Chauffeur Poids-Lourd : décision du 5 septembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/02643

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 5 septembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/02643
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AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE

RAPPORTEUR

R.G : N° RG 21/02643 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NQQU

S.A.S. [7]

C/

[D]

CPAM DU RHONE

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de lyon

du 16 Mars 2021

RG : 20/01305

AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2023

APPELANTE :

S.A.S. [7]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Fabien ROUMEAS de la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Christopher REINHARD de la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

[L] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Elodie SIGNOL, avocat au barreau de LYON

CPAM DU RHONE

SERVICE CONTENTIEUX

[Localité 5]

représentée par madame [R] [Y] , audiencière, munie d’un pouvoir

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Mai 2023

Présidée par Nathalie PALLE, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

– Nathalie PALLE, présidente

– Vincent CASTELLI, conseiller

– Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Septembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Françoise CARRIER, conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles , pour la présidente empêchée et par Anais MAYOUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [D] (le salarié) a été embauché le 3 juin 2013 par la société [7] (l’employeur) en qualité de chauffeur.

Le 27 novembre 2014, l’employeur a renseigné une déclaration d’accident du travail survenu le 27 novembre 2014 à 14h05 au préjudice du salarié, dans les circonstances décrites comme suit : «Evacuation de benne, pose de filet ; nature de l’accident : chute, accompagnée d’un certificat médical initial établi, le jour de l’accident, faisant état d’une «contusion de la jambe droite avec dermabrasion face antérieure , d’une contusion de l’épaule gauche et d’une contusion du rachis cervical et lombaire» ainsi que d’une lettre de réserves.

Le 10 février 2015, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône (la caisse) a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.

Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de son accident du travail, en l’absence de conciliation, le salarié a saisi, le 9 septembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon.

En l’absence de consolidation, l’affaire a fait l’objet d’une radiation, le 5 avril 2018.

L’état de santé du salarié ayant été déclaré consolidé au 30 septembre 2020, par décision du 5 octobre 2020, la caisse a fixé le taux d’incapacité permanente partielle à 5%, à compter du 1er octobre 2020, pour des séquelles de «lombalgies et cervicalgies sur état antérieur, et scapulalgie gauche sur état antérieur».

Par jugement du 16 mars 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, devant lequel

la procédure s’est poursuivie, a :

– déclaré que l’accident du travail dont le salarié a été victime le 27 novembre 2014 est dû à la faute inexcusable de l’employeur,

– fixé au maximum la majoration du capital servi par la caisse au salarié,

– fixé à 1000 euros le montant de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis du fait de l’accident,

– ordonné avant dire droit une expertise médicale du salarié et désigné pour y procéder le docteur [N],

– renvoyé l’examen de la demande tendant à l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail du 27 novembre 2014 à l’audience de liquidation des préjudices,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– réservé les dépens.

Le 14 avril 2021, l’employeur a relevé appel de ce jugement.

L’affaire a été appelée à l’audience du 2 mai 2023.

Dans ses conclusions déposées au greffe le 31 août 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, l’employeur demande à la cour de :

– réformer le jugement, en ce qu’il a dit que l’accident du travail dont a été victime le salarié résulte de sa faute inexcusable,

– débouter le salarié de sa demande en reconnaissance en faute inexcusable,

Y ajoutant,

– déclarer inopposable à l’employeur la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident déclaré par le salarié,

– dire et juger que la caisse ne dispose dès lors d’aucun recours à l’encontre de l’employeur en raison de l’accident du travail déclaré par le salarié et de toutes les suites y attachées,

Et dans le corps de ses conclusions, dont la cour est également saisie, l’employeur demande à la cour de :

– à titre subsidiaire, ordonner, avant-dire droit, une mesure d’instruction confiant à l’expert judiciaire désigné l’évaluation des préjudices, cet l’expert ne devra pas déterminer s’il existe ou non, au préjudice du salarié, une diminution ou une perte de promotion professionnelle,

– rejeter la demande du salarié en condamnation provisionnelle,

– dire inéquitable de laisser à la charge de l’employeur les dépens,

– condamner le salarié à lui payer la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui de son recours, l’employeur soutient qu’il ne saurait se voir déclarer opposable une décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle d’un accident déclaré par le salarié, dès lors que celle-ci ne lui a jamais été notifiée par la caisse.

Il fait valoir qu’en l’absence de circonstances précises et déterminées de l’accident, aucune faute inexcusable ne saurait être retenue à son encontre et que, si la cour devait considérer les circonstances de l’accident clairement établies, aucune présomption de faute inexcusable ne trouve à s’appliquer et les conditions de la faute inexcusable ne sont pas davantage réunies, en l’absence notamment de tout lien de causalité entre la prétendue faute et l’accident.

Dans ses conclusions déposées au greffe le 13 septembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

– déclaré que l’accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur,

– fixé au maximum la majoration du capital servi par la caisse,

– fixé à 1000 euros le montant de la provision du capital servi par la caisse,

– ordonné avant dire droit une expertise médicale aux fins de voir évaluer puis liquider ses préjudices,

– condamné l’employeur à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

– juger que l’accident du travail dont il a été victime, le 27 novembre 2014, est dû à la faute inexcusable de l’employeur,

– porter le capital qu’il lui sera versé par la caisse à son taux maximum,

– désigner avant dire droit tel expert afin de déterminer l’ensemble des préjudices qu’il a subis avec pour mission de :

* déterminer les dépenses de santé actuelle, restées à charge,

* évaluer les frais divers (les frais administratifs, frais de trajets par exemple),

* évaluer les pertes de gains professionnels actuels : indiquer les périodes pendant lesquelles il a été du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle et en cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée,

* évaluer ses dépenses futures, le cas échéant,

* dire s’il existe des frais de logement adaptés à venir,

* dire s’il va devoir avoir besoin d’un véhicule adapté et déterminer les frais engendrés par cet aménagement,

* dire s’il est nécessaire qu’il dispose d’une assistante par tierce personne et en évaluer le coût,

* fixer la perte de gain professionnelle future : indiquer notamment si le déficit fonctionnel permanent entraîne l’obligation pour lui de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou/et changer d’activité professionnelle,

* déterminer l’incidence professionnelle : indiquer notamment si le déficit fonctionnel permanent entraîne d’autres répercutions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, dévalorisation sur le marché du travail’),

* déterminer s’il existe un préjudice scolaire, universitaire ou de formation,

* fixer le déficit fonctionnel temporaire en indiquant les périodes pendant lesquelles il a été du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles, en cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée,

* fixer les souffrances endurées : décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subis pendant la maladie traumatique, les évaluer distinctement dans une échelle d’un à sept,

* fixer le préjudice esthétique temporaire,

* fixer le déficit fonctionnel permanent : indiquer si après la consolidation, il a subi un déficit fonctionnel permanent définit comme une altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques sensorielles, mentales ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé entraînant une limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien dans son environnement, en évaluer l’importance et en chiffrer le taux,

* fixer le préjudice d’agrément : indiquer notamment qu’il est empêché en toute ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisirs,

* déterminer le préjudice esthétique permanent : donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique en attribuant une note fixée de 1 à 7,

* déterminer le préjudice sexuel,

* déterminer le préjudice d’établissement,

* déterminer s’il existe des préjudices permanents exceptionnels,

* tout cela dans le cadre d’un pré-rapport que l’expert adressera aux parties avant de se rendre son rapport définitif annexé des différents dires des parties, le cas échéant,

– lui allouer la somme de 5000 euros à titre d’indemnité provisionnelle,

– condamner l’employeur à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et celle de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel,

– condamner l’employeur aux dépens de l’instance,

– juger opposable et commune à la caisse la décision à intervenir,

– débouter l’employeur de demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Et, au cours de l’audience, le salarié a précisé rectifier ses conclusions écrites et sollicite :

– la confirmation du chef du dispositif du jugement en ce qu’il a fixé à 1000 euros le montant de la provision du capital servie par la caisse et la fixation d’une indemnité provisionnelle de 5000 euros sur l’indemnisation des préjudices,

– que la cour statue sur la demande tendant à l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail du 27 novembre 2014 et infirme le jugement en ce qu’il a renvoyé l’examen de la demande à une audience ultérieure.

Sur la demande de l’employeur en inopposabilité de la décision de prise en charge, le salarié soutient que la décision de prise en charge lui reste acquise au regard de l’indépendance des rapports, d’une part, et la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable, d’autre part.

Sur l’existence de la faute inexcusable, le salarié fait valoir que les circonstances de l’accident du travail sont déterminées ; qu’il existe une présomption de faute inexcusable en ce que l’employeur ne saurait prétendre ne pas avoir eu connaissance du risque dont il avait été prévenu à de multiples reprises ; que les salariés n’étaient pas munis du matériel adéquat pour éviter tout risque professionnel et l’employeur a ainsi manqué à son obligation de prévention des risques.

Dans ses écritures déposées au greffe le 7 avril 2023, oralement soutenues à l’audience et auxquelles il convient de se reporter pour un ample exposé de ses moyens, la caisse n’entend pas formuler d’observations sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Elle ajoute que, dans l’hypothèse de la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, elle procédera au recouvrement de l’intégralité des sommes, dont elle sera amenée à faire l’avance, directement auprès de l’employeur.

A l’audience, la caisse fait observer que la demande de l’employeur en inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail n’a pas d’incidence sur son recours subrogatoire à l’encontre de l’employeur pour le recouvrement des sommes dont elle fera l’avance, dans le cas où la faute inexcusable de celui-ci est reconnue.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la reconnaissance de la faute inexcusable

1-1- Sur les circonstances de l’accident

Sans contester le caractère professionnel de l’accident, l’employeur soutient, en substance, que les circonstances exactes de sa survenance le 27 octobre 2014, en sont indéterminées, en ce que les déclarations du salarié sont changeantes.

La cour constate que l’employeur produit les pièces suivantes :

– la déclaration d’accident du travail survenu le 27 novembre 2014 à 14h05 au préjudice du salarié, dans les circonstances suivantes : ” évacuation de benne, pose de filet ; nature de l’accident : chute “,

– le certificat médical initial établi le 27 novembre 2014 par un médecin du groupe hospitalier [6] à [Localité 8], faisant état d’une contusion de la jambe droite avec dermabrasion face antérieure, d’une contusion de l’épaule gauche et d’une contusion du rachis cervical et lombaire, mais aussi d’une lettre de réserves,

– une attestation de M. [Z] du 13 janvier 2015, responsable QSE de l’entreprise dont la société [7] est la prestataire, mentionné en qualité de témoin par l’employeur dans la déclaration d’accident du travail, qui rapporte que «[le salarié] conducteur de la société [7] lors du chargement d’une benne s’est blessé. En effet, il était 14heures, le 27 novembre 2014, [le salarié] devait mettre le filet sur sa benne, qui je précise était au sol. Il est monté dans la benne pour mettre le filet. Une palette gênait un peu, alors il est monté dessus pour tasser l’ensemble et il est passé au travers et s’est blessé à la jambe. Je lui ai donc demandé de le déclarer immédiatement à son employeur» (pièce n°23),

– les observations médicales du 15 janvier 2016 du docteur [S], ayant examiné le salarié et reporté les informations suivantes : « [le salarié] déclare que le 27 novembre 2014, il était en train de mettre son filet en-dessus d’une benne. Il est passé à travers les déchets constitués de palettes. Il s’est retrouvé dans le vide, pendu par les bras. Il a pu être secouru par des témoins. Il a été, au bout d’une heure, pris en charge par son employeur et conduit au service des urgences du groupe hospitalier les portes du Sud» (pièce n°14).

Il ressort des éléments précités, et comme l’ont parfaitement relevé les premiers juges, que:

– les déclarations de M. [Z], témoin de l’accident, concordent non seulement avec les déclarations de la victime, faites dans le cadre de l’enquête administrative, dont elles explicitent les termes, mais aussi avec les lésions constatées médicalement le jour même de l’accident,

– les déclarations faites par le salarié au médecin mandaté par une compagnie d’assurance pour réaliser une expertise médicale le 15 janvier 2016, ne viennent pas contredire les déclarations initiales qu’il a faites, non plus que celles du témoin présent sur les lieux.

La cour constate que l’employeur produit les attestations de M. [O], de Mme [I] [A] [W] et de Mme [B] [U] dont il ressort l’existence d’un contexte de difficultés relationnelles au sein de l’entreprise (pièces n°27 à 29 de l’employeur). Cependant, en ce qu’ils ne portent pas sur l’accident en litige ces témoignages n’en remettent nullement en cause les circonstances, telles que déclarées par le salarié et confortées par celles du témoin.

L’accident du travail étant survenu alors que la victime était montée dans une benne chargée dont il devait assurer le bâchage, afin de tasser au pied une palette qui gênait cette opération, lui occasionnant des blessures médicalement constatées le même jour, les circonstances de l’accident en sont suffisamment déterminées, en ce qu’elles mettent en cause les conditions dans lesquelles le salarié était amené à prendre en charge les bennes.

Par conséquent, le moyen soutenu par l’employeur tiré de l’indétermination des circonstances de l’accident n’est pas fondé, ainsi que l’ont retenu les premiers juges.

1-2 – Sur la conscience du danger

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé envers le travailleur.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident du travail. Il suffit qu’elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage. De même, la faute de la victime n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Sauf cas limitativement énumérées, la faute inexcusable ne se présume pas et il incombe au salarié ou à ses ayants droit d’en rapporteur la preuve.

Plus particulièrement, il leur appartient, une fois établis la matérialité de l’accident et son caractère professionnel, de prouver, d’une part, que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et qu’il n’a pas pris aucune mesure pour l’en préserver, d’autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l’employeur est une cause certaine de l’accident du travail dont ils se prévalent.

1-2-1- Sur la présomption de faute inexcusable

Selon l’article L. 4131-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007, le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé.

Le salarié soutient qu’il avait, à l’instar d’autres salariés, prévenu son employeur des dangers liés au fait que les bennes des camions étaient bien trop chargées l’obligeant à monter sur ces dernières afin d’installer des filets de protections.

A cet effet le salarié produit aux débats :

– une attestation du 7 août 2017 de M. [M], conducteur routier, au terme de laquelle celui ci rapporte qu’il avait «constaté et signalé par écrit et lettre recommandée les dangers liés à la sécurité des chauffeurs et des employés. (…) Les bennes étaient souvent surchargées (…)» (pièce n°6),

– une lettre du 5 novembre 2014 de M. [M] à l’employeur, jointe à l’attestation précitée, au terme de laquelle il est fait mention des difficultés dans l’exécution du contrat de travail, dont la problématique suivante : ‘chez les clients nous n’avons pas d’escarbot pour placer les filets de protections et j’en passe et après avoir dit cela à M. [V] [J] vous mettez la pression pour faire taire'(pièce n°6 Bis).

La cour constate que le courrier établi par M. [M] à l’attention de l’employeur, le 5 novembre 2014, n’est accompagné d’aucun accusé de réception, de sorte qu’il ne peut être affirmé que l’employeur en a eu connaissance.

Les seuls éléments, ainsi produits par le salarié, ne permettent pas de conclure que l’employeur avait été préalablement alerté de ce que les bennes étaient fréquemment surchargées et du risque qu’il encourait ainsi à l’occasion de leur recouvrement par la bâche avant l’enlèvement de la benne pour son transport, de sorte que le moyen tiré de l’existence d’une faute inexcusable présumée n’est pas fondé.

1-2-2- Sur la faute inexcusable prouvée

En l’espèce, il est constant que le salarié avait pour mission le chargement et le déchargement des marchandises, dont notamment le bâchage et débâchage des bennes.

La cour constate que le salarié produit :

– une attestation du 7 août 2017 de M. [M], conducteur routier, au terme de laquelle il fait état des constatations suivantes : ‘ les bennes étaient souvent surchargées (…)’ (pièce n°6),

– deux attestations des 15 juin 2015 et 13 septembre 2017 de M. [P], salarié en qualité de chauffeur poids lourd, aux termes desquellesl il déclare : ‘Nous étions soumis à installer les filets de protection en grimpant sur les bennes. Bien souvent surchargées avec des risques réels de chutes. Situation à risque d’accident du travail alors que nous en avons informés à plusieurs reprises nos responsables des risques que cela encourt, rien n’y a jamais été fait pour la sécurité des employés de la part de la direction.’ (pièce n°7 du salarié); ‘[l’employeur] nous a obligé à récupérer les bennes pleines qui sont même en surcharge et dangereux pour nos chauffeurs et les personnes (…) Il fallait monter dessus pour mettre le filet de sécurité de déchet’ (pièce n°21 du salarié).

Cependant, la cour relève que l’employeur produit une attestation du même salarié du 30 novembre 2017, aux termes de laquelle celui-ci rapporte que M. [D] lui a demandé de lui faire une attestation ; qu’il n’avait pas réellement réfléchi aux conséquences ; qu’il a effectué à sa demande l’attestation parce qu’il était en désaccord avec la direction et qu’il l’avait aidé financièrement (pièce n°26). Ainsi, les pièces n°7 et 21 du salarié et n°26 de l’employeur seront écartées comme étant sujettes à caution et donc insuffisamment probantes, dès lors que la cour n’est pas en mesure de déterminer les conditions dans lesquelles ces attestations ont pu être établies par l’une ou l’autre des parties,

– une attestation du 16 septembre 2017 de M. [H], chauffeur poids lourd, aux termes de laquelle il informe que la société l’obligeait à récupérer et à transporter les bennes surchargées, dont les déchets dépassaient de la benne ; que si les salariés refusaient de le faire, l’employeur les sanctionnait malgré le fait qu’ils devaient mettre le filet (pièce n°20),

– des photographies versées aux débats par le salarié qui montrent des bennes surchargées de déchets (pièce n°5).

Pour contredire ces éléments, l’employeur fait valoir, en substance, qu’aucune instruction n’avait jamais été donnée au salarié de monter dans la benne de chargement ni, a fortiori, de sauter sur les déchets qu’elle contient et qu’en montant et en sautant sur le contenu de la benne, le salarié a manqué à son obligation légale de veiller à sa propre sécurité, mais a aussi enfreint les consignes qui lui avaient été données. L’employeur ajoute qu’il n’est responsable que des ordres qu’il donne et ne peut avoir conscience du danger auquel est exposé le salarié que dans l’exercice normal des fonctions confiées à ce dernier.

Il ressort des éléments produits que le salarié a été embauché à compter du 3 juin 2013 en qualité de chauffeur dans une société spécialisée dans le transport de bennes à déchets (pièce n°1 du salarié) ; qu’il avait notamment pour mission de bâcher les bennes ; que les bennes étaient souvent surchargées ainsi qu’en témoignent messieurs [M] et [H] (pièces n°6 et n°20 du salarié) ; que le 27 novembre 2014 le salarié est monté sur la benne afin de tasser une palette qui gênait son opération de bâchage, occasionnant sa chute et les lésions médicalement constatées.

L’employeur qui soutient que des consignes avaient été données aux salariés de ne pas monter sur les bennes et d’utiliser une perche de mise en place du filet de recouvrement de la benne, ne produit toutefois à son dossier aucune pièce, antérieure à l’accident du travail du 27 novembre 2014, de nature à justifier de l’existence et de la teneur exacte des consignes qui auraient été données pour l’exécution des opérations de bâchage.

La cour rappelle qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, mais qu’il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.

De ces éléments, il résulte, comme l’ont relevé les premiers juges, que l’employeur, entreprise spécialisée dans le transport de bennes de déchets, aurait du avoir conscience du danger de chute et de blessures auquel était exposé le salarié, contraint dans le cadre de l’opération de bâchage de monter sur la benne pour en tasser le chargement afin de pouvoir placer le filet de protection.

1- 3- Sur les mesures de protection

En application de l’article R. 4515-1 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, les opérations de chargement ou de déchargement réalisées par des entreprises extérieures transportant des marchandises, en provenance ou à destination d’un lieu extérieur à l’enceinte de l’entreprise utilisatrice, dite « entreprise d’accueil’.

Elles dérogent aux dispositions relatives :

1° A la transmission à l’inspection du travail de l’état des heures passées à l’exécution de l’opération, prévue à l’article R. 4511-12 ;

2° A l’inspection commune préalable prévue aux articles R. 4512-2 à R. 4512-5 ;

3° Au plan de prévention prévu aux articles R. 4512-6 à R. 4512-11 ;

4° A l’information et à la communication au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des renseignements et documents prévues aux articles R. 4514-1 et R. 4514-2.

Selon l’article R.4515-2 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n°2008-244, on entend par opération de chargement ou de déchargement, l’activité concourant à la mise en place ou à l’enlèvement sur ou dans un engin de transport routier, de produits, fonds et valeurs, matériels ou engins, déchets, objets et matériaux de quelque nature que ce soit.

En application de l’article R. 4515-3 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, on entend par opérations de chargement ou de déchargement à caractère répétitif, celles qui portent sur des produits ou substances de même nature, sont accomplies sur les mêmes emplacements, selon le même mode opératoire, et mettent en ‘uvre les mêmes types de véhicules et de matériels de manutention.

Selon les articles R.4515-4 et R.4515-5 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, les opérations de chargement ou de déchargement, font l’objet d’un document écrit, dit ‘protocole de sécurité’, remplaçant le plan de prévention. Le protocole de sécurité comprend les informations utiles à l’évaluation des risques de toute nature générés par l’opération ainsi que les mesures de prévention et de sécurité à chacune des phases de sa réalisation.

En l’espèce, l’employeur soutient que le document d’évaluation des risques prévoit expressément, s’agissant du bâchage et débâchage des bennes, que la mise en place des filets doit se faire au sol et que le chauffeur dispose de perches pour mettre en place le filet (pièce n°24 de l’employeur). Il ajoute que le salarié a imaginé pouvoir lui reprocher ne pas lui avoir fourni de formation spécifique, sans préciser en quoi la formation aurait pu consister, ni le lien de causalité qui pourrait exister entre l’absence de formation sur un métier parfaitement connu par le salarié et pour lequel il a été formé.

Pour contredire ces éléments, le salarié fait valoir l’employeur n’a pas muni ses salariés du matériel adéquat pour éviter tout risque professionnel ; que l’employeur n’a pas pris soin d’évaluer le risque lié aux chutes ; que le document d’évaluation des risques produit par l’employeur a été crée le 26 avril 2017 et mis à jour en mai 2017, soit postérieurement à l’accident du travail survenu le 27 novembre 2014 ; que l’employeur ne lui a fourni aucune formation spécifique.

Le salarié produit en pièces n°8 à 11 de son dossier des documents démontrant que le problème de sécurité lors des opérations de bâchage et de débachâge est identifié, au point que sont commercialisés des systèmes brevetés comportant un kit de fixation, permettant à l’opérateur d’y procéder depuis le sol à l’aide d’une perche, mais aussi des systèmes automatiques mécanisés de bâchage de bennes.

Il ressort ainsi des pièces produites que la chute du salarié, occasionnée par le tassement des déchets d’une benne surchargée en vue de la réalisation de l’opération de bâchage, est à l’origine de son accident du travail ; l’employeur qui aurait dû avoir conscience du danger de chute et de blessure auquel était exposé le salarié lors de l’opération de bâchage de la benne ne justifie d’aucun document d’évaluation des risques dans les méthodes de travail, antérieurement à l’accident survenu le 27 novembre 2014, non plus que d’aucune action d’information, de formation et de prévention afin de réaliser le bâchage des bennes au sol avec le matériel adapté.

L’accident du travail pouvant être mis en rapport de causalité avec les manquements par l’employeur à son obligation et de sécurité, il résulte de ce qui précède que la preuve est rapportée de la faute inexcusable de l’employeur, dans la survenance de l’accident du travail dont le salarié a été victime.

2 – Sur les conséquences de la faute inexcusable

2-1 Sur la majoration de la rente

En application des dispositions de l’article L. 452-2, alinéas 2 et 3, du code de la sécurité sociale, il y a lieu de fixer au maximum la majoration des indemnités qui sont dues au salarié en vertu du livre IV du code de la sécurité sociale, étant observé que la caisse a attribué au salarié un taux d’incapacité permanente partielle 5%.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a fixé au maximum la majoration du capital servi par la caisse au salarié,

2-2 Sur les préjudices complémentaires indemnisables et la mission d’expertise

En application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la victime d’un accident du travail imputable à la faute inexcusable de l’employeur est fondée à demander réparation, indépendamment de la majoration de la rente ou du capital, du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, des préjudices esthétique et d’agrément, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Et il résulte de l’application de la réserve d’interprétation apportée à ce texte par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, que la victime est en droit de solliciter devant les juridictions de sécurité sociale la réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a d’ordonné, avant débat contradictoire sur la liquidation des préjudices complémentaires du salarié, une expertise médicale, aux frais avancés de la caisse, afin de déterminer l’ensemble des préjudices définis par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et ceux non couverts par le livre IV.

Le contenu de la mission confiée à l’expert est énoncé au dispositif du jugement de première instance, étant précisé qu’il appartiendra au pôle social tribunal judiciaire de Lyon, statuant après dépôt du rapport d’expertise, de se prononcer sur le bien-fondé des demandes en indemnisation qui seront formulées par le salarié.

Au regard de la nature des lésions subies par le salarié et de la durée des soins, il convient de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il fixé à 1000 euros le montant de la provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis du fait de l’accident.

2-3 Sur la demande en inopposabilité de l’employeur et l’action récursoire de la caisse

Les premiers juge ont renvoyé l’examen de la demande de l’employeur tendant à l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail du 27 novembre 2014 à l’audience de liquidation des préjudices.

L’employeur soutient que la décision de prise en charge du 10 février 2015 par laquelle la caisse a décidé de reconnaître le caractère professionnel de l’accident survenu le 27 novembre 2014 lui est inopposable au motif que la décision ne lui a jamais été notifiée.

Il est de principe que, ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige, est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Enfin, par application de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3.

Dès lors, la circonstance, à la supposer établie, que la caisse n’ait pas notifié à l’employeur la décision de prise en charge de l’accident survenu le 27 novembre 2014 est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle par application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Il s’ensuit que l’employeur est irrecevable à invoquer l’inopposabilité de la décision de prise en charge dans le cadre de l’instance en reconnaissance de sa faute inexcusable et le jugement est réformé en ce sens.

3 – Sur les frais irrépétibles et les dépens

La décision déférée est confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et les dépens.

Compte tenu de l’issue du litige, l’employeur est tenu aux dépens d’appel, sa demande au titre des frais irrépétibles est rejetée et il est équitable de fixer à 2 500 euros l’indemnité qu’il devra payer au salarié au titre de frais non compris dans les dépens que celui-ci a dû exposer pour faire valoir ses droits en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement, sauf en celle de ses dispositions par laquelle il a renvoyé l’examen de la demande de la société [7] tendant à l’inopposabilité de la décision de la caisse de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident du travail du 27 novembre 2014,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

DÉCLARE irrecevable la demande de la société [7] en inopposabilité de la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône de prise en charge de l’accident du travail du 27 novembre 2014, dans le cadre de l’instance en reconnaissance de sa faute inexcusable,

Y ajoutant,

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône pourra recouvrer contre la société [7] le montant de la majoration de la rente et les sommes allouées à M.  [L]  [D] en indemnisation de ses préjudices complémentaires, en ce compris les frais d’expertise,

CONDAMNE la société [7] à payer à M. [L] [D] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de la société [7] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [7] aux dépens d’appel.

La greffière, La présidente empêchée,

La conseillère honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

 


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