Paris de libérer les fonds au profit des garants,
Statuant à nouveau,
Déboute M. [S] [Y], la société J.J.L., M. [H] [M] et la société Mavida Invest de leur demande de libération du séquestre,
Dit n’y avoir lieu à application des des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Met les dépens de l’instance d’appel à la charge de M. [S] [Y], la société J.J.L., M. [H] [M] et la société Mavida Invest.
La greffière La présidente