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MINUTE N° 291/23
Copie exécutoire à
– Me Orlane AUER
Copie à M. le PG
Arrêt notifié aux parties
Le 21.06.2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 21 Juin 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 22/00742 – N° Portalis DBVW-V-B7G-HYYY
Décision déférée à la Cour : 11 Février 2022 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG – Greffe des procédures collectives commerciales
APPELANT :
Monsieur [T] [D]
né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 5], de nationalité française
[Adresse 3]
ancien représentant légal de la S.A.S.U MTG CONSTRUCTION, immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 813 453 909
Représenté par Me Orlane AUER, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me COMMISSIONE, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMES :
S.E.L.A.R.L. [E] ET ASSOCIES prise en la personne de Maître [B] [E] liquidateur de la société MTG CONSTRUCTION
[Adresse 2]
non représentée, assignée par voie d’huissier à personne habilitée le 31.03.2022
Monsieur le Procureur Général près la Cour d’appel de COLMAR
[Adresse 4]
assigné par voie d’huissier à personne habilitée le 04.04.2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 modifié du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Mars 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, un rapport de l’affaire ayant été présenté à l’audience.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
En présence de Mme FLOURIOU, greffière stagiaire
Ministère Public :
représenté lors des débats par M. VANNIER, avocat général, qui a fait connaître son avis et dont les réquisitions écrites ont été communiquées aux parties.
ARRET :
– réputé contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Vu le jugement de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg du 11 février 2022,
Vu la déclaration d’appel de M. [D] effectuée le 21 février 2022 par voie électronique,
Vu les conclusions de M. [D] du 17 mars 2022, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour,
Vu l’ordonnance du 30 mars 2022 fixant l’affaire à l’audience de plaidoirie du 20 juin 2022 et l’avis de fixation de l’affaire à bref délai du greffier du 30 mars 2022,
Vu l’acte d’huissier de justice délivré le 31 mars 2022 à la Selarl [E] et Associés, en sa qualité de liquidateur de la SASU MTG Construction, lui signifiant la copie de la déclaration d’appel, du récapitulatif de cette déclaration, de l’avis et de l’ordonnance de fixation, de l’avis de convocation aux avocats et des conclusions du 17 mars 2022 accompagnées du bordereau de communication de pièces,
Vu l’acte d’huissier de justice délivré le 4 avril 2022 à M. le Procureur Général près la cour d’appel de Colmar, lui signifiant copie de l’ordonnance et de l’avis de fixation, de l’avis de convocation aux avocats, des conclusions du 17 mars 2022, accompagnées du bordereau de communication de pièces, du récapitulatif de la déclaration d’appel et de la déclaration d’appel,
Vu les conclusions du ministère public transmises par voie électronique le 1er juin 2022,
Vu l’audience du 6 mars 2023 à laquelle l’affaire a été appelée et retenue,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour l’exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il résulte des conclusions des parties que, par jugement du 2 novembre 2020, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de la SASU MTG Construction, la Selarl [E] et Associés, prise en la personne de Maître [E], étant désignée liquidateur judiciaire. Cette société avait pour gérant M. [D].
Le jugement attaqué a prononcé, à l’encontre de M. [D], une mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 10 ans, en retenant à son encontre le défaut de tenue régulière de la comptabilité de sa société et de l’établissement des comptes sociaux.
Sur le grief reproché :
M. [D] soutient, d’abord, que les faits invoqués par le ministère public ne permettent pas d’entrer en voie de condamnation à son encontre. Soutenant qu’il résulte de la combinaison des articles 38 de l’annexe du code de procédure civile et 775 du code de procédure civile, que la procédure relevant de la compétence de la Chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg est écrite, et qu’aux termes de la requête introductive d’instance du Procureur de la République, seul lui était reproché le fait suivant : ‘aucun élément comptable postérieur à l’année 2016 n’ayant été fourni au mandataire liquidateur par M. [D] [T].’, alors que le défaut de remise de comptabilité aux organes de la procédure collective n’équivaut pas à l’absence de comptabilité, et n’est ainsi pas un fait de nature à justifier une mesure de sanction professionnelle.
Il est exact que le défaut de remise de la comptabilité aux organes de la procédure collective n’est pas un fait de nature à justifier le prononcé d’une interdiction de gérer ou d’une faillite personnelle (Com., 3 déc. 2003, n° 02-14.060 ; Com., 27 févr. 2007, n° 05-21.795 : Bull. no 70 ; Com., 22 sept. 2009, no 08-14.885).
Cependant, comme le rappelle d’ailleurs le jugement, et ainsi que cela résulte du dossier de première instance, la requête du ministère public du 23 mars 2021, signifiée à M. [D], lui reprochait de ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l’obligation, et ce en visant l’article L.653-5-6ème du code de commerce, le ministère public ajoutant qu’aucun élément comptable postérieur à l’année 1026 n’ayant été fourni au mandataire liquidateur par M. [D].
Lui était donc bien reproché le grief de défaut de tenue de comptabilité prévue par l’article L.654-5-6ème dudit code.
En application des articles L.653-8 et L.653-5 6° du Code de commerce, la mesure d’interdiction précitée peut être prononcée à l’égard de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1, contre laquelle a été révélé le fait d’avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Il convient de rappeler que, s’il incombe à celui qui demande le prononcé d’une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer d’établir les faits de nature à justifier une telle sanction, il appartient au dirigeant de démontrer l’état de la comptabilité qu’il a tenue ; et les juges du fond peuvent prendre en considération l’absence de production ou de remise d’une comptabilité pour en déduire la non-tenue de celle-ci (cf. Com., 6 février 2001, pourvoi n° 98-11.239 ; Com., 3 déc. 2003, pourvoi n°01-01.863 ; Com., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-10.514).
Sur le bien-fondé du grief :
En l’espèce, le ministère public rappelle les obligations de tenue de comptabilité pesant sur les commerçants et soutient que la non remise de la comptabilité vaut présomption de non tenue de comptabilité régulière et que l’omission de représentation de la comptabilité aux organes de la procédure est constitutive du manquement. Il soutient que M. [D], dirigeant de la SASU MTG Construction, exerçait une activité commerciale, que les derniers comptes annuels fournis au liquidateur sont ceux de l’exercice 2016, que le fait d’avoir confié sa comptabilité à un cabinet d’expert-comptable n’est pas suffisant pour écarter la présomption de défaut de tenue de comptabilité liée à la non communication aux organes de
la procédure de liquidation judiciaire, dans la mesure où, s’il établit avoir réglé des honoraires en 2018, il ne produit aucun bilan postérieur à 2016. Il ajoute qu’il incombe personnellement au gérant de veiller au respect des obligations fiscales et comptables. Il en conclut qu’en ne s’assurant pas de la tenue régulière de la comptabilité de sa société, il a failli à l’exécution de sa mission et que le défaut de tenue de comptabilité, constitutif d’une faute de gestion, doit lui être imputé.
M. [D] réplique qu’il appartient au ministère public de rapporter la preuve de l’absence de tenue de comptabilité et soutient que le seul défaut de présentation de la comptabilité au mandataire ne saurait constituer un faisceau d’indices suffisants, susceptible de renverser la charge de la preuve, étant précisé que M. [D] apportait également des éléments allant dans le sens d’une tenue de comptabilité. Il en déduit qu’en jugeant le contraire, le jugement attaqué a violé les principes de présomption d’innocence et de charge de la preuve.
Il ajoute qu’il ne peut être soutenu qu’il n’a tenu aucune comptabilité, dans la mesure où le Procureur de la République reconnaît que les pièces comptables de l’année 2016 ont été établies ; et fait valoir que la requête se fonde uniquement sur le rapport du mandataire liquidateur et prétend, sans en apporter la moindre preuve, qu’aucun élément comptable n’aurait été fourni à ce dernier ; il ajoute qu’aucune demande de production de pièces comptables de la part du liquidateur n’est produite, ni de relance, de sorte qu’il n’est pas démontré qu’il aurait été sollicité, ni qu’il ne se serait pas exécuté.
A titre subsidiaire, M. [D] invoque le fait d’avoir confié la tenue de la comptabilité de la société à un professionnel, qu’il a réglé les honoraires de l’expert-comptable produisant des notes d’honoraires acquittées pour la période échue entre juillet 2016 et décembre 2018. Il fait valoir qu’aucun élément ne permet de supposer une éventuelle défaillance de sa part.
Sur ce,
En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [D] a tenu la comptabilité de la société pour l’année 2016.
Pour les années postérieures, il justifie avoir fait appel à un expert-comptable en produisant des notes d’honoraires, outre pour le second semestre 2016, portant sur l’année 2017 et l’année 2018 établies par un expert-comptable au nom de la SASU MTG Construction, et comprenant une mention ‘facture acquittée’.
Pour autant, il ne fait pas valoir que la comptabilité de la société a été établie.
En outre, il ne produit aucun élément comptable, et ne justifie ni avoir lui-même établi la comptabilité de la société, ni que le cabinet d’expert-comptable à qui il en a confié la tâche, a effectivement tenu ladite comptabilité.
Il convient d’en déduire que M. [D], à qui il appartient de démontrer l’état de la comptabilité qu’il a tenue, le cas échéant par l’intermédiaire d’un expert-comptable, n’a pas rempli son obligation à cet égard, et ce peu important que le ministère public ne produise aucune demande de production de pièces comptables émanant du liquidateur.
Le grief est donc établi.
Sur la sanction :
Le tribunal qui prononce une mesure d’interdiction de gérer doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l’intéressé (Com., 17 avril 2019, pourvoi n° 18-11.743).
Le ministère public invoque le montant du passif
déclaré et un actif inexistant, alors que la société a été immatriculée le 21 septembre 2015 et que M. [D] indique avoir mis un terme à son activité en juin 2018. Il ajoute qu’il ressort de l’avis du juge-commissaire du 13 septembre 2021 que M. [D] a confirmé ne s’être jamais préoccupé du respect de ses obligations comptables se déchargeant sur son expert-comptable, ne sachant même pas quelles pièces il avait transmises. Il en déduit que la faute démontre son incapacité professionnelle et qu’au regard de l’importance du passif et du comportement qui lui est imputable, il convient de l’écarter durablement de toute activité entrepreneuriale et de confirmer la décision.
M. [D] réplique qu’il n’y a pas lieu à prononcer de sanction à son égard, exerçant à présent une activité salariée en qualité de chauffeur poids lourd depuis avril 2021.
A titre subsidiaire, il demande la réduction du quantum de la sanction prononcée, en faisant valoir que les faits reprochés datent des années 2017 et 2018, alors qu’il était âgé d’à peine 24 ans et n’avait pas bénéficié d’une véritable formation comptable, raison pour laquelle il avait confié la tenue de la comptabilité à un cabinet comptable, et qu’il a toujours veillé à ce que la société s’acquitte de ses honoraires. Il en déduit qu’il n’a jamais été dans son intention de se soustraire à l’une de ses obligations comptables et à tout fait pour y satisfaire. Il ajoute que lors du prononcé du jugement, il était âgé de 29 ans, et qu’une interdiction pour une durée de 10 ans l’empêcherait de reprendre une activité entrepreneuriale avant l’age de 40 ans, que la déconfiture de la société a déjà constitué une épreuve pour lui, qu’il a appris de ses erreurs et qu’une telle mesure d’interdiction porterait atteinte au droit au rebond voulu par le législateur.
Sur ce, compte tenu, d’une part, de la gravité de la faute consistant pour le dirigeant d’une SASU à ne pas tenir de comptabilité depuis l’année 2017, ce d’autant plus que la société a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 2 novembre 2020, et d’autre part, de la situation personnelle de l’intéressé relative à son âge au moment de cette omission, ce qui ne l’exonère cependant pas pour autant de sa responsabilité, pas plus que l’absence invoquée de formation, ainsi que du fait qu’il justifie avoir confié la comptabilité à un cabinet d’expert-comptable pour 2017 et 2018, et de sa situation de salarié engagé en qualité de conducteur routier comme il résulte des bulletins de paie de juillet, octobre et novembre 2021, le principe de la sanction prononcée par le tribunal est justifié mais seulement à hauteur de cinq ans à compter du prononcé du jugement.
Le jugement sera ainsi infirmé dans cette limite.
M. [D] supportera les dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d’appel.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme le jugement de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg du 11 février 2022, sauf sur la durée de la sanction prononcée,
L’infirme de ce seul chef,
Fixe à 5 ans à compter du prononcé du jugement, la mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale prononcée à l’encontre de M. [T] [D], ancien gérant de la SASU MTG CONSTRUCTION,
Dit qu’en application des articles 768 5° et R 69 9° du code de procédure pénale, une expédition de l’arrêt sera transmise au service du casier judiciaire national par les soins du greffe de la juridiction qui a statué après visa du Ministère Public,
Dit qu’en application de l’article R. 661-7 du Code de commerce, le greffier de la cour
d’appel transmet dans les huit jours du prononcé de l’arrêt une copie de celui-ci au greffier du tribunal pour l’accomplissement des mesures de publicité prévues à l’article R. 621-8 lorsque l’arrêt infirme une décision soumise à la publicité,
Dit qu’en application des articles L.128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code du commerce, cette sanction fera l’objet d’une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d’accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques et à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,
Dit qu’en application de l’article L.128-3 du code du commerce une expédition de l’arrêt sera transmise par le Ministère Public, dans le délai de trois jours à compter de la date à laquelle la décision n’est plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution, au Président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce pour inscription au FNIG (Fichier National des Interdits de Gérer),
Dit que le support d’annonces légales dans lequel l’avis devra être publié en application de l’article R.621-8, 6ème, sera le quotidien régional ‘Dernières Nouvelles d’Alsace’,
Condamne M. [D] à supporter les dépens d’appel.
La Greffière : la Présidente :