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N° RG 20/02624 – N° Portalis DBV2-V-B7E-IRDO
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 03 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 15 Juillet 2020
APPELANTE :
S.A.S. WILLIAM VIGNEAU
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT’AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Julie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de ROUEN
INTIME :
Monsieur [D] [M]
[Adresse 2]
[Localité 4]
présent
représenté par Me Laure COBERT DELAUNAY, avocat au barreau de DIEPPE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 21 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 21 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 03 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 03 Novembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [D] [M] a été engagé par la SARL Vigneau, devenue SAS William Vigneau en qualité de chauffeur suivant contrat à durée indéterminée à compter du 3 juin 2004.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective du travail mécanique, négoce et importation du bois et scieries.
Courant août 2017, la SAS William Vigneau a été cédée à la société Holding L3BL.
M. [M] a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir diverses sommes au titre de l’exécution de son contrat de travail.
Par jugement rendu le 15 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Dieppe a :
– condamné la SAS William Vigneau à verser à M. [D] [M] les sommes suivantes :
rappel d’heures supplémentaires de juin 2015 à décembre 2016, congés payés inclus : 9 309,29 euros,
rappel des repos compensateurs pour 2015, 2016 et 2017 : 5 100,52 euros,
rappel des indemnités de repas et petit déjeuner : 1 417,66 euros,
rappel de gratification : 3 680 euros,
indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 700 euros,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-condamné la SAS William Vigneau aux dépens.
La SAS William Vigneau a interjeté appel, le13 août 2020, dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 1er septembre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 août 2022, l’appelante demande à la cour de voir :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [D] [M] les sommes suivantes :
rappel d’heures supplémentaires de juin 2015 à décembre 2016, congés payés inclus : 9 309, 29 euros,
rappel de repos compensateurs pour 2015, 2016 et 2017 : 5 100,52 euros,
rappel des indemnités de repas et petit déjeuner : 1 417,66 euros,
rappel de gratification : 3 680 euros,
-et par conséquent, débouter M. [D] [M] de l’intégralité de ses demandes,
-confirmer le jugement pour le surplus en ce qu’il a débouté M. [D] [M] de ses autres demandes,
statuant à nouveau,
in limine litis,
-dire que les demandes de rappels de salaire sur coefficient, de rappel d’heures supplémentaires et de rappel de repos compensateur en tant qu’elles portent sur la période antérieure au 1er juin 2015 sont prescrites et irrecevables,
sur le fond,
-constater que M. [D] [M] a trop perçu la somme de 1 522,10 euros brut en rémunération de ses heures supplémentaires,
-condamner M. [D] [M] à rembourser cette somme,
-autoriser la société à procéder par retenue sur tout prochain bulletin de paie à établir,
-constater que M. [D] [M] a trop perçu 43,93 heures de contrepartie obligatoire en repos au titre de l’année 2018,
-autoriser la société à retenir ces heures sur tout bulletin de salaire à établir,
-condamner M. [D] [M] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 août 2022, l’intimé demande à la cour de :
-le dire recevable et bien fondé à revendiquer le niveau IV échelon l coefficient 170 de la convention collective,
-constater que le salaire minimum conventionnel pour ce coefficient est de 1 666 euros brut jusqu’au 1er juillet 2016 et de 1 687 euros brut à compter de cette date,
en conséquence,
– condamner la SAS William Vigneau à lui verser les sommes suivantes :
rappel de salaire sur rappel de coefficient : 5 699,50 euros,
rappel de congés payés sur rappel de salaire : 569,95 euros,
rappel d’heures supplémentaires : 13 810,26 euros brut,
rappel de congés payés sur rappel d’heures supplémentaires : 1381,02 euros brut,
rappel de repos compensateur antérieur à 2018 : 6 880,88 euros brut,
rappel de repos compensateur 2018 : 1 212,08 euros brut,
rappel de repos compensateur 2019 : 262,98 euros brut,
dommages et intérêts pour défaut d’information sur les droits à repos compensateur : 2 000 euros,
rappel d’indemnité de panier : 1 417,66 euros brut,
rappel de gratification 2018 et 2019 (2050 en 2018 et 2050 en 2019) : 3 680 euros,
maintien de salaire à 66,66 % pendant 50 jours (février et mars 2019) : 2 087,90 euros brut,
-condamner la SAS William Vigneau au paiement de la somme de 1500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, en 1ère instance,
-condamner la SAS William Vigneau au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
MOTIFS
1 – Sur la prescription
La société William Vigneau soulève la prescription des demandes formulées par le salarié à titre de rappel de salaire, en ce qu’elles portent sur une période antérieure au 1er juin 2015, pour avoir saisi le conseil de prud’hommes le 12 juin 2018.
Il sera rappelé qu’en vertu de l’article L.3245-1 du code du travail, la demande en paiement ou en répétition du salaire ne peut porter que sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ou lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.
Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 précité et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, de sorte que pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré.
M. [M] concède qu’au regard de ces dispositions, sa demande de rappel fondée sur une contestation de la classification professionnelle et sa demande au titre des heures supplémentaires antérieures au 1er juin 2015 sont prescrites pour les avoir limitées à la période postérieure à cette date, de sorte que ce point n’est plus en discussion.
S’agissant de la demande relative au droit à repos compensateur, le délai de prescription court seulement à compter du moment où le salarié est informé de ce droit par un document annexé à son bulletin de paie.
Au cas d’espèce, il n’est pas démontré que cette information a été délivrée au salarié, de sorte que sa demande formulée au titre de l’année 2015 est recevable, le jugement étant confirmé sur ce point.
2 – Sur la classification conventionnelle
La qualification professionnelle se détermine par les fonctions réellement exercées.
Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.
M. [M] indique qu’il est chauffeur poids lourd en charge d’un 44 tonnes et doit à ce titre effectuer des tâches complexes déterminant la qualité du service, tout en mettant en application les connaissances professionnelles acquises dans le cadre de la formation ‘FCOS/FIMO’,
qu’il disposait par ailleurs d’une autonomie dans tous les domaines de sa spécialité étant seul toute la journée à bord de son camion et ne recevant que des instructions générales de son employeur,
qu’aucun coefficient n’est mentionné sur ses bulletins de salaire,
que son emploi relève incontestablement du niveau IV de l’accord du 10 février 1992.
Il sollicite un rappel de salaire de 5 699,50 euros, outre les congés payés y afférents, calculé en fonction du salaire minimum conventionnel correspondant au coefficient 170.
La société William Vigneau fait valoir que le salarié occupe le poste de chauffeur et accomplit cette fonction conformément aux instructions de sa direction,
qu’en dépit d’une ancienneté de plus de 14 ans, M. [M] ne fait preuve d’aucune autonomie dans l’accomplissement de ses fonctions et la formation continue obligatoire transport de marchandises « FCO », seulement dispensée aux fins d’actualisation des connaissances et de perfectionnement de la pratique du conducteur routier de marchandises et qui n’est pas spécifique à la classification revendiquée par M. [M], ne lui permet pas plus de démontrer son autonomie et de prétendre à la classification au niveau IV, coefficient 170,
qu’il n’a pas à mettre en ‘uvre une réglementation complexe impliquant une spécialité ou une autonomie,
que son salaire brut est supérieur au minimum conventionnel perçu par un chauffeur dont la classification est de niveau III échelon G coefficient 135, lequel concerne le ‘personnel effectuant des tâches combinées influant directement sur la qualité du service ou du produit (tâches constituées par l’enchaînement de différents travaux simples selon des procédures détaillées, notamment avec l’utilisation de matériels professionnels) : échelon G coefficient 135 – autonome dans le choix des meilleures solutions de réalisation.», alors qu’objectivement, il ne peut prétendre à une classification supérieure au niveau II, correspondant au « personnel effectuant des tâches simples (tâches sans difficultés particulières dont l’exécution requiert un temps d’adaptation minimum, par habitude ou apprentissage et selon des consignes fixant la nature du travail à réaliser) : échelon C coefficient 105 – sans incidence sur la qualité du service ou du produit, notamment par l’utilisation de matériel de maniement simple. », sa rémunération étant dans les deux cas supérieure aux minima conventionnels prévus.
L’accord national du 10 février 1992 qui fixe la classification des ouvriers du secteur du négoce et de l’importation de palettes en bois, dont l’application à l’entreprise n’est pas contestée par l’employeur, prévoit pour la classification des ouvriers l’attribution du niveau IV au « Personnel effectuant ou pouvant être amené à effectuer des tâches complexes déterminantes pour la qualité du service ou du produit (tâches mettant en application des connaissances professionnelles et requérant une dextérité ou une pratique suffisante pour respecter la qualité du service ou du produit, au besoin par une utilisation de matériel complexe) :
Echelon H / Coefficient 150 ‘ disposant d’une réelle autonomie.
Echelon I / Coefficient 170 ‘ disposant d’une autonomie dans tous les domaines de sa spécialité ou ayant un rôle dans la distribution du travail d’une équipe. »
M. [M] ne démontre pas qu’il dispose de l’autonomie nécessaire dans tous les domaines de sa spécialité, laquelle doit donc s’apprécier dans toutes les composantes de la prestation délivrée.
Tel n’est pas le cas, dès lors qu’il accomplit ses fonctions dans des lieux de chargement et de déchargement définis et communiqués par sa direction, sans procéder à une vérification ou à un contrôle de son chargement, sans organiser son propre planning de livraison, étant observé que l’activité de l’entreprise a trait au négoce et à l’importation de palettes en bois, ce, quand bien même il disposerait de la dextérité lui permettant de man’uvrer un camion de quarante-quatre tonnes et serait seul à bord, alors qu’il reconnaît recevoir des instructions générales de son employeur.
Il ne soutient pas par ailleurs intervenir dans la distribution du travail d’une équipe et a fortiori n’en justifie pas.
M. [M] n’est donc pas fondé à revendiquer une classification supérieure à la sienne, de sorte que le jugement sera confirmé et le salarié débouté de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire.
3 – Sur la demande au titre des heures supplémentaires
A titre liminaire, la société William Vigneau fait valoir que le jugement qui ne contient aucune motivation ne pourra qu’être infirmé quant au rappel au titre des heures supplémentaires, au visa de l’article 455 du code de procédure civile.
Il n’est cependant pas sollicité la nullité du jugement. La cour considérera, compte tenu de la formulation du moyen, qu’il est sollicité l’infirmation du jugement sur ce point.
Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ;
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
M. [M] expose qu’aux termes de son contrat de travail, il devait effectuer trente-cinq heures par semaine du lundi au vendredi,
que ses heures supplémentaires avaient été calculées sur une base de huit heures par jour, soit 40 heures hebdomadaires, ce qui explique la différence entre les sommes mentionnées dans sa réclamation initiale, (15 798,08 euros) et sur son agenda (13 810,26 euros),
qu’à compter de janvier 2018, soit après la cession de la société Vigneau, le nouvel employeur a sur sa demande réglé l’intégralité de ses heures supplémentaires,
que jusqu’en décembre 2017, il n’était payé que de quelques heures à 25 % et n’était jamais réglé de ses heures à 50 %,
qu’il travaillait sur son temps de pause, à la demande de l’employeur, ce même s’il positionnait son chronotachygraphe sur la position repos.
Il verse aux débats le décompte mois par mois des heures qu’il estime avoir effectuées entre juin 2015 et mars 2018, tenant compte d’une suspension pour arrêt maladie en juillet et août 2017 et des congés payés, les copies de ses carnets d’octobre 2015 à avril 2018 consignant quotidiennement son nombre d’heures supplémentaires, ainsi que les originaux, le détail du calcul mois par mois des heures supplémentaires mentionnant les heures payées et celles restant dues entre juin 2015 et janvier 2018 à hauteur de 13 810,26 euros, les bulletins de salaire de janvier à novembre 2018, mentionnant systématiquement des heures supplémentaires à 25 et 50 %, alors qu’il a été en arrêt maladie suite à un accident du travail début décembre 2018 et les bulletins de salaire antérieurs qui ne mentionnent que des heures supplémentaires à 25 %.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répliquer.
La société William Vigneau fait valoir que nul ne pouvant se constituer de preuve à lui-même, les documents unilatéralement établis par le demandeur, doivent être étayés par des éléments de preuve venant confirmer l’existence d’heures effectuées au-delà de l’horaire légal dans les proportions réclamées,
que seules les heures supplémentaires accomplies à la demande ou pour le compte de l’employeur doivent donner lieu à rémunération,
que le récapitulatif mensuel des heures prétendument effectuées entre février 2015 et janvier 2018 pour appuyer une réclamation s’élevant à 15 798,08 euros brut et en dernier lieu à 13 810,26 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, établi d’un seul trait à la main pour les besoins de la cause, n’est fondé sur aucun élément,
que le décompte du salarié ne fait apparaître que les dépassements, sans que ne soit précisé le mode de calcul.
Le salarié justifie toutefois sa demande en produisant ses carnets mentionnant quotidiennement les heures supplémentaires effectuées et un décompte mensuel présentant les heures accomplies au-delà des trente-cinq heures hebdomadaires contractuellement prévues, éléments dont la précision ne peut être remise en cause, dès lors que l’employeur dispose des informations permettant de déterminer l’amplitude et le volume horaires de son salarié, s’étant en outre abstenu de communiquer les impressions de la carte de chauffeur en dépit de la sommation à lui délivrée par les premiers juges, n’étant pas suffisant d’objecter que les heures supplémentaires se décomptent à la semaine et non à la journée.
Le fait que le décompte présenté ait été établi par le salarié lui-même n’est pas de nature à le priver de son droit au paiement des heures de travail accomplies, ni à exonérer l’employeur de son obligation de prouver les horaires de travail du salarié, étant par ailleurs retenu que l’employeur a implicitement consenti à la réalisation d’heures supplémentaires, alors qu’elles sont accomplies sur l’ensemble de la période contractuelle et qu’elles ont été réglées pour une part à tout le moins, jusqu’en décembre 2017.
En revanche, la société intimée relève que le temps de travail effectif n’est pas pris en compte, le salarié ne déduisant pas le temps de pause de 45 minutes dont il bénéficie toutes les 4 heures 30 minutes de travail, alors que la convention collective et l’accord du 10 octobre 2000 relatif à la durée et à l’aménagement du temps de travail étendu précise que « ne sont pas considérés comme du temps de travail effectif, même s’ils sont rémunérés, sauf si les conditions de l’article L 212-4 du code du travail sont remplies, notamment les temps de pause, le temps de trajet entre le domicile et le 1er client pour les commerciaux et entre le domicile et le chantier pour les salariés concernés et les absences pour événement personnel. ».
Il ne résulte pas des pièces du dossier qu’au cours des temps de repos, le salarié se trouvait à la disposition de l’employeur, qu’il devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Au vu des éléments produits de part et d’autre, et sans qu’il soit besoin d’une mesure d’instruction, la cour a la conviction au sens de l’article L. 3171-4 précité que M. [M] a bien effectué les heures supplémentaires non rémunérées à hauteur de 11.000 euros sur la période du 1er juin 2015 au 31 décembre 2017, représentant un total de 1659 heures (585 heures en 2015, 582 heures en 2016 et 492 heures en 2017). Il sera alloué au salarié la somme en cause, outre les congés payés y afférents, le jugement étant infirmé en son quantum.
4 – Sur la demande au titre du repos compensateur
En application des articles L. 3121-11 du code du travail dans sa rédaction issue de l’article 18-IV de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, (nouvel article L. 3121-30) une contrepartie obligatoire en repos est due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent, laquelle est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.
L’article D 3121-14-1 du code précité prévoit que le contingent annuel d’heures supplémentaires prévu à l’article L. 3121-11 est fixé à deux cent vingt heures par salarié.
Après avoir invoqué, la convention collective applicable et notamment l’accord du 10 octobre 2000 prévoyant un contingent de 130 heures par an et par salarié en cas de décompte de la durée du travail sur la semaine, M. [M] a modifié ses demandes au vu des observations de l’employeur, rappelant que le contingent conventionnel réduit de 130 heures n’était applicable qu’en cas de décompte du temps de travail sur l’année suivant accord du 9 juin 2009 étendu, ce qui n’est pas le cas de l’entreprise William Vigneau.
Il sera retenu au regard des développements ci-avant et de l’examen des bulletins de salaire portant rémunération d’heures supplémentaires, que de 2015 à 2017, le salarié a dépassé le contingent annuel d’heures supplémentaires, puisqu’il a accompli le nombre d’heures suivant.
– 2015 : 585 heures
– 2016 : 582 heures
– 2017 : 492 heures
Dès lors, l’entreprise comptant moins de vingt salariés et compte tenu de la demande formée à ce titre, il sera fait droit à la demande à hauteur de 5 503,55 euros.
La décision déférée sera en conséquence infirmée quant au montant alloué.
Entre le 1er janvier 2018 et le 30 septembre 2018, M. [M] indique avoir réalisé 438 heures supplémentaires qu’il est fondé à solliciter le paiement de repos compensateur correspondant à 50 % de 218 heures effectuées au-delà du contingent, soit une somme de 1212,08 euros sur la base d’un taux horaire de 11,12 euros.
Sur l’année 2018, il est constaté que les heures supplémentaires ont été régulièrement réglées par le nouvel employeur.
Ce dernier justifie des heures effectivement accomplies par son salarié par la production des impressions de carte chauffeur, aucune demande n’ayant été formulée au demeurant à ce titre par le salarié, alors qu’apparaît un différentiel par rapport à ses déclarations d’heures.
Il justifie également du fait que le salarié a bénéficié d’une contrepartie obligatoire en repos au taux de 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà de 220 heures, à partir du mois de septembre 2018, mois du dépassement du contingent.
Le salarié ne peut donc qu’être débouté de sa demande.
Concernant l’année 2019, M. [M] indique qu’il avait acquis 23,65 heures de repos compensateur qu’il n’a pu prendre du fait de son arrêt pour accident du travail, que la mention de ces heures a disparu de son bulletin de salaire du mois de janvier 2020, qu’il est fondé à en solliciter le paiement sur la base d’un taux horaire de 11,12 euros, soit 262,98 euros brut.
Il est démontré que cette omission résulte d’une erreur du cabinet comptable, laquelle a été immédiatement rectifiée. Le salarié, rétabli dans ses droits, n’est pas fondé en sa demande.
5 – Sur la demande de dommages et intérêts au titre du défaut d’information relative au droit à repos compensateur
Il n’est pas discuté, au vu des développements ci-avant, qu’aucune mention ne figurait sur les bulletins de salaire de M. [M] pour les années 2016 et 2017, si ce n’est la seule mention ‘repos’ sans aucune référence aux droits acquis, celle-ci n’apparaissant qu’à compter de septembre 2018.
Le préjudice qui en est résulté pour le salarié qui a été empêché de prendre les repos compensateurs auxquels il avait droit est caractérisé et sera réparé par l’allocation d’une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.
6 – Sur la demande de remboursement du trop-perçu au titre des heures supplémentaires au titre de 2018 formulée par la société William Vigneau
La société William Vigneau fait valoir que M. [M] a réalisé 389,35 heures supplémentaires en 2018, correspondant à 84,68 heures de contrepartie obligatoire en repos, qu’il a ainsi bénéficié indûment de 43,97 heures de contrepartie obligatoire en repos (128,65 calculées selon ses déclarations ‘ 84,68).
Les demandes de la société William Vigneau sont justifiées.
Le salarié sera en conséquence condamné au remboursement du trop perçu au titre des heures supplémentaires pour l’année 2018 à hauteur de 1 522,10 euros, la société William Vigneau, étant autorisée, conformément à sa demande, à procéder par retenue sur tout prochain bulletin de paie à établir, le jugement étant infirmé sur ce point.
7 – Sur les indemnités de repas et de petit déjeuner
M. [M] indique que l’employeur a, à compter de janvier 2018, réduit de façon unilatérale les indemnités de repas et de petit déjeuner qui sont passées de 13,06 euros à 6,50 euros pour le repas et de 7,08 euros à 6,50 euros pour le petit déjeuner.
Il fait valoir que la société William Vigneau a volontairement accordé aux salariés des indemnités de panier appliquées aux ouvriers du bâtiment, en l’absence de barème prévu par la convention collective du travail mécanique, négoce et importation de bois et scieries,
qu’il peut revendiquer l’existence d’un usage, que l’employeur ne peut supprimer, faute de l’avoir dénoncé dans les formes légales en respectant un délai de prévenance.
La société William Vigneau répond que lors des déplacements, si le salarié est empêché de regagner sa résidence ou son lieu habituel de travail pour le déjeuner, il lui est versé une indemnité de repas exonérée de charges plafonnée à 9,10 euros,
que cette indemnité ne constitue pas un élément de salaire contractuel mais est réglée au titre des frais professionnels,
que c’est par erreur que M. [M] a bénéficié de l’indemnité de repas prévue pour les ouvriers du BTP,
qu’effectuant des livraisons dans un rayon de moins de 10 km de sa résidence habituelle ou de son lieu de travail, la prise de repas en dehors de sa résidence ou de son lieu habituel de travail résultait d’un choix personnel,
qu’il bénéficie lorsqu’il y est éligible d’une indemnité de repas de 6,50 euros, conforme au barème de l’URSSAF et ne peut prétendre à un rappel d’indemnités de repas et de petit déjeuner, a fortiori considéré comme un élément du salaire brut, soumis à charges sociales, ce barème étant également appliqué aux autres chauffeurs de l’entreprise (M. [C]).
Il revient au salarié qui invoque un usage d’apporter la preuve de son existence.
Au cas d’espèce, la preuve de cet usage est rapportée par la production des bulletins de salaire antérieurs à 2018, tant dans sa constance, que dans sa fixité, la généralité se déduisant de la production du bulletin de salaire de M. [C] au titre du mois de janvier 2018, également chauffeur, sans que l’employeur ne puisse se prévaloir d’une erreur, ni soutenir que le salarié n’était soumis à aucune contrainte liée à son emploi, alors qu’il a reconnu devant les premiers juges que le salarié effectuait des déplacements en région parisienne, soit au-delà des dix kilomètres de sa résidence habituelle.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a alloué au salarié la somme de 1 414,66 euros au titre des indemnités de panier.
8 – Sur la demande au titre des gratifications annuelles
M. [M] indique que l’employeur a pris des mesures de rétorsion à son encontre depuis sa saisine de la juridiction prud’homale, supprimant à compter de juillet 2018 les gratifications annuelles de 800 euros et 1 250 euros habituellement versées selon l’usage en vigueur au sein de la société en juillet et en novembre.
La société William Vigneau répond que la gratification annuelle versée en juillet par la précédente direction s’analysait en une libéralité dont les conditions d’attribution étaient connues,
que M. [M] ne peut prétendre bénéficier d’une prime qui récompenserait des réalisations exceptionnelles,
qu’il n’est justifié de l’existence d’aucun usage, alors que cette gratification n’est pas versée systématiquement à tous les salariés pour un même montant, ainsi qu’il en justifie par la production de bulletins de paie sur l’année 2018, anonymisés pour la circonstance.
L’existence d’un usage instaurée par l’ancienne direction est établie à l’examen des bulletins de paie du salarié antérieurs à 2018, lesquels mentionnent le versement en juillet et novembre de gratifications à respectivement à hauteur de 800 et 1 250 euros, les caractères de constance et de fixité n’étant pas sérieusement contestables, l’employeur reconnaissant le caractère de généralité dudit usage alors qu’il affirme que ‘cette libéralité n’engage pas l’actuelle direction’ alors qu’il ne produit aux fins de contester son existence que les seuls bulletins de paie d’autres salariés non identifiés relatifs à 2018.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a octroyé au salarié une somme de 3 680 euros, ayant perçu une somme de 420 euros en novembre 2018.
9 – Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société William Vigneau sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qui concerne les sommes allouées au titre des heures supplémentaires et du droit au repos compensateur pour les années 2015 à 2017, en ce qu’il a débouté M. [M] de sa demande au titre de l’information relative à la contrepartie obligatoire en repos, et en ce qu’il a débouté la société William Vigneau de sa demande de remboursement du trop perçu au titre des heures supplémentaires pour l’année 2018 et à être autorisée à procéder par retenue sur tout prochain bulletin de paie à établir,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la société William Vigneau à payer à M. [M] les sommes de :
11 000 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires pour la période du 1er juin 2015 au 31 décembre 2017, outre 1100,00 euros au titre des congés payés y afférents,
5 503,55 euros au titre des repos compensateurs pour les années 2015, 2016 et 2017,
500 euros au titre du défaut d’information contrepartie obligatoire en repos
Condamne M. [M] à rembourser à la société Vigneau la somme de 1 522,10 euros correspondant au trop perçu au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour 2018,
Autorise la société William Vigneau à procéder par retenue sur tout prochain bulletin de paie à établir,
Y ajoutant,
Condamne la société William Vigneau à payer à M. [M] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société William Vigneau aux dépens de la procédure d’appel.
La greffièreLa présidente