Chauffeur Poids-Lourd : décision du 2 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01664

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 2 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01664
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 FEVRIER 2023

N° RG 21/01664 – N° Portalis DBV3-V-B7F-URJM

AFFAIRE :

S.A.S. PARIS EXPRESS

C/

[R] [A] [V] [P]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : F18/03258

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Katia BITTON

Me Agnès CITTADINI de la AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. PARIS EXPRESS

N° SIRET : 398 387 993

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Katia BITTON, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1543

APPELANTE

****************

Monsieur [R] [A] [V] [P]

né le 03 Novembre 1966 à [Localité 5]

de nationalité Portugaise

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Agnès CITTADINI de l’AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2185

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,

Monsieur [R] [A] [V] [P] a été engagé par la société Paris Express à compter du 3 octobre 2016 par contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité de chauffeur PL SPL livreur.

La convention collective applicable est celle des transports routiers de marchandise.

Selon le salarié, la moyenne de ses trois derniers mois de salaire s’élevait à la somme de 2 297,56 euros.

L’effectif de la société était au moins égal à 11 salariés.

Par courrier du 26 juillet 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable qui s’est tenu le 10 août 2017. Le 28 août 2017, la société lui a notifié un avertissement.

Le 4 septembre 2017, le salarié a été victime d’un accident du travail ; il a été arrêté à ce titre du 5 septembre au 25 octobre 2017, puis déclaré apte à la reprise par le médecin du travail dans le cadre d’une visite de reprise en date du 2 novembre 2017.

Par courrier du 13 mars 2018, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 22 mars 2018, puis licencié pour faute grave par courrier du 27 mars 2018.

Par requête reçue au greffe le 13 décembre 2018, Monsieur [R] [A] [V] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 26 avril 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre, section commerce, a :

– Dit que les demandes de rappel de salaire correspondant à la mise à pied et les congés payés afférents étaient recevables.

– Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R], [A] [V] [P] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

– Condamné la SAS Paris Express à verser à Monsieur [R], [A] [V] [P] les sommes suivantes :

‘ 2 297,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, représentant l’équivalent d’un mois de salaire,

‘ 229,75 euros au titre des congés payés incidents,

‘ 951,93 euros à titre d’indemnité de licenciement,

‘ 4 595,12 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail,

‘ 892,02 euros à titre de rappel de salaire du 14 au 28 mars 2018 correspondant à la mise à pied conservatoire,

‘ 89,20 euros au titre des congés payés afférents.

– Ordonné la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie conformes et d’une attestation destinée au Pôle emploi conforme au jugement à intervenir, sans retenir l’astreinte.

– Ordonné la rectification du report des heures effectuées sur l’attestation Pôle emploi pour les mois de mars, juin, août 2017 et février 2018

– Rappelé que l’exécution provisoire est de droit sur les créances salariales en application de l’article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s’élevant à 2 297,56 euros

– Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision sur le surplus en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile.

– Condamné la SAS Paris Express à verser à Monsieur [V] [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– Dit que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification du jugement pour le surplus.

– Ordonné la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.

– Débouté Monsieur [R] [A] [V] [P] du surplus de ses demandes.

– Débouté la SAS Paris Express de sa demande de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamné la SAS Paris Express aux dépens, y compris les frais éventuels d’exécution de la présente décision.

Par déclaration au greffe du 2 juin 2021, la société Paris express a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Paris Express, appelante, demande à la cour de :

– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 26 avril 2021 en ce qu’il a :

– Dit que les demandes de rappel de salaire correspondant à la mise à pied et les congés payés afférents sont recevables.

– Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R], [A] [V] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

– L’a condamnée à verser à Monsieur [R], [A] [V] [P] les sommes suivantes :

‘ 2 297,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, représentant l’équivalent d’un mois de salaire,

‘ 229,75 euros au titre des congés payés incidents,

‘ 951,93 euros à titre d’indemnité de licenciement,

‘ 4 595,12 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail,

‘ 892,02 euros à titre de rappel de salaire du 14 au 28 mars 2018 correspondant à la mise à pied conservatoire,

‘ 89,20 euros au titre des congés payés afférents.

– Ordonné la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie conformes et d’une attestation destinée au Pôle emploi conforme au jugement à intervenir, sans retenir l’astreinte.

– Ordonné la rectification du report des heures effectuées sur l’attestation Pôle emploi pour les mois de mars, juin, août 2017 et février 2018.

– Rappelé que l’exécution provisoire est de droit sur les créances salariales en application de l’article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s’élevant à 2 297,56 euros.

– Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision sur le surplus en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile.

– L’a condamnée à verser à Monsieur [V] [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– Dit que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification du jugement pour le surplus.

– Ordonné la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.

– L’a déboutée de sa demande de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– L’a condamnée aux dépens, y compris les frais éventuels d’exécution de la présente décision.

– Confirmer le jugement en ce qu’il déboute Monsieur [V] [P] de ses autres demandes. Par suite,

– La déclarer recevable et bien fondée en ses demandes et y faire droit ;

– Juger que le licenciement de Monsieur [V] [P] pour faute grave est parfaitement justifié ;

En conséquence,

– Débouter Monsieur [V] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire,

– Juger que le licenciement de Monsieur [V] [P] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

– Juger que les demandes de rappel de salaire d’un montant de 892,02 euros et des congés payés y afférents irrecevables, faute de figurer dans la saisine du demandeur ;

En tout état de cause,

– Condamner Monsieur [V] [P] au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

– Condamner Monsieur [V] [P] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, Monsieur [R] [A] [V] [P], intimé, demande à la cour de :

– Dire et juger la société Paris Express mal fondée en son appel et l’en débouter,

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a :

« – Dit que les demandes de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire et les congés payés afférents sont recevables,

– Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R] [V] [P] est dépourvu de motif réel et sérieux,

– Condamné la société Paris Express à verser à Monsieur [R] [V] [P] les sommes suivantes :

‘ 2 297,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

‘ 229,75 euros au titre des congés payés incidents

‘ 951,93 euros à titre d’indemnité de licenciement

‘ 892,02 euros à titre de rappel de salaire du 14 au 28 mars 2018 correspondant à la mise à pied conservatoire

‘ 89,20 euros au titre des congés payés afférents

– Ordonné la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie et d’une attestation destinée au Pôle emploi conforme au jugement à intervenir,

– Rappelé que l’exécution provisoire est de droit sur les créances salariales en application de l’article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s’élevant à la somme de 2 297,56 euros.

– Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision sur le surplus en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile.

– Condamné la SAS Paris express à verser à Monsieur [R] [V] [P] la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– Dit que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère salarial, et à compter de la notification du jugement pour le surplus,

– Ordonné la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.

– Débouté la SAS Paris express de sa demande de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamné la SAS Paris express aux dépens, y compris les frais éventuels d’exécution de la présente décision. »

– Le dire et juger bien fondé en son appel incident,

Et, statuant à nouveau,

– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il n’a pas écarté le plafonnement prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable.

– Porter le montant des dommages et intérêts alloués à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 18 000 euros.

Subsidiairement, sur l’indemnisation du licenciement :

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il lui a alloué la somme de 4 595,12 euros à titre de dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail,

– Condamner, la société Paris express à lui verser, en sus de cette indemnisation, la somme de 13 404,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’entier préjudice de carrière, financier (comprenant notamment un préjudice retraite) et moral subi par celui-ci en raison de la perte de son emploi.

En tout état de cause,

– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il n’a pas assorti la demande de remise de documents conformes d’une astreinte,

– Dire et juger que la remise de bulletins de paie conformes et d’une attestation destinée au Pôle emploi conforme sera assortie d’une astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l’arrêt à intervenir.

– Dire que la cour se réservera le droit de liquider l’astreinte.

– Condamner la société Paris express à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel.

– Condamner la société Paris express aux entiers dépens, qui comprendront les frais éventuels de signification et d’exécution qu’il aurait à engager.

– Dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

– Ordonner la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 9 novembre 2022.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire

La société appelante indique que Monsieur [V] [P] a formulé pour la première fois devant le conseil de prud’hommes un rappel de salaire d’un montant de 892,02 euros outre les congés payés y afférents et soutient que cette demande doit être déclarée irrecevable dans la mesure où ni la requête introductive d’instance, ni les premières conclusions du demandeur n’en font état ;

Monsieur [V] [P] fait valoir en réplique que des demandes additionnelles peuvent être ajoutées en cours de procédure, même si celles-ci ne figuraient pas dans la requête initiale ;

L’article 70 du code de procédure civile dispose que “les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.” ;

En l’espèce, la demande de rappel de salaire qui se rapporte à la période de la mise à pied à titre conservatoire débutée au jour de la convocation à entretien préalable initiant la procédure de licenciement pour faute grave et fondée sur les mêmes griefs que celui-ci notifié le 27 mars 2018 se rattachent aux prétentions originaires contestant la validité du licenciement et formant des réclamations pécuniaires au titre du licenciement contesté ;

Il s’ensuit que cette demande additionnelle, se rattachant par un lien suffisant aux prétentions originaires, est recevable et que le jugement du conseil de prud’hommes ayant statué en ce sens sera confirmé sur ce point ;

Sur la cause du licenciement

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ;

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis ; la charge de la preuve incombe à l’employeur qui l’invoque ;

En l’espèce, la société Paris Express a licencié Monsieur [V] [P] en invoquant une faute grave par courrier du 27 mars 2018 rédigé en ces termes :

“(…) Suite à notre entretien qui s’est tenu le jeudi 22 mars 2018 à 14h00, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants :

Le 13 mars 2018 vous nous avez appelé pour nous faire des remarques concernant votre planning du lendemain. Le responsable Mr [H] vous a dit que le planning est géré par le service exploitation et non par les chauffeurs. En réponse, vous avez commencé à l’insulter en criant « Quel connard » et vous avez raccroché le téléphone.

Quinze minutes plus tard, vous avez rappelé en indiquant que la communication avait été coupée.

Lors de l’entretien vous avez refusé de vous expliquer sur les faits qui vous étaient reprochés.

Nous vous rappelons que le 28 août 2017, nous vous avions notifié un avertissement en raison de votre comportement inapproprié.

Le 30 janvier 2018, un de nos clients nous a fait part de votre comportement « inadmissible».

De plus, certains de vos collègues de travail ont peur de vous adresser la parole.

Compte-tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement. (…)” ;

L’employeur produit aux débats une attestation de Monsieur [H], qui indique avoir été insulté par Monsieur [V] [P] dans les termes susvisés le 13 mars 2018 après qu’il ait répondu à ce dernier l’ayant contacté au téléphone au sujet de son planning du lendemain que que “le planning est géré par le service d’exploitation et non par les chauffeurs” ; il ajoutait que ce salarié “n’était jamais satisfait des plannings attribués. En effet, il harcelait les chauffeurs au téléphone pour leur faire part de son mécontentement.

Certains d’entre eux ont fini par arrêter de répondre à ces appels, qualifié de lourd et incohérent.

Le but était clair, Mr [S] tentait de donner une mauvaise image de la société et des responsables à ces collègues quitte à exagérer, mentir ou lancer des rumeurs si besoin.” ;

Monsieur [V] [P], fait justement observer en réplique que l’unique attestation produite par l’employeur au soutien du premier et principal grief émane du propre président de la société Paris Express, ce qui ressort effectivement de l’attestation produite comme de l’extrait K-bis de la société ;

Monsieur [V] [P] conteste vigoureusement ces faits, de même que l’ensemble des griefs reprochés, comme il l’avait déjà exprimé dans son courrier du 16 avril 2018 en indiquant précisément sa version des faits et à nouveau lors de l’entretien préalable ainsi qu’il ressort du procès-verbal d’entretien préalable ;

En application de l’article L.1235-1 du code du travail, “si un doute subsiste, il profite au salarié” ;

En présence de ces seuls éléments, soit de ces deux thèses opposées, le doute doit profiter au salarié ;

Au sujet du grief d’un comportement inadmissible envers un client, l’employeur verse uniquement un courriel du 30 janvier 2018, outre une lettre de voiture, rédigé de la manière suivante :

“Objet : Comportement inadmissible d’un chauffeur container ce jour plaque CD 865 CX

Bonjour,

Suite à notre conversation téléphonique, je viens à vous pour signaler le comportement d’un chauffeur ce jour. PLAQUE CD 865CX

Le chauffeur a été très désagréable ce matin à 7h30, son ton est monté et c’est pas la première fois et parlais sur portugais avec son collègue et je trouve que c’est intolérable, et m’a poussée à bout, la prochaine fois.

Au moindre nouvel écart, inutile de compter sur un prochain chargement avec cet individu.” ;

Force est de constater l’absence de circonstances factuelles précises évoquées dans ce simple courriel, qui ne permet pas de caractériser un comportement fautif de Monsieur [V] [P] ;

Enfin, la société Paris Express produit plusieurs attestations de salariés (MM. [X] [E], [C] [W] et [Z]) au sujet de l’attitude reprochée au salarié vis-à-vis de ses collègues de travail ;

Si ces attestations évoquent la méfiance de Monsieur [V] [P], son insatisfaction au travail, sa susceptibilité, ses “sautes d’humeur”, voire des “mensonges” ou un “dénigrement de la société” – lequel n’est cependant pas visé dans la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige -, ici encore il n’est pas fait état de faits fautifs suffisamment précis et circonstanciés, ni quant à leur date ni quant à leur contenu ;

Monsieur [V] [P] rappelle au demeurant à juste titre que compte tenu des fonctions exercées de chauffeur poids-lourd, il n’était que très rarement amené à rencontrer ses collègues ;

Le compte-rendu d’entretien préalable versé aux débats fait apparaître que Monsieur [V] [P] a exprimé sa position sans se contenter de refuser de répondre aux questions ;

Enfin, il est observé que l’avertissement qui lui avait été notifié le 28 août 2017 se rapportait à la conduite routière du salarié, d’une tout autre nature que les fautes reprochées dans le cadre du licenciement ;

En conséquence, le jugement sera aussi confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de Monsieur [V] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Sur les conséquences financières

A la date de son licenciement Monsieur [V] [P] avait une ancienneté de moins de deux ans au sein de l’entreprise qui employait de façon habituelle plus de 11 salariés ;

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à Monsieur [V] [P] les sommes suivantes :

– 2 297,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, représentant l’équivalent d’un mois de salaire et 229,75 euros au titre des congés payés incidents,

– 951,93 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 892,02 euros à titre de rappel de salaire du 14 au 28 mars 2018 correspondant à la mise à pied conservatoire et 89,20 euros au titre des congés payés afférents ;

L’article L. 1235-3 du code du travail issu de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 publiée le 23 septembre 2017 prévoit, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et si la réintégration n’est pas demandée et acceptée, une indemnisation à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau produit, soit pour une ancienneté telle que celle de Monsieur [V] [P], une indemnité minimale de 1 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 2 mois de salaire brut ;

L’intimé fait valoir que l’article L. 1235-3 du code du travail est contraire aux articles 10 de la convention n° 158 de l’OIT et 24 de la charte sociale européenne, de sorte que le plafond d’indemnisation institué par ce texte doit être écarté ;

Cependant, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations prévues au deuxième alinéa de l’article L. 1235-3-1, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ; le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail ;

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT ;

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée ;

Par ailleurs, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
Selon l’article 24 de cette même Charte, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ;A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »

L’annexe de la Charte sociale européenne précise qu’il « est entendu que l’indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. » ;
L’article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu’elle contient ;
Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s’engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu’elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.» ;
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l’approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d’être liée par l’ensemble des articles de la Charte sociale européenne ;
L’article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d’employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d’autres moyens appropriés. »
Enfin, l’annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l’application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ;

Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 ;

Les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant donc pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, et la décision du Comité européen des droits sociaux publiée le 26 septembre 2022, qui considère que le barème d’indemnités pour licenciement abusif est contraire à cet article 24, ne produisant aucun effet contraignant, il convient d’allouer en conséquence au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte ;

Au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l’âge, de l’ancienneté du salarié et des circonstances de son éviction, étant observé qu’il justifie avoir perçu l’allocation de retour à l’emploi (ARE) de Pôle emploi de juin 2018 à avril 2019, il convient de condamner l’employeur au paiement d’une indemnité totale de 4 595,12 euros à ce titre, en réparation de son entier préjudice de carrière, financier et moral ;

Le jugement est confirmé de ce chef ;

Sur les autres demandes

Il y a lieu d’enjoindre à la société Paris Express de remettre à Monsieur [V] [P], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, un certificat de travail, de bulletins de paie conformes et une attestation destinée au Pôle emploi conformes à la présente décision ;

Le prononcé d’une astreinte ne s’avère pas nécessaire ;

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation.

S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées ;

Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil à compter de la date de la demande qui en été faite ;

Le jugement est confirmé de ces chefs ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens d’appel seront mis à la charge de la société Paris express ;

La demande formée par Monsieur [V] [P] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 3 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris,

Condamne la SAS Paris Express à payer à Monsieur [R] [A] [V] [P] la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure en cause d’appel,

Condamne la SAS Paris Express aux dépens d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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