Choix d’une stratégie juridique : la responsabilité de l’avocat

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Choix d’une stratégie juridique : la responsabilité de l’avocat

conseil juridique IP World

L’avocat dispose d’une liberté de présentation de la défense de son client et n’est pas tenu d’utiliser le moyen suggéré par lui.

L’avocat, tenu à une obligation de diligence ainsi qu’à une obligation d’information et un devoir de conseil, doit mettre en oeuvre tous les moyens adéquats pour assurer au mieux la défense des intérêts de son client et le mettre en garde contre les risques encourus.

En cas de divergence sur la stratégie juridique à adopter, l’avocat doit informer son client en temps utile, afin de permettre à ce dernier de changer de conseil (en cas de besoin).

Affaire Lexcase

Dans cette affaire, la société Lexcase, avocat de la société Concurrence, a été mandatée par celle-ci pour former un recours contre la décision rendue par l’autorité de la Concurrence le 23 juillet 2014, ayant notamment, d’une part, déclaré la saisine partiellement irrecevable, d’autre part, rejeté la saisine pour l’ensemble des demandes hormis celle ayant trait à l’entente verticale aux fins de restrictions de vente et ordonné la poursuite de l’instruction à ce titre, enfin, rejeté la demande de mesures conservatoires en application de l’article L.464-1 du code de commerce. Le caractère mixte de cette décision n’est pas discuté.

Si le code de commerce prévoit des délais de recours différents dans ces deux hypothèses, soit un mois pour le fond (article L. 464-8 du code de commerce) et dix jours pour les mesures conservatoires (article L.464-7 du code de commerce), il n’existe aucune disposition particulière s’agissant des décisions mixtes,

L’avocat, après avoir proposé à sa cliente d’exercer un recours sur le fondement de l’article L.464-7 du code de commerce, lui a conseillé par courriel du 1er août 2014 de le fonder sur les dispositions de l’article L.464-8 du même code et a articulé ses moyens de défense devant la cour d’appel sur ce fondement,

Ce faisant, l’avocat a rempli ses devoirs de conseil et de prudence dès lors que la première préconisation visait à se conformer à la première notification de la décision du 23 juillet 2014 par l’autorité de la concurrence même si l’avocat soulevait déjà les difficultés posées dans son courriel du 26 juillet 2014, et que dans son courriel du 1er août 2014 il a privilégié le recours à l’article L.464-8 du code de commerce en se fondant sur la jurisprudence de la cour d’appel considérant qu’eu égard au caractère accessoire de la demande de mesures conservatoires prévue par l’article R.464-1 du code de commerce, la décision de rejet rendue à titre principal sur le fondement de l’article L.462-8 emporte le rejet de la demande des mesures conservatoires et ne peut être attaquée que sur le fondement de l’article L.464-8 du même code, et que conscient de l’impact de ce choix sur les délais de procédure, l’avocat a proposé de sensibiliser le conseiller de la mise en état sur la nécessité de prévoir un calendrier contraint,

En outre, le délai d’un mois pour statuer prévu par l’article L.464-7 n’étant assorti d’aucune sanction, l’examen très rapide d’un recours formé sur ce fondement n’était pas garanti,

Le moyen choisi comme axe de défense était donc conforme aux intérêts de la société Concurrence en ce qu’il permettait de ne pas l’exposer à un risque d’irrecevabilité de son recours, sans empêcher son examen rapide si la procédure était conduite avec diligence.

Décision mixte de l’autorité de la Concurrence

Aucune disposition légale n’est prévue s’agissant du recours contre une décision mixte de l’autorité de la Concurrence, l’article L. 464-8 du code de commerce mentionnant un délai de recours d’un mois au titre des décisions notamment mentionnées à l’article L.462-8 du code de commerce, tandis que l’article L.464-7 dudit code prévoit un délai de recours de 10 jours s’agissant des décisions prises au titre de l’article L.464-1 et à l’issue duquel il est statué dans le délai d’un mois.

La cour d’appel de Paris, devant laquelle ces recours sont exercés, jugeant qu’une décision ne se bornant pas à rejeter la demande de mesures provisoires mais déclarant partiellement irrecevable la saisine, relève du recours de l’article L.464-8 et non pas de l’article L. 464-7 du code de commerce (arrêt du 12 avril 2005), et aucune jurisprudence contraire n’étant ni alléguée ni fournie aux débats, le recours contre la décision de l’autorité de la concurrence du 23 juillet 2014 devait être exercé sur le fondement de l’article L. 464-8 du code de commerce conformément à la notification rectificative de la décision et le recours fondé sur l’article L. 464-7 du code de commerce instaurant une procédure rapide était voué à être déclaré irrecevable.

Devoir de conseil de l’avocat

Les échanges entre les parties établissent que l’avocat a régulièrement rempli son devoir de conseil en informant sa cliente de l’irrecevabilité encourue d’un recours exercé sur le fondement de l’article L.464-7 du code de commerce, envisagé dans un premier temps à la suite de la notification initiale de la décision et compte tenu du souhait de sa cliente d’obtenir une décision à bref délai sur les mesures conservatoires, et en lui préconisant finalement de former un recours conformément aux dispositions de l’article L.464-8 dudit code, tout en précisant, dans ses courriels du 1er août 2014, que son assistance se limitera à ce seul recours et qu’il sensibilisera la cour sur la nécessité de fixer un calendrier de procédure le plus restreint possible afin que l’affaire puisse être audiencée dans un court délai.

Il ne saurait être fait grief à la société Lexcase d’avoir fondé le recours selon les modalités conformes au droit positif en vigueur, peu important que la société Concurrence ait souhaité mettre en oeuvre la procédure rapide à la suite de la note stratégique initiale de son conseil, antérieure à la notification rectificative de la décision, un tel recours, voué à être déclaré irrecevable alors que par ailleurs le délais du recours de l’article L.464-8 courrait, n’étant pas conforme aux intérêts de sa cliente.

La société Lexcase n’avait pas à suivre les instructions, inopérantes, de sa cliente lui demandant dans son courriel ‘d’exposer le problème à la cour d’appel, car c’est elle qui décidera quel recours est valable, et non pas l’Autorité’.

Des délais suffisants

La société Concurrence a été informée de la stratégie de son avocat dans des délais suffisants lui permettant le cas échéant de recourir à un autre conseil.

La société Lexcase n’a pas contrevenu à son mandat ad litem en déposant le 1er septembre 2014, date butoir, le recours au visa de l’article L.464-8 du code de commerce sans obtenir l’assentiment de sa cliente sur ce fondement juridique, dès lors qu’elle lui a expressément indiqué qu’elle limiterait son intervention à l’exercice de ce seul recours, n’a pas été déchargée de la défense des intérêts de sa cliente et devait préserver les droits de celle-ci en exerçant le seul recours applicable et dont le délai expirait.

Il n’était donc caractérisé aucun manquement de l’avocat.


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13



ARRET DU 04 OCTOBRE 2023



(n° , 6 pages)



Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/12126



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juillet 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 19/08463



APPELANTE :



S.A.R.L. CONCURRENCE représentée par son gérant, domicilié es-qualités au siège social

[Adresse 2]

[Localité 4]

Ayant pour avocat postulant Me Antoine DULIEU de la SELARL BAILLET DULIEU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C0099

Ayant pour avocat plaidant Me Julien-Quentin LA SELVE, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE :



S.E.L.A.R.L. LEXCASE SOCIETE D’AVOCATS Prise en la personne de ses co-gérants, domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Marion CHARBONNIER de la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0947

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Louis BIGOT substitué par Me Aude LYONNET, avocat au barreau de PARIS



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère



Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD











ARRET :



– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 04 octobre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, pour la Première Présidente de chambre empêchée et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.



***



Le 24 janvier 2014, la Sarl Concurrence, distributeur de produits électroniques, a saisi l’autorité de la concurrence d’une plainte contre des pratiques mises en oeuvre par la société Samsung Electronics France, son principal fournisseur, tendant à l’évincer du marché avec le concours de ses filiales, de fournisseurs concurrents et de ses distributeurs de grossistes. Elle a sollicité à titre de mesures conservatoires, notamment, qu’il soit enjoint à la société Samsung de reprendre ses livraisons suspendues et de supprimer la clause d’interdiction de marketplace du contrat de distribution sélective afin de lui permettre de recourir à la vente en ligne par internet.



Le 23 juillet 2014, l’autorité de la concurrence a :

– déclaré la saisine de la société Concurrence irrecevable en tant qu’elle concerne les pratiques de manque de loyauté dans l’information reprochées aux Sas Kelkoo et Data Concept,

– rejeté la saisine de la société Concurrence, faute d’éléments suffisamment probants, en tant qu’elle concerne les pratiques d’abus de dépendance économique, de refus de vente et boycott, de rupture brutale des relations commerciales établies, d’ententes verticales et horizontales sur les prix,

– décidé la poursuite de l’instruction s’agissant de l’entente verticale aux fins de restrictions de vente,

– rejeté la demande de mesures conservatoires.



La décision a été notifiée à la société Concurrence par courrier du 28 juillet 2004 reçu le lendemain, avec mention d’un délai de 10 jours pour former un recours en application de l’article L. 464-7 du code de commerce. Cette notification a fait l’objet d’une rectification le 30 juillet 2014 quant au délai de recours, fixé à un mois sur le fondement de l’article L.464-8 du même code compte tenu du caractère mixte de la décision.



Par arrêt du 3 décembre 2015, la cour d’appel de Paris a rejeté le recours de la Sarl Concurrence du 1er septembre 2014 contre la décision du 23 juillet 2014 fondé sur l’article L. 464-8 du code de commerce.



Parallèlement, la société Concurrence a formé une nouvelle demande de mesures conservatoires auprès de l’autorité de la concurrence le 6 octobre 2014, similaires à celles présentées le 24 janvier 2014 et qui ont été déclarées recevables mais rejetées par décision du 24 juin 2015.



La Selarl Lexcase a assuré la défense des intérêts de la Sarl Concurrence à l’occasion du recours formé devant la cour d’appel et jusqu’à ce qu’elle la décharge du dossier courant septembre 2014.



C’est dans ces circonstances que par acte du 15 juillet 2019, la Sarl Concurrence a assigné la société Lexcase devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité professionnelle.



Par jugement du 1er juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

– débouté la société Concurrence de ses demandes,

– débouté la société Lexcase de sa demande reconventionnelle,

– condamné la société Concurrence aux dépens, qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile,

– condamné la société Concurrence à verser à la société Lexcase la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.



Par déclaration du 17 août 2020, la société Concurrence a interjeté appel de cette décision.

Moyens




Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 10 mai 2021, la Sarl Concurrence demande à la cour de :

– la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,

y faisant droit,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a :

– déboutée de ses demandes,

– condamnée aux dépens,

– condamnée à verser à la société Lexcase la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau sur les demandes,

– condamner la société Lexcase à lui verser une somme de 1 051 200 euros au titre du préjudice pour perte de chance,

– condamner la société Lexcase à lui verser une somme de 100 000 euros au titre de préjudice moral,

– condamner la société Lexcase à lui verser une somme de 30 000 euros au titre des remboursements des frais d’avocats,

– condamner la société Lexcase à lui verser une somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile de première instance et d’appel ainsi qu’aux entiers dépens,

– confirmer la décision pour le surplus.



Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 18 novembre 2021, la Selarl Lexcase demande à la cour de :

– déclarer la société Concurrence mal fondée en son appel et l’en débouter,

en conséquence,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Concurrence de ses demandes et a condamné celle-ci aux dépens ainsi qu’à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– le réformer en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle,

– condamner en conséquence la société Concurrence à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement des articles 1231-6 et suivants de code civil,

y ajoutant,

– condamner la société Concurrence à lui verser une somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Concurrence aux dépens d’appel lesquels seront recouvrés par la Selarl Alexandre Bresdin Charbonnier par Me Marion Charbonnier dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.



La clôture de l’instruction a été prononcée le 4 avril 2023.

Motivation




SUR CE



Le tribunal a jugé que :

– l’avocat dispose d’une liberté de présentation de la défense de son client et n’est pas tenu d’utiliser le moyen suggéré par lui,

– la société Lexcase a été mandatée par la société Concurrence pour former un recours à l’encontre de la décision de l’autorité de la concurrence du 23 juillet 2014, principalement et par priorité dans ses dispositions relatives aux mesures conservatoires, ladite décision ayant été rendue sur le fondement de l’article L.462-8 du code de commerce s’agissant de la saisine au fond et de l’article L.464-1 du même code s’agissant des mesures conservatoires,

– si le code de commerce prévoit des délais de recours différents dans ces deux hypothèses, soit un mois pour le fond (article L. 464-8 du code de commerce) et dix jours pour les mesures conservatoires (article L.464-7 du code de commerce), il n’existe aucune disposition particulière s’agissant des décisions mixtes,

– l’avocat, après avoir proposé à sa cliente d’exercer un recours sur le fondement de l’article L.464-7 du code de commerce, lui a conseillé par courriel du 1er août 2014 de le fonder sur les dispositions de l’article L.464-8 du même code et a articulé ses moyens de défense devant la cour d’appel sur ce fondement,

– ce faisant, l’avocat a rempli ses devoirs de conseil et de prudence dès lors que la première préconisation visait à se conformer à la première notification de la décision du 23 juillet 2014 par l’autorité de la concurrence même si l’avocat soulevait déjà les difficultés posées dans son courriel du 26 juillet 2014, et que dans son courriel du 1er août 2014 il a privilégié le recours à l’article L.464-8 du code de commerce en se fondant sur la jurisprudence de la cour d’appel considérant qu’eu égard au caractère accessoire de la demande de mesures conservatoires prévue par l’article R.464-1 du code de commerce, la décision de rejet rendue à titre principal sur le fondement de l’article L.462-8 emporte le rejet de la demande des mesures conservatoires et ne peut être attaquée que sur le fondement de l’article L.464-8 du même code, et que conscient de l’impact de ce choix sur les délais de procédure, l’avocat a proposé de sensibiliser le conseiller de la mise en état sur la nécessité de prévoir un calendrier contraint,

– en outre, le délai d’un mois pour statuer prévu par l’article L.464-7 n’étant assorti d’aucune sanction, l’examen très rapide d’un recours formé sur ce fondement n’était pas garanti,

– le moyen choisi comme axe de défense était donc conforme aux intérêts de la société Concurrence en ce qu’il permettait de ne pas l’exposer à un risque d’irrecevabilité de son recours, sans empêcher son examen rapide si la procédure était conduite avec diligence.



La société Concurrence soutient que la société Lexcase a commis une faute en ne saisissant pas la cour d’appel de Paris sur le fondement de l’article L.464-7 du code de commerce (procédure rapide) conformément au mandat reçu, en ce que :

– un recours fondé sur cet article pouvait être légalement formé contre la décision mixte du 24 juillet 2014 rendue par l’autorité de la concurrence rejetant la demande de mesures conservatoires,

– l’avocat n’avait pas à se fonder sur les recommandations du responsable du bureau de la procédure de l’autorité de la concurrence, seul la cour ayant compétence pour juger de la validité d’un recours,

– au vu de la note stratégique de son avocat -qu’elle qualifie de convention d’honoraires-, elle a expressément mandaté la société Lexcase pour former un recours fondé sur l’article L.464-7 du code de commerce en acceptant le risque d’irrecevabilité et l’avocat devait se conformer à ses instructions écrites ou, à défaut, se déporter,

– la société Lexcase n’a pas respecté son mandat ad litem et a décidé sans l’en informer d’exercer un recours ordinaire fondé sur l’article L.464-8 du code de commerce sur lequel elle n’a pas donné son accord.



La société Lexcase conteste toute faute, reprenant la motivation du jugement tout en précisant que :

– elle a adapté ses préconisations à l’évolution du dossier en se fondant sur l’état du droit positif ainsi que sur la situation particulière de la société Concurrence, le devoir de conseil lui imposant de ne pas engager ou poursuivre une procédure manifestement irrecevable,

– la société Concurrence ne disposait pas de la faculté d’exercer un recours sur le fondement de l’article L.464-7 du code de commerce contre une décision mixte au regard notamment de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris,

– elle n’avait pas à se conformer aux instructions de sa cliente dans la convention d’honoraires, sauf à méconnaître son devoir de conseil,

– à la suite de la seconde notification de la décision de l’autorité de la concurrence, sa cliente a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de poursuivre la procédure ordinaire,

– elle a informé la société Concurrence du changement de procédure dès le 1er août 2014, en lui spécifiant son refus de procéder autrement et lui rappelant le délai de recours d’un mois courant à compter de la notification rectificative.



L’engagement de la responsabilité contractuelle de l’avocat, fondée sur les dispositions de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits, nécessite la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.



L’avocat, tenu à une obligation de diligence ainsi qu’à une obligation d’information et un devoir de conseil, doit mettre en oeuvre tous les moyens adéquats pour assurer au mieux la défense des intérêts de son client et le mettre en garde contre les risques encourus.



La société Lexcase, avocat de la société Concurrence, a été mandatée par celle-ci pour former un recours contre la décision rendue par l’autorité de la Concurrence le 23 juillet 2014, ayant notamment, d’une part, déclaré la saisine partiellement irrecevable, d’autre part, rejeté la saisine pour l’ensemble des demandes hormis celle ayant trait à l’entente verticale aux fins de restrictions de vente et ordonné la poursuite de l’instruction à ce titre, enfin, rejeté la demande de mesures conservatoires en application de l’article L.464-1 du code de commerce. Le caractère mixte de cette décision n’est pas discuté.



Ainsi que l’a pertinemment relevé le tribunal, aucune disposition légale n’est prévue s’agissant du recours contre une décision mixte de l’autorité de la Concurrence, l’article L. 464-8 du code de commerce mentionnant un délai de recours d’un mois au titre des décisions notamment mentionnées à l’article L.462-8 du code de commerce, tandis que l’article L.464-7 dudit code prévoit un délai de recours de 10 jours s’agissant des décisions prises au titre de l’article L.464-1 et à l’issue duquel il est statué dans le délai d’un mois.



La cour d’appel de Paris, devant laquelle ces recours sont exercés, jugeant qu’une décision ne se bornant pas à rejeter la demande de mesures provisoires mais déclarant partiellement irrecevable la saisine, relève du recours de l’article L.464-8 et non pas de l’article L. 464-7 du code de commerce (arrêt du 12 avril 2005), et aucune jurisprudence contraire n’étant ni alléguée ni fournie aux débats, le recours contre la décision de l’autorité de la concurrence du 23 juillet 2014 devait être exercé sur le fondement de l’article L. 464-8 du code de commerce conformément à la notification rectificative de la décision et le recours fondé sur l’article L. 464-7 du code de commerce instaurant une procédure rapide était voué à être déclaré irrecevable.



Les échanges entre les parties établissent que l’avocat a régulièrement rempli son devoir de conseil en informant sa cliente de l’irrecevabilité encourue d’un recours exercé sur le fondement de l’article L.464-7 du code de commerce, envisagé dans un premier temps à la suite de la notification initiale de la décision et compte tenu du souhait de sa cliente d’obtenir une décision à bref délai sur les mesures conservatoires, et en lui préconisant finalement de former un recours conformément aux dispositions de l’article L.464-8 dudit code, tout en précisant, dans ses courriels du 1er août 2014, que son assistance se limitera à ce seul recours et qu’il sensibilisera la cour sur la nécessité de fixer un calendrier de procédure le plus restreint possible afin que l’affaire puisse être audiencée dans un court délai.



Il ne saurait être fait grief à la société Lexcase d’avoir fondé le recours selon les modalités conformes au droit positif en vigueur, peu important que la société Concurrence ait souhaité mettre en oeuvre la procédure rapide à la suite de la note stratégique initiale de son conseil, antérieure à la notification rectificative de la décision, un tel recours, voué à être déclaré irrecevable alors que par ailleurs le délais du recours de l’article L.464-8 courrait, n’étant pas conforme aux intérêts de sa cliente.



La société Lexcase n’avait pas à suivre les instructions, inopérantes, de sa cliente lui demandant dans son courriel du 2 août 2014 ‘d’exposer le problème à la cour d’appel, car c’est elle qui décidera quel recours est valable, et non pas l’Autorité’.



La société Concurrence a été informée de la stratégie de son avocat dans des délais suffisants lui permettant le cas échéant de recourir à un autre conseil.



La société Lexcase n’a pas contrevenu à son mandat ad litem en déposant le 1er septembre 2014, date butoir, le recours au visa de l’article L.464-8 du code de commerce sans obtenir l’assentiment de sa cliente sur ce fondement juridique, dès lors qu’elle lui a expressément indiqué qu’elle limiterait son intervention à l’exercice de ce seul recours, n’a pas été déchargée de la défense des intérêts de sa cliente et devait préserver les droits de celle-ci en exerçant le seul recours applicable et dont le délai expirait.



Il n’est donc caractérisé aucun manquement de l’avocat, ainsi que l’a jugé le tribunal dont la décision est confirmée.



Sur la procédure abusive :



Le tribunal a pertinemment jugé que le caractère infondé des demandes de la société Concurrence ne suffisait pas à caractériser un abus de droit de sa part. La société Lexcase, qui fait à nouveau valoir le caractère infondé de l’action dirigée à son encontre et ne justifie pas de ses allégations selon lesquelles celle-ci n’est qu’une mesure de rétorsion exercée par la société Concurrence qui a laissé périmer son recours contre la décision ayant fixé ses honoraires d’avocat, n’établit pas davantage en appel qu’en première instance que l’exercice du droit d’agir en justice par la société Concurrence en responsabilité contractuelle à l’encontre de son avocat a dégénéré en abus de droit.



Sa demande en paiement de dommages et intérêts a donc été rejetée à bon droit.



Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :



Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont confirmées. Les dépens d’appel, qui pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile, incombent à la société Concurrence, qu’il est équitable de condamner au paiement d’une indemnité de procédure de 3 000 euros.


Dispositif

PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement en toutes ses dispositions,



Condamne la société Concurrence à payer à la société Lexcase la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,



Condamne la société Concurrence aux dépens d’appel avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile.









LA GREFFIERE, POUR LA PREMIERE PRESIDENTE EMPECHEE,


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