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ARRÊT DU
24 Novembre 2023
N° 1722/23
N° RG 21/01465 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T3BY
VC/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Tourcoing
en date du
18 Août 2021
(RG 19/00197 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 24 Novembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [L] [M]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.S. TRANSPORTS GRIMONPREZ
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Florine MICHEL, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 14 Septembre 2023
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 31 août 2023
EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :
La société SAS GRIMONPREZ a engagé M. [L] [M] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 10 octobre 2017 en qualité de chauffeur poids lourd.
Au dernier état de la relation de travail, le salarié bénéficiait d’une classification 150GR (Grand routier).
Ce contrat de travail était soumis à la convention collective nationale des transports routiers.
Suite à des opérations de fusion-absorption de la société TRANSLOCAD, le contrat de travail de M. [L] [M] a été transféré à la société TRANSPORTS GRIMONPREZ.
Par accord d’entreprise du 1er avril 2015 prorogé par accord du 3 novembre 2015 puis par accord du 12 novembre 2018, la société GRIMONPREZ a mis en place un système de garantie de rémunération sur la base de 186 heures de travail mensuelles pour les conducteurs justifiant de deux heures maximum par jour de temps autres que la conduite enregistrée par le contrôlographe.
M. [L] [M] s’est vu notifier le 16 janvier 2019 un avertissement motivé par le fait d’avoir bloqué l’accès d’un site de livraison durant 30 minutes de façon volontaire et de ne pas avoir respecté les procédures internes de ce lieu de livraison
Se prévalant du non-respect par l’employeur des garanties annuelles de rémunération ainsi que d’une inégalité de traitement, contestant la légitimité de l’avertissement reçu et réclamant divers rappels de salaire et indemnités, M. [L] [M] a saisi le 6 septembre 2019 le conseil de prud’hommes de Tourcoing qui, par jugement du 18 août 2021, a rendu la décision suivante :
-DIT et JUGE qu’il n’y a pas lieu à rappel de salaire
-DIT et JUGE que M. [M] n’est pas fondé à invoquer l’inégalité de traitement
-DIT et JUGE l’avertissement du 16 janvier 2019 légitime
-En conséquence, DEBOUTE M. [M] de l’ensemble de ses demandes
-DEBOUTE la société GRIMONPREZ de sa demande reconventionnelle
-CONDAMNE M. [M] aux entiers dépens
M. [L] [M] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 16 septembre 2021.
Par ordonnance du 22 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a fait injonction aux parties de rencontrer un médiateur. Aucune médiation n’a abouti.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 août 2023 au terme desquelles M. [L] [M] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :
-INFIRMER le jugement en ce qu’il a dit et jugé qu’il n’y a pas lieu à rappel de salaire ;
-INFIRMER le jugement en ce qu’il a dit et jugé que M. [M] n’est pas fondé à invoquer l’inégalité de traitement ;
-INFIRMER le jugement en ce qu’il a dit et jugé l’avertissement du 16 janvier 2019 légitime ;
-INFIRMER le jugement en ce qu’il a en conséquence débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes ;
-DIRE ET JUGER que la société GRIMONPREZ n’a pas respecté les garanties annuelles de rémunérations applicables aux chauffeurs «Grand Routier».
Par conséquent,
-CONDAMNER la société GRIMONPREZ au paiement des sommes suivantes :
– 2.014,64 € à titre de rappel de salaire ainsi que 201,46 € pour les congés payés afférents ;
– 25.000 € de dommages et intérêts consécutivement à l’inégalité de traitement subie par le salarié ;
– 5.370,03 € à titre de rappel de salaire sur minimum conventionnel ainsi que 537€ pour les congés payés afférents.
-ANNULER l’avertissement disciplinaire du 16 janvier 2019.
En tout état de cause,
-CONDAMNER la société GRIMONPREZ à payer à M. [M] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
-CONDAMNER la société GRIMONPREZ aux entiers dépens de l’instance ;
-DIRE qu’en application de l’article 1153-1 du Code Civil, les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande ;
-CONSTATER que M. [M] demande la capitalisation des intérêts par voie judiciaire ;
-DIRE y avoir lieu de plein droit à capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du Code Civil, du moment qu’ils sont dus pour une année entière.
Au soutien de ses prétentions, M. [L] [M] expose que :
– Il est fondé à obtenir un rappel de salaire sur la base de la durée de travail légalement fixée par l’article D3312-45 du code des transports à 186 heures pour les grands routiers et prévoyant un régime d’équivalence, la société GRIMONPREZ ne lui ayant pas rémunéré l’intégralité de ces heures entre juin 2017 et avril 2019.
-En outre, le fait que la circulaire n° DSS/SD5B/2015/99 du 1er janvier 2015 prévoit un allégement des charges patronales sur les travailleurs soumis à un régime d’équivalence n’autorise pas que la durée mise en place par ce même régime puisse être manipulée par l’employeur dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, ce d’autant que ladite circulaire ne réglemente pas le temps de travail des chauffeurs routiers et mentionne effectivement une durée d’équivalence de 43 heures hebdomadaires pour les chauffeurs routiers longue distance.
– L’interprétation de l’employeur est erronée, ce d’autant qu’à la suite d’échanges entre l’inspection du travail et les organisations syndicales concernant la mise en oeuvre des dispositions relatives au temps de travail des chauffeurs, la société GRIMONPREZ a, à nouveau, fait bénéficier M. [M] de son crédit de 186 heures, ce depuis octobre 2019.
– Par ailleurs, les dispositions conventionnelles invoquées par la société GRIMONPREZ issues de l’accord du 23 avril 2002 sont devenues obsolètes, les modalités de calcul du temps de travail des chauffeurs routiers ayant été établies par un décret du 17 novembre 2016.
– L’employeur n’est donc pas dispensé de son obligation de fournir du travail à hauteur de 186 heures par mois.
– Aucun texte ne met en place de garantie minimale d’heures de travail. Néanmoins, le temps de travail des chauffeurs grand routier, étant de 43 heures par semaine, celles-ci doivent lui être rémunérées à cette hauteur, dès lors que le salarié s’est tenu à la disposition de son employeur et quand bien même les heures de travail ne seraient pas effectivement réalisées.
– De même, la convention collective fixe des garanties annuelles de rémunération induisant une durée supérieure à 152 heures pour les chauffeurs grands routiers d’un coefficient 150M.
– Il n’y a pas lieu de valider la pratique de la société GRIMONPREZ consistant à conditionner le règlement du salaire à hauteur de 186 heures à une manipulation illicite des chronotachygraphes afin de pouvoir augmenter artificiellement les temps de conduite des salariés.
– Par ailleurs, le comportement abusif de l’employeur qui a procédé à plusieurs reprises à des défalques s’agissant de salariés ayant refusé de manipuler le chronotachygraphe, constitue une inégalité de traitement avec les autres salariés placés dans la même situation de travail, M. [M] ayant, en outre, perdu un grand nombre de frais de déplacement relatifs à ses heures non effectuées du fait de sa mise à l’écart par la société GRIMONPREZ.
– Cette situation lui a causé un préjudice financier et moral important, la société GRIMONPREZ l’ayant privé, comme d’autres salariés s’étant opposés à l’accord illicite, d’un tiers de mois de travail, étant contraints de rester à leur domicile, dès qu’ils avaient atteint les 151,67 heures de travail.
– Concernant les garanties annuelles de rémunération prévues par la convention collective, celles ci n’ont pas été appliquées à M. [M], de sorte que l’employeur lui est redevable d’un rappel à cet égard, outre les congés payés y afférents.
– Par ailleurs, l’avertissement dont il a fait l’objet doit être annulé, n’ayant pas volontairement bloqué l’accès au site de livraison et ayant respecté les procédures internes.
– Il ne peut, en outre, se voir reprocher d’avoir accédé aux bureaux du site en camion plutôt qu’à pied au regard des risques pour sa sécurité inhérents au protocole mis en place par le client.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 août 2023, dans lesquelles la société GRIMONPREZ, intimée et appelante incidente demande à la cour de :
– In limine litis, dire et juger irrecevable la demande de rappel de salaire à hauteur de 5570,03 euros ainsi que les congés payés y afférents au titre de la garantie de rémunération annuelle,
DIRE BIEN JUGE MAL APPELE,
-jugement rendu par le Conseil des Prud’hommes le 18 août 2021 en ce qu’il a :
– Débouté la Société TRANSPORTS GRIMONPREZ de sa demande reconventionnelle,
– CONFIRMER jugement sur le surplus,
En conséquence,
– DIRE ET JUGER qu’il n’y a lieu à rappel de salaire,
– DIRE ET JUGER M. [L] [M] n’est pas fondé à invoquer une inégalité de traitement,
– DIRE ET JUGER l’avertissement notifié le 16 janvier 2019 légitime,
– En conséquence, DEBOUTER M. [L] [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– CONDAMNER M. [L] [M] au paiement de la somme de 1 500.00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile s’agissant des frais de première instance,
– CONDAMNER M. [L] [M] au paiement de la somme de 2 000.00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais d’appel,
– CONDAMNER M. [L] [M] aux éventuels dépens de l’instance,
A l’appui de ses prétentions, la société GRIMONPREZ soutient que :
– L’article D3312-45 du code du travail définit un temps de service et permet de déterminer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, en prenant en compte les temps d’inaction des salariés dans l’exercice de leur mission. Il n’instaure, toutefois, nullement une garantie de temps de travail mensuel de 186 heures ni une garantie de rémunération équivalente, ce qui est conforté par la circulaire du 1er janvier 2015 relative à la mise en oeuvre de la réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs et de la baisse du taux de cotisations d’allocations familiales, laquelle prévoit un ajustement du calcul des cotisations pour les salariés n’effectuant pas la totalité de l’équivalence sans pour autant être qualifiés de salariés à temps partiel.
– De la même façon, l’article 2 de l’accord du 23 avril 2002, toujours en vigueur et en aucune façon dénoncé par décret du 17 novembre 2016, prévoit la rémunération du temps de service réellement presté par le salarié et non un temps de service théorique, ce conformément à l’article D3312-46 du code du travail.
– La société a toujours respecté son obligation de fournir du travail à ses salariés qu’elle rémunère pour ceux employés à temps plein à hauteur de 152 heures a minima, le régime d’équivalence dans le domaine du transport n’instaurant la rémunération conventionnelle des temps d’inaction que lorsque ces temps d’inaction existent.
– M. [M] a été rémunéré des heures effectivement prestées et ne démontre pas avoir travaillé 186 heures les mois pour lesquels il revendique un droit à rappel de salaire. Ses calculs sont, par ailleurs, erronés en ce qu’ils ne prennent pas en compte les jours de congés payés pris ou les jours fériés ou indiquent un nombre erroné d’heures de travail payées.
– Par ailleurs, l’employeur justifie notamment de ce que M. [M] appartenait à la catégorie des grands routiers ainsi que des décomptes et relevés d’heures permettant de démontrer le temps de travail effectif réalisé.
– Concernant l’inégalité de traitement alléguée en lien avec l’accord du 1er avril 2015, ledit accord conclu avec deux organisations syndicales vise à optimiser le temps de travail des chauffeurs grands routiers et ne crée aucune inégalité de traitement, la rémunération perçue dépendant précisément de l’activité du salarié.
– M. [M] ne peut, en outre, soutenir avoir subi un préjudice du fait de la perception de frais de déplacement amoindris, lesquels dépendent des frais réellement exposés et l’intéressé n’a jamais été contraint de rester à son domicile au-delà de 151,67 heures de travail effectif.
– Le salarié ne rapporte pas non plus la preuve d’un préjudice.
-Par ailleurs, l’avertissement notifié le 16 janvier 2019 se trouve fondé sur le non-respect du protocole d’entrée sur le site d’un client, lequel n’était pas contraire à la sécurité de l’intéressé, bloquant l’entrée et la sortie des véhicules ayant conduit à la notification par ledit client à M. [M] d’une interdiction de site.
-Enfin, concernant la garantie de rémunération annuelle, celle-ci constitue une demande nouvelle soumise par des conclusions du 24 août 2023 et est, dès lors, irrecevable, étant distincte de la demande de rappel de salaire fondée sur le temps de travail garanti.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 31 août 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la garantie de rémunération annuelle et les minimas conventionnels :
Conformément aux dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, «A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait».
Il résulte, en outre, de la combinaison des articles 565 et 566 du code de procédure civile que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant, toutefois, ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l’espèce, il résulte des conclusions signifiées par les parties et notamment par M. [M] que celui-ci a saisi la cour, pour la première fois dans ses conclusions du 24 août 2023, d’une demande en paiement de la somme de 5370,03 euros à titre de rappel de salaire sur minimum conventionnel, outre 537 euros au titre des congés payés y afférents.
Or, cette demande qui repose sur l’appréciation des minimas conventionnels est distincte de celle dont la juridiction prud’homale se trouvait saisie afférente à un rappel de salaire relatif au temps de travail garanti. Elle n’en constitue, ainsi, ni l’accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire.
Dans le même sens, cette prétention relative à la garantie annuelle de rémunération ne tend pas non plus à faire écarter les prétentions adverses ni à faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance d’un fait.
Par conséquent, cette demande de rappel de salaire sur minima conventionnel est irrecevable.
Sur le rappel de salaire fondé sur le temps de travail et la garantie de 186 heures :
Il résulte des dispositions de l’article L3121-13 du code du travail que le régime d’équivalence constitue un mode spécifique de détermination du temps de travail effectif et de sa rémunération pour certaines professions comportant des périodes d’inaction durant les heures de travail.
En conséquence, une durée de travail du salarié supérieure à la durée légale est alors considérée comme équivalente à la durée légale.
L’équivalence ne doit être appliquée qu’aux seuls salariés dont l’emploi comporte des périodes d’inaction.
La rémunération du salarié doit également prendre en compte la rémunération des périodes d’inaction.
En l’espèce, il est constant que M. [L] [M] a été engagé à temps plein aux fonctions de chauffeur grand routier.
Surtout, la convention collective nationale des transports routiers prévoit un régime d’heures d’équivalence duquel il résulte, conformément aux dispositions de l’article D3312-45 du code des transports que «la durée de travail, dénommée temps de service, correspondant à la durée légale du travail ou réputée équivalente à celle-ci en application de l’article L3121-13 du code du travail, est fixée à :
1º Quarante-trois heures par semaine, soit cinq cent cinquante-neuf heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article D. 3312-41, pour les personnels roulants “grands routiers” ou “longue distance” ;
2º Trente-neuf heures par semaine, soit cinq cent sept heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article D. 3312-41, pour les autres personnels roulants, à l’exception des conducteurs de messagerie et des convoyeurs de fonds ;
3º Trente-cinq heures par semaine, soit quatre cent cinquante-cinq heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article D. 3312-41, pour les conducteurs de messagerie et les convoyeurs de fonds».
L’article R 3312-47 du même code précise, par ailleurs, qu’est considérée comme heure supplémentaire, pour les personnels roulants, toute heure de temps de service assurée au-delà des durées mentionnées à l’article D. 3312-45. La convention ou accord collectif étendu, ou la convention ou accord collectif d’entreprise ou d’établissement fixant le taux de majoration des heures supplémentaires mentionné au 1º du I de l’article L3121-33 du code du travail, sont régis par les dispositions du premier alinéa de l’article L. 2253-3 de ce même code.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le seuil de 43 heures par semaine précité pour les chauffeurs grands routiers ne sert qu’à déterminer le seuil à compter duquel les heures de travail réalisées par le salarié sont rémunérées en tant qu’heures supplémentaires.
Ce seuil n’a, en conséquence, pas vocation à garantir au salarié une rémunération mensuelle calculée sur la base de 186 heures, ce d’autant que le contrat de travail de M. [L] [M] prévoyait une durée du travail de 152heures.
Par ailleurs, le fait pour les notes de service internes d’avoir prévu pendant la crise sanitaire la référence aux 186 heures d’équivalence mensuelles afin de déterminer la prise en charge de l’activité partielle n’est pas de nature à remettre en cause cette analyse, ce au regard de ce contexte spécifique et du mode opératoire mis à disposition par le ministère du travail dans le cadre du dispositif exceptionnel d’activité partielle.
De la même façon, le courrier adressé par l’inspection du travail à la société TRANSPORTS GRIMONPREZ le 25 juin 2015 ne remet pas non plus en cause l’absence de garantie de 186 heures par mois pour les chauffeurs grands routiers, contrairement aux allégations de M. [M], mais s’interroge sur la validité du dispositif mis en place par l’accord l’entreprise relatif au temps de service et à la rémunération des conducteurs grands routiers conclu le 20 mars 2015 au sein de la société TRANSPORTS GRIMONPREZ et tendant à forfaitiser à hauteur de deux heures les temps autres que la conduite, quelle que soit leur durée.
Cela étant, il résulte dudit accord pris en son article 4 qu’était prévue une garantie de rémunération de 186 heures par mois libellée de la façon suivante «Une garantie d’heures de 186 heures pour un mois de travail complet est assurée uniquement au conducteur qui justifie de 2 heures maximum par jour de temps autres que la conduite (travail + attentes enregistrées par le contrôlographe)».
Ainsi, si cet accord subordonne le bénéfice de cette garantie au fait que le conducteur justifie de deux heures par jour maximum de temps autre que la conduite (travail+attentes enregistrées sur le contrôlographe), rien ne permet de considérer que M. [L] [M] n’entrait pas dans cette catégorie.
En effet, aucun détail des heures ne se trouve produit, à l’exception de deux tableaux lesquels globalisent sur le mois et la semaine le temps de travail général et surtout ne permettent pas de déterminer clairement les temps autres que la conduite pour chaque jour de travail, ce alors que les bulletins de salaire mentionnent uniquement le salaire horaire sur la base de 152 heures par mois, et les heures supplémentaires payées.
Les éléments fournis ne permettent pas non plus d’écarter les temps autres que la conduite au départ du dimanche soir (sauf opération de chargement/déchargement) ainsi que le samedi travaillé pour le seul retour de stationnement du véhicule (sauf opérations de chargement/déchargement), le forfait journalier de deux heures ne s’appliquant pas pour ces périodes (cf article 2 de l’accord).
Ainsi, M. [L] [M] est bien fondé à revendiquer l’application de la garantie prévue dans l’accord d’entreprise susvisé.
Toutefois, il y a lieu de tenir compte des jours fériés payés, puisque l’accord d’entreprise prévoit qu’entrent dans la garantie d’heures les heures indemnisées au titre d’un jour férié ainsi que des erreurs dans le calcul des heures opéré par M. [M].
Au regard des bulletins de paie produits et des heures payées, la société TRANSPORTS GRIMONPREZ est donc redevable de la somme de 1559,27 euros à titre de rappel de salaire, outre 155,92 euros au titre des congés payés y afférents.
Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.
Sur l’inégalité de traitement :
Il résulte du principe d’égalité de traitement énoncé aux articles L. 2261-22 et L 2271-1 du code du travail que l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause accomplissent un travail égal ou de valeur égale.
Conformément aux dispositions de l’article L. 3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités, et de charge physique et nerveuse.
Il appartient à celui qui invoque une inégalité de traitement de démontrer au préalable qu’il exerce des fonctions identiques ou similaires à celles du salarié à qui il se compare. Si ces éléments sont rapportés, il incombe alors à l’employeur d’établir que les différences de traitement reposent sur des raisons objectives dont le juge peut contrôler la réalité et la pertinence.
M. [L] [M] soutient avoir été victime d’une inégalité de traitement en raison de l’application de l’accord d’entreprise du 1er avril 2015 lequel distingue, parmi les chauffeurs grands routiers, les salariés qui justifient de 2 heures maximum par jour de temps autre que la conduite (travail et attente) qui bénéficient d’une garantie de 186 heures et les autres salariés qui ne bénéficient pas de cette garantie.
Il produit, à cet égard, l’accord litigieux et communique ses différents bulletins de salaire ainsi que des tableaux comparatifs reprenant les différences de revenus et de frais professionnels perçus entre les années 2017-2018 et 2018-2019, desquels il résulte une différence de salaire cumulée de l’ordre de 22,44 %, hors frais de déplacement lesquels ont fait l’objet d’une baisse de l’ordre de 27,41 %.
L’intéressé communique également les bulletins de salaire et contrats à durée déterminée d’un autre salarié, M. [M] [E], chauffeur grande distance, lors de son engagement par les sociétés TRANS DELTA, ANTOINE DISTRIBUTION et HEPNER, ainsi qu’un CDD conclu entre M. [L] [M] et la société HEPNER en 2015 et les bulletins de salaire y afférents.
En premier lieu, il est relevé qu’aucune comparaison ne peut être opérée avec un salarié d’une autre entreprise, l’employeur étant tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous ses salariés dès lors qu’ils accomplissent un travail égal ou de valeur égale et non avec les autres salariés d’entreprises extérieures, peu important que la société TRANS DELTA ait, par la suite, été reprise par la société GRIMONPREZ.
De la même façon, aucune inégalité de traitement ne peut être relevée d’un contrat de travail antérieur conclu avec une autre entreprise et prévoyant un horaire de travail de 186 heures, contrairement au contrat conclu avec la société GRIMONPREZ.
Cela étant, il résulte du contenu même de l’accord d’entreprise précité que la société TRANSPORTS GRIMONPREZ traite financièrement, différemment ses chauffeurs «Grands routiers» selon qu’ils justifient ou non de 2 heures maximum par jour de temps autre que la conduite (travail et attente).
M. [L] [M] démontre, ainsi, faire l’objet d’un traitement différent, du fait de son exclusion du bénéfice de la garantie de rémunération de 186 heures, alors qu’il exerce des fonctions identiques de chauffeur grand routier.
Il incombe, dès lors, à l’employeur d’établir que les différences de traitement reposent sur des raisons objectives.
A cet égard, il résulte des développements repris ci-dessus que la société TRANSPORTS GRIMONPREZ démontre que M. [M] ne peut pas, hors accord d’entreprise, se prévaloir d’une garantie de rémunération de 186 heures mensuelles, laquelle n’est pas instaurée par les dispositions générales du code des transports.
Par ailleurs, la société TRANSPORTS GRIMONPREZ justifie de ce que les modalités d’application de l’accord n’avaient pas pour conséquence d’inciter les chauffeurs à positionner leur chronotachygraphe en position «lit» plutôt que sur la position «carré barré», ledit accord s’inscrivant dans un contexte général d’amélioration des modalités de la rémunération avec la création d’une prime de gestion de temps et d’une garantie de 186 heures mensuelles sous condition, ce afin de mettre un terme à un conflit social.
L’employeur démontre, de la même façon, que cet accord avait pour finalité d’associer le conducteur Grand routier à une meilleure gestion de son activité et à optimiser les différents temps composant son temps de service, ayant, ainsi, entraîné l’adhésion de deux organisations syndicales, la CFTC et la CGT, et la reprise du travail.
Il en résulte que le fait d’opérer une distinction entre les salariés selon qu’ils justifient ou non de 2 heures maximum par jour de temps autre que la conduite (travail et attente) se trouve fondé sur des éléments objectifs liés à l’optimisation des temps de travail composant le temps de service.
De la même façon, l’appelant ne peut pas fonder sa demande au titre de l’inégalité de traitement sur la baisse du montant de ses frais de déplacement lesquels varient en fonction des missions qui lui sont confiées et dépendent uniquement de la nature et du nombre de trajets réalisés et surtout du montant des frais exposés, ce d’autant que si le montant de la rémunération de M. [M] a pu fluctuer, ces fluctuations se trouvaient en lien avec la durée effective de travail de celui-ci.
A cet égard, il est également relevé que les bulletins de paie du salarié attestent de ce que celui-ci réalisait, chaque mois, bien plus que les 151,67 heures de travail correspondant à la durée légale de travail, sans pour autant atteindre systématiquement 186 heures mensuelles.
Par conséquent, il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société TRANSPORTS GRIMONPREZ établit que les différences de traitement résultant de l’accord du 20 mars 2015 reposent sur des raisons objectives.
M. [L] [M] est, par conséquent, débouté de sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’inégalité de traitement.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
Sur l’avertissement du 16 janvier 2019 :
Il résulte des dispositions de l’article L1333-1 du code du travail qu’en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, la juridiction saisie apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, que l’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction et qu’au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Aux termes de l’article L1333-2 du même code, la juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En l’espèce, M. [L] [M] s’est vu notifier le 16 janvier 2019 un avertissement motivé par le fait d’avoir bloqué l’accès d’un site de livraison chez un client durant 30 minutes de façon volontaire et de ne pas avoir respecté les procédures internes de ce lieu de livraison.
A l’appui de cette sanction, la société TRANSPORTS GRIMONPREZ communique un courrier électronique du 19 décembre 2018 adressé par la société LEROY MERLIN prise en la personne de Mme [B] [H] à l’employeur de M. [L] [M] duquel il résulte que, ce jour-là à 10h25, le salarié a refusé de respecter le
protocole d’entrée sur le site en ne se soumettant pas à la règle selon laquelle le chauffeur pénètre à pied sur le site pour se rendre aux bâtiments administratifs situés à 100 mètres à l’intérieur du site et y remettre ses bons de livraison afin de permettre les vérifications d’usage et se voir attribuer un quai où positionner son camion. Le client indique,ainsi, ‘votre conducteur a refusé de suivre la procédure énoncée par le poste de garde, a repris son véhicule et l’a déplacé devant les barrières d’accès à l’enceinte du site. Il a donc bloqué l’entrée des véhicules venant livrer mais également la sortie des véhicules légers durant 30 minutes puisqu’il se présentait avec une double remorque. Malgré l’intervention et la pédagogie apportée par un représentant Leroy Merlin qui s’est déplacé au poste de garde, le conducteur a maintenu son véhicule en station devant les barrières , refusant de respecter la procédure présentée’. Il était,enfin, demandé à la société TRANSPORTS GRIMONPREZ de ne plus mandater M. [M] sur le site de [Localité 3].
Il résulte, par suite, de ces éléments que l’employeur démontre la faute commise par M. [L] [M] lequel a refusé de se soumettre au protocole d’accès du site d’un client bloquant alors les entrées et sorties pendant 30 minutes, ce d’autant que ledit protocole ne révélait aucun risque pour la sécurité de l’intéressé.
L’avertissement notifié est donc bien-fondé et ne revêt, par ailleurs, aucun caractère disproportionné, ayant conduit le client à refuser, à l’avenir l’intervention sur son site de l’intéressé.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de sa demande d’annulation de l’avertissement du 16 janvier 2019.
Sur les intérêts :
Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître à l’audience de conciliation.
Les créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.
Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles exposés sont infirmées.
Succombant en partie à l’instance, la société TRANSPORTS GRIMONPREZ est condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’à payer à M. [L] [M] 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
DIT que la demande de rappel de salaire au titre de la garantie annuelle de rémunération fondée sur les minimas conventionnels et les congés payés y afférents est irrecevable ;
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Tourcoing le 18 août 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [L] [M] de sa demande au titre de l’inégalité de traitement et de sa demande d’annulation de l’avertissement du 16 janvier 2019 ;
STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société TRANSPORTS GRIMONPREZ à payer à M. [L] [M] 1559,27 euros à titre de rappel de salaire, outre 155,92 euros au titre des congés payés y afférents ;
DIT que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître à l’audience de conciliation ;
DIT que les créances de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
CONDAMNE la société TRANSPORTS GRIMONPREZ aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [L] [M] 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL