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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 23 JUIN 2022
N° 2022/243
N° RG 20/11508
N° Portalis DBVB-V-B7E-BGRUC
[V] [U]
C/
Compagnie d’assurance MMA
Etablissement CPAM DU VAR
Société MUTUELLE DU VAR EMOA
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-SELARL LIBERAS FICI & ASSOCIES
-SCP IMAVOCATS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULON en date du 16 Novembre 2020 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/03087.
APPELANT
Monsieur [U] [V]
Assuré social sous le n°[XXXXXXXXXXX01] auprès de la CPAM du Var
né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 7]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Isabelle FICI de la SELARL LIBERAS FICI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Thierry CABELLO de la SELARL CABELLO ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON, plaidant.
INTIMEES
Compagnie d’assurance MMA
Prise en la personne de son Directeur Général en exercice, domicilié ès qualités audit siège,
demeurant [Adresse 2]
représentée et assistée par Me Sylvie LANTELME de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON.
LA CPAM DU VAR,
Assignée le 08/01/2021 à étude d’huissier. Signification de conclusions en date du 17/03/2021 à étude. Dénonce de conclusions d’intimé le 14/05/2021 à personne habilitée,
demeurant [Adresse 4]
Défaillante.
MUTUELLE DU VAR EMOA,
Assignée le 08/01/2021 à étude. Signification de conclusions en date du 15/03/2021 à étude. Dénonce de conclusions d’intimé le 17/05/2021 à personne habilitée,
demeurant [Adresse 6]
Défaillante.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 27 Avril 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2022.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2022,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et de la procédure
M. [U] [V] expose que le 6 novembre 2015 dans le Var, il a été victime d’un accident de la circulation impliquant le camion conduit par M. [P], propriété de son employeur M. [E], assuré auprès de la société MMA.
Aux termes de deux ordonnances du 19 juillet 2016 du 3 octobre 2017, le juge des référés a condamné l’assureur à verser à la victime la somme globale de 17’000€ à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel.
Une expertise médicale amiable a été diligentée et confiée au docteur [F] qui a déposé son rapport définitif le 27 février 2017.
Par actes des 24 et 27 mai 2019, M. [V] a fait assigner la société MMA devant le tribunal de grande instance de Toulon, pour la voir condamner à l’indemniser de ses préjudices corporels et ce, en présence de la CPAM du Var et de la mutuelle du Var EMOA.
Par jugement du 16 novembre 2020, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire a :
– déclaré M. [P], chauffeur du camion appartenant à M. [E] assuré auprès de la société MMA responsable du préjudice subi par M. [V] ;
– condamné la société MMA à payer à M. [V] la somme de 4125,01€ déduction faite des provisions déjà versées à hauteur de 19’000€ ;
– déclaré la décision commune et opposable à la CPAM du Var en fixant le montant de ses débours à la somme de 8549,19€, et à la mutuelle du Var EMOA en fixant ses débours à la somme de 887,68€ ;
– dit que le montant de l’indemnité qui sera allouée produira intérêts de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter du 8 juillet 2016 jusqu’au jour du jugement devenu définitif sur l’intégralité des préjudices alloués à la victime avant recours des organismes payeurs avec capitalisation des intérêts à compter de la date anniversaire de la demande en justice conformément aux dispositions de l’article 1343-3 du code civil ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples contraires ;
– condamné la société MMA au paiement de la somme de 1500€ à M. [V] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, avec distraction.
Le droit à indemnisation intégrale de la victime n’étant pas contesté par la société MMA, le tribunal a détaillé ainsi les différents chefs de dommage de la victime directe :
– dépenses de santé actuelles : 2856,20€, dont 1927,52€ pris en charge par la CPAM, 887,68€ pris en charge par la mutuelle soit la somme de 41€ revenant à la victime correspondant aux franchises qu’elle a dû acquitter,
– frais d’assistance à expertise par le docteur [C] : 1176€
– frais d’assistance par tierce personne : 1940,55€ sur la base d’un taux horaire de 16€,
– perte de gains professionnels actuels : 11’522,48€, sous déduction des indemnités journalières versées par la CPAM pour 6621,67€, et d’un complément de salaire pour 1284,60€, soit 3616,21€ revenant à la victime,
– perte de gains professionnels futurs : rejet en relevant que l’expert a conclu que M. [V] était apte à la reprise de son travail et que s’il a été licencié pour inaptitude le 7 décembre 2016, c’est après avoir décliné la proposition de son employeur de le reclasser au sein du groupe sur un poste d’agent polyvalent et alors qu’il ne produit aucun justificatif correspondant à la période écoulée entre le mois d’octobre 2016 et le mois de décembre 2018,
– déficit fonctionnel temporaire sur une base mensuelle de 750€ : 1151,25€
– souffrances endurées 2,5/7 : 4000€
– déficit fonctionnel permanent 5 % : 7200€ pour un homme âgé de 47 ans à la consolidation,
– préjudice d’agrément : 5000€ au titre de la gêne permanente et définitive à la pratique de la marche, du football, de la plongée et du vélo.
Il a retenu la sanction du double taux au motif que l’offre formulée le 14 juin 2016 était manifestement insuffisante, le déficit fonctionnel permanent retenant une valeur du point pour un homme de 71 ans et non pas de 47 ans.
Par acte du 24 novembre 2020, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [V] a interjeté appel de cette décision en ce qu’elle a rejeté la demande formulée au titre de la perte de gains professionnels futurs et qui a en conséquence condamner la société MMA à lui payer la somme de 4125,01€ déduction faite des provisions déjà versées d’un montant de 19’000€.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 avril 2022.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses conclusions du 21 juillet 2021, M. [V] demande à la cour de :
‘ le recevoir en son appel et le dire bien fondé ;
‘ confirmer le jugement qui a dit qu’il doit être indemnisé de l’ensemble de ses préjudices sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 ;
‘ donner acte au tiers payeur de ce que les recours subrogatoires ne pourront nuire au droit de préférence de la victime ;
‘ confirmer le jugement sur les postes de dépenses de santé actuelles, frais d’assistance à expertise, frais d’assistance à tierce personne temporaire, perte de gains professionnels actuels, déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, déficit fonctionnel permanent, préjudice d’agrément, article 700 du code de procédure civile et les dépens ;
‘ réformer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau condamner la société MMA à lui verser la somme de 47’764€ au titre de la perte de gains professionnels futurs ;
‘ réformer le jugement qui a dit que le montant de l’indemnité allouée produira intérêts de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter du 8 juillet 2016, et dire que le point de départ du double du taux de l’intérêt légal sera le 6 mai 2016 jusqu’au jour de la décision devenue définitive sur l’intégralité des préjudices alloués avant recours des organismes payeurs avec capitalisation des intérêts à compter de la date anniversaire de la demande en justice conformément à l’article 1343-2 du code civil ;
‘ débouter la société MMA de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions incidentes ;
‘ la condamner à lui verser la somme de 3000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel, ainsi qu’aux entiers dépens, distraits au profit de son conseil.
Son appel porte sur l’évaluation de la perte de gains professionnels futurs et si l’expert amiable a conclu qu’il ne présentait pas d’inaptitude imputable médicalement justifiée, il n’en demeure pas moins qu’à la suite de la consolidation par la CPAM du Var le 31 octobre 2016, le médecin du travail l’a déclaré inapte à la profession de conducteur poids-lourd-benne, et il a fait l’objet d’un licenciement le 7 décembre 2016. L’avis d’inaptitude est en relation directe avec l’accident. Son état antérieur au titre d’un accident en 2007 n’a pas d’incidence sur le présent litige puisqu’il portait uniquement sur l’épaule gauche. Par ailleurs il est de jurisprudence constante que lorsque l’accident n’a pas eu seulement pour effet d’aggraver une incapacité antérieure, mais a transformé radicalement la nature de l’invalidité préexistante, la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice. En l’espèce c’est bien à cause du syndrome rotulien post-traumatique avec limitation douloureuse de la flexion du genou et uniquement à cause de cela qu’il a fait l’objet d’une inaptitude définitive. Il a donc dû se recycler et a suivi une formation pour être formateur-transport. Il a trouvé un emploi en contrat à durée indéterminée à compter du 3 décembre 2018.
Il ne peut lui être reproché d’avoir refusé un reclassement.
Il justifie de la période au cours de laquelle il n’a perçu aucun revenu autre que ceux du chômage, par la production de ses bulletins de salaire du mois d’octobre au mois de décembre 2016, d’une attestation de Pôle emploi établissant une période de chômage du 19 décembre 2016 au 2 janvier 2019, outre son avis d’imposition des revenus 2017 ne faisant état que de salaires et assimilés c’est-à-dire les allocations de retour à l’emploi.
Avant l’accident il percevait un revenu annuel de 21’063,36€ et sa perte s’établit du 15 mai 2016 au 2 décembre 2018 à la somme de 53’783,70€, sous déduction des indemnités journalières perçues pour un montant de 6019,70€ soit une somme de 47’764€ lui revenant.
S’agissant de la sanction du double taux, il fait valoir que l’assureur a formulé une offre le 14 juin 2016 qui est incomplète puisqu’elle ne vise pas le préjudice d’agrément, la tierce personne, l’incidence professionnelle et la perte de gains actuels. Devant la cour la société MMA fait état d’une offre qu’elle aurait formulée par conclusions de référé pour l’audience du 18 juillet 2017, mais force est de constater qu’elle ne porte pas sur l’indemnisation de la perte de gains professionnels actuels et sur le préjudice d’agrément. Elle est donc incomplète. Au surplus elle est manifestement insuffisante et doit être assimilée à une absence d’offre. Le point de départ de la sanction sera le 6 mai 2016
Dans ses conclusions d’appel incident du 12 mai 2021, la compagnie d’assurances MMA (la MMA) demande à la cour de :
‘ débouter M. [V] de son appel en le jugeant infondé ;
‘ déclarer recevable et bien fondé son appel incident ;
‘ réformer le jugement qui a dit que le montant de l’indemnité allouée par le jugement produira intérêts de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter du 8 juillet 2016 jusqu’au jour du jugement définitif sur l’intégralité des préjudices alloués à la victime avant recours des organismes sociaux avec capitalisation des intérêts à compter de la date anniversaire de la demande en justice ;
‘ condamner M. [V] à restituer les sommes perçues au titre du doublement des intérêts et de la capitalisation ;
‘ le condamner au paiement de la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, distraits au profit de son conseil.
Elle conclut au rejet de la demande d’indemnisation du poste de perte de gains professionnels futurs, l’expert ayant considéré que s’il existe une pénibilité accrue, M. [V] ne présente pas d’inaptitude médicalement justifiée, et cet avis ne peut être remis en question par la décision de la médecine du travail puisqu’il n’est pas démontré que l’inaptitude est directement imputable à l’accident survenu en 2015. La situation du salarié a été envisagée dans son ensemble. Le licenciement a été décidé à la suite de l’impossibilité pour l’employeur de reclasser le salarié après un refus de reclassement. Déjà en 2008, une mesure de reclassement avait été nécessaire car M. [V] avait été déclaré inapte à occuper un poste de conducteur poids-lourd. Il présentait des antécédents pouvant interférer avec son état de santé en 2016. Par ailleurs et sur la période d’indemnisation sollicitée, il ne justifie pas de recherches pour retrouver un emploi.
S’agissant du double taux, elle expose qu’après le dépôt du rapport d’expertise, la société Pacifica qui dans le cadre de la convention IRCA avait la gestion de l’indemnisation, a adressé une offre d’indemnisation le 14 juin 2017 c’est-à-dire dans le délai légal, proposition qui a été réévaluée par la société MMA au terme de conclusions de référé du 3 octobre 2017. Le jugement sera infirmé et M. [V] sera condamné à restituer les sommes versées en application de l’exécution provisoire.
La CPAM du Var, assignée par M. [V], par acte d’huissier du 8 janvier 2021, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l’appel n’a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d’appel le 14 avril 2021 elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 8549,19€, correspondant à :
– des prestations en nature : 1927,52€
– des indemnités journalières versées du 7 novembre 2015 au 14 mai 2016 : 6621,67€.
La mutuelle du Var EMOA, assignée par M. [V], par acte d’huissier du 8 janvier 2021, délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l’appel n’a pas constitué avocat.
Par courrier adressé au greffe de la cour d’appel le 14 décembre 2021 elle a fait connaître le montant définitif de ses débours pour 887,68€, correspondant en totalité à des prestations en nature.
L’arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l’article 474 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
L’appel porte sur l’évaluation du préjudice corporel de M. [V] et plus particulièrement sur le poste de perte de gains professionnels futurs, et sur la sanction du double taux.
Sur le préjudice corporel
L’expert, le docteur [F], indique que M. [V] a présenté un traumatisme crânien avec perte de connaissance sans lésion resté sans suite, une fissure antéropostérieure de la rotule droite ayant nécessité une immobilisation en extension par attelle pendant six semaines et qu’il conserve comme séquelles un syndrome rotulien post-traumatique avec limitation douloureuse de la flexion du genou.
Il conclut à :
– un arrêt temporaire des activités professionnelles du 7 novembre 2015 au 14 mai 2016,
– un déficit fonctionnel temporaire total de 24 heures,
– un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 8 novembre 2015 au 31 décembre 2015 en rapport avec les contraintes thérapeutiques à savoir le port d’une attelle et l’appui sur des cannes anglaises,
– un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 % du 1er janvier 2016 au 31 janvier 2016 en rapport avec les contraintes de port d’une genouillère et d’un appui sur canne,
– un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 % du 1er février 2016 au 13 mai 2016 période pendant laquelle la victime a pu rencontrer des difficultés dans ses activités personnelles ordinaires,
– une consolidation au 14 mai 2016,
– des souffrances endurées de 2,5/7,
– un déficit fonctionnel permanent de 5 %,
– un préjudice d’agrément au titre d’une gêne permanente et définitive dans les activités personnelles,
– il existe une gêne permanente et définitive imputable à la reprise des activités professionnelles antérieures du blessé par pénibilité accrue, sans inaptitude imputable médicalement justifiée,
– un besoin en aide humaine à titre temporaire à raison de 2h par jour du 8 novembre 2015 au 31 décembre 2015, de 3h par semaine du 1er janvier 2016 au 31 janvier 2016.
Son rapport constitue une base valable d’évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l’âge de la victime, née le [Date naissance 3] 1968, de son activité de chauffeur poids-lourds au moment de l’accident, âgée de 47 ans révolus à la date de consolidation, afin d’assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion de ceux à caractère personnel sauf s’ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
Les postes qui ne font l’objet d’aucune contestation sont les suivants :
– dépenses de santé actuelles : 2856,20€, dont 1927,52€ pris en charge par la CPAM, 887,68€ pris en charge par la mutuelle soit la somme de 41€ revenant à la victime correspondant aux franchises qu’elle a dû acquitter,
– frais d’assistance à expertise : 1176€
– frais d’assistance par tierce personne : 1940,55€
– perte de gains professionnels actuels : 11’522,48€, sous déduction des indemnités journalières versées par la CPAM pour 6621,67€, et d’un complément de salaire pour 1284,60€, soit la somme de 3616,21€ revenant à la victime,
– déficit fonctionnel temporaire : 1151,25€
– souffrances endurées 2,5/7 : 4000€
– déficit fonctionnel permanent 5 % : 7200€,
– préjudice d’agrément : 5000€.
Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)
– Perte de gains professionnels futurs53’711,57€
Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l’invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.
Il est constant que l’expert a conclu que l’état séquellaire de M. [V] génère une gêne permanente et définitive imputable à la reprise des activités professionnelles antérieures du blessé par pénibilité accrue, mais en ajoutant : sans inaptitude imputable médicalement justifiée.
La lecture de la lettre de licenciement adressé le 7 décembre 2016 par l’employeur, la société Pasini à M. [V], mentionne que lors de la visite de pré-reprise du 10 mai 2016 le médecin du travail avait conclu à un état évolutif non consolidé à ce jour. N’est pas apte à reprendre son ancien poste. À consolidation devrait pouvoir reprendre son poste avec éventuellement un aménagement quelques mois évitant de monter sur la benne.
La fiche d’aptitude médicale émanant de la médecine du travail établie le 2 novembre 2016 a conclu à une inaptitude à la reprise de l’activité de conducteur poids-lourds benne.
C’est donc ensuite de cette décision que son employeur, dans ce courrier du 7 décembre 2016, a relaté lui avoir proposé un poste d’agent polyvalent nécessitant la conduite d’un véhicule léger et sur un poste à temps partiel, qu’il a refusé le 22 novembre 2016. Son licenciement lui a donc été notifé à compter du 7 décembre 2016.
Le tiers responsable conteste le lien de causalité entre l’accident et la perte par M. [V] de l’emploi qu’il occupait jusque là, au motif qu’il présentait un état antérieur consécutif à un accident survenu au cours de l’année 2007.
Toutefois il convient de considérer que jusqu’en 2016, et en dépit de l’accident survenu en 2007 qui avait affecté son épaule gauche et nullement ses membres inférieurs, M. [V] était en état d’assumer son emploi de chauffeur poids-lourd, ce qu’il n’a plus pu faire après que son genou a été atteint à la suite de l’accident du 6 novembre 2015.
Le principe de l’indemnisation doit être admis puisque le tiers responsable prend la victime dans l’état dans lequel elle se trouvait au moment du fait générateur, c’est à dire de l’accident et alors qu’elle exerçait tout à fait normalement son activité professionnelle depuis le 20 mars 2008 au sein de la même entreprise, comme en atteste la mention portée sur ses bulletins de paie.
D’autre part, il est constant que la victime n’étant pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable, son refus du reclassement professionnel proposé par son employeur ne fait pas obstacle à l’indemnisation de son préjudice professionnel.
Pour répondre aux demandes du tiers responsable, M. [V] verse aux débats ses bulletins de salaire au cours des trois mois qui ont précédé son licenciement, une attestation de Pôle emploi établissant qu’il a été demandeur d’emploi et a bénéficié des indemnisations de chômage du 19 décembre 2016 au 2 janvier 2019, outre son avis d’imposition sur les revenus en 2017 qui ne fait état que de ‘salaires et assimilés’ correspondant aux allocations de retour à l’emploi.
Il résulte de l’attestation établie le 2 mars 2016 par le responsable des ressources humaines de la société Pasini qui l’employait, que son revenu de référence au cours des 12 mois qui ont précédé l’arrêt de travail était de 21’063,36€ soit un revenu mensuel de 1755,28€.
Il est constant qu’il a retrouvé un emploi à compter du 3 décembre 2018 en qualité de formateur-transport.
Sa perte s’établit sur la période du 14 mai 2016, date de la consolidation au 2 décembre 2018, et donc sur deux ans (21’063,36€ x 2 = 42’126,72€) six mois (1755,28€ x 6 = 10’531,68€) et 18 jours (1755,28€ /30j x 18j = 1053,17€) à la somme de 53’711,57€.
M. [V] indique qu’au-delà de la période de consolidation du 14 mai 2016 et jusqu’au 31 octobre 2016 il a continué de percevoir des indemnités journalières pour un montant de 6019,70€.
En conséquence il lui revient au titre de ce poste de préjudice la somme de 47’691,87€ (53’711,57€ – 6019,70€).
Le préjudice corporel global subi par M. [V] s’établit ainsi à la somme de 88’558,05€ soit, après imputation des débours de la CPAM (14’568,89€) de la mutuelle du Var EMOA (887,68€) et d’un maintien de salaire par son employeur (1284,60€), une somme de 71’816,88€ lui revenant qui, en application de l’article 1231-7 du code civil, porte intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 16 novembre 2020 à hauteur de 23’125,01 € et du prononcé du présent arrêt soit le 23 juin 2022 à hauteur de 48’691,87€.
Sur le double taux
Dans le dispositif de ses conclusions, M. [V] demande à la cour de dire que les sommes lui revenant porteront intérêts au double du taux légal en l’absence d’offre, et ce à compter du 16 mai 2016 jusqu’au jour de la décision définitive.
Il convient de rectifier cette date, puisque l’accident s’est produit le 6 novembre 2015 et que le délai de huit mois expirant après sa survenance correspond au 7 juillet 2016.
En vertu de l’article L 211-9 du code des assurances, l’assureur est tenu de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne une offre d’indemnité, qui comprend tous les éléments indemnisables du préjudice, dans le délai maximum de huit mois à compter de l’accident, laquelle peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime ; l’offre définitive doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation.
La sanction de l’inobservation de ces délais, prévue par l’article L 211-13 du même code, réside dans l’octroi des intérêts au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou de la décision devenue définitive.
Or il s’avère que l’assureur a adressé une première offre d’indemnisation le 14 juin 2017, donc tardivement en considérant la date butoir du 7 juillet 2016.
Pour interrompre le cours du doublement des intérêts au taux légal, cette offre doit d’une part être complète, c’est à dire contenir des offres sur chacun des postes de préjudice retenu par l’expert et d’autre part contenir des propositions d’indemnisation qui ne soient pas manifestement insuffisantes, c’est à dire ne pas représenter moins du tiers des montants alloués.
L’expert a retenu un arrêt temporaire des activités professionnelles du 7 novembre 2015 au 14 mai 2016, un déficit fonctionnel temporaire total de 24 heures, un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 %, un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 25 %, un déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 %, des souffrances endurées de 2,5/7, un déficit fonctionnel permanent de 5 %, un préjudice d’agrément, une incidence professionnelle au titre d’une pénibilité accrue, et un besoin en aide humaine à titre temporaire.
Selon offre émise le 14 juin 2017, l’assureur a présenté des offres d’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total et partiel, du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées et de l’aide humaine, en omettant toute offre au titre de la perte de gains professionnels actuels alors qu’il ne justifie pas avoir sollicité les pièces pour en évaluer l’incidence chiffrée, mais aussi au titre du préjudice d’agrément et de l’incidence professionnelle. Cette offre est donc incomplète.
La société MMA soutient que l’offre du 14 juin 2017 a été réévaluée au terme de ses conclusions de référé et dans le cadre de la procédure qui a donné lieu à l’ordonnance de référé du 3 octobre 2017. Ses conclusions sont versées aux débats et cette offre prévoit une proposition d’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire partiel et total, du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées, de la tierce personne, et de l’incidence professionnelle. En revanche, elle ne porte pas sur l’indemnisation du poste de préjudice d’agrément. Cette offre est donc encore incomplète.
Dans ses dernières conclusions du 3 février 2020, qui sont consignés dans la décision rendue par le tribunal judiciaire de Toulon le 16 novembre 2020, la société MMA a présenté des offres d’indemnisation au titre de la perte de gains professionnels actuels, du déficit fonctionnel temporaire total et partiel, des souffrances endurées, et du déficit fonctionnel permanent. Là encore cette offre omet de proposer une indemnisation au titre du préjudice d’agrément.
Devant la cour, en l’état de l’appel limité de la victime, et de l’appel incident limité de la société MMA, cette société acquiesce au terme de ses conclusions du 12 mai 2021 à l’indemnisation des postes de préjudice tels qu’ils ont été fixés par le premier juge, intégrant l’ensemble des postes visées par les conclusions de l’expert médical, dont le préjudice d’agrément.
Il convient en conséquence de juger que les conclusions du 12 mai 2021 ont interrompu le cours du doublement des intérêts au taux légal. En effet, l’absence d’indemnisation du poste de perte de gains professionnels futurs qui n’a pas été visé par l’expert ne peut faire encourir la sanction et alors que la victime n’a pas sollicité l’indemnisation d’une incidence professionnelle.
En conséquence, la sanction du doublement des intérêts au taux légal est justifiée au titre de la tardiveté et l’offre, contenue a contrario dans les conclusions du 12 mai 2021 a interrompu le cours du doublement. En conséquence la société MMA est condamnée au doublement de cet intérêt au taux légal sur la période du 7 juillet 2016 au 12 mai 2021 sur la somme globale fixée par le premier juge à 23’125,01 € augmentée de la créance des tiers payeurs de 9621,47€, soit au total celle de 32’746,48€.
Sur la demande de restitution
Le jugement ayant été confirmé en ce qu’il a retenu la condamnation de la société MMA au paiement du doublement de l’intérêt au taux légal, la demande formée par le tiers responsable au titre du remboursement d’un trop-perçu est sans objet.
Sur les demandes annexes
La société MMA qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d’appel. L’équité ne commande pas de lui allouer une somme au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité justifie d’allouer à M. [V] une indemnité de 2000€ au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Par ces motifs
La Cour,
– Confirme le jugement,
hormis sur le montant de l’indemnisation de la victime et les sommes lui revenant, et sur le doublement de l’intérêt au taux légal ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
– Fixe le préjudice corporel global de M. [V] à la somme de 88’558,05€ ;
– Dit que l’indemnité revenant à cette victime s’établit à 71’816,88€ ;
– Condamne la société MMA à payer à M. [V] les sommes de :
* 71’816,88€, sauf à déduire les provisions versées, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, soit le 16 novembre 2020 à hauteur de 23’125,01 € et du prononcé du présent arrêt soit le 23 juin 2022 à hauteur de 48’691,87€,
* 2000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
– Condamne la société MMA au paiement du doublement de l’intérêt au taux légal sur la période du 7 juillet 2016 au 12 mai 2021 sur la somme de 32’746,48€ ;
– Ordonne la capitalisation des intérêts ;
– Déboute la société MMA de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en appel ;
– Condamne la société MMA aux entiers dépens d’appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT