Chauffeur Poids-Lourd : décision du 30 décembre 2022 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/00345

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 30 décembre 2022 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/00345
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ARRET N° 22/530

CE/CRG

COUR D’APPEL DE BESANCON

ARRET DU 30 DECEMBRE 2022

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 25 Février 2022

N° de rôle : N° RG 21/00345 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EK6J

S/appel d’une décision

du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE VESOUL

en date du 27 janvier 2021

code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANT

Monsieur [V] [W], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Anne LAGARRIGUE, avocat au barreau de HAUTE-SAONE

Comparant

INTIMEE

S.A.S. DTP [J] FEDY, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Emilie BREITNER, avocat au barreau de HAUTE-SAONE

Comparante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile l’affaire a été débattue le 25 Février 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur ESTEVE Christophe, Président de Chambre, entendu en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme Cécile MARTIN, Greffier lors des débats et Mme Catherine RIDE-GAULTIER, Greffière, lors de la mise à disposition.

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 06 Mai 2022 par mise à disposition au greffe, le délibéré a été prorogé jusqu’au 30 décembre 2022

**************

Statuant sur l’appel interjeté le 25 février 2021 par M. [V] [W] d’un jugement rendu le 27 janvier 2021 par le conseil de prud’hommes de Vesoul, qui dans le cadre du litige l’opposant à la SAS [J] FEDY a :

– dit que la procédure de licenciement pour faute grave est respectée,

– dit que le licenciement pour faute grave est juridiquement fondé,

– débouté M. [V] [W] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [V] [W] à payer à la société DTP [J] FEDY la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [V] [W] aux entiers dépens,

Vu les dernières conclusions transmises le 6 octobre 2021 par M. [V] [W], appelant, qui demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a écarté les griefs suivants :

non-respect des consignes données par la hiérarchie : refus d’utilisation de la tablette permettant la pesée des camions, refus de compléter les différents documents de sécurité,

non-respect des horaires de travail : au retour de la pause-déjeuner à 13h, les chauffeurs de camions se plaignent d’attendre souvent pour se faire charger. Le bureau reçoit les appels téléphoniques mécontents des clients et nos chantiers se trouvent perturbés par votre absence,

non-respect du délai pour la remise des bons de pesée au bureau de Marloz. Régulièrement certains bons de pesée sont remis après le 10 du mois suivant alors que la facturation est déjà terminée,

non-remise des bons d’enlèvement : vous n’avez pas remis les bons de pesée des journées du 9, 10, 11 décembre 2019. Votre collègue étant absent pour maladie et devant votre refus de vous servir de la tablette, vous avez dû établir des bons de pesée manuels et auriez dû les remettre au bureau pour facturation. A ce jour nous n’avons réceptionné aucun bon sur ces trois journées et ne pouvons donc pas effectuer la facturation correspondante aux enlèvements,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu les deux griefs suivants :

non-respect des collègues et de la hiérarchie,

atteinte à l’image de l’entreprise,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

dit que la procédure de licenciement pour faute grave était respectée,

dit que le licenciement pour faute grave était juridiquement fondé,

débouté M. [V] [W] de l’intégralité de ses demandes,

condamné M. [V] [W] à payer à la société DTP [J] FEDY la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [V] [W] aux entiers dépens,

statuant à nouveau :

– juger que le licenciement pour faute grave de M. [V] [W] est abusif,

– condamner la société DTP [J] FEDY à payer à M. [V] [W] les sommes suivantes :

25 194,54 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

8 694 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

3 599,22 euros au titre de l’indemnité de préavis,

359,92 euros au titre des congés payés afférents,

298,85 euros bruts et les congés payés afférents pour le mois de décembre 2019,

1 653,56 euros au titre du rappel de salaire pour la mise à pied injustifiée,

165,35 euros au titre des congés payés afférents,

3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société DTP [J] FEDY aux entiers dépens,

– débouter la société DTP [J] FEDY de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Vu les dernières conclusions transmises le 31 janvier 2022 par la société par actions simplifiée DTP [J] FEDY (en réalité [J] FEDY), intimée, qui demande à la cour de :

à titre principal :

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

à titre subsidiaire, si aucune faute grave ne devrait être retenue à l’encontre de M. [W] :

– dire que le licenciement de M. [V] [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– dire que M. [V] [W] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive,

à titre infiniment subsidiaire, si le licenciement devait être considéré comme non fondé :

– dire que les dommages et intérêts pour rupture abusive seront fixés à la somme de 5.398,83 euros, soit trois mois de salaire,

– réduire à de plus justes proportions les sommes sollicitées par M. [V] [W],

en tout état de cause :

– dire que les sommes sollicitées au titre des congés payés sont irrecevables et les rejeter,

– condamner M. [V] [W] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,

Vu l’ordonnance de clôture du 3 février 2022,

SUR CE

EXPOSE DU LITIGE

M. [V] [W] a été embauché par M. [D] [J] à compter du 9 juillet 2002 sous contrat à durée déterminée d’un an en qualité de chauffeur polyvalent.

Selon avenant signé le 1er août 2003, la relation contractuelle s’est poursuivie à compter du 9 juillet 2003 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Le 17 décembre 2019, M. [V] [W] a été mis à pied à titre conservatoire puis, par lettre du 20 décembre 2019, convoqué à un entretien préalable qui s’est déroulé le 14 janvier 2020.

Par lettre du 17 janvier 2020, la SAS [J] FEDY a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.

C’est dans ces conditions que M. [V] [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Vesoul le 17 mars 2020 de la procédure qui a donné lieu au jugement entrepris.

MOTIFS

1- Sur le licenciement :

Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit avoir une cause réelle et sérieuse et il appartient à l’employeur de rapporter la preuve du motif l’ayant conduit à se séparer du salarié.

En vertu de l’article L. 1232-6 du même code, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception qui comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

En application de l’article L. 1235-1, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

C’est à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et à laquelle la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de sa teneur, l’employeur reproche au salarié les faits suivants :

« – Non-respect de vos collègues et hiérarchie : insultes, attitude désagréable s’assimilant à du harcèlement de vos collègues au point que certains ont demandé un changement de poste et d’autres ont démissionné.

– Non-respect des consignes données par la hiérarchie : refus d’utilisation de la tablette permettant la pesée des camions, refus de compléter les différents documents de sécurité (classeur carrière), …

– Non-respect des horaires de travail : au retour de la pause-déjeuner à 13h, les chauffeurs de camions se plaignent d’attendre souvent pour se faire charger. Le bureau reçoit les appels téléphoniques mécontents des clients et nos chantiers se trouvent perturbés par votre absence.

– Non-respect du délai pour la remise des bons de pesée au bureau à Marloz. Régulièrement certains bons de pesée sont remis après le 10 du mois suivant alors que la facturation est déjà terminée.

– Non remise des bons d’enlèvement : vous n’avez pas remis les bons de pesée des journées du 09, 10 et 11/12/19. Votre collègue étant absent pour maladie et devant votre refus de vous servir de la tablette, vous avez dû établir des bons de pesée manuels et auriez dû les remettre au bureau pour

facturation. A ce jour, nous n’avons réceptionné aucun bon sur ces 3 journées et ne pouvons donc pas effectuer la facturation correspondante aux enlèvements.

– Atteinte à l’image de l’entreprise en raison de votre comportement envers nos clients et personnes extérieures. Par exemple, lors de travaux à [Localité 4], le chef de chantier de l’entreprise [T] [L], notre donneur d’ordres, nous a demandé de vous remplacer en raison d’une part, de votre

refus de respecter leurs instructions et d’autre part, de votre comportement irrespectueux envers toutes les personnes présentes sur le chantier. Nous avons donc dû changer les équipes afin de poursuivre le chantier et conserver notre client.

De plus, lors de la visite de Prévencem (organisme de contrôle sécurité extérieur qui suit l’entreprise depuis plus de 10 ans) le 12 décembre 2019, vous avez eu également un comportement nuisant à la réputation de l’entreprise : vos paroles sur un ton hautain et provoquant :« à quoi vous servez ‘ », ont fortement choqué le technicien qui nous en a fait part immédiatement. Ce comportement ne peut être toléré par l’entreprise. »

Les griefs 2 (non-respect des consignes), 3 (non-respect des horaires de travail), 4 et 5 (non-respect du délai de remise des bons de pesée et non-remise des bons de pesée des 9, 10 et 11 décembre 2019) ont été écartés par les premiers juges, qui ont en revanche retenu que les griefs 1 et 6 étaient établis s’agissant d’une part du comportement insultant et confinant au harcèlement du salarié envers certains de ses collègues et d’autre part de l’atteinte à l’image de l’entreprise en raison du comportement hautain et provoquant de M. [W], le 12 décembre 2019, à l’endroit d’un employé de l’organisme de contrôle.

1-1- Sur le non-respect des consignes (grief 2) :

Ce grief n’est pas étayé, l’employeur ne justifiant pas au demeurant avoir donné pour consigne à M. [W] d’utiliser la tablette pour l’établissement des bons.

En outre, lors des débats de première instance, la société [J] FEDY a reconnu avoir accordé au salarié la possibilité de rédiger des bons papier au lieu d’utiliser la tablette.

Elle le confirme encore page 14 de ses dernières conclusions d’appel.

C’est dès lors à juste titre que les premiers juges ont retenu que ce grief n’était pas établi.

1-2- Sur le non-respect des horaires de travail (grief 3) :

A l’appui de ce grief, l’employeur communique les attestations de MM. [R] et [H].

Cependant, ces attestations peu circonstanciées ont une valeur probante insuffisante dans la mesure où les deux témoins procèdent par affirmations générales sans dater les faits relatés.

En outre, si les attestations de MM. [G] et [E] ne peuvent être prises en compte en ce qu’elles se rapportent à une période trop ancienne, M. [W] produit deux autres attestations établies par MM. [O] et [B], qui témoignent de sa ponctualité et de son professionnalisme vis à vis de la clientèle, le premier ayant travaillé avec lui jusqu’en novembre 2018 et le second en sa qualité d’artisan s’étant approvisionné aux carrières dans lesquelles il travaillait jusqu’en décembre 2019.

Dans ces conditions et ainsi que l’ont retenu à juste titre les premiers juges, il n’est pas établi que M. [W] faisait durer la pause-déjeuner au-delà de 13 heures et contraignait ainsi les chauffeurs à attendre pour se faire charger.

1-3- Sur la remise des bons de pesée (griefs 4 et 5) :

Le conseil a relevé qu’au regard de l’attestation d’une ancienne employée de l’entreprise, Mme [K] [J], et du compte rendu de réunion avec les délégués du personnel du 4 juin 2019, il n’était pas possible de vérifier si les faits étaient prescrits.

Dans son attestation, Mme [J] ne date pas les faits relatés. De surcroît, leur caractère systématique laisse à penser que durant la période à laquelle elle fait allusion sans pour autant la déterminer, il existait une tolérance à cet égard de l’employeur.

Quant au compte rendu de réunion du 4 juin 2019, il rappelle uniquement l’obligation de « ramener les bons de carrière toutes les semaines ainsi que les différents bons de chantier », en précisant : « Il s’avère que ce n’est pas toujours le cas, cela devient donc intolérable », sans mettre spécifiquement en cause M. [W].

S’agissant de la non-remise des bons des 9, 10 et 11 décembre 2019, ce dernier fait valoir à bon droit qu’il n’a pu les remettre à son employeur en raison de la mesure de mise à pied conservatoire intervenue à son encontre le 17 décembre 2019.

En effet, cette mesure étant d’application immédiate et interdisant au salarié de se maintenir sur son lieu de travail, l’employeur ne peut dès lors lui reprocher l’éventuel manquement qu’elle induit.

C’est dans ces conditions avec pertinence que les premiers juges ont également écarté ces griefs.

1-4- Sur le comportement du salarié (griefs 1 et 6) :

Il n’est communiqué par l’employeur aucun élément permettant de retenir que le salarié aurait eu un comportement inapproprié vis-à-vis de sa hiérarchie.

En revanche, l’employeur justifie du comportement fautif de M. [W] vis-à-vis de plusieurs de ses collègues de travail (grief 1), d’un client et d’un technicien de l’organisme extérieur de prévention agréé PREVENCEM (grief 6).

Il ressort ainsi de l’attestation circonstanciée en date du 21 août 2020 de M. [S], salarié de la société [J] FEDY, et des messages téléphoniques échangés par celui-ci les 12 et 17 décembre 2019 avec une personne au bureau de l’entreprise qu’à son retour d’arrêt maladie le 12 décembre 2019, il a de nouveau été agressé verbalement par M. [W] à deux reprises, au point de quitter son lieu de travail pour dire à son patron qu’il voulait démissionner, ne pouvant plus travailler avec une personne qui lui parle mal et qui rabaisse les gens. Ce témoin écrit également que les propos très désagréables, les remarques désobligeantes, quotidiennes et répétitives, et parfois même les insultes de M. [W] s’assimilaient à du harcèlement moral et qu’il avait « la boule au ventre » tous les matins. Il relate aussi que M. [W] surnommait M. [F] « le chinois » d’un ton moqueur et lui disait que ce dernier était un bon à rien.

M. [F] atteste avoir été, courant 2019, régulièrement et quotidiennement harcelé par M. [W], qui lui faisait des critiques injustifiées et lui tenait des propos blessants et humiliants. Ce témoin précise que ses conditions de travail se sont fortement détériorées au point d’aller au travail « la boule au ventre », qu’il était réellement en souffrance et extrêmement affecté par ces agissements répétés.

MM. [Y] et [M], délégués du personnel, attestent que courant 2019 M. [F] les a informés du fait qu’il subissait un harcèlement moral de la part de M. [W]. Considérant dès lors leur collègue en situation de danger immédiat, ils ont alerté l’employeur.

Les faits ont été évoqués à la réunion du 4 juin 2019 tenue entre l’employeur et les délégués du personnel :

« Problème carrière [Localité 3] :

Les délégués du personnel ont informé M. [J] des problèmes que rencontre M. [F] [N] avec M. [W] [V].

M. [W] [V] a un comportement répétitif inacceptable vis-à-vis de M. [F] [N], que l’on pourrait qualifier de harcèlement moral.

M. [J] [D] s’engage à aller voir M. [W] [V] pour que son comportement cesse étant donné que les remarques précédentes ne semblent pas avoir été entendues. M. [F] [N] sera donc orienté vers la carrière de Traitiéfontaine.

Nous rappelons l’importance et même l’obligation d’un comportement correct, courtois et respectueux vis-à-vis de ses collègues. C’est à chacun de surveiller son humeur, afin de ne pas la faire subir à ses co-équipiers pour des raisons d’entente dans les équipes mais aussi pour l’image de l’entreprise vis-à-vis des clients et autres entreprises lors de co-activité. »

La mère de M. [F] témoigne de la chute de moral de son fils [N] à partir de mars 2019 et du fait qu’il l’a rapidement retrouvé lorsqu’il n’a plus côtoyé M. [W].

En revanche, il n’est pas établi que M. [W] ait tenu des propos à connotation raciste à l’endroit de M. [F], celui-ci ne le confirmant pas lui-même dans son attestation.

M. [P], conducteur d’engin au sein de l’entreprise, atteste lui aussi avoir subi régulièrement les remarques désobligeantes de M. [W], qui le traitait d’incapable plusieurs fois par jour, lors d’un chantier à [Localité 4] courant mars et avril 2019. Il écrit avoir demandé à son employeur de le changer d’équipe, puis avoir subi à nouveau les insultes de M. [W] en carrière, ce qui l’a poussé à présenter sa démission. Sa lettre de démission datée du 26 avril 2019 est versée aux débats.

M. [Z], qui a travaillé du 22 juillet au 2 août 2019 aux côtés de M. [W], atteste que ce dernier le traitait de manière hautaine, le rabaissait et l’insultait (« bon à rien », « casse-toi », « petit délinquant, branleur »).

M. [I], ancien chauffeur poids lourd de l’entreprise jusqu’au 30 juin 2018, atteste de l’agressivité et du manque de respect de M. [W] envers certains de ses collègues de travail.

Les attestations louangeuses des quatre témoins du salarié (déjà cités) ne suffisent pas à remettre en cause la valeur probante de tous les témoignages concordants produits par l’employeur.

Contrairement encore à l’argumentaire de l’appelant, il ne s’agit pas seulement d’un langage un peu « rugueux » qui serait en vigueur dans les entreprises de travaux publics ou de termes employés « un peu rustres », dès lors que les collègues de travail régulièrement victimes de ses propos dénigrants et insultants les ont vécus comme des agissements constitutifs de harcèlement moral et ont manifestement souffert d’une détérioration de leurs conditions de travail.

Par ailleurs, la nécessité de remplacer M. [W] sur le chantier d'[Localité 4] à la demande du donneur d’ordre, en raison notamment du comportement irrespectueux du salarié, est établie au regard du témoignage précité de M. [P], qui date les faits de mars et avril 2019 : « Par ailleurs même le chef de chantier de l’entreprise donneur d’ordre m’a informé du comportement difficile et caractériel de M. [W] [V] au point que si ce dernier restait sur le chantier la commande serait annulée. M. [J] a donc décidé de retirer M. [W] du chantier ».

Quant au comportement hautain et provoquant du salarié, le 12 décembre 2019, à l’égard d’un technicien de l’organisme extérieur de prévention agréé PREVENCEM, il est établi par le témoignage de ce délégué régional à la prévention, M. [A].

Pour soutenir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’appelant invoque encore la prescription des faits et la circonstance que l’employeur a toujours toléré son comportement sans y puiser un motif de licenciement.

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Ces dispositions ne s’opposent pas à la prise en considération de faits similaires antérieurs au délai de deux mois lorsque le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai, comme tel est le cas en l’espèce puisque le comportement dénigrant et insultant du salarié s’est clairement manifesté à nouveau le 12 décembre 2019, à la fois au détriment d’un collègue de travail M. [S] et d’un technicien d’un organisme de contrôle extérieur M. [A].

Mais les faits plus anciens peuvent être dépourvus de tout caractère fautif si l’employeur les a tolérés sans y trouver un motif de licenciement, ou à tout le moins un motif à sanction.

Selon une jurisprudence constante, la tolérance de l’employeur est en effet de nature à avoir une incidence sur la réalité ou la gravité de la faute reprochée au salariée.

Au cas présent, les faits relatés par M. [I] (nécessairement antérieurs au 30 juin 2018), [Z] (entre le 22 juillet et le 2 août 2019) et [P] (mars et avril 2019) ont manifestement été tolérés par l’employeur dès lors qu’ils n’ont donné lieu à aucune sanction ni même à un recadrage.

Quant aux faits de harcèlement commis au préjudice de M. [F], s’ils ont été abordés en réunion des délégués du personnel le 4 juin 2019, ils n’ont pour autant pas conduit l’employeur à diligenter une enquête ni à sanctionner M. [W], sa seule réponse ayant été d’affecter très provisoirement M. [F] à un autre poste.

Il reste que les faits commis le 12 décembre 2019 au détriment d’un collègue de travail M. [S] et d’un technicien d’un organisme de contrôle extérieur M. [A] ne sont en tout état de cause pas prescrits et revêtent un caractère fautif.

Exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1235-1 susvisé, la cour retient, en tenant compte de l’ancienneté du salarié (17 ans et demi), de l’absence de toute sanction antérieure, de la tolérance de l’employeur, qui a laissé pendant plusieurs mois perdurer le comportement du salarié vis-à-vis de son entourage professionnel, et de la prime exceptionnelle de 600 euros néanmoins accordée à M. [W] lors du versement de son solde de tout compte, que les faits établis relevant des griefs 1 et 6 ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise mais qu’ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement entrepris est donc infirmé en toutes ses dispositions.

En outre, le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, M. [W] est débouté de ses demandes tendant à voir juger son licenciement abusif et condamner l’employeur à lui payer la somme de 25 194,54 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat.

2- Sur les conséquences du licenciement :

2-1- Sur l’indemnité de licenciement et l’indemnité de préavis :

Les montants réclamés par M. [W] au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité de préavis (deux mois) majorée des congés payés afférents (respectivement 8 694 euros, 3 599,22 euros et 359,92 euros) n’étant pas autrement discutés par l’employeur, il convient de faire droit aux demandes du salarié à ces titres compte tenu de la solution donnée au litige, en application des articles L. 1234-9 et L. 1234-1 du code du travail.

2-2- Sur les rappels de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire :

M. [W] sollicite les sommes de 298,85 euros bruts outre les congés payés afférents pour le mois de décembre 2019 et de 1 653,56 euros au titre du rappel de salaire pour la mise à pied injustifiée, outre celle de 165,35 euros au titre des congés payés afférents, sans s’expliquer davantage sur les calculs auxquels il a procédé.

Mais après comparaison de ces sommes avec les retenues mentionnées sur les bulletins de paie des mois de décembre 2019 et janvier 2020, il apparaît que les montants réclamés correspondent bien en réalité à la totalité des sommes retenues par l’employeur pendant la période de mise à pied conservatoire, soit du 17 décembre 2019 au 20 janvier 2020.

Les retenues opérées par l’employeur sont en effet les suivantes :

1) en décembre 2019 :

– absence non rémunérée 17 décembre : 21,65 €

– absence non rémunérée 18 au 20 décembre : 277,50 €

– absence congés payés 23 au 31 décembre : 543,84 €

2) en janvier 2020 :

– absence congés payés 1er au 14 janvier : 838,20 €

– absence non rémunérée 15 au 20 janvier : 271,52 €,

soit la somme totale de 1 952,41 euros, à majorer des congés payés afférents.

La période de mise à pied conservatoire suspendant le contrat de travail, le salarié ne peut pendant cette période prendre ses congés payés, peu important que leur date ait été décidée avant la mesure de mise à pied.

Dès lors et quand bien même la caisse de congés payés du bâtiment a réglé ses congés payés à M. [W] pour la période du 23 décembre 2019 au 14 janvier 2020 ainsi qu’en justifie l’employeur, ceux-ci ne pouvaient être pris et l’employeur est redevable de la totalité du salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire dans la mesure où la cour a retenu que cette dernière était injustifiée.

En conséquence, la société [J] FEDY sera condamnée à payer à M. [W] la somme de 1 952,41 euros correspondant au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,

outre celle de 195,24 euros au titre des congés payés afférents.

Il est précisé ici que la demande de l’intimée tendant à voir dire que les sommes sollicitées au titre des congés payés sont irrecevables est sans objet, l’appelant n’ayant pas maintenu ses demandes à ce titre.

3- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La décision attaquée est également infirmée en ce qu’elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, il apparaît équitable d’allouer à M. [W] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a dû engager depuis l’introduction de la procédure.

La société [J] FEDY, qui succombe sur l’essentiel, n’obtiendra aucune indemnité sur ce fondement et supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que les faits reprochés à M. [V] [W] ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ;

DIT que le licenciement notifié le 17 janvier 2020 à M. [V] [W] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

DEBOUTE M. [V] [W] de ses demandes tendant à voir juger son licenciement abusif et condamner l’employeur à lui payer la somme de 25 194,54 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat ;

CONDAMNE la société [J] FEDY à payer à M. [V] [W] les sommes suivantes :

– 8 694 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 3 599,22 euros au titre de l’indemnité de préavis,

– 359,92 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 952,41 euros correspondant au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,

– 195,24 euros au titre des congés payés afférents ;

CONDAMNE la société [J] FEDY à payer à M. [V] [W] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu’il a dû engager depuis l’introduction de la procédure ;

CONDAMNE la société [J] FEDY aux dépens de première instance et d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le trente décembre deux mille vingt-deux et signé par M. Christophe ESTEVE, président de chambre, et Mme Catherine RIDE-GAULTIER, greffière.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,

 


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