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03/02/2023
ARRÊT N°2023/60
N° RG 21/03459 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OJ7M
MD/LB
Décision déférée du 30 Juin 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FOIX (F20/00008)
[U] [Y]
Section Industrie
[L] [P]
C/
S.A.S. COLAS SUD OUEST
S.A.S. COLAS FRANCE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 03/02/2023
à Me Agnès GALAN
Me Pierre JULHE
CCC Pôle Emploi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU TROIS FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
Monsieur [L] [P]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Agnès GALAN, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEES
S.A.S. COLAS SUD OUEST
[Adresse 6]
[Localité 4]
S.A.S. COLAS FRANCE venant aux droits de la Société COLAS SUD-OUEST
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentées par Me Pierre JULHE de la SELARL BEDRY- JULHE-BLANCHARD ‘BJB’, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me Laurence MUNIER, avocat au barreau de BORDEAUX (plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. DARIES, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUMÉ, présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionelles
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
Greffier, lors du prononcé : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUMÉ, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [L] [P] a été embauché à compter du 20 septembre 2004 (reprise d’ancienneté), en qualité de chauffeur poids lourd, par la SASU Colas Sud-Ouest, aux droits de laquelle vient la SAS Colas France, suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics.
Le salarié a été affecté à l’établissement de [Localité 12] (09).
Après une visite médicale du 8 juin 2015, M. [P] a été déclaré apte à son poste, le médecin du travail ayant toutefois imposé le port de protections auditives pour commander la grue, de « revoir l’isolation phonique de la cabine de son camion et s’assurer des réglages mécaniques pour abaisser le niveau sonore ».
Par courrier du 31 mars 2016, la CPAM a pris en charge sa maladie professionnelle à compter du 23 juin 2015 (hypoacousie de perception inscrite au tableau n° 42).
À compter du 18 septembre 2017, le salarié a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail à la suite d’une rechute de sa maladie professionnelle.
Par courrier du 31 octobre 2017, la CPAM a estimé que cette rechute était imputable à sa maladie professionnelle du 23 juin 2015.
À la suite des visites médicales de reprise en date des 3 et 10 décembre 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail, le médecin du travail ayant conclu qu’il « serait susceptible d’occuper un poste sans exposition au bruit, sans travaux en hauteur, sans exposition aux poussières ni fumées, y compris les gaz d’échappement, sans effort physique tel que manutention ou arrimage des charges ; un poste administratif, un poste de conducteur de véhicule sans présence sur chantiers pourrait convenir, peut également suivre une formation en vue d’occuper un tel poste ».
Après avoir été convoqué par courrier du 31 janvier 2019 à un entretien préalable au licenciement fixé au 11 février suivant, M. [P] a été licencié par courrier du 14 février 2019 pour « inaptitude » à son poste de travail.
M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Foix, le 3 février 2020, pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.
Par jugement du 30 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Foix, section industrie, a :
– dit que le licenciement avait pour origine une inaptitude étrangère à la maladie professionnelle de M. [P] ;
– débouté M. [P] de ses demandes ;
– débouté la société Colas France venant aux droits de la société Colas Sud-Ouest de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que chaque partie supportera ses propres dépens.
***
Par déclaration du 29 juillet 2021, M. [L] [P] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
***
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique au greffe le 8 août 2022 M. [L] [P] demande à la cour d’infirmer le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société Colas France de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau :
À titre principal,
– de juger que l’inaptitude ayant conduit à son licenciement est consécutive à une maladie professionnelle ;
– de condamner solidairement la société Colas France et la société Colas Sud-Ouest à lui payer les sommes suivantes :
*9.827,23 € à titre d’indemnité spécifique de licenciement (reliquat),
*7.005,30 € à titre d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis, outre 700,53 € au titre des congés payés y afférents,
*40.000 € à titre d’indemnité « sur le fondement des dispositions de l’article L. 1226-15 du code du travail pour manquement à l’obligation de reclassement, et à défaut, la même somme d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;
À titre subsidiaire,
– de condamner solidairement la société Colas France et la société Colas Sud-Ouest à lui payer les sommes suivantes :
*40.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, à défaut irrégulier,
*7.005,30 € à titre d’indemnité de préavis, outre 700,53 € de congés payés y afférents ;
En toute hypothèse,
– de condamner solidairement la société Colas France et la société Colas Sud-Ouest à lui payer les sommes suivantes :
* 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations de maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés,
*2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et 2.800 € sur le même fondement pour la procédure d’appel ;
– de condamner tout succombant à lui remettre un bulletin de paie et des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir ;
– de condamner tout succombant aux entiers dépens de première instance et d’appel.
***
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique au greffe le 17 novembre 2022, la SAS Colas France venant aux droits de la SAS Colas Sud-Ouest, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes et de condamner le salarié à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 18 novembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer aux dernières écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’origine professionnelle de l’inaptitude :
En application de l’article L. 1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail résultant d’une impossibilité de reclassement à la suite d’une inaptitude d’origine professionnelle ouvre le droit pour le salarié à une indemnité d’un montant équivalent à celui de l’indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité spéciale de licenciement au moins égale au double de l’indemnité de licenciement.
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Il est de principe que la charge de la preuve de l’origine professionnelle de l’inaptitude incombe au salarié.
Au cas d’espèce, dans le cadre d’une visite médicale périodique en date du 26 janvier 2015, M. [P] a été déclaré apte au travail, le médecin du travail, le docteur [V], ayant précisé que le salarié devait obligatoirement porter des protections auditives en cas d’exposition au bruit. Ce médecin l’a toutefois adressé chez une cons’ur ORL, le docteur [D], laquelle, à la suite d’une consultation ayant eu lieu le 31 janvier 2015, a détecté une surdité mixte bilatérale avec une perte auditive de 39 dB à droite et 26 dB à gauche. Le médecin ORL a conclu qu’une déclaration au tableau n° 42 des maladies professionnelles serait envisagée après le prochain examen.
À la suite de l’examen du 8 juin 2015, le médecin du travail a de nouveau déclaré M. [P] apte à son poste de travail, en précisant : « port des protections auditives obligatoires pour commander la grue. Revoir l’isolation phonique de la cabine du camion et s’assurer des réglages mécaniques pour abaisser le niveau sonore ».
Le 31 août 2015, le docteur [D], ORL, a procédé à une nouvelle évaluation audiométrique et a conclu en ces termes : le salarié « présente, ce jour, une surdité de perception, bilatérale, en pente sur les fréquences aiguës. La perte auditive est de 37 dB à droite, 35 dB à gauche, avec des seuils d’intelligibilité vocale de 35 dB à droite et 45 dB à gauche (‘). Cette surdité est susceptible d’être reconnue en maladie professionnelle au titre du tableau n° 42 ».
Par décision du 31 mars 2016, la CPAM a pris en charge l’hypoacousie de perception de M. [P] à compter du 23 juin 2015, s’agissant d’une maladie inscrite au tableau n° 42 résultant d’une atteinte auditive provoquée par des bruits lésionnels « d’origine professionnelle ».
Par décision en date du 8 décembre 2016, M. [P] a été reconnu travailleur handicapé du 6 décembre 2016 au 31 octobre 2021.
M. [P] a été placé en arrêt de travail suivant certificat médical de rechute de la maladie professionnelle en date du 18 septembre 2017. Le certificat indique « une hypoacousie bilatérale avec acouphènes invalidants et sensations vertigineuses ».
Par décision du 31 octobre 2017, la CPAM a pris en charge la rechute, celle-ci ayant été déclarée imputable à la maladie professionnelle du 23 juin 2015. L’employeur ne justifie pas avoir contesté cette décision.
M. [P] est demeuré en arrêt de travail pour maladie professionnelle jusqu’au mois de décembre 2018 ; il a ensuite été placé en congés payés.
À la suite des visites médicales de reprise en date des 3 et 10 décembre 2018, le Dr. [V], médecin du travail, a déclaré le salarié inapte en ces termes : « serait susceptible d’occuper un poste sans exposition au bruit, sans travaux en hauteur, sans expositions aux poussières ni fumées, y compris les gaz d’échappement, sans effort physique tel que manutention ou arrimage des charges : un poste administratif, un poste de conducteur de véhicule sans présence sur chantier pourrait convenir, peut également suivre une formation en vue d’occuper un tel poste » (avis du 10 décembre 2018).
L’employeur oppose que les conclusions du médecin du travail à la suite de l’examen de pré-reprise en date du 1er août 2018 n’indiquent pas les problèmes d’audition du salarié.
Toutefois, cet examen est antérieur aux visites médicales de reprise, lesquelles mentionnent expressément que la première des restrictions est relative à un poste « sans exposition au bruit ».
En outre, il ressort de la fiche d’inaptitude du 3 décembre 2018 que le premier examen de reprise a été réalisé à la suite d’une maladie professionnelle, ce dont l’employeur avait parfaitement connaissance, puisque, par courrier du 12 décembre 2018 adressé au médecin du travail, le chef d’agence, M. [I], rappelait l’historique médical de M. [P] en lien avec son hypoacousie : « nous pensons que les éléments évoqués ci-dessus pourraient justifier le caractère professionnel de l’inaptitude de M. [P]. Nous vous remercions de nous faire part de votre avis médical sur cette question ».
L’employeur réplique que, par courrier du 18 décembre 2018, le Dr. [V] indiquait expressément à l’entreprise qu’il n’avait pas à statuer sur l’origine professionnelle de l’inaptitude, cela relevant des « prérogatives de l’employeur en fonction des éléments en sa possession ». Le Dr. [V] soulignait qu’un document CERFA relatif à l’indemnité temporaire d’inaptitude (ITI) est en général remis à tout salarié, dès que le médecin estime qu’un lien est susceptible d’exister entre l’inaptitude et un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Compte tenu des éléments sus-évoqués, la société ne peut valablement déduire de ce courrier que le défaut de remise à M. [P] du certificat d’ITI traduirait la reconnaissance par le médecin du travail de l’absence de lien entre la maladie professionnelle et l’inaptitude médicalement constatée. En toute hypothèse, le défaut de remise ne peut à lui seul empêcher la reconnaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude par le juge.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’hypoacousie dont souffre M. [P] est au moins partiellement la cause de son inaptitude, ce dont l’employeur avait parfaitement connaissance.
Par conséquent, le salarié peut prétendre aux indemnités prévues à l’article L. 1226-14 du code du travail, c’est-à-dire une indemnité d’un montant équivalent à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 du code du travail et une indemnité spéciale de licenciement, égale au double de l’indemnité légale.
Les dispositions de l’article L. 5213-9 du code du travail fixant la durée du préavis du travailleur handicapé dans la limite de trois mois ne sont pas applicables au calcul du montant de l’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis prévue par l’article L. 1226-14 du code du travail.
Ainsi, contrairement à ce que soutient le salarié, le montant devant lui être attribué est, compte tenu du montant de sa rémunération et de la durée de préavis (2 mois) de l’ordre de 4.670,20 € (2.335,10 € x 2 mois de préavis).
Aucune indemnité de congés payés afférente ne peut être allouée, l’indemnité de l’article L. 1226-14 n’ayant pas la nature d’une indemnité compensatrice de préavis.
S’agissant de l’indemnité de licenciement devant être doublée, le salarié est en droit de percevoir la même somme déjà octroyée, soit 9.827,23 €.
L’employeur sera donc condamné à lui verser les sommes de 4.670,20 € à titre d’indemnité équivalant à l’indemnité compensatrice de préavis et de 9.827,23 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur le bien-fondé du licenciement :
M. [P] considère que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse pour les raisons suivantes :
– l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de reclassement ;
– le courrier de licenciement n’indique pas l’impossibilité de reclassement ;
– l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de sécurité.
Sur le non-respect de l’obligation de reclassement
L’article L. 1226-10 du code du travail dispose que lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
L’article L. 1226-12 du même code ajoute que lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement.
L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.
L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
Au cas d’espèce, il est rappelé que le 10 décembre 2018, le médecin du travail a déclaré M. [P] inapte à son poste de chauffeur poids lourd en ces termes : « serait susceptible d’occuper un poste sans exposition au bruit, sans travaux en hauteur, sans expositions aux poussières ni fumées, y compris les gaz d’échappement, sans effort physique tel que manutention ou arrimage des charges : un poste administratif, un poste de conducteur de véhicule sans présence sur chantier pourrait convenir, peut également suivre une formation en vue d’occuper un tel poste ».
Le 17 décembre 2018, M. [P] a régulièrement rempli un questionnaire dans lequel il a limité le périmètre géographique de l’obligation de reclassement. Il a expressément indiqué qu’il n’était pas mobile et ne souhaitait pas changer de région ni même de département, étant précisé que le salarié était rattaché à l’établissement de [Localité 12] (09), travaillait sur des chantiers également situés dans les départements 31 et 65 (pièce employeur n° 49) et résidait à [Localité 2] (11).
La société Colas produit le registre du personnel de l’établissement auquel le salarié était rattaché (Varilhes) et dont il ressort qu’au cours de la période de reclassement, seuls deux postes de maçon et de comptable étaient disponibles, mais incompatibles avec les restrictions médicales ou les compétences professionnelles de M. [P].
L’employeur produit également le « flash emploi » qui recense l’ensemble des postes de la SAS Colas Sud-Ouest et ses filiales en décembre 2018. Il fait état de postes de chef de chantier, d’équipe ou de carrière, de chauffeur poids lourd, de conducteur d’engins mécaniques, de conducteur de travaux, de métreur, de régleur, de maçon, d’ouvrier, de chef d’exploitation, de technico-commercial, de responsable commercial, de comptable, etc.
Ce document a été communiqué au médecin du travail lequel a répondu, suivant courrier du 12 décembre 2018, que les postes de chauffeur poids lourd et conducteur d’engins n’étaient pas compatibles, contrairement au poste d’assistant commercial. Le médecin a indiqué que les autres postes du « flash emploi » étaient compatibles à condition de respecter ses conclusions médicales.
Ainsi, par courrier du 14 janvier 2019, la société Colas a proposé au salarié le poste d’assistant commercial situé à [Localité 10] (40), niveau ETAM, après formation mise en place par la société.
Le salarié a refusé cette offre par courrier du 22 janvier 2019, au motif que « bien qu’adaptée à mon état de santé, [elle] aurait pour conséquence de m’obliger à quitter mon lieu de résidence habituel et donc de déstabiliser ma vie familiale. Sans parler des conséquences économiques d’un tel changement de lieu de vie ». Par courrier du 30 janvier 2019, la société lui a rappelé qu’il bénéficierait de l’aide à la mobilité du groupe (aide à l’installation et au déménagement notamment), et lui a indiqué qu’en raison de son refus, elle allait procéder à son licenciement.
Le salarié reproche à l’employeur de ne lui avoir soumis qu’une seule offre de reclassement parmi les offres du « flash emploi », et fait valoir que des postes de chauffeur/régleur (département 64) et de chef de poste mobile (département 65) auraient pu lui être proposés. Or, le premier poste est situé dans un département ne faisant pas partie du périmètre de reclassement délimité par M. [P]. En outre, il ressort des fiches de poste que ces emplois impliquent soit de se rendre sur le chantier, ce qui contrevient aux recommandations médicales, soit d’encadrer une équipe, ce qui nécessite des diplômes (BTS électromécanique) et des compétences de gestion et managériales que M. [P] ne possédait pas et ne pouvait acquérir par une formation autre qu’initiale.
Le salarié expose que l’entreprise Colas Sud-Ouest possède 73 établissements en France et ne produit pas les 73 registres du personnel correspondants. Cependant, il doit être rappelé que le salarié avait limité son périmètre de reclassement, de sorte que la société n’avait pas à lui proposer des postes qui n’étaient pas situés dans l’Ariège (09), le lieu de son établissement, et l’Aude (11), son lieu de résidence, voire la Haute-Garonne (31) et les Hautes-Pyrénées (65) qui constituent le périmètre dans lequel il était amené à travailler.
Ainsi, d’une part, la société produit le « flash emploi » qui centralise l’ensemble des postes disponibles dans la société et notamment dans le 09 et le 31.
D’autre part, par courrier du 13 décembre 2018, la société a interrogé les autres sociétés du groupe susceptibles de proposer un poste dans le périmètre de recherche précité, à savoir les entités Colas SA International, Colas Sud-Ouest (région Charente-Limousin), Colas Nord-Est et Colas Midi-Méditerranée, lesquelles ont répondu entre le 21 décembre 2018 et le 7 janvier 2019 ne pas avoir de poste disponible à proposer.
L’employeur a également interrogé la direction d’orientation et de mobilité de la SA Bouygues, société du groupe, laquelle a répondu, le 10 janvier 2019, ne pas avoir de poste disponible à proposer compte tenu du profil du collaborateur et des conclusions médicales.
La société Colas a excédé son obligation de reclassement interne en interrogeant, par courriers en date du 13 décembre 2018, six sociétés étrangères au groupe et situées à [Localité 7] (09), [Localité 9] (31), [Localité 11] (31) et [Localité 8] (81). Contrairement à ce que soutient le salarié, il importe peu que l’une d’entre elles ait communiqué sa réponse négative le 21 février 2019, soit une semaine après son licenciement, étant souligné que les autres entreprises ont répondu ne pas avoir de poste disponible entre le 26 décembre 2018 et le 15 janvier 2019.
Par conséquent, il résulte de l’ensemble de ses éléments que la société Colas Sud-Ouest a procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement.
Sur le non-respect de l’obligation de sécurité
En application des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu de protéger la sécurité et la santé des travailleurs.
Les dispositions des articles R. 4431-1 et suivants du code du travail, qui découlent de l’obligation prévue à l’article L. 4121-1 du même code, imposent à l’employeur de prévenir et réduire les risques d’exposition au bruit des salariés par divers procédés et moyens techniques et/ou le port de protections individuelles auditives.
L’article R. 4434-2 du code du travail dispose que lorsque l’exposition au bruit dépasse la valeur d’exposition dite supérieure, l’employeur « établit et met en ‘uvre un programme de mesures techniques ou d’organisation du travail visant à réduire l’exposition au bruit, en prenant en considération, notamment, les mesures mentionnées à l’article R. 4434-11 du code du travail », c’est-à-dire la mise en ‘uvre de procédés de travail ne nécessitant pas d’exposition au bruit ou une exposition moindre, des moyens techniques pour réduire le bruit aérien en agissant sur son émission, la réduction de l’exposition au bruit par une meilleure organisation du travail, etc.
De plus, l’article R. 4434-5 du même code ajoute que l’employeur, en liaison avec le médecin du travail du travail, « adapte les mesures de prévention prévues au présent chapitre aux besoins des travailleurs particulièrement sensibles aux risques résultant de l’exposition au bruit ».
Enfin, l’article R. 4434-9 du code du travail oblige l’employeur à vérifier l’efficacité des mesures prises de nature à réduire les risques d’exposition au bruit, notamment s’agissant des protecteurs auditifs individuels.
Il est de principe que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que l’inaptitude physique est consécutive au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
La charge de la preuve des moyens de nature à garantir la sécurité du salarié repose sur l’employeur.
Au cas d’espèce, le risque d’exposition au bruit avait été identifié sur le poste de M. [P], ainsi que cela ressort du document unique d’évaluation des risques (DUER, pièce n° 23 employeur).
Il n’est pas contesté que le salarié portait des équipements de protection individuelle (bouchon d’oreille), seul moyen de prévention envisagé par le DUER.
M. [P] indique que son inaptitude physique résulte des manquements de l’employeur qui n’a pas tenu compte des préconisations du médecin du travail figurant dans l’avis d’aptitude du 8 juin 2015, à savoir, outre le port de protections auditives obligatoires pour commander la grue qui se trouve intégrée au camion, de « revoir l’isolation phonique de la cabine du camion et s’assurer des réglages mécaniques pour abaisser le niveau sonore ».
À la suite de cet avis, l’employeur justifie avoir diligenté un audit de contrôle des niveaux d’exposition au bruit sur le poste de M. [P]. L’organisme Bureau Veritas a ainsi procédé à l’évaluation des niveaux d’exposition au bruit, le 24 novembre 2015, et a rendu son rapport technique le 10 décembre 2015.
La mesure du niveau de bruit dans la cabine du camion de M. [P] et hors de la cabine, lors de l’utilisation de la grue, révèle les niveaux d’exposition au bruit suivants, de 7h24 à 16h55 :
72,6 dB dans la cabine ;
88,6 dB lors de l’utilisation de la grue.
L’opérateur du Bureau Veritas conclut à une exposition quotidienne au bruit de l’ordre de 85,5 dB (sans protections auditives) et de 63,5 dB (avec protections auditives).
Son rapport rappelle à juste titre les dispositions des articles R. 4431-1 et suivants du code du travail relatives aux valeurs d’exposition au bruit et aux mesures et moyens de prévention correspondants.
Le code prévoit effectivement trois valeurs d’exposition au bruit :
1 ‘ une valeur limite d’exposition de 87 dB (mesurée avec protections auditives) ;
2 ‘ une valeur d’exposition supérieure de 85 dB (mesurée sans protections auditives) ;
3 ‘ une valeur d’exposition inférieure de 80 dB (mesurée sans protections auditives).
Dans le cas de M. [P], l’évaluation de l’exposition au bruit, sans protecteurs auditifs, a révélé que le seuil d’exposition supérieure était dépassé de 0,5 dB.
D’abord, l’employeur ne peut donc affirmer que l’étude n’a pas mis en avant une exposition excessive au bruit.
Ensuite, il ressort tout particulièrement de la fiche d’aptitude précitée du 8 juin 2015 que le port de protections individuelles n’était manifestement pas suffisant pour préserver l’état de santé de M. [P] eu égard à la particulière sensibilité auditive dont il souffrait. Aussi, le médecin du travail a imposé à l’employeur diverses vérifications et actions en vue de réduire le niveau sonore du camion.
En outre, l’audit diligenté le 24 novembre 2015 a révélé une « valeur d’exposition supérieure » de plus de 85 dB, de sorte que l’employeur, tenu de vérifier l’efficacité des mesures de prévention mises en place pour la réduction du bruit, aurait dû constater que le port de protections auditives individuelles était insuffisant dans la situation de M. [P], compte tenu de ses problèmes d’audition.
De plus, l’employeur ne fait état d’aucune action visant à réduire l’exposition au bruit du salarié qu’il savait victime de bruits lésionnels d’origine professionnelle, au plus tard à compter du 31 mars 2016, date de reconnaissance de sa maladie professionnelle par la CPAM.
La société ne justifie pas avoir communiqué le rapport de l’audit précité au médecin du travail. Surtout, elle ne démontre pas avoir échangé avec ce dernier dans le but d’envisager des mesures de nature à limiter l’exposition au bruit, étant ajouté qu’il ne ressort pas des débats que M. [P] a revu le médecin du travail au cours de l’année 2016 comme cela avait été noté dans l’avis d’aptitude précité du 8 juin 2015 (« à revoir : 1 an »).
Au contraire, il ressort des éléments de la procédure que l’appelant a continué à travailler dans les mêmes conditions, jusqu’à ce qu’il soit placé en arrêt de travail pour rechute de sa maladie professionnelle à compter du 18 septembre 2017, puis déclaré inapte le 10 décembre 2018.
Si la société Colas se prévaut d’un camion neuf à la date où le médecin du travail a procédé à l’étude de poste le 5 décembre 2018, le salarié conteste cette affirmation en soulignant qu’il n’en a jamais bénéficié. En toute hypothèse, rien ne permet d’affirmer que ce nouveau camion aurait été une mesure efficace visant à réduire l’exposition au bruit du salarié, étant précisé que le médecin rappelait, parmi les risques et contraintes afférents au poste : « l’exposition possible à proximité du moteur de la grue et sur les chantiers ».
Par conséquent, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et il ressort des éléments médicaux et de la chronologie des faits que l’inaptitude de M. [P] est consécutive à ce manquement de l’employeur.
Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
L’employeur a respecté son obligation de reclassement, de sorte que le salarié sera débouté de sa demande indemnitaire sur le fondement de l’article L. 1226-15 du code du travail.
En revanche, le licenciement demeure dénué de cause réelle et sérieuse pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En vertu de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et si l’une des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité comprise entre un montant minimal et un montant maximal fixés par la loi.
Concernant M. [P], le contrat de travail prévoit une reprise d’ancienneté au 20 septembre 2014, de sorte que, contrairement à ce que soutient l’employeur, le salarié avait une ancienneté de plus de 14 ans à la date du licenciement.
De ce fait, l’indemnité est comprise entre 3 et 12 mois.
Le salarié, licencié au mois de février 2019, justifie avoir retrouvé un emploi à durée indéterminée à temps partiel (50 heures mensuelles) dès le 4 octobre 2019. Il soutient qu’il ne travaille plus désormais, mais n’en justifie pas.
Compte tenu de son âge au moment du licenciement (56 ans), de son statut de travailleur handicapé, des éléments relatifs à sa situation économique postérieure au licenciement et du montant de sa rémunération moyenne chez Colas Sud-Ouest après analyse de ses bulletins de salaire (2.246,14 €), M. [P] est en droit de percevoir une somme de 26.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera également réformé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de ré-entrainement :
L’article L. 5213-3 du code du travail dispose que tout travailleur handicapé peut bénéficier d’une réadaptation, d’une rééducation ou d’une formation professionnelle.
L’article L. 5213-5 alinéa 1 du même code prévoit que tout établissement ou groupe d’établissements appartenant à une même activité professionnelle de plus de cinq mille salariés assure, après avis médical, le réentraînement au travail et la rééducation professionnelle de ses salariés malades et blessés.
Il s’évince de ces textes que le salarié handicapé bénéficie de mesures de réentraînement, de rééducation professionnelle, voire de formation, en cas de retour dans l’entreprise après une maladie. Ces mesures sont destinées à lui garantir le maintien à son poste de travail ou dans tout autre emploi approprié à ses capacités.
Au cas d’espèce, M. [P] a été reconnu travailleur handicapé pour la période du 6 décembre 2016 au 31 octobre 2021.
Cependant, il ne ressort pas des éléments de la procédure que l’obligation de réentraînement aurait dû être mise en ‘uvre avant la rechute pour maladie professionnelle en date du 18 septembre 2017.
À l’issue de ses arrêts de travail pour rechute, le salarié a été déclaré inapte le 10 décembre 2018, de sorte que l’obligation de réentraînement à son poste ne pouvait être mise en ‘uvre. En outre, le maintien dans l’emploi, au besoin par toute action de formation, était garanti par l’obligation de reclassement que la société Colas a respecté.
Au surplus, le salarié ne démontre pas le préjudice moral spécifique dont il se prévaut du seul fait qu’il ait demandé au CHSCT, par courrier du 21 novembre 2017, les divers éléments de son « dossier ».
Par conséquent, l’appelant sera débouté de sa demande indemnitaire à ce titre.
Sur les documents de fin de contrat :
La société sera condamnée à lui remettre un bulletin de salaire de sortie, une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes aux condamnations prononcées et devant faire figurer la reprise d’ancienneté au 20 septembre 2004.
Sur les demandes annexes :
La société Colas France, partie principalement perdante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.
M. [P] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de la procédure. La société Colas France sera donc tenue de lui payer la somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en première instance, et 2.500 € pour les frais exposés en appel.
Le licenciement déclaré illégitime est sanctionné par l’article L.1235-4 du code du travail.
La cour ordonne le remboursement par la société Colas France à pôle emploi des sommes versées au salarié au titre du chômage dans la limite de 6 mois.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande indemnitaire relative à l’obligation de réentraînement et la société Colas France de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et, statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Juge que l’inaptitude de M. [L] [P] a une origine professionnelle ;
Juge que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Colas France venant aux droits de la SASU Colas Sud-Ouest à payer à M. [L] [P] les sommes suivantes :
– 4.670,20 € à titre d’indemnité d’un montant équivalant à l’indemnité compensatrice de préavis,
– 9.827,23 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement,
– 26.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Colas France venant aux droits de la SASU Colas Sud-Ouest à remettre à M. [L] [P] des documents de fin de contrat rectifiés, avec mention de son ancienneté au 20 septembre 2014 (attestation pôle emploi, dernier bulletin de salaire, certificat de travail, solde de tout compte).
Condamne la SAS Colas France venant aux droits de la SASU Colas Sud-Ouest aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Condamne la SAS Colas France venant aux droits de la SASU Colas Sud-Ouest à payer à M. [L] [P] les sommes suivantes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :
*2.500 € au titre des frais exposés en première instance,
*2.500 € au titre des frais exposés en appel ;
Déboute M. [L] [P] du surplus de ses demandes ;
Déboute la SAS Colas France venant aux droits de la SASU Colas Sud-Ouest de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ordonne en tant que de besoin à la SAS Colas France, venant aux droits de la SASU Colas Sud-Ouest, de rembourser à pôle emploi les sommes versées au salarié au titre du chômage dans la limite de 6 mois.
Le présent arrêt a été signé par S. BLUMÉ, présidente, et par C. DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
C. DELVER S. BLUMÉ
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