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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 6 SEPTEMBRE 2023
N° RG 21/02547
N° Portalis DBV3-V-B7F-UWET
AFFAIRE :
SARL CHARTRES SERVICE AUTO
C/
[S] [R]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 juillet 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHARTRES
Section : C
N° RG : F 19/00362
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Julien GIBIER
Me Pauline HUMBERT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SARL CHARTRES SERVICE AUTO
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentant : Me Julien GIBIER de la SELARL GIBIER FESTIVI RIVIERRE GUEPIN, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000021
APPELANTE
****************
Monsieur [S] [R]
né le 4 février 1985 à [Localité 4]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : Me Pauline HUMBERT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 151
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/012557 du 25/02/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 mai 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [R] a été engagé par la société Chartres Service Auto, en qualité de chauffeur poids lourd, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 17 février 2017.
Cette société est spécialisée dans le transports routiers de fret interurbains. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de moins de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des services de l’automobile.
Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle de 2 202,41 euros.
Par lettre du 15 septembre 2019, le salarié, qui était alors en arrêt de travail pour maladie, a mis en demeure son employeur de lui payer ses heures supplémentaires avant le 20 septembre 2019.
Le 6 décembre 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Chartres d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société, de constater les graves manquements contractuels de la société en l’absence de paiement d’heures supplémentaires effectuées au titre des années 2017 et 2018 et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement du 12 juillet 2021, le conseil de prud’hommes de Chartres (section commerce) a :
en la forme,
– reçu M. [R] en ses demandes,
– reçu la société Chartres Service Auto en sa demande reconventionnelle,
au fond,
– prononcé la re’siliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la socie’te’ Chartres Service Auto a’ la date du prononce’ du jugement, soit le 12 juillet 2021,
– dit que la re’siliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] produit les effets d’un licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
en conse’quence,
– condamné la société Chartres Service Auto a’ verser a’ M. [R] les sommes suivantes :
. 450 euros au titre du solde du salaire de septembre 2018,
. 325,12 euros au titre du salaire de janvier 2019,
. 8 809,64 euros a’ titre d’indemnite’ pour licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
. 2 202,41 euros a’ titre d’indemnite’ le’gale de licenciement,
. 4 404,82 euros au titre de l’indemnite’ compensatrice de pre’avis,
. 440,48 euros au titre des conge’s paye’s y affe’rents,
. 1 000 euros au titre de dommages et inte’re’ts pour pre’judice moral,
. 11 621,62 euros au titre des heures supple’mentaires,
. 1 162,16 euros au titre des conge’s paye’s y affe’rents,
. 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile,
– ordonné a’ la socie’te’ Chartres Service Auto de remettre a’ M. [R] les bulletins de paie d’août et septembre 2018 et ce, sous astreinte de 30 euros par jour de retard a’ compter du 30eme jour suivant la notification de la pre’sente de’cision,
– dit que le bureau de jugement se re’serve le droit de liquider l’astreinte,
– à défaut de renonciation de l’aide juridictionnelle, dit qu’après présentation d’un état de recouvrement la société Chartres Services Auto devra rembourser au trésor Public les frais avancés par l’État au titre de l’aide juridictionnelle dont bénéficie M. [R],
– débouté M. [R] du surplus de ses demandes,
– débouté la socie’te’ Chartres Service Auto de sa demande reconventionnelle,
– condamné la société Chartres Service Auto aux entiers de’pens qui comprendront les frais d’exe’cution e’ventuels.
Par déclaration adressée au greffe le 6 août 2021, la société Chartres Service Auto a interjeté appel de ce jugement.
Par acte du 14 octobre 2021, la société Chartres Service Auto a assigné M. [R] devant le Premier Président de la cour d’appel de Versailles aux fins de voir ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chartres et, à titre subsidiaire, d’ordonner la consignation par la société de la somme de 31 475,77 euros à la Caisse des dépôts et des consignations.
Par ordonnance de référé en date du 9 décembre 2021, la cour d’appel de Versailles a :
– rejeté l’ensemble des demandes de la société Chartres Service Auto,
– condamné la société Chartres Service Auto au paiement d’une amende civile de 6 000 euros,
– condamné la société Chartres Service Auto aux dépens.
Elle a saisi en référé le Premier président de la cour d’appel de Versailles afin de suspendre l’exécution provisoire du jugement. Sa demande a été rejetée par ordonnance du 9 décembre 2021.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 11 avril 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Chartres Service Auto demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chartres du 12 juillet 2021 (N° RG F 19/00362) en ce qu’il a :
. prononce’ la re’siliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société a’ la date du prononce’ du jugement, soit le 12 juillet 2021,
. dit que la re’siliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] produit les effets d’un licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
. condamne’ en conse’quence, la société a’ verser a’ M. [R] les sommes suivantes :
* 450 euros au titre du solde de salaire de septembre 2018,
* 325,12 euros au titre du salaire de janvier 2019,
* 8 809,64 euros au titre de l’indemnite’ pour licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
* 2 202,41 euros au titre de l’indemnite’ le’gale de licenciement,
* 4 404,82 euros au titre de l’indemnite’ compensatrice de pre’avis (2 mois),
* 1 000 euros a’ titre de dommages-inte’rêts pour pre’judice moral,
* 11 621,62 euros au titre des heures supple’mentaires,
* 1 162,16 euros au titre des conge’s paye’s affe’rents,
* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile,
. ordonne’ a’ la société de remettre a’ M. [R] les bulletins de paie d’août 2018 et septembre 2018, et ce sous astreinte de 30 euros par jour de retard a’ compter du 30e’me jour suivant la notification de la pre’sente de’cision,
– de’boute’ la société de sa demande reconventionnelle de condamnation de M. [R] a’ lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile et aux de’pens,
– condamne’ la société aux entiers de’pens qui comprendront les frais d’exe’cution e’ventuels,
statuant a’ nouveau,
– de’bouter M. [R] de l’inte’gralite’ de ses demandes, fins et conclusions,
– à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnite’ pour absence de cause re’elle et se’rieuse a’ la somme de 1 104,20 euros,
– à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnite’ le’gale de licenciement a’ la somme de 825,90 euros,
– à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnite’ compensatrice de pre’avis a’ la somme de 2 202,41 euros,
– condamner M. [R] a’ lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile pour les frais irre’pe’tibles de premie’re instance,
y ajoutant,
– condamner M. [R] a’ lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile,
– condamner M. [R] aux entiers de’pens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [R] demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chartres le 12 juillet 2021 en ce qu’il a :
. l’a reçu en ses demandes
. prononcé la re’siliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Chartres Service Auto,
. dit que la re’siliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
. condamné la société Chartres Service Auto a’ lui verser les sommes suivantes :
* 450 euros bruts au titre du solde du salaire de septembre 2018,
* 325,12 euros bruts au titre du salaire de janvier 2019,
* 2 202,41 euros nets a’ titre d’indemnite’ le’gale de licenciement,
* 4 404,82 euros bruts a’ titre d’indemnite’ compensatrice de pre’avis ainsi que 440,48 euros bruts au titre des conge’s paye’s y affe’rents,
* 1 000 euros nets au titre de dommages et inte’rêts pour pre’judice moral,
* 11 621,62 euros bruts au titre de rappel en paiement des heures supple’mentaires ainsi que 1 162,16 euros bruts au titre des conge’s paye’s y affe’rents,
– l’infirmer pour le surplus,
et statuant a’ nouveau,
– condamner la société Chartres Service Auto a’ lui verser :
. 11 012,05 euros nets a’ titre d’indemnite’ pour licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
. 13 214,46 euros a’ titre d’indemnite’ pour travail dissimule’,
. 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile,
– condamner la socie’te’ Chartres Service Auto a’ lui remettre son bulletin de salaire du mois d’août 2018 sous astreinte de 50 euros par jour de retard a’ compter de la de’cision a’ intervenir,
– condamner la socie’te’ Chartres Service Auto aux entiers de’pens.
MOTIFS
Sur les heures supple’mentaires
Le salarié, qui sollicite un rappel d’heures supple’mentaires pour les années 2017 et 2018, estime que les éléments qu’il fournit pour en justifier permettent d’attester de leur réalité.
Au contraire, l’employeur estime que les éléments produits par le salarié ne sont pas précis et ne sont pas crédibles car établis par le salarié lui-même ; qu’il sont invraisemblables et que la numérotation des livrets utilisés par le salarié ne suit pas, ce qui montre que le salarié les a renseignés a posteriori pour les seuls besoins de la cause.
***
L’article L. 3171-4 du code du travail dispose qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre l’instauration d’un débat contradictoire, et à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, le salarié produit :
. une copie des feuilles de livret couvrant une période comprise entre février 2017 et septembre 2018 dans lesquelles est mentionné un volume d’heures hebdomadaire puis mensuel,
. un tableau qui rend compte d’un volume d’heures hebdomadaire réalisé entre la semaine 7 de l’année 2017 et la semaine 39 de l’année 2018,
. un autre tableau, présenté sous une forme différente, qui rend compte d’un volume d’heures hebdomadaire réalisé entre la semaine 7 de l’année 2017 et la semaine 39 de l’année 2018,
. une attestation rédigée par le salarié lui même qui indique : « Je certifit les heures rapporté sur les feuillets ont été rempli au fur et a mesure ou en fin de journée. Les numéros ne se suivent pas a la demande de mon employeur qui demandait qu’on finisse les livrets entamé » (sic) (pièce 11 S) et une attestation rédigée par la compagne du salarié qui indique : « Je certifie par la présente que mon conjoint (‘) remplissait ses feuillets d’heures tous les jours, soir et week-end afin qu’il soit bien à jour ».
Indépendamment du fait que le salarié ne peut attester pour lui-même de la sincérité des livrets qu’il a remplis, il demeure que ces livrets ne sont pas dépourvus de caractère probant. En effet, les éléments présentés par le salarié peuvent avoir été établis par ses soins ce qui rend inopérant l’argument de l’employeur qui objecte que le salarié a rédigé ses livrets pour les besoins de la cause, étant précisé, en ce qui concerne lesdits livrets, que ce n’est pas parce que leurs numéros ne se suivent pas chronologiquement qu’ils sont pour autant dépourvus de caractère probant. Au contraire, même, le fait que les numéros de livret ne se suivent pas montre que le salarié les a bien remplis au fur et à mesure : s’il les avait remplis pour les besoins de la cause, les numéros se seraient suivis.
En tout état de cause, les éléments présentés par le salarié sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments
A cet égard, l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, ne produit pas d’éléments et explique en substance qu’il n’a pas conservé les disques chronotachygraphes qui auraient pu justifier des heures de travail du salarié, pour la simple raison que la réglementation européenne ne lui impose pas de les garder au-delà d’une année.
Néanmoins, la prescription en matière de salaire est de trois ans. L’employeur, indépendamment de la réglementation européenne propre au transport routier, devait donc conserver les disques chronotachygraphes pour être en mesure de justifier des heures de travail réalisées par ses salariés, et en particulier par M. [R], ce qu’il n’a pas fait.
Compte tenu des éléments produits par le salarié, c’est par une appréciation exacte des faits que le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 11 621,62 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les heures supple’mentaires effectuées entre février 2017 et septembre 2018 ainsi que la somme de 1 162,16 euros bruts au titre des conge’s paye’s affe’rents.
Le jugement sera de ce chef confirmé.
Sur le travail dissimule’
L’article L. 8221-5 du code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’article L. 8223-1 dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, l’importance et la pérennité de l’écart existant entre les heures effectivement réalisées par le salarié (plus de 700 heures en deux ans) et celles figurant sur les bulletins de salaire et payées suffisent à établir l’élément intentionnel.
Il conviendra donc, par voie d’infirmation, de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 13 214,46 euros, correspondant à six mois de salaire, à titre d’indemnité pour travail dissimulé.
Sur la demande de résiliation judiciaire
Le salarié fonde sa demande de résiliation sur le fait qu’il n’a pas été payé de ses heures supplémentaires malgré ses demandes, et sur le non paiement de ses salaires.
La société expose, pour le cas où la cour considérerait que des heures supple’mentaires sont dues, que ces heures sont anciennes de sorte que les circonstances ne justifient pas la résiliation, d’autant que le salarié a attendu plusieurs années sans émettre la moindre réclamation.
***
Lorsque le salarié demande la résiliation judiciaire du contrat de travail, il doit apporter la démonstration de manquements de l’employeur à l’exécution de ses obligations contractuelles et que ces manquement présentent une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Si les manquements sont établis et présentent un degré de gravité suffisant, la résiliation est alors prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La résiliation produit effet au jour où le juge la prononce si à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur (et en cas d’arrêt confirmatif, à la date du jugement de première instance). Si en revanche le salarié a été licencié à la date du prononcé de la résiliation, alors c’est à la date d’envoi de la notification du licenciement qu’est fixée la prise d’effet de la résiliation judiciaire.
Si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, alors le juge doit débouter le salarié de sa demande.
En l’espèce, il a été jugé que l’employeur n’avait pas, pendant près de deux ans, payé ses heures supple’mentaires au salarié.
Par ailleurs, le bulletin de paie du salarié pour le mois de septembre 2018 est établi pour un « net à payer » de 861,74 euros. Il comporte la mention « paiement : virement le 30/09/2018 ». Or, les relevés bancaires du salarié ne font pas mention de ce virement mais font mention d’un virement de 411,74 euros le 23 octobre 2018. De même, alors que le salaire du salarié du mois de janvier 2019 s’établit à 325,12 euros pour un virement annoncé le 31 janvier 2019, les relevés bancaires du salarié montrent que, pour ce mois là, aucun virement n’a été réalisé par l’employeur, lequel n’apporte pas de justification à ces écarts et défaut de paiement.
Le non paiement systématique des heures supple’mentaires dues au salarié, peu important sa persistance dans le temps, ainsi que l’absence de paiement ou le paiement incomplet des salaires du salarié présentent un degré de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Il conviendra donc de confirmer les jugement en ce qu’il a prononcé la re’siliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur a’ la date du prononce’ du jugement, soit le 12 juillet 2021, et dit que la résiliation produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié les rappels de salaire suivants :
. 450 euros au titre du solde du salaire de septembre 2018,
. 325,12 euros au titre du salaire de janvier 2019.
Sur les conséquences financières de la résiliation judiciaire
Le salarié est entré au service de la société le 17 février 2017 et son contrat de travail a été rompu le 12 juillet 2021 par l’effet de la résiliation.
Cependant, le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie (cf. attestation de paiement des indemnités journalières de la sécurité sociale), ce qui a eu pour effet de suspendre son contrat de travail :
. du 25 août 2018 au 9 septembre 2018,
. du 24 septembre 2017 au 21 décembre 2018,
. du 8 janvier 2019 au 17 septembre 2021 et au-delà, mais sur une période n’intéressant pas la relation contractuelle.
Compte tenu de ces éléments, l’ancienneté du salarié est de 19 mois et non pas de quatre ans ainsi qu’il le soutient.
En ce qui concerne la référence salariale, les parties s’entendent pour l’évaluer à la somme mensuelle brute de 2 202,41 euros.
Sur ces bases le salarié peut prétendre :
. à une indemnité de licenciement de 861,60 euros (soit [2 202,41/4]x1,583) en application de l’article R. 1234-2 du code du travail.
. à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à 1 mois de salaire soit 2 202,41 euros en application de l’article L. 1234-1 2° du code du travail,
. à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, doit être comprise entre 1 et 2 mois de salaire brut.
Compte tenu de l’ancienneté du salarié, de son âge lors de la rupture (36 ans), de son niveau de rémunération, il convient d’évaluer le préjudice qui résulte, pour le salarié, de la perte injustifiée de son emploi, à la somme de 3 000 euros.
Par conséquent, le jugement sera infirmé de ces chefs et, statuant à nouveau, l’employeur sera condamné à payer au salarié les sommes suivantes :
. 3 000 euros a’ titre d’indemnite’ pour licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
. 861,60 euros a’ titre d’indemnite’ le’gale de licenciement,
. 2 202,41 euros au titre de l’indemnite’ compensatrice de pre’avis, outre 220,24 euros au titre des conge’s paye’s y affe’rents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
Le salarié conclut à la mauvaise foi de l’employeur qui a tardé à transmettre son attestation de salaire à la CPAM de sorte qu’il a reçu tardivement ses indemnités journalières et qu’il a dû déposer un dossier de surendettement en janvier 2019. Il ajoute qu’il a dû effectuer de nombreuses heures supple’mentaires ce qui l’a conduit à conduire sur de très longues périodes sans pause. Il soutient en outre que l’employeur s’est empressé, après avoir interjeté appel, de saisir en référé le Premier Président pour suspendre l’exécution provisoire et qu’en plus de rejeter sa demande, le Premier Président a condamné l’employeur au paiement d’une amende civile de 6 000 euros.
L’employeur objecte que le salarié ne justifie pas de son préjudice et fait observer que son dossier de surendettement a été déposé en raison d’une séparation familiale.
***
Par sa pièce 17, le salarié montre qu’il a déposé un dossier de surendettement le 23 mars 2022. Il ressort de cette pièce qu’il s’agit en réalité d’un nouveau dépôt. Selon les mentions figurant sur cette pièce, le dépôt initial dont la date n’est pas précisée est motivée ainsi : « passif ‘ licenciement/chômage ». Le nouveau dépôt est ainsi justifié : « cause du redépôt : changement de situation familiale (séparation, union, enfant’) changement de situation professionnelle (nouvel emploi, chômage, retraite’) ». C’est donc à tort que l’employeur expose que la cause du dépôt du dossier de surendettement est exclusivement motivée par des raisons familiales.
Il n’est pas discuté que l’employeur a tardé à adresser à la CPAM son attestation de salaire ce qui, comme l’a justement retenu le conseil de prud’hommes a causé un préjudice au salarié en raison du retard du versement des indemnités journalières.
C’est donc par une appréciation pertinente des faits de la cause que, relevant que le salarié a rencontré des difficultés financières, le conseil de prud’hommes a subi un préjudice qu’il a correctement évalué à 1 000 euros.
Le jugement sera de ce chef confirmé.
Sur la remise des documents
Le salarié expose qu’il ne lui a pas été remis son bulletin de salaire du mois d’août 2018, raison pour laquelle il en demande la remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
L’employeur ne réplique pas.
***
L’employeur est tenu de remettre au salarié ses bulletins de paie par application de l’article L. 3243-2 du code du travail.
L’employeur produit les bulletins de paie du salarié depuis le mois de septembre 2018 mais ne produit pas celui du mois d’août 2018. Il ne conteste pas ne pas avoir remis ledit bulletin au salarié.
Il conviendra dès lors de donner injonction à l’employeur de remettre au salarié son bulletin de paie du mois d’août 2018, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de la procédure d’appel.
Il conviendra de condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel et le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié une indemnité de 1 500 euros sur le fondement du même article au titre des frais exposés en première instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
INFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il déboute M. [R] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé et en ce qu’il condamne la société Chartres Service Auto à payer à M. [R] les sommes de 8 809,64 euros a’ titre d’indemnite’ pour licenciement sans cause re’elle et se’rieuse, 2 202,41 euros a’ titre d’indemnite’ le’gale de licenciement, 4 404,82 euros au titre de l’indemnite’ compensatrice de pre’avis et 440,48 euros au titre des conge’s paye’s affe’rents,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
CONDAMNE la société Chartres Service Auto à payer à M. [R] les sommes suivantes :
. 13 214,46 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé.
. 3 000 euros a’ titre d’indemnite’ pour licenciement sans cause re’elle et se’rieuse,
. 861,60 euros a’ titre d’indemnite’ le’gale de licenciement,
. 2 202,41 euros à titre d’indemnite’ compensatrice de pre’avis, outre 220,24 euros au titre des conge’s paye’s affe’rents.
DONNE injonction à la société Chartres Service Auto de remettre à M. [R] son bulletin de salaire du mois d’août 2018,
REJETTE la demande d’astreinte,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Chartres Service Auto à payer à M. [R] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Chartres Service Auto aux dépens de la procédure d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente