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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 29 SEPTEMBRE 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00047 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBGEO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LONGJUMEAU – RG n° F18/00900
APPELANT
Monsieur [O] [P]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Marie-Dominique HYEST, avocat au barreau d’ESSONNE
INTIMÉES
SELARL MJC2A venant aux droits de Me [F] [N] ès qualités de liquidateur de la SARL TRANSPORTS FMDS
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre TONOUKOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J133
ASSOCIATION UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA ILE DE FRANCE EST [Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Frédéric ENSLEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1350
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 1er septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente
Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [O] [P] a été engagé par la société Transports FMDS par contrat à durée indéterminée du 14 juin 2013 en qualité de conducteur super poids lourd, groupe 5, coefficient 138M de la convention collective des transports routiers de marchandises et activités auxiliaires de transport.
Souhaitant obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, M. [P] a saisi le 22 février 2016 le conseil de prud’hommes de Longjumeau.
Le 7 mars 2016, M. [P] a été victime d’un accident de travail et a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 9 mars suivant.
Par jugement du 24 avril 2017, le tribunal de commerce d’Evry a prononcé la liquidation judiciaire de la société Transports FMDS et désigné Me [N] ès qualités de liquidateur.
Par jugement du 6 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Longjumeau a :
-dit que la prise d’acte de M. [P] en date du 9 mars 2016 produit les effets d’une démission qualifiée de non légitime,
-débouté M. [P] de toutes ses demandes,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes ou de toute autre demande plus ample ou contraire,
-dit que le jugement sera transmis au Pôle Emploi des deux départements à savoir l’Essonne pour le contrat conclu avec la sarl FMDS et le Val de Marne pour le contrat conclu avec la société E. E. À fin de vérification sur l’habilitation de M. [P] à recevoir des indemnités chômage,
-mis les entiers dépens à la charge de M.[P].
Par déclaration du 23 décembre 2019, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mars 2020, M. [P] demande à la Cour :
-de le recevoir en ses écritures et l’y déclarer bien fondé,
en conséquence
-d’infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Longjumeau en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau
-de dire que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Monsieur [P] doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
-de fixer la créance de Monsieur [P] au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports FMDS aux sommes de :
-1 797 euros nets à titre de rappel de salaire pour acomptes fictifs
-718,71 euros à titre de prime de non accident
-6 227,38 euros à titre d’heures supplémentaires du 14 juin 2013 au 1er février 2016
-622,73 euros à titre d’indemnité de congés payés sur heures supplémentaires
-261,20 euros à titre d’indemnités de repas
-13 369,26 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé
-4 323,44 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
-432,34 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis
-1 188,93 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
-20 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
-2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
-de remettre les documents suivants : certificat de travail, bulletin de paie et attestation Pôle Emploi conformes, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter du jugement à intervenir,
-intérêts légaux
-capitalisation des intérêts
-exécution provisoire
-dépens
-de dire le jugement opposable à l’AGS CGEA IDF Est.
Des ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 juin 2020, la selarl MJC2A, venant aux droits de Me [N] ès qualités de liquidateur de la société Transports FMDS, demande à la Cour :
à titre principal,
-de confirmer purement et simplement le jugement entrepris,
à titre subsidiaire,
-de prendre acte de ce que Maître [N], ès qualités, s’en rapporte sur la fixation de créance dans les limites de :
-1 797 euros à titre de rappel d’acomptes,
– 663,17 euros à titre de prime de non accident,
-1 079,95 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires,
-39,18 euros à titre de rappel d’indemnité de repas,
-de débouter M. [P] de sa demande au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
-de dire et juger que la prise d’acte de rupture produit les effets d’une démission,
à titre infiniment subsidiaire,
-de réduire le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12 970,32 euros,
-de débouter Monsieur [P] du surplus de ses demandes,
et en tout état de cause,
-de dire n’y avoir lieu à astreinte,
-de dire que le cours des intérêts légaux est arrêté au 7 mars 2016,
-de débouter Monsieur [P] de sa demande d’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 mars 2020, l’AGS CGEA d’Ile de France demande à la Cour :
-de confirmer la décision en l’ensemble de ses dispositions,
subsidiairement
-de débouter Monsieur [P] de l’ensemble de ses demandes,
très subsidiairement
-de dire que l’AGS ne devra sa garantie au titre des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et suivants et L 3253-17 du code du travail,
-de limiter la garantie, toutes causes de créances confondues, à un total de 78 456 euros,
-de limiter l’éventuelle exécution provisoire, à supposer qu’intervienne une fixation de créances, aux hypothèses prévues aux articles R1454-14 et R1454-28 du code du travail,
-de rappeler que la somme éventuellement due au titre de l’article 700 du code de procédure civile , ainsi qu’une éventuelle astreinte, qu’elle soit ou non liquidée n’entrent pas dans le champ de la garantie de l’AGS,
-de statuer ce que de droit sur les dépens,
-de débouter ou à tout le moins, réduire notablement les demandes,
-de dire que toute éventuelle fixation au titre d’un article 700 ou d’une astreinte, sera déclarée inopposable aux AGS-CGEA,
-de dire que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-8 (ex-L 143-11-1) et suivants du code du travail.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 17 mai 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 1er septembre 2022.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur les acomptes fictifs:
M. [P] soutient qu’il n’a jamais sollicité ni reçu d’acompte de la part de la société Transports FMDS alors que diverses déductions à ce titre apparaissent sur ses bulletins de salaire, lesquels, en tout état de cause, ne constituent pas une présomption de paiement des sommes y figurant. Il liste les différents ‘acomptes’ ainsi déduits de sa rémunération, de septembre 2013 à décembre 2015, pour un montant de 1797 € et en réclame paiement.
La selarl MJC2A, ès qualités de liquidateur de la société Transports FMDS, sollicite la confirmation du jugement qui a retenu que les acomptes n’étaient pas fictifs, dans la mesure où ils n’ont pas été contestés avant la prise d’acte et où le salarié ne rapporte pas la preuve qu’ils auraient été déduits à tort. À titre subsidiaire, elle s’en rapporte à justice.
Le CGEA d’Ile de France Est s’associe à l’argumentaire du mandataire liquidateur, au vu des pièces produites et des nombreuses heures d’absence du salarié dans l’entreprise, de mars 2015 à janvier 2016.
La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport prévoit en son annexe I relative aux ouvriers (article 14 bis) que ‘la rémunération mensuelle garantie est versée une fois par mois. Toutefois, un acompte doit être versé au personnel ouvrier qui en fait la demande’.
Or, force est de constater, en l’espèce, qu’il n’est nullement justifié de demandes d’acompte de la part de M. [P] au cours de la relation de travail, et que les mentions ‘acompte’ ou ‘acompte caisse’ apposées sur les bulletins de salaire ne seront corroborées par aucune pièce comptable permettant de confirmer les avances ainsi faites par l’entreprise ainsi que son droit à déduction des sommes correspondantes sur la rémunération de l’appelant.
L’absence de réclamation écrite à ce titre en cours de relations de travail apparaît indifférente, d’autant qu’à l’occasion de la saisine de la juridiction prud’homale le 22 février 2016 en vue de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, le salarié avait sollicité un rappel de salaire pour ‘acomptes fictifs’.
Au vu des sommes ainsi déduites sur les fiches de paie, il convient d’accueillir la demande à hauteur du montant réclamé, qui n’est pas strictement contesté.
Sur la prime de non accident :
M. [P] soutient qu’il n’a pas perçu de prime de non accident en février, juillet, août, octobre, novembre et décembre 2014, février, mars, juillet 2015, périodes pendant lesquelles il était en activité, qu’il n’a reçu pour le mois d’octobre 2015 que la somme de 43,55 € alors qu’il n’a été en congé qu’une semaine et qu’il n’a pas perçu ladite prime proratisée pour le mois de mars 2016 alors qu’il a travaillé du 1er au 7 mars inclus. Il sollicite la somme globale de 718,71 €.
La selarl MJC2A, ès qualités de liquidateur de la société Transports FMDS, demande que le jugement de première instance rejetant la demande du salarié soit confirmé.
À titre subsidiaire, elle fait observer qu’au cours de l’année 2015, M. [P] a été en congé 3 jours en février, 6 jours en mars et 9 jours en octobre, et qu’une prime de non accident ne saurait donc lui être allouée pour ces mois-là. Elle s’en rapporte donc à justice dans la limite de la somme de 663,17 €.
Le CGEA d’Ile de France Est fait siens les moyens du mandataire liquidateur.
Le contrat de travail souscrit par le salarié stipule en son article ‘rémunération’que ‘durant les périodes travaillées en contrepartie de l’accomplissement de ses fonctions, le salarié percevra un salaire total brut mensuel de 1 665,74 € ainsi qu’une prime de non accident de 91,47 €. Il lui sera aussi attribué une indemnité journalière de repas d’un montant de 13,06 euros nette, ainsi qu’un forfait téléphone de 20 €. Ces trois dernières indemnités seront calculées mensuellement au prorata des jours de présence’.
Des absences, justifiées ou non, du salarié autres que celles figurant sur les bulletins de salaire ne sont pas démontrées par le représentant de l’employeur, ni même invoquées.
Au vu des pièces produites, et égard au calcul prorata temporis contractualisé en l’espèce, il convient d’accueillir la demande de prime de non accident à hauteur du montant sollicité.
Sur les heures supplémentaires :
M.[P] affirme ne pas avoir perçu l’intégralité des heures supplémentaires réalisées et, eu égard à son salaire de base ( 1475,75 € , soit un salaire horaire de 9,73 €), réclame la somme de 6227,38 €, ainsi que les congés payés y afférents. Il soutient avoir effectué en moyenne huit heures supplémentaires par semaine qui ne lui ont pas été comptées à ce titre mais ont été partiellement rémunérées sous forme de primes de panier ou primes de nuit, alors qu’il travaillait de jour.
À titre subsidiaire, rappelant que son contrat de travail prévoyait un salaire sur la base de 169 heures et qu’il n’a pas perçu les majorations prévues par la convention collective à compter de la 40ème heure de travail accomplie, il réclame la somme de 1 079,95 € de juin 2013 à mars 2016, ainsi que les congés payés y afférents.
Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des
exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Au soutien de sa demande, M. [P] verse aux débats ses bulletins de salaire, les décomptes semaine par semaine des heures qu’il dit avoir effectuées, la copie de disques tachygraphes ainsi que son courrier de prise d’acte en date du 9 mars 2016, déplorant ‘le non-paiement de mes heures travaillées au réel, la dissimulation d’heures supplémentaires camouflées en panier repas ce qui a entraîné la suppression de mes repos compensateurs, les heures supplémentaires réelles comptées en prime de nuit’ notamment.
Il produit également un tableau (pages 8, 9 et 10 de ses conclusions) des heures réalisées et des rémunérations obtenues ainsi que de celles lui restant dues, selon lui.
La lecture de certains bulletins de salaire permet de vérifier des indemnités repas ne correspondant pas avec le nombre de jours de travail accomplis, ainsi que le versement de primes de nuit.
Les éléments produits sont suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
Le mandataire liquidateur de la société Transports FDMS fait valoir qu’en dépit des nombreuses heures rémunérées figurant sur ses bulletins de salaire, M.[P] maintient sa demande de rappel d’heures supplémentaires sans tenir compte de l’emploi à temps partiel qu’il occupait par ailleurs, l’addition des durées de travail au sein des deux employeurs rendant ses calculs suspects (par exemple, 279 heures au mois de décembre 2013, 294 au mois de janvier 2014, 299 au mois de décembre 2014). Il conclut au rejet de la demande.
À titre subsidiaire, Maître [N], ès qualités de mandataire liquidateur, s’en rapporte sur la demande présentée à hauteur de 1079,95 €.
Le CGEA d’Île-de-France pour sa part, relève que M. [P] a calculé le rappel de salaire qu’il réclame sur une moyenne horaire par semaine, alors qu’il devait effectuer son calcul semaine civile par semaine civile, sans tenir compte de ses jours de congés ni de ses heures d’absence. Il considère que la lecture des bulletins de salaire permet de vérifier le paiement d’heures supplémentaires majorées à 25 et 50 %, d’autant que le salarié ne pouvait effectuer des heures supplémentaires alors qu’il avait concomitamment un emploi au sein d’une autre entreprise (cumulant un temps partiel en 2015 et 2016 de 35 à 60 heures par semaine au sein d’une entreprise de transport basée à [Localité 7]).
Le CGEA verse aux débats la restitution de l’activité de M. [P] , mentionnant que de novembre 2013 à septembre 2016, ce dernier bénéficiait d’un contrat de travail au sein d’une autre société de transport ( E. E.) et que si cette relation de travail, eu égard au nombre d’heures déclarées, était à temps partiel, elle a généré des horaires compris entre 20 et 65 heures par mois.
Cependant, en l’absence de tout élément permettant de vérifier le temps de travail effectif de la part de M. [P] , et au vu de décompte précis qu’il produit sans être contredit, il convient d’accueillir la demande à hauteur de la somme de 539,97 €.
Sur les indemnités de repas :
Affirmant que l’indemnité de repas contractualisée à hauteur de 13,06 euros par jour travaillé lui a été versée de manière aléatoire, M. [P] liste les jours au titre desquels il aurait dû percevoir cette indemnité et réclame la somme de 261,20 euros.
La selarl MJC2A, ès qualités de liquidateur de la société Transports FMDS, conclut à la confirmation du jugement entrepris.
À titre subsidiaire, elle observe que pour les mois de février, mars, juin et octobre 2015, des indemnités de repas ont été décomptées au regard des congés pris par le salarié, qui a été réglé de son dû également au mois d’octobre 2014. Elle s’en rapporte s’agissant des mois de novembre et décembre 2015, dans la limite de 39,18 €.
Le CGEA d’Île-de-France s’en rapporte aux explications et au positionnement du mandataire liquidateur, en l’espèce.
Les mentions apposées sur les bulletins de salaire permettent de vérifier que M. [P] a perçu des indemnités de repas correspondant à ses jours de travail effectifs , sauf en novembre et décembre 2015; il y a donc lieu d’accueillir la demande de fixation de sa créance à ce titre à hauteur de 39,18 €, correspondant à trois jours non pris en considération à ce titre.
Sur le travail dissimulé :
M. [P] considère qu’en omettant de mentionner les heures supplémentaires réellement effectuées par lui sur ses bulletins de salaire, son employeur s’est rendu coupable de travail dissimulé et sollicite la somme de 13’369,26 € à ce titre.
Le mandataire liquidateur de la société Transports FMDS considère que le salarié n’établit ni l’élément matériel du travail dissimulé, puisque la demande de rappel de deux heures consiste principalement en des majorations mal calculées, ni l’élément intentionnel. Il conclut au rejet de la demande.
Le CGEA d’Île-de-France Est considère que le salarié ne prouve ni les heures supplémentaires, ni les éléments constitutifs du travail dissimulé et conclut au rejet de ces demandes. Il relève en outre que même si une preuve des heures était rapportée, M. [P] n’a subi aucun préjudice en matière de cotisations.
L’article L 8221-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige,’prévoit qu’ ‘est
réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.’
L’article L 8223-1 du code du travail prévoit qu’ « en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.»
Il appartient au salarié d’apporter la preuve d’une omission intentionnelle de l’employeur.
Si la seule différence de nombre entre les heures de travail réellement accomplies et les heures mentionnées sur les bulletins de salaire ne saurait suffire à caractériser un travail dissimulé, en revanche le paiement de primes de nuit sans qu’il soit justifié d’un travail impliquant une telle majoration de la rémunération ainsi que le paiement d’indemnités de repas supérieures au nombre de jours existant dans un mois accréditent la dissimulation invoquée par le salarié, et ce d’autant qu’à la suite du courrier de prise d’acte, la société Transports FMDS s’est contentée de contester ‘fermement toutes (ses) allégations’ ‘puisque vous avez déjà saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de votre contrat de travail, nous aurons l’occasion d’en débattre ultérieurement’, sans vérifier l’exactitude de ses calculs à ce titre, en vue de démontrer sa bonne foi quant à une éventuelle erreur matérielle entachant ces données.
Il convient donc de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société intimée, représentée par son mandataire liquidateur, la somme de 12 970,32€, correspondant à 6 mois de salaire.
Sur la prise d’acte :
M. [P] soutient que sa prise d’acte est fondée dans la mesure où la société Transports FMDS a manqué à son obligation de sécurité, en le mettant délibérément en danger par la mise à disposition de camions dangereux, démunis du matériel de sécurité en état de fonctionnement tel que des extincteurs. Il considère que ces manquements sont graves et empêchaient la poursuite du contrat de travail, comme d’ailleurs la déduction d’ acomptes fictifs de son salaire net, le non-paiement des heures supplémentaires ou leur compensation par des primes. L’appelant sollicite que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et sollicite, par application de l’article 5 de l’annexe I de la convention collective des transports routiers la somme de 4 323,44 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents , une indemnité de licenciement de 1 188,93 € , ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 20’000 €, eu égard au préjudice financier qu’il a subi du fait de la perte de son emploi.
La selarl MJC2A, ès qualités de liquidateur de la société Transports FMDS, rappelle que la prise d’acte ne peut produire les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse que si les griefs allégués sont vérifiés et suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Elle souligne qu’aucun des manquements invoqués ne justifie en l’espèce la rupture du contrat aux torts de l’employeur, dans la mesure où les différents rappels de primes et heures supplémentaires sont modestes et où l’incendie du camion le 7 mars 2016 n’est pas démontré comme imputable à la société Transports FMDS. Le mandataire liquidateur conclut donc à la confirmation du jugement entrepris et à une prise d’acte produisant les effets d’une démission.
À titre subsidiaire, il sollicite que la cour limite le quantum de l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12’970,32 € (correspondant à six mois de salaire), faute pour le salarié de justifier du préjudice qu’il aurait subi au-delà, alors qu’il travaillait parallèlement pour la société E.E.
Le CGEA d’Île-de-France Est relève que la jurisprudence citée par l’appelant est devenue pour l’essentiel obsolète, que les manquements anciens n’empêchent pas la poursuite de la relation de travail, qu’une mise en demeure adressée à l’employeur par le salarié en vue de rectifier la situation invoquée est nécessaire, et n’a pas été effective en l’espèce. Il soutient que M. [P] invoque des manquements anciens et que les défectuosités alléguées à l’origine de l’incendie du camion tracteur de mars 2016 ne sont pas démontrées par les photos et vidéos produites. Il conclut au rejet de la demande. À titre subsidiaire, le CGEA conclut au rejet des sommes au-delà des six mois forfaitaires.
Si elle a été précédée d’une action en résiliation judiciaire du contrat de travail, comme en l’espèce, la prise d’acte rend cette dernière sans objet; il y a lieu de se prononcer sur la seule prise d’acte en prenant en compte les manquements invoqués à l’appui , mais aussi au soutien de la demande de résiliation judiciaire.
En l’espèce, M.[P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants:
‘Tout d’abord, depuis que j’ai intégré votre société en juin 2013, l’ensemble des fiches de paie que vous m’avez fournie sont frauduleuses.
Vous m’avez enlevé de ma paie sans aucune raison valable les multiples éléments suivants :
– des acomptes que je n’ai jamais demandés ni touchés
– le non-paiement de mes heures travaillées au réel
– la dissimulation d’heures supplémentaires camouflées en panier repas ce qui a entraîné la suppression de mes repos compensateurs
– de nombreuses primes d’accident ne m’ont pas été payées entièrement, voire pas du tout.
Et le plus grave : le lundi 7 mars 2016, vous m’avez donné à conduire un tracteur que vous saviez défectueux puisque le chauffeur titulaire de ce tracteur, le 91-46, avait refusé de le conduire pour effectuer ses livraisons.
Il vous a alerté qu’il fallait urgemment le faire réparer mais vous avez fait le choix de me l’attribuer, ce qui a entraîné un début d’incendie en plein périphérique Est à 21h30.
Ce début d’incendie aurait pu finir en drame en blessant voire en coûtant la vie à de nombreux usagers de la route et à moi-même si je n’avais pas gardé mon sang-froid en réussissant à faire sortir l’ensemble routier du périphérique.
Sans oublier que les extincteurs dans le tracteur ne fonctionnaient pas car leur date de validité était expirée comme me l’ont confirmé les pompiers.
Vous avez sciemment mis ma vie ainsi que celle des usagers de la route en danger.
Ces actes prohibés par le code du travail viennent en violation de vos obligations légales et réglementaires.
Je considère qu’ils sont consécutifs d’une grave défaillance de vos devoirs à mon égard.
Je n’ai aucune garantie que vous ne réitériez pas cet acte irresponsable mettant en péril ma vie et celle des autres de la route.
Vous me mettez dans l’impossibilité de reprendre mon poste dans votre entreprise car les conditions minimum de sécurité ne sont pas respectées et qu’il y a un vrai danger à conduire vos camions.’
Par ailleurs, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail était axée sur les rappels de salaire (acomptes fictifs, heures supplémentaires, travail dissimulé), les ‘primes d’accident’ et ‘indemnité de repas’ y étant mentionnées pour mémoire.
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit dans le cas contraire d’une démission.
En l’espèce, il est établi par le rapport d’intervention de la brigade de sapeurs-pompiers de [Localité 8] le 7 mars 2016 qu’un ‘feu de véhicule à l’air libre’ a eu lieu [Localité 9] dans le 19ème arrondissement de [Localité 8] sur la voie publique.
Le représentant de la société Transports FMDS, qui ne conteste ni la propriété du véhicule endommagé, ni l’identité du conducteur, ne justifie pas de l’entretien régulier, ni de l’état dudit véhicule quand il a été confié à l’appelant, et ce alors que ce dernier produit l’attestation d’un ancien salarié, chauffeur poids-lourd, déplorant que son ex-employeur lui ait ‘donné à conduire des camions extrêmement défectueux et non respectueux des réglementations de sécurité élémentaires j’ai aussitôt informé les responsables de la sociétéFMDS de ce fait qui n’ont effectué aucune réparation ni révision, laissant ainsi leurs employés conduire ces mêmes camions et s’exposer et les usagers de la route à de graves dangers comme ce fut le cas pour mon collègue M. [P] [O] lorsque la remorque qu’on lui a donnée à conduire a pris feu en plein périphérique Est’.
Ce manquement, mais également les heures supplémentaires non payées ou dissimulées, le versement récurrent de septembre 2013 à décembre 2015 d’une rémunération amputée de sommes au titre d’acomptes allégués mais non démontrés, sans que l’employeur ne corrige la situation à compter de la connaissance qu’il a eu des reproches faits par le salarié dans son action en résiliation judiciaire, sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Il convient de dire que la prise d’acte de la rupture par M. [P] a eu les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ce chef.
Tenant compte de l’âge du salarié (35 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (2 ans et 9 mois), de l’absence de justification de sa situation professionnelle après la rupture, des données transmises par le CGEA relativement à un autre emploi occupé concomitamment par lui et s’étant poursuivi, il y a lieu de lui allouer la somme de 13 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; cette somme sera fixée au passif de la société intimée.
Il y a lieu également d’accueillir la demande d’indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 4 323,44 €, les congés payés y afférents, ainsi que la demande d’indemnité de licenciement à hauteur du montant réclamé, eu égard à l’ancienneté de l’intéressé.
Sur la remise de documents:
La remise d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance du représentant de la société Transports FMDS n’étant versé au débat.
Sur la garantie de l’AGS :
Il convient de rappeler que l’obligation du C.G.E.A, gestionnaire de l’AGS, de procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail se fera dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d’un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L3253-20 du code du travail.
Le présent arrêt devra être déclaré opposable à l’AGS et au CGEA d’Ile de France.
Sur l’exécution provisoire :
La demande d’exécution provisoire, inopérante en cause d’appel, doit être rejetée.
Sur les intérêts:
Comme le sollicite le CGEA, il convient de rappeler que le jugement d’ouverture de la procédure collective a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels ( en vertu de l’article L. 622-28 du code de commerce).
Les intérêts n’ont donc couru en l’espèce que du 22 février 2016, date de la saisine de la juridiction prud’homale, au 7 mars 2016, date de l’ouverture du redressement judiciaire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La liquidation judiciaire de la société Transports FMDS devra les dépens de première instance et d’appel.
L’équité commande de ne pas accueillir la demande au titre des frais irrépétibles, ni au titre de la première instance, par confirmation du jugement entrepris, ni en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
REÇOIT l’appel de M. [O] [P],
INFIRME le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [P] a eu les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
FIXE au passif de la société Transports FMDS la créance de M. [P] à hauteur de
– 1 797 € à titre de rappel de salaire,
– 718,71 € à titre de rappel de prime de non accident,
– 539,97 € à titre de rappel d’heures supplémentaires,
– 53,99 € au titre des congés payés y afférents,
– 39,18 € à titre de rappel d’indemnité repas,
– 12’970,32 € à titre d’indemnité de travail dissimulé,
– 4 323,44 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 432,34 € au titre des congés payés y afférents,
– 1 188,93 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 13 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
RAPPELLE que le jugement d’ouverture de la procédure collective de la société Transports FMDS a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels,
DIT que les intérêts sur les sommes fixées n’ont couru que du 22 février au 7 mars 2016,
ORDONNE la remise à M. [O] [P] par le mandataire ad hoc de la société Transports FMDS d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif, conformes à la teneur du présent arrêt, dans le mois suivant la mise à disposition au greffe de la présente décision,
DIT la présente décision opposable au CGEA-AGS d’Île-de-France Est,
DIT que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-19 et L3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d’un relevé de créances par le mandataire judiciaire, et sur justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L3253-20 du code du travail,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
LAISSE les dépens de première instance et d’appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société Transports FMDS.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE