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AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/04304 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NCZG
[U]
C/
Société SIET DÉMÉNAGEMENTS
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lyon
du 13 Juillet 2020
RG : 18/00720
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 04 OCTOBRE 2023
APPELANT :
[D] [U]
né le 20 Mars 1970 à [Localité 7] (MAROC)
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Cécile RITOUET de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 69123/2/2020/20246 du 08/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉE :
Société SIET DÉMÉNAGEMENTS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Olivia LONGUET, avocat au barreau de LYON substituée par Me Edouard NEHMAN, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Juin 2023
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 04 Octobre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [U] a été embauché à compter du 15 juillet 2008 en qualité de chauffeur déménageur, ouvrier G5, par la société Siet Déménagements, exerçant une activité de déménagements de transports immobiliers. Le salarié était mis à disposition de la société Géodis Calberson.
Le salarié percevait une rémunération moyenne mensuelle de 1 911,70 euros et la convention collective des transports était applicable à la relation contractuelle.
Le 30 décembre 2015, M. [U] a été victime d’un accident de travail, déclaré consolidé par la Caisse primaire d’assurance maladie le 21 septembre 2016.
A la suite des deux visites de reprise des 31 août et 11 septembre 2017 (après étude de poste et des conditions de travail), le salarié a été déclaré définitivement inapte à son poste de travail, le médecin du travail ayant conclu de la manière suivante :
« Inaptitude totale et définitive au poste de travail de chauffeur livreur.
Ne doit plus effectuer de manutentions répétées de charges, mêmes légères, ni de travail de flexion ou rotation du tronc, ni de station débout prolongée statique.
Pourrait travailler sur un poste de travail majoritairement assis, avec possibilité de se lever de marcher régulièrement, sans manutention de charges, poste de type administratif ou d’accueil.
Je ne vois pas de reclassement possible au sein de l’entreprise. »
Par courrier en date du 15 septembre 2017, la société Siet Déménagements a proposé à M. [U] un poste de reclassement en tant que responsable de garde-meuble qui a été refusé par le salarié.
Par courrier en date du 28 septembre 2017, M. [U] a été convoqué par son employeur à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, lequel s’est déroulé le 6 octobre 2017.
Par courrier en date du 12 octobre 2017, M. [U] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en ces termes :
« [‘] Suite à l’entretien prévu avec la direction le 6 octobre 2017, auquel vous vous êtes présenté accompagné d’un conseiller syndical, il a été décidé de vous notifier votre licenciement pour motif suivant :
Inaptitude médicale suite à un arrêt pour accident du travail :
Suite à un arrêt pour accident du travail, vous avez été examiné par le médecin du travail dans le cadre d’une visite de pré-reprise le 25 août 2017 et le 31 août 2017 dans le cadre d’une visite de reprise.
Le médecin vous alors déclaré inapte définitivement le 11 septembre 2017 :
« Confirmation de l’inaptitude totale et définitive au poste de Chauffeur livreur prononcée le 31 août 2017.
Ne doit plus effectuer de manutentions répétées de charges, mêmes légères, ni de travail de flexion ou rotation du tronc, ni de station débout prolongée statique.
Pourrait travailler sur un poste de travail majoritairement assis, avec possibilité de se lever et de marcher régulièrement, sans manutention de charges, poste de type administratif ou d’accueil.
Fiche d’entreprise, étude de poste et des conditions de travail du 11 septembre 2017 »
Dans l’objectif de procéder à une recherche de reclassement compatible avec votre état de santé, et compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail, nous vous informions en date du 15 septembre 2017 de la possibilité de vous reclasser au poste de Responsable de garde meuble tout en conservant vos avantages salariaux (même durée du travail et même rémunération).
Vos fonctions auraient été d’accueillir le public, surveiller, ouvrir et fermer les box ainsi que le portail coulissant.
Nous avons également soumis cette proposition au médecin du travail pour savoir si elle était conforme avec votre état de santé, en date du 18 septembre 2017.
Ce dernier nous a répondu le même jour :
« La proposition de reclassement sur un poste d’accueil au garde meuble à [Localité 8] me semble compatible avec les préconisations de l’avis médical, vous pouvez donc proposer ce poste de travail à Monsieur [U] »
Vous avez répondu négativement à ladite proposition en date du 24 septembre 2017 nous demandant de vous proposer un poste de chauffeur sans manutention.
Nous avons donc soumis votre proposition au médecin du travail le 27 septembre 2017 qui nous a répondu le 28/09/2017 :
« Il n’est pas possible de proposer à M. [U] un poste de chauffeur car son état de santé contrindique la manutention répétée de charges, mêmes légères ; je l’ai déclaré inapte au poste de chauffeur livreur ; le poste de garde meuble pouvait convenir à son état de santé »
Lors de l’entretien du 6 octobre 2017, vous avez réitéré votre demande d’être reclassé uniquement sur un poste de chauffeur.
Comme nous vous l’avons expliqué, nous ne pouvons pas aller à l’encontre des indications du médecin du travail ; il en va de votre santé physique.
Au cours de même entretien, vous nous avez clairement indiqué refuser définitivement le poste de Responsable de garde meuble.
Nous considérons ce refus comme abusif au vu du respect des indications du médecin du travail et de la reprise des éléments essentiels de votre contrat de travail pour le poste proposé.
Par conséquent, en l’absence d’autre poste compatible avec votre état de santé et des conclusions du médecin du travail, l’entreprise ne disposant d’aucun autre établissement et ne faisant pas partie d’aucun groupe, il nous est impossible de vous reclasser à un autre poste et nous sommes dans l’obligation de vous licencier pour inaptitude.
Ce motif constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Votre licenciement prendra effet à compter de la date de cette notification.
Votre refus de reclassement étant abusif, vous ne pouvez prétendre à aucun paiement d’une indemnité compensatrice de préavis [‘] ».
Par requête en date du 13 mars 2018, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de lui demander de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner la société Siet Déménagements à lui verser diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire.
Par jugement en date du 13 juillet 2020, le conseil de prud’homme a :
– dit et jugé que la société Siet Déménagements a exécuté loyalement le contrat de travail,
– dit et jugé que le licenciement de M. [U] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– débouté M. [U] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la société Siet Déménagements de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné M. [U] aux dépens de l’instance.
M. [U] a interjeté appel de ce jugement le 30 juillet 2020.
Par conclusions notifiées le 2 mai 2023, il demande à la cour :
– de déclarer recevable et bien fondé son appel,
– d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
Statuant à nouveau,
– de dire et juger que la société Siet Déménagements a violé les dispositions relatives à la durée du travail et à la rémunération,
Par conséquent,
– de condamner la société Siet Déménagements à lui verser la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– de dire et juger que la société Siet Déménagements a intentionnellement dissimulé de l’activité salariée,
Par conséquent,
– de condamner la société Siet Déménagements à lui verser la somme de 11 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– de dire et juger que la société Siet Déménagements a violé son obligation d’exécution loyale du contrat de travail et son obligation de sécurité,
Par conséquent,
– de condamner la société Siet Déménagements à lui verser la somme de 12 000 euros de dommages et intérêts,
– de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– de dire et juger qu’aucun refus fautif de proposition de reclassement ne lui est imputable,
– de condamner la société Siet Déménagements à lui verser les sommes suivantes :
* 5 735,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 573,51 euros au titre des congés payés afférents,
* 4 659,78 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
– de condamner la société Siet Déménagements à verser à Me Cécile Ritouet la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700, 2° du Code de procédure civile,
– de déclarer irrecevable la demande faite par la SARL Siet Déménagements de remboursement d’un trop perçu d’heures supplémentaires,
– de la débouter de ses autres demandes,
– de condamner la société Siet Déménagements aux entiers dépens de l’instance.
Par conclusions notifiées le 4 mai 2023, la société Siet Déménagement demande à la cour :
A titre principal,
– de confirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Lyon en ce qu’il a débouté M. [U] de l’intégralité de ses demandes.
A titre subsidiaire,
– de juger que la somme due au titre du complément de l’indemnité compensatrice de préavis ne saurait excéder 1 516,70 euros,
Statuant à nouveau,
– de condamner M. [U] à rembourser la somme de 1 318,75 euros au titre de trop-perçu d’heures supplémentaires,
– d’infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Lyon en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile de première instance,
– de condamner M. [U] au paiement d’une somme globale de 3 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile de première instance et d’appel.
– de le condamner aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 mai 2023.
SUR CE :
Sur la demande de dommages-intérêts au titre des heures supplémentaires et de la prime exceptionnelle
M. [U] fait valoir que tout au long de la relation contractuelle, il a régulièrement accompli des heures au-delà de la durée légale de travail de 35 heures par semaine et que son employeur l’a mis dans l’impossibilité de vérifier leur entier paiement ; qu’il n’a jamais eu d’horaires quotidiens précisément définis et que son employeur n’a jamais réalisé un décompte de ses heures de travail.
Il admet qu’aucune demande ne peut être faite au-delà de mars 2015.
Le salarié ajoute qu’après avoir perçu une prime exceptionnelle en novembre et décembre 2014 puis d’août à décembre 2015, il a été privé discrétionnairement de ce bénéfice et que cette interruption est discriminatoire en raison de son lien avec son état de santé, puisqu’il était absent à cette période pour cause d’accident du travail.
La société Siet Déménagements objecte que M. [U], qui n’a jamais réclamé le paiement d’heures supplémentaires, ne démontre pas la réalité d’heures supplémentaires impayées et qu’il a même été payé au-delà du travail qu’il a réellement effectué.
Elle ajoute qu’en application de l’article L.3245-1 du Code du travail, les demandes du salarié ne peuvent porter sur une période antérieure au 13 mars 2015, ce dernier ayant saisi le conseil de prud’homme le 13 mars 2018.
Elle soutient qu’en outre, le salarié ne peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires que pour une période comprise entre le 1er mars et le 30 décembre 2015 puisqu’il a été placé en arrêt de travail à compter du 30 décembre 2015,
Enfin, elle conteste que le non-versement de la prime à M. [U] après son accident du travail soit discriminatoire alors que la prise en charge de son accident du travail par la Sécurité sociale englobe ses primes, de sorte qu’elles ne pouvaient lui être payées deux fois.
***
La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée. M. [U] soutient avoir effectué des heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées et déplore n’avoir pas perçu une prime.
Aux termes de l’article L.3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré.
Le contrat de travail a été rompu le 12 octobre 2017, l’action du salarié ne peut porter sur un rappel de salaire pour les périodes antérieures au mois d’octobre 2014, or, M. [U] précise ne pas faire de demande pour la période antérieure au mois de mars 2015. Son action n’est donc pas prescrite.
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
M. [U] ne précise pas le nombre d’heures non rémunérées qu’il aurait effectuées ; toutefois, l’employeur verse aux débats le relevé des activités conducteur pour la période courant du 1er mars 2015 au mois de novembre 2015.
Le rapprochement de ces décomptes d’activité avec les fiches de paie pour la période permet de constater qu’aucune heure supplémentaire réalisée n’est impayée.
En application des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail, il appartient au salarié qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte de présenter des éléments de fait laissant supposer son existence. Il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination étant rappelé que l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés.
L’interruption du versement d’une prime exceptionnelle au mois de janvier 2016, alors que le salarié était en arrêt maladie et que cette prime avait été versée aux mois de novembre et décembre 2014 puis du mois d’août 2015 au mois de décembre 2015, ne laisse pas supposer une discrimination.
En effet, cette prime exceptionnelle n’a pas non plus été versée du mois de janvier 2015 au mois de juillet 2015, alors que le salarié était en activité.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts.
Sur le travail dissimulé :
M. [U] soutient que son employeur a intentionnellement dissimulé une partie de son activité et omet volontairement de produite les décomptes des heures qu’il a réalisées, qu’il ne pouvait ignorer qu’il mentionnait sur ses bulletins de salaire un nombre d’heures inférieures à celui réellement effectué, sauf à prétendre que les plannings n’étaient pas pris en compte pour établir les bulletins de paie.
La société Siet Déménagements répond que le salarié, sur qui repose exclusivement la charge de la preuve, ne démontre pas qu’elle aurait intentionnellement dissimulé une partie de son activité et qu’il est faux de prétendre que ses heures supplémentaires réalisées n’apparaissent pas sur ses bulletins de paie.
***
Il ne résulte pas des éléments du dossier que l’employeur aurait entendu se soustraire à ses obligations déclaratives et aurait sciemment omis de rémunérer des heures de travail, sachant qu’elles avaient été accomplies.
Le jugement sera confirmé.
Sur l’exécution du contrat de travail et le respect de l’obligation de sécurité :
M. [U] soutient :
– que son employeur ne lui a remis son bulletin de salaire du mois de septembre 2017 que le 15 mars 2019 ;
– que sa visite médicale d’embauche a été organisée tardivement le 1er décembre 2011 alors qu’il a été engagé le 15 juillet 2008, soit plus de trois mois après sa prise de fonction ; et qu’il aurait dû bénéficier d’une visite médicale renforcée puisqu’il manutentionnait des charges lourdes ;
– que son employeur n’a pas mis en place des moyens et mesures d’organisation appropriées afin d’éviter le recours à la manutention manuelle de charges et que lorsque celle-ci était nécessaire, l’organisation du poste de travail ne permettait pas de réduire les risques d’accident (aides mécaniques désuètes ou inadéquates, pas de véritable politique de prévention de risques, etc.) ;
– que son employeur a délibérément violé son obligation de sécurité, l’exposant à une situation de danger et que le comportant fautif de son employeur a eu pour conséquence la survenance de son accident du travail, intervenu en manipulant des charges lourdes.
La société Siet Déménagements objecte :
– qu’elle a présumé que le bulletin de salaire manquant était celui de septembre 2017 et le lui a communiqué à nouveau, et qu’elle n’avait pas d’intérêt à ne pas lui adresser un seul bulletin de paie ;
– qu’en raison d’un oubli de son cabinet d’expertise, la première visite médicale de M. [U] a certes été tardive, mais qu’il a ensuite été déclaré apte à son poste le 1er décembre 2011 puis le 25 février et que de ce fait, il n’a subi aucun préjudice ;
– qu’il n’était pas nécessaire de mettre en place une visite médicale « renforcée » puisque des aides mécaniques étaient fournies au salarié (camion disposant d’un hayon électrique en bon état de fonctionnement, transpalette, chariot élévateur, tenues fournies) et qu’il n’était pas concerné par le port de charges supérieures à 25 kg ;
– que le document d’évaluation des risques professionnels permet de constater qu’elle a été faite correctement et que l’ensemble des autres éléments permettent de vérifier que le nécessaire a été fait afin de protéger la santé et la sécurité des salariés.
***
En vertu de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à prendre en application de l’article L. 4624-1 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce.
Aux termes de l’article R4624-10 dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 1er juillet 2012, le salarié bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail.
Selon l’article R 4541-9 du code du travail, lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable et que les aides mécaniques prévues au 2° de l’article R. 4541-5 ne peuvent pas être mises en ‘uvre, un travailleur ne peut être admis à porter d’une façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’y avoir été reconnu apte par le médecin du travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes.
La remise tardive d’un bulletin de paie ne cause pas nécessairement un préjudice dont l’existence doit, en tout cas, être prouvée par le salarié, ce que ne fait pas M. [U] s’agissant de la fiche de paie du mois de septembre 2017.
Il est constant que M. [U] n’a pas bénéficié d’une visite médicale d’embauche dans les délais qui s’imposaient alors puisque sa visite d’embauche date du 1er décembre 2011.
Il lui appartient de démontrer le préjudice qui en serait résulté, ce qu’il ne fait pas.
S’agissant des conditions dans lesquelles il exerçait son activité, M. [U] verse aux débats :
une attestation de M. [E], qui déclare avoir travaillé avec M. [U] de juillet 2008 à février 2014 et avoir porté des colis dont le poids variait entre 1 et 600 kilos ;
une autre de M. [W], qui dit avoir travaillé dans la société SIET d’octobre 2009 à novembre 2015, avoir porté des colis pesant quelques grammes jusqu’à des palettes de centaines de kilos voire la tonne et que le matériel fourni était inadéquat ou en mauvais état.
La société SIET DEMENAGEMENTS verse aux débats :
le registre du personnel sur lequel figure M. [W] mais pas M. [E] ;
des contrats de sous traitance avec la société CALBERSON, sur lesquels il est mentionné à la rubrique « matériel à mettre à disposition », notamment matériel de manutention (diable, transpalette), et EPI ;
les factures d’entretien du camion, doté d’un hayon, immatriculé [Immatriculation 6] dont il n’est pas contesté qu’il était conduit par M. [U] ;
les rapports de vérification périodique des appareils de manutention ou de levage pour ce même véhicule ;
les factures d’achat de transpalettes manuels et de diables ;
les attestations de MM. [I], [Y], [C], [O], [G] qui témoignent qu’ils disposent pour les livraisons, de camion avec hayon électrique, diable et transpalettes ;
les attestations de Mme [Z], secrétaire, qui témoigne que les camions mis à disposition des chauffeurs livreurs pour la sous traitance chez Calberson Geodis restent sur les quais de Calberson, et Mme [S], secrétaire, qui témoigne que lorsqu’une panne survient pendant la tournée d’un chauffeur poids lourd, panne du hayon, chariot diable cassés, le matériel est remplacé dans l’heure.
Au vu de ces pièces, les aides mécaniques prévues au 2° de l’article R 4541-5 du code du travail ayant été mises en ‘uvre, un avis du médecin du travail tel que prévu à l’article R 4541-9 du code du travail n’était pas nécessaire.
Il est établi que l’employeur a mis en ‘uvre les mesures nécessaires pour éviter le port de charges lourdes.
L’employeur verse aux débats la grille d’évaluation des risques professionnels, établie en 2005.
Aucun manquement de l’employeur à son obligation de sécurité n’est établi.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de loyauté.
Sur la rupture du contrat de travail :
Le salarié invoque :
– sur l’obligation de sécurité, que son accident de travail est survenu le 30 décembre 2015 alors qu’il portait une charge lourde et que son inaptitude est la conséquence directe du comportement fautif de son employeur qui a perduré pendant plusieurs années,
– sur l’obligation de reclassement, que la société Siet Déménagement comportait plus de 11 salariés au moment de son licenciement, de sorte que les délégués du personnel auraient dû être consultés pour examiner la proposition de reclassement qui lui a été faite, et que c’est à l’entreprise de rapporter la preuve que l’effectif légalement fixé n’était pas atteint,
– que son employeur a manqué de loyauté en ne lui faisant qu’une seule proposition de reclassement, manquant de précision et d’individualisation, et qu’il appartient à son employeur de prouver qu’aucun autre poste n’était vacant, notamment un poste de chauffeur comme il le lui avait proposé,
La société Siet Déménagemens répond :
– sur l’obligation de sécurité, qu’outre le fait qu’elle ait respecté son obligation de sécurité, l’argumentation de M. [U] quant aux circonstances de son accident est parcellaire, et qu’il ne rapporte pas la preuve que son inaptitude résulterait directement du comportement de l’entreprise ;
– sur l’obligation de reclassement, qu’il n’existe pas de représentant du personnel puisque l’effectif est inférieur aux exigences légales, ce dont atteste l’expert-comptable ;
– qu’elle ne pouvait proposer d’autres postes au salarié dans la mesure où l’essentiel de ses emplois sont des postes de déménageurs, incompatibles avec son inaptitude ; en outre, elle n’a embauché concomitamment ou postérieurement au licenciements de M. [U] que des chauffeurs livreurs et déménageurs ;
– que par un courrier clair et précis, elle a proposé un poste de responsable garde meuble au salarié, lequel l’a refusé abusivement alors que le poste avait été jugé compatible avec ses contraintes médicales par le médecin du travail ;
– que le salarié demandait un poste de chauffeur auquel il a été déclaré inapte ;
– que le salarié prétend ne plus pouvoir exercer l’emploi de chauffeur livreur alors qu’il exerce désormais une activité physique de vendeur de fruits et légumes sur les marchés, comme en atteste le constat d’huissier qu’elle produit, qui est un mode de preuve admis par la jurisprudence.
***
Si l’inaptitude du salarié a été directement causée par le comportement fautif de l’employeur, le licenciement en résultant est sans cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l’article L. 1226-10 du code du travail, le licenciement qui repose sur une inaptitude d’origine professionnelle n’est légitime que si l’employeur a préalablement satisfait à l’obligation de reclassement mise à sa charge par ce texte, après avis des délégués du personnel.
Selon l’article L2312-2 du code du travail, dans sa version en vigueur du 24 mars 2012 au 01 janvier 2018, la mise en place des délégués du personnel n’est obligatoire que si l’effectif d’au moins onze salariés est atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes.
Dans le cadre de l’obligation de recherche de reclassement, l’employeur n’a pas l’obligation de créer un nouveau poste de travail.
Le reclassement du salarié déclaré inapte doit être recherché parmi les emplois disponibles dans l’entreprise sans que l’employeur soit tenu d’imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail à l’effet de libérer son poste.
Cette recherche de reclassement doit être mise en ‘uvre de façon loyale et personnalisée.
M. [U] a été victime d’un accident du travail le 30 décembre 2015, alors qu’il se trouvait [Adresse 2] à [Localité 4], dont les circonstances sont décrites ainsi « pendant un déchargement d’une palette, M. [U] a ressenti un claquement au niveau des lombaires ».
Il ne ressort pas de cette description que l’accident du travail est causé par un manquement fautif de l’employeur.
La société SIET DEMENAGEMENTS verse aux débats une attestation, en date du 16 mai 2019, de son expert-comptable, selon laquelle, au moment du licenciement de M. [U], la société SIET ne remplissait pas les conditions d’effectif contenues dans les articles L. 1111-2 et L. 1251-54 du code du travail qui l’obligerait à provoquer des élections de délégués du personnel au cours de l’année 2017.
L’employeur n’avait pas l’obligation de consulter les délégués du personnel, en l’absence d’obligation de mise en place de délégués.
Le médecin du travail a émis l’avis suivant, le 31 août 2017 « inaptitude totale et définitive au poste de chauffeur livreur ; ne doit plus effectuer de manutentions répétées de charges, mêmes légères, ni de travail de flexion ou rotation du tronc, ni de station débout prolongée statique.
Pourrait travailler sur un poste de travail majoritairement assis, avec possibilité de se lever de marcher régulièrement, sans manutention de charges, poste de type administratif ou d’accueil.
Je ne vois pas de reclassement possible au sein de l’entreprise. Avis à confirmer après l’étude des postes et conditions de travail du 11 septembre prochain. »
Le 11 septembre 2017, le médecin a émis le même avis en précisant que la fiche entreprise, l’étude de poste et des conditions de travail avaient été réalisées le 11 septembre 2017.
Au vu de cet avis, l’employeur a proposé au salarié, par courrier du 15 septembre 2017, un poste de responsable de garde meuble, avec maintien des avantages salariaux antérieurs, lui précisant qu’il sera mis à disposition une chaise ainsi qu’un canapé lit ; que ses fonctions seront d’accueillir le public, surveiller, ouvrir et fermer les box ainsi que le portail coulissant.
Le 18 septembre 2017, le médecin du travail, interrogé par mail par la société SIET a répondu que la proposition de reclassement sur un poste d’accueil au garde meuble à [Localité 8] lui semblait compatible avec les préconisations de l’avis médical.
M. [U] a refusé cette proposition, en sollicitant un poste de chauffeur sans manutention.
La recherche de reclassement s’est faite de manière loyale.
Le licenciement n’est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les indemnités
M. [U] fait valoir qu’il avait le droit de refuser la proposition de reclassement et que son refus était justifié en raison de la modification substantielle de son contrat de travail et de la non-adéquation des fonctions avec ses compétences professionnelles.
La société SIET DEMENAGEMENTS objecte que le refus du salarié est abusif.
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En vertu de l’article L. 1226-14 du code du travail, en cas de licenciement pour inaptitude générée par une maladie professionnelle ou un accident du travail, le salarié a droit, d’une part, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5, d’autre part, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables non invoquées, est égale au double de l’indemnité légale de licenciement.
Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l’employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.
L’article L.5213-9 du code du travail, qui a pour but de doubler la durée du délai-congé en faveur des salariés handicapés, n’est pas applicable à l’indemnité compensatrice prévue à l’article L. 1226-14 du code du travail.
Le poste proposé à M. [U] emportait modification de son contrat de travail, puisque jusqu’alors, il exerçait le métier de chauffeur livreur et que lui était proposé un poste de responsable de garde-meubles.
Ainsi, il n’est pas établi que le refus du salarié était abusif.
Aux termes de la convention collective des transports routiers, et eu égard à l’ancienneté, supérieure à deux ans, de M. [U], la durée du préavis est de deux mois.
Il est justifié, au titre de l’indemnité compensatrice, laquelle n’ouvre pas droit à des congés payés afférents, de condamner la société SIET DEMENAGEMENTS à payer à M. [U] la somme de 3 823,40 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Déduction faite de l’indemnité déjà versée, la société SIET DEMENAGEMENTS reste devoir, au titre de l’indemnité spéciale de licenciement, la somme de 4 659,78 euros, au paiement de laquelle il convient de la condamner. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur la demande reconventionnelle en remboursement d’un trop perçu formée par la société Siet Déménagements
M. [U] fait valoir :
que la demande de remboursement au titre d’heures supplémentaires qui lui auraient été payées alors qu’il ne les avait pas effectuées faite par la société Siet Déménagements est irrecevable en ce qu’elle est nouvelle en cause d’appel
que son employeur invoque un trop-perçu sans expliquer le calcul utilisé.
La société Siet Déménagements réplique qu’en application de l’article 567 du Code de procédure civile, sa demande est recevable puisqu’il s’agit d’une demande reconventionnelle qui se rattache bien à la prétention originaire de M. [U], à savoir une demande rappel d’heures supplémentaires.
Elle prétend que le salarié a augmenté artificiellement le nombre d’heures qu’il effectuait chez la société Geodis Calberson en insérant sa carte dans le chronotachygraphe avant sa prise de poste qui devait normalement débuter à 7 heures.
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Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Par application de l’article 567 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
Aux termes de l’article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l’espèce, la société SIET DEMENAGEMENTS forme une demande en remboursement en soutenant que le salarié lui doit un trop perçu d’heures supplémentaires. Or, ce dernier a simplement formé une demande de dommages-intérêts au titre d’heures supplémentaires et de prime exceptionnelle et non une demande de rappel de salaires. La société SIET n’oppose pas compensation.
La demande reconventionnelle de la société SIET DEMENAGEMENTS faite pour la première fois en cause d’appel ne se rattache pas par un lien suffisant aux prétentions originaires et est donc irrecevable.
Sur les autres demandes,
Compte-tenu de la solution apportée au litige, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens seront infirmées et la société SIET DEMENAGEMENTS condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il est équitable de condamner la société SIET DEMENAGEMENTS à payer à Maître RITOUET, au titre des frais non compris dans les dépens, la somme de 1 800 euros, sur le fondement de l’article 700.2° du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition, contradictoirement
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes au titre de la durée du travail et de la rémunération, du travail dissimulé, de l’exécution du contrat de travail, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre de congés payés sur préavis et rejeté la demande de la société SIET DEMENAGEMENTS fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société SIET DEMENAGEMENTS à payer à M. [U] :
à titre d’indemnité compensatrice, la somme de 3 823,40 euros ;
à titre de solde d’indemnité spéciale de licenciement, la somme de 4 659,78 euros ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de la SIET DEMENAGEMENTS en remboursement d’un trop-perçu sur les heures supplémentaires ;
Condamne la société SIET DEMENAGEMENTS aux dépens de première instance et d’appel ;
Condamne la société SIET DEMENAGEMENTS à payer à Me RITOUET la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 2° du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE