Chauffeur Poids-Lourd : décision du 22 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07361

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 22 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07361
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 22 JUIN 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07361 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCTHB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Septembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° 14/01505

APPELANT

Monsieur [O] [S]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Amalia RABETRANO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1359

INTIMEE

S.A.S. ELIOR SERVICES PROPRETE ET SANTE prise en la personne de son représentant légal

inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous

le numéro 303 409 593

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Grégory CHASTAGNOL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [O] [S] a été embauché le 28 novembre 2001 par la société SIDEL, devenue SIN&STES, par contrat à durée indéterminée en qualité de chauffeur poids lourd avec la classification ATQS3A.

La société SIN&STES est devenue la société Elior Services Propreté et Santé (ESPS).

En octobre 2015, le contrat de travail de M. [O] [S] a été transféré à la société Onet.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective de la propreté.

Au cours de sa relation de travail, M. [O] [S] a été informé du fait que :

-un des salariés de l’entreprise, M. [X] [G], avait bénéficié d’une prime exceptionnelle pendant plusieurs années,

-des transactions avaient été signées avec 62 salariés de la société qui avaient saisi en 2009 le conseil de prud’hommes de demandes de rappel de salaire, transactions prévoyant le versement d’une indemnité au titre du préjudice qu’ils alléguaient avoir subi du fait « d’avoir été maintenu dans un espoir de gain pendant plus de 5 ans ».

Les représentants du personnel ont, lors du comité d’entreprise du 25 septembre 2014, demandé à la société ESPS d’assurer une indemnisation des salariés n’ayant pas bénéficié de transactions.

Deux mises en demeure ont été adressées à la société ESPS les 14 et 24 octobre 2014 par M. [O] [S], sans qu’aucun accord ne soit trouvé.

Estimant que la société ESPS avait violé le principe d’égalité de traitement, et sollicitant en conséquence des rappels de salaires, le versement de primes ainsi que des dommages et intérêts, M. [O] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux le 24 décembre 2014.

Par jugement rendu en formation paritaire du 29 septembre 2020, notifié le 5 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Meaux a :

-débouté M. [O] [S] de l’ensemble de ses demandes,

-débouté le syndicat CNT de l’ensemble de ses demandes,

-rejeté les demandes reconventionnelles,

-laissé les dépens à la charge de chacune des parties.

M. [O] [S] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel déposée par voie électronique le 2 novembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 22 novembre 2022, M. [O] [S] demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Meaux le 29 septembre 2020 en ce qu’il l’a débouté de ses demandes visant à condamner la société ESPS au paiement des sommes suivantes :

*rappel de salaires à hauteur de 27 441 euros bruts, outre les congés payés afférents, soit 2 744,10 euros bruts, au titre de la violation du principe d’égalité,

*dommages et intérêts à hauteur de 13 334 euros à titre de réparation du préjudice au titre de la violation du principe d’égalité et de l’inégalité de traitement,

*rappel de salaire au titre de la prime de balayage à hauteur de 1 371,96 euros bruts, outre les congés payés afférents, soit 137,19 euros bruts,

*rappel de salaire au titre de la prime de travaux spéciaux à hauteur de 1 080,96 euros bruts, outre les congés payés afférents soit 108,09 euros bruts,

*rappel de salaire au titre de la prime de propreté à hauteur de 2 195,28 euros bruts, outre les congés payés afférents, soit 219,52 euros bruts,

*dommages et intérêts pour non-paiement des primes de balayage, de propreté et de travaux spéciaux : 3 000 euros,

*dommages et intérêts pour pratique irrégulière de l’abattement de 8% : 5 000 euros bruts,

*5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

En conséquence

-condamner ESPS à payer à titre de rappel de salaires la somme de 27 441 euros bruts, outre les congés payés afférents soit 2 744,10 euros bruts,

-condamner ESPS à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 13 334 euros,

-condamner ESPS à payer à titre de rappel de salaires au titre de la prime de balayage la somme de 1 371,96 euros bruts outre les congés payés afférents soit 137,19 euros,

-condamner ESPS à payer à titre de rappel de salaires au titre de la prime de travaux spéciaux la somme de 1 080,96 euros bruts, outre les congés payés afférents soit 108,09 euros bruts,

-condamner ESPS à payer à titre de rappel de salaires au titre de la prime de propreté la somme de 2 195,28 euros bruts, outre les congés payés afférents soit 219,52 euros bruts,

-condamner ESPS à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 10 000 euros pour pratique irrégulière de l’abattement de 8%,

-la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner ESPS aux entiers dépens de l’instance avec distraction au profit de Maître Amalia Rabetrano, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 janvier 2023, la société ESPS demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Meaux le 29 septembre 2020 en ce qu’il a débouté M. [O] [S] de l’ensemble de ses demandes, à savoir :

*27 441 euros à titre de rappel de salaire, outre 2 744,10 euros de congés payés afférents ;

*13 334 euros à titre de dommages-intérêts pour inégalité de traitement ;

*5 000 euros pour pratique irrégulière de l’abattement forfaitaire de 8% ;

*1 371,96 euros à titre de rappel de prime de balayage, outre 137 euros de congés payés y afférents ;

*1 080 euros à titre de rappel de prime de travaux spéciaux, outre 108 euros de congés payés y afférents ;

*2 195,28 euros à titre de rappel de prime de propreté, outre 219 euros de congés payés y afférents ;

*3 000 euros de dommages-intérêts pour non-paiement de salaires ;

*1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conséquent, à titre principal :

-juger que M. [O] [S] ne démontre pas être dans une situation comparable à celle de M. [X] [G] ;

-juger que M. [O] [S] est dans une situation différente de celle de M. [X] [G], rendant inopérant l’application des principes « à travail égal salaire égal » et d’égalité de traitement;

-juger que les faits dont se prévaut M. [O] [S] sont prescrits ;

-juger que la preuve mise à la charge de la société Elior Services Propreté et santé n’est pas matériellement rapportable ;

A titre subsidiaire :

-constater que le transfert justifie toute éventuelle différence de traitement ;

-juger que le transfert n’emporte que l’obligation pour le cessionnaire de maintenir les droits et obligations nés avant le transfert ;

En conséquence :

-débouter M. [O] [S] de l’ensemble de ses demandes.

En tout état de cause :

-juger qu’aucune demande fondée sur le fondement de l’égalité de traitement ne peut reposer sur l’existence d’un protocole transactionnel ;

-juger que la différence de traitement, si elle existe, revêt un caractère marginal ;

-juger que la demande de versement pour l’avenir de la prime de 457,35 euros est infondée ;

-constater la prescription sur les cinq années de rappel de salaires citées par le demandeur ;

-débouter M. [O] [S] de ses demandes de rappels de congés payés ;

-débouter M. [O] [S] de ses demandes de dommages et intérêts ;

-condamner M. [O] [S] à verser la somme de 6 000 euros à la société ESPS au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, première instance et appel, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 14 décembre 2022.

L’affaire a été fixée à l’audience du 3 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

1/ Sur la prescription

M. [O] [S] indique qu’il revendique une créance de nature salariale, dont le délai de prescription ne court qu’à compter de la date d’exigibilité de chacune des fractions de la somme réclamée en application des articles L.3245-1 et L.3242-1 du code du travail. Or, puisque le paiement de la prime litigieuse s’est poursuivi jusqu’au départ de M. [X] [G] en juillet 2014, c’est à compter du dernier jour du versement de la prime litigieuse que la prescription a commencé à courir. En tout état de cause, les faits n’ont été découverts que lors de la réunion du comité d’entreprise qui s’est tenue au mois d’août 2014, et n’étaient pas connus lorsque les collègues de M. [O] [S] ont initié la procédure en 2009, et même s’il en avait eu connaissance des 2009 son action était légitime tant que l’inégalité perdurait.

La société ESPS indique à titre liminaire que dans des affaires connexes, la cour d’appel de Paris a jugé que des demandes de rappels de salaires formulées par les salariés au titre d’un inégalité de traitement avec M. [X] [G] étaient prescrites. Elle ajoute que la prescription sur les salaires court à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent d’exercer son action, ce qui correspond en matière d’inégalité de traitement au jour où le salarié a eu connaissance de l’existence de l’inégalité de traitement. Or, dès le mois d’avril 2009, M. [O] [S] a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer sa demande de rappels de salaires. Ainsi, sa demande était prescrite dès le mois d’avril 2014 ou au plus tard au mois d’août 2014. Elle indique que la prescription a pour fonction d’assurer la sécurité juridique. L’écoulement d’une période trop longue occasionne une atteinte excessive aux droits de la défense puisque cela rend impossible la production de la preuve demandée. En effet, en matière d’égalité de traitement, il appartient au salarié d’apporter des éléments de fait laissant supposer une différence de traitement, et à l’employeur de prouver qu’aucune inégalité de traitement n’a eu lieu ou qu’elle est justifiée par des raisons objectives. La prime a été attribuée par la société Sidel antérieurement au transfert de la société. Or, compte tenu du transfert d’entreprise et de l’ancienneté des faits, la société ESPS n’est pas en mesure de rapporter une preuve certaine de la justification de la prime. C’est donc à compter du transfert que la prescription à commencé à courir, c’est à dire le 1er mars 1998, de sorte que l’action était prescrite au 1er mars 2003. Enfin à titre subsidiaire, la société ESPS soutient que l’article 21 de la loi n°2013-504 encadrant l’action en paiement de salaires dans un délai de prescription de trois ans, prévoit que ce nouveau délai de prescription s’applique aux prescriptions en cours et que seules les instances introduites avant le 16 juin 2013 continuent à bénéficier du régime de prescription de 5 ans, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ainsi, l’action de M. [O] [S] est soumise à l’action triennale de sorte que les demandes en rappels de salaires ne peuvent porter que sur ceux perçus entre le 24 décembre 2011 et le 24 décembre 2014.

L’article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013 dispose : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce à connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour où, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ».

Selon la loi antérieure, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait pas cinq ans conformément à l’article 2224 du code civil.

La loi ne disposant que pour l’avenir, le nouveau délai de prescription de trois ans ne s’applique qu’à compter de la date de promulgation de la loi du 14 juin 2013, de sorte que lorsque la prescription quinquennale a commencé à courir antérieurement à la date de promulgation et que l’action a été introduite dans les trois ans de la promulgation de la loi, c’est encore l’ancienne prescription quinquennale qui s’applique au recouvrement des salaires et non la prescription réduite à trois ans non encore acquise. Le point de départ du délai de prescription est celui de la date d’exigibilité du salaire.

En l’espèce, M. [S] ayant saisi le conseil de prud’hommes de Meaux le 24 décembre 2014, alors que la prime litigieuse était exigible jusqu’en juillet 2014, puisque son paiement s’était poursuivi jusqu’au départ de M. [X] [G] à cette date, la demande n’est pas prescrite dans la limite de la durée prévue par la loi antérieure, mais les sommes dues antérieurement au 24 décembre 2009 sont prescrites.

S’agissant par contre de la demande de dommages-intérêts pour inégalité de traitement, la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil est applicable et court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, soit en avril 2009. En conséquence, cette demande formée le 24 décembre 2014 est prescrite.

2/ Sur le principe d’égalité en matière d’attribution de primes

M. [O] [S] soutient qu’en application du principe ‘à travail égal, salaire égal’, une différence de traitement n’est licite que si les critères qui déterminent son attribution sont objectifs et pertinents, et si les critères sont contrôlables et portés préalablement à la connaissance de tous les salariés. C’est sur l’employeur que repose la charge de la preuve de la réunion de ces critères. Or, selon lui, la société ESPS n’a pas fait la preuve de l’existence de critères objectifs et vérifiables présidant à l’octroi d’une prime. En outre, pour l’attribution de cette prime à M. [X] [G], aucune procédure de négociation d’un accord collectif n’a été respectée, alors même que pour la mise en place des autres primes, un accord collectif avait été négocié. Pourtant, la société savait pertinemment que la prime versée à M. [G] [X] était illicite pour avoir eu à gérer une précédente réclamation prud’homale, et pour avoir accepté postérieurement à l’introduction de cette procédure, de signer des transactions qui établissent que l’employeur reconnaît l’inégalité de traitement afférant à cette prime ainsi qu’un droit à réparation du préjudice à l’intégralité du personnel. Finalement la société ESPS tente de faire valoir de manière artificielle que cette prime viendrait en compensation des sujétions propres à l’exercice de son mandat syndical et à son ancienneté dans l’entreprise. M. [O] [S] indique enfin qu’avoir permis à 63 salariés de bénéficier d’une transaction, à l’exclusion d’autres pourtant placés dans une situation identique, constitue également une violation du principe d’égalité.

La société ESP Santé répond que le transfert des contrats de travail de la société Sidel vers ESPS s’est opéré de plein droit, en application de l’article L.1224-1 du code du travail. Ce transfert d’entreprise a eu pour effet de geler les droits nés des salariés puisque la société ESPS était dans l’obligation de les reprendre et de les maintenir dans leur intégralité. Du fait du transfert d’entreprise, le nouvel employeur est en effet tenu de continuer de verser aux salariés l’ensemble de leur salaire, y compris les primes qui étaient régulièrement versées par l’ancien employeur. Ces primes étaient devenues des éléments à part entière de leur rémunération contractuelle, de sorte qu’un défaut de versement de ces primes aurait constitué une modification du contrat de travail du salarié. En outre, il est de jurisprudence constante qu’aucune modification du contrat de travail ni même des conditions de travail ne peut être imposée à un salarié protégé. Ainsi, à supposer même que la cour juge que la prime litigieuse n’a pas été contractualisée, elle ne pourra que constater que le statut protecteur attaché à la fonction de délégué syndical, empêchait la société ESPS de modifier ne serait-ce que les conditions de travail de M. [X] [G] et donc sa rémunération. Les sociétés SIN&STES et ESPS ne pouvaient pas non plus modifier, après le transfert, la rémunération des salariés recrutés avant le transfert, car cela aurait constitué une modification interdite du contrat de travail en raison d’un transfert d’entreprise. La société ESPS indique qu’elle même et la société SIN&STES étaient tenues au maintien des droits et obligations nés antérieurement au transfert. Le droit lié à l’égalité de traitement non né antérieurement au transfert ne peut donc être opposé au nouvel employeur, puisqu’il s’agit d’un droit uniquement potentiel et futur. A titre subsidiaire, la société ESPS souligne que l’examen par le juge de l’existence d’une situation d’inégalité de traitement se fait en deux temps : d’abord le juge doit vérifier que le salarié démontre l’existence d’une inégalité de traitement, et que cette inégalité est constatée entre des salariés placés dans cette situation comparable puis ce n’est que si la preuve de cette inégalité de traitement est établie que le juge vérifie que l’employeur a justifié cette inégalité par des éléments objectifs. Or, M. [O] [S] ne démontre pas qu’il se trouvait dans une situation comparable à celle de M. [X] [G]. En effet, M. [G] a exercé au sein de la société Sidel et de la société ESPS un mandat de délégué syndical, ce qui, compte tenu des sujétions particulières qui en résultent, a justifié que sa rémunération soit revalorisée en application du principe de valorisation de la carrière syndicale issue de l’article 5 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015. Cela est d’autant plus vrai que son mandat a été exercé dans des conditions particulièrement difficiles. En outre, sa situation particulière est renforcée par l’ancienneté dont il disposait et par le coefficient hiérarchique dont il relevait. M. [O] [S] s’est contenté de verser aux débats sa fiche de paie et de la comparer avec celle de M. [X] [G], ce qui ne permet pas de démontrer que les deux salariés se trouvaient dans une situation comparable. Enfin, M. [X] [G] étant le seul à avoir perçu la prime litigieuse, M. [O] [S] ne démontre pas avoir perçu une rémunération inférieure à un panel de salariés dans la même situation. En tout état de cause, cette prime ne peut pas être versée pour l’avenir. En effet, l’inégalité de traitement nécessite la comparaison de deux salariés placés dans une situation comparable. Or, le versement de la prime litigieuse a cessé au mois de juin 2014, et M. [X] [G] a quitté les effectifs au mois d’août 2014. Cet avantage n’a jamais été contractualisé à l’égard du demandeur, et n’a pas non plus été généralisé à l’ensemble des salariés, de sorte qu’il ne constitue pas un usage. Il ne constitue pas non plus un engagement unilatéral.

En application du principe d’égalité de traitement et de l’article L. 1224-1 du code du travail, l’obligation à laquelle est légalement tenu le nouvel employeur, en cas de transfert d’une entité économique, de maintenir au bénéfice des salariés qui y sont rattachés les droits et avantages qui leur étaient reconnus au jour du transfert, justifie la différence de traitement qui en résulte par rapport aux autres salariés.

En l’espèce, le contrat de travail de M. [G] a été transféré à compter du 1er décembre 1994 à la société Sidel, laquelle lui a attribué une prime mensuelle dite prime « exceptionnelle » à compter de septembre 1996. Un nouveau transfert de son contrat de travail a été opéré à compter du 1er mars 1998 suite à l’attribution du marché de nettoyage à la société SIN&STES, devenue ESPS à la suite d’une fusion avec la société Française de Gestion Hospitalière, et le versement de cette prime a été maintenu.

Ce second transfert répondant aux conditions de l’article L. 1224-1 du code du travail, la différence de traitement, résultant de l’obligation légale pour la société ESPS de maintenir au bénéfice de M. [G] un droit qui lui était reconnu au jour du transfert légal de son contrat de travail, est donc objectivement justifiée (Soc 19-24.094)

L’argument tenant à la conclusion de transactions avec certains salariés seulement sera également écarté puisque, sur le fondement de l’article 2044 du code civil, un salarié ne peut invoquer le principe d’égalité de traitement pour revendiquer les droits et avantages d’une transaction conclue par l’employeur avec d’autres salariés pour terminer une contestation ou prévenir une contestation à naître (Soc 20.10-796).

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [S] de sa demande de rappel de salaires à ce titre.

3/Sur le rappel de salaire au titre de la prime de balayage, de la prime de travaux spéciaux et de la prime de propreté

M. [O] [S] souligne à titre liminaire que l’attribution de ces primes résulte uniquement d’un usage puisqu’aucune convention signée par les partenaires sociaux n’en définit l’attribution. Certains de ses collègues avec qui il se trouve pourtant dans une situation comparable au regard de leurs connaissances professionnelles, de leur grade conventionnel, de leur poste impliquant l’utilisation d’un véhicule identique, et de la formation requise pour occuper le poste, bénéficient de ces prime de balayage, de travaux spéciaux et de propreté. Il affirme que l’ensemble du personnel de l’entreprise faisant partie de l’équipe voirie perçoit une prime de balayage en raison de l’utilisation des balayeuses.

La société ESPS soutient que cette demande est prescrite pour la demande de rappel de prime portant sur la période du 1er octobre 2012 au 14 octobre 2012. Ensuite, elle indique que M. [O] [S] compare sa situation avec celle de trois salariés qui ne bénéficient pas de la même qualification, et qui n’exercent pas les mêmes missions. Par ailleurs, la production des bulletins de paie de collègues est insuffisante à établir une inégalité de traitement. En outre, M. [O] [S] travaillait de jour, or le versement des primes varie entre les salariés travaillant de jour et ceux travaillant de nuit.

Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 1, l’exception de prescription est écartée.

M. [S] procède à une comparaison avec trois autres salariés, M. [V] [R], M. [W] [Y] et M. [J] [S], qui, selon lui, exécuteraient les mêmes travaux que lui, à savoir l’utilisation de véhicules de voirie. Il produit leurs bulletins de paie qui portent mention pour les trois d’une prime de balayage de 38,11 euros et d’une prime de propreté de 60,98 euros et, pour deux d’entre eux, d’une prime de travaux spéciaux de 30 euros.

Il verse également au débat les attestations établies par ces trois salariés :

-M. [V] et M. [Y] affirment que M. [S] travaille dans leur équipe, utilise les mêmes engins et véhicules de service et effectue le même travail à savoir la conduite de balayeuses destinées à nettoyer les chaussées par lavage, balayage et aspiration

-M. [J] [S], responsable de l’équipe voirie, indique que les ouvriers qui travaillent sous sa responsabilité.

La cour observe que si la classification de M. [S] est ATQS3 A tandis que celles de M. [V] [R], M. [W] [Y] et M. [J] [S] sont respectivement CE 1, ATQS1 A et MP 2, il ressort des attestations que ces salariés exercent le même emploi en utilisant les mêmes engins, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par l’employeur.

M. [S] est donc en droit de percevoir, tout comme eux, ces trois primes liées à la nature de leur travail (balayage, travaux spéciaux et propreté). Le seul fait que ces autres salariés perçoivent une prime panier de nuit, comme le soutient l’employeur, ne peut en effet suffire à justifier que l’appelant soit privé de ces primes.

Il sera en conséquence fait droit à la demande et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [S] de sa demande de rappel de salaires au titre de ces trois primes.

6/Sur la pratique irrégulière de l’abattement de 8%

M. [O] [S] fait valoir que son employeur pratique un abattement forfaitaire de 8% sur son salaire brut qui sert d’assiette de calcul des cotisations sociales, sans que cela soit justifié. En effet, s’il résulte de l’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles des cotisations de sécurité sociale tel que modifié par l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005, que certaines professions peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique, ces professions sont uniquement celles qui sont listées par l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000. Parmi elles figurent les « ouvriers du bâtiment visés aux paragraphes 1 et 2 de l’article 1er du décret du 17 novembre 1936, à l’exclusion de ceux qui travaillent en usine ou en atelier ». Il a pu être prétendu, jusqu’au niveau ministériel, que les entreprises de propreté devaient être assimilées aux entreprises de bâtiment. Cette position se fonde sur le fait que l’article 1 du décret du 17 novembre 1936 vise, sous l’intitulé « entreprises de bâtiment », l’ensemble des entreprises figurant dans le sous-groupe 4 Q du décret du 9 avril 1936, au nombre desquelles se trouveraient les entreprises de propreté sous la référence 4.945. Or, la référence 4.945 ne concerne que certaines de ces entreprises de nettoyage dont une liste limitative est donnée. Par ailleurs, le sous-groupe 4.945 est classé sous la rubrique « Fumisterie ». Il en résulte que les entreprises de nettoyage ne relèveraient du sous-groupe 4.945 qu’à la double condition de relever d’une des activités expressément visées par la liste d’une part et d’exercer leur activité en lien avec des travaux de fumisterie d’autre part. En outre, la société ESPS n’a plus aucune activité dans le bâtiment et les ouvriers du nettoyage ne supportent plus aucune charge de caractère spécial au titre de l’accomplissement de leurs missions, ce qui est une condition fixée par l’article 1 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations sociales. Enfin, dans un arrêt en date du 20 janvier 2012 n° 10-26092, la cour de cassation a condamné la pratique de la déduction forfaitaire pour les salariés travaillant sur un seul site. Du fait de cette pratique de la part de son employeur, M. [S] subit une minoration de tous ses droits sociaux établis sur l’assiette de calcul des cotisations. Ainsi sont minorés ses indemnités journalières en cas d’arrêt de travail, les compléments employeur et prévoyance d’arrêt de travail, les allocations chômage et les allocations retraite.

La société ESPS objecte que l’arrêté du 20 décembre 2002 autorise l’employeur à appliquer une déduction forfaitaire spécifique sur l’assiette des cotisations sociales. Cette déduction est réservée aux professions listées à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts. Cet article vise les ouvriers du bâtiments cités aux paragraphes 1et 2 de l’article 1 du décret du 17 novembre 1936. Or, selon une réponse ministérielle du 18 mai 1972, les ouvriers du secteur de la propreté sont assimilés aux ouvriers du bâtiment. L’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu’une convention ou un accord collectif le prévoit explicitement ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord. Or, la société ESPS appartient au secteur de la propreté, et le comité central d’entreprise a autorisé la pratique de la déduction forfaitaire lors d’une réunion du 23 juin 2006, de sorte que cette déduction pouvait être appliquée. La condition selon laquelle un salarié doit exercer quotidiennement son activité sur plusieurs sites pour se voir appliquer cette disposition doit être écartée car elle ne résulte d’aucun texte et que l’ACOSS a demandé à ce que cette condition soit écartée. En tout état de cause M. [O] [S] ne dispose d’aucun contrat de travail indiquant qu’il ne serait affecté que sur le site de Disneyland. Enfin, la somme demandée à ce titre n’est pas justifiée par un préjudice quelconque.

Aux termes de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, l’assiette des cotisations de sécurité sociale comprend toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et, s’agissant des frais professionnels, ils ne peuvent être exclus de l’assiette que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel.

Selon l’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002, dans sa rédaction issue de l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005, « les professions, prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du dispositif prévu aux articles précédents, peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique .

Cette déduction est, dans la limite de 7 600 euros par année civile, calculée selon les taux prévus à l’article 5 de l’annexe IV du code précité.

L’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu’une convention ou un accord collectif du travail l’a explicitement prévu ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

A défaut, il appartient à chaque salarié d’accepter ou non cette option. Celle-ci peut alors figurer soit dans le contrat de travail ou un avenant au contrat de travail, soit faire l’objet d’une procédure mise en ‘uvre par l’employeur consistant à informer chaque salarié individuellement par lettre recommandée avec accusé de réception de ce dispositif et de ses conséquences sur la validation de ses droits, accompagné d’un coupon-réponse d’accord ou de refus à retourner par le salarié. Lorsque le travailleur salarié ou assimilé ne répond pas à cette consultation, son silence vaut accord définitif.

L’assiette des cotisations est alors constituée par le montant global des rémunérations, indemnités, primes, gratifications ou autres acquises aux intéressés, y compris, le cas échéant, les indemnités versées au travailleur salarié ou assimilé à titre de remboursement des frais professionnels, à l’exception de celles versées, d’une part, à certaines professions bénéficiant d’une déduction forfaitaire spécifique dont le montant est notoirement inférieur à la réalité des frais professionnels exposés par le travailleur salarié ou assimilé et, d’autre part, de celles versées au titre d’avantages venant en contrepartie de contraintes professionnelles particulièrement lourdes. La liste limitative de ces exceptions est jointe en annexe du présent arrêté.

L’application de ces dispositions s’entend sans préjudice des dispositions du sixième alinéa de l’article R. 242-1 du code de la sécurité sociale. »

Pour bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique, le salarié doit remplir deux conditions cumulatives : faire partie de la liste des professions prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000 et exposer des frais professionnels lors de son activité professionnelle.

Si les ouvriers du secteur nettoyage ont été assimilés par une réponse ministérielle aux ouvriers du bâtiment, c’est à la condition qu’ils travaillent sur plusieurs chantiers.

Cependant, M. [S] n’était affecté que sur un seul site et ne percevait aucun frais professionnel.

Il en résulte que la déduction forfaitaire spécifique de 8 % opérée par la société ESPS ne se justifiait pas pour M. [S] dont le préjudice économique est démontré par une minoration de l’assiette de cotisation sociale et de ses droits sociaux.

M. [S] est donc fondé à solliciter la réparation de son préjudice, qui doit lui être accordée à hauteur de 1 000 euros de dommages-intérêts.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour pratique illicite de l’abattement forfaitaire,

9/Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront supportés par moitié par chacune des parties.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a dit prescrite la demande de rappel de salaires fondée sur l’inégalité de traitement résultant de la perception d’une prime exceptionnelle, et débouté M. [O] [S] de ses demandes de rappel de salaires au titre des primes de balayage, de propreté et de travaux spéciaux, et de dommages-intérêts pour application irrégulière d’un abattement forfaitaire,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que les demandes de rappel de salaires fondées sur l’inégalité de traitement résultant de la perception d’une prime exceptionnelle, et de rappel des primes de balayage, de travaux spéciaux et de propreté ne sont pas prescrites,

Dit que la demande de dommages-intérêts pour inégalité de traitement est prescrite,

Condamne la société ESPS à verser à M. [O] [S] les sommes suivantes :

-1 371,96 euros à titre de rappel de salaire au titre de la prime de balayage

-137,19 euros au titre des congés payés afférents

-1 080,96 euros à titre de rappel de salaire au titre de la prime de travaux spéciaux

-108,09 euros au titre des congés payés afférents

-2 195,28 euros à titre de rappel de salaire au titre de la prime de propreté

-219,52 euros au titre des congés payés afférents

-1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour application irrégulière d’un abattement forfaitaire,

Déboute M. [O] [S] de sa demande de rappel de salaires fondée sur l’inégalité de traitement résultant de la perception d’une prime exceptionnelle,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Les dépens seront supportés par moitié par chacune des parties.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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