Chauffeur Poids-Lourd : décision du 18 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00950

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 18 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00950
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80B

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 OCTOBRE 2023

N° RG 21/00950

N° Portalis DBV3-V-B7F-UM36

AFFAIRE :

[R] [U] SOUS L ENSEIGNE DEPANNAGE ILE DE FRANCE

C/

[H] [U]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de CERGY PONTOISE

N° Section : C

N° RG :

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL GUILLAUME PRAT

Me Coralie LARDET-ROMBEAUX

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [R] [U] SOUS L ENSEIGNE DEPANNAGE ILE DE FRANCE

né le 14 Août 1952 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Guillaume PRAT de la SELARL GUILLAUME PRAT, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC –

Représentant : Me Nathalie PRUNET LE BELLEGO, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 272

APPELANT

****************

Monsieur [H] [U]

né le 10 Août 1979 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Coralie LARDET-ROMBEAUX, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 114

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DU LITIGE.

M. [H] [U] a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 novembre 2015, en qualité de ‘chauffeur poids-lourd dépanneur’ par M. [R] [U], son père, exerçant en son nom personnel une activité de dépannage et remorquage d’automobiles.

Par lettre du 16 novembre 2018, M. [R] [U] a convoqué M. [H] [U] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique.

Par lettre du 6 décembre 2018, M. [R] [U] a notifié à M. [H] [U] son licenciement pour motif économique, tiré d’une cessation d’activité à compter du 31 décembre suivant.

Au moment de la rupture du contrat de travail, M. [R] [U] employait habituellement moins de onze salariés.

Le 2 août 2019, M. [H] [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de M. [R] [U] à lui payer notamment une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour préjudice moral et pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par un jugement du 3 mars 2021, le conseil de prud’hommes (section commerce) a :

– dit que le licenciement de M. [H] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamné M. [R] [U] à payer à M. [H] [U] les sommes suivantes :

* 13’400 euros net à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 10’000 euros net à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

* 1000 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

* 1000 euros net au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné à M. [R] [U] de remettre les bulletins de salaire des mois de novembre 2018, janvier et février 2019, une attestation pour Pôle emploi, un certificat de travail, un solde de tout compte, le tout conformes à la décision, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du dixième jour suivant la notification ;

– dit que l’intérêt au taux légal court à compter de la date de réception de la convocation en ce qui concerne les créances salariales et à compter de la décision pour les autres sommes allouées;

– ordonné la capitalisation des intérêts ;

– condamné M. [R] [U] à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [H] [U] dans la limite de deux mois d’indemnités ;

– déclaré la demande reconventionnelle de résolution du contrat de travail aux torts de M. [H] [U] irrecevable ;

– débouté M. [R] [U] de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– mis les dépens à la charge du défendeur.

Le 25 mars 2021, M. [R] [U] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions du 18 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, M. [R] [U] demande à la cour d’infirmer le jugement attaqué sur le licenciement et les condamnations prononcées à son encontre ainsi que sur le débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de :

– dire que le licenciement de M. [H] [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse;

– condamner M. [H] [U] à lui payer une somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ;

– condamner M. [H] [U] aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions du 15 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, M. [H] [U] demande à la cour de confirmer le jugement attaqué sauf sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau sur ce chef, de :

– condamner M. [R] [U] à lui payer une somme de 26’800 euros net à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– débouter M. [R] [U] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner M. [R] [U] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue le 5 septembre 2023.

SUR CE :

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :

Considérant que M. [R] [U] soutient que le licenciement pour motif économique de M. [H] [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse en ce que sa cessation d’activité au 31 décembre 2018 est établie, ayant cédé les biens mobiliers et le bénéfice des arrêtés d’agrément pour la fourrière et le dépannage à une société tierce le 3 octobre 2018 ; qu’il conclut donc au débouté de la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée par M. [H] [U] ;

Que M. [H] [U] soutient que, par application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, l’entreprise ayant été cédée à une société tierce dès le 3 octobre 2018, son contrat de travail aurait dû être transféré à cette dernière et M. [R] [U] ne pouvait ainsi le licencier par la suite en invoquant une cessation d’activité ; qu’il réclame en conséquence la condamnation de M. [R] [U] à lui payer une somme de 26’800 euros net à titre d’indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse après avoir écarté pour inconventionnalité au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et de l’article 24 de la charte sociale européenne le barème prévu par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail ;

Considérant qu’aux termes de l’article L 1224-1 du code du travail : ‘ Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise’ ; que ce texte s’applique en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; que le transfert d’une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ;

Qu’aux termes de l’article L. 1233-3 du même code : ‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (…)

4° A la cessation d’activité de l’entreprise. (…)’ ;

Qu’en l’espèce, il ressort des débats et des pièces versées que M. [R] [U] a, par acte du 3 octobre 2018, cédé à la société IDF DÉPANNAGE les principaux biens mobiliers nécessaires à l’exercice de son activité économique , tels que les véhicules et outils ains que les agréments préfectoraux en matière de fourrière automobile et de dépannage et d’enlèvement de véhicules sur voie rapide ; que le contrat de travail de l’unique autre salarié de l’entreprise ( M. [B]) a été par ailleurs concomitamment transféré à cette société ;

Que des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entreprise de dépannage et remorquage d’automobiles ont donc été repris directement par un nouvel exploitant ;

Que le transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise a donc eu lieu entre M. [R] [U] et cette société à cette date ;

Que M. [H] [U] est donc fondé à soutenir que son contrat de travail a été transféré à cette société en octobre 2018 et que M. [R] [U] ne pouvait donc procéder à son licenciement pour motif économique tiré d’une cessation d’activité le 6 décembre suivant ;

Que le licenciement en litige est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse comme l’ont justement estimé les premiers juges ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;

Qu’en conséquence, M. [H] [U] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant compris, eu égard à son ancienneté de trois années complètes et à l’effectif de l’entreprise au moment de la rupture, entre un et quatre mois de salaire brut en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, étant précisé que ces dispostions ne sont pas contraires à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail et que les stipulations de l’article 24 de la Charte sociale européenne ne peuvent être invoquées par le salarié faute d’effet direct horizontal ; qu’eu égard à son âge (né en 1979), à sa rémunération moyenne mensuelle non contestée de 3 350 euros brut, à sa situation postérieure au licenciement (embauche à temps partiel à compter du 18 mai 2020 ) il y a lieu d’allouer une somme de 10 000 euros à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral :

Considérant que M. [H] [U] soutient que les circonstances entourant son licenciement ont été brutales et vexatoires en ce que M. [R] [U] ne l’a pas informé de la cession de l’entreprise aux fins de reprise éventuelle par les salariés en méconnaissance des dispositions du code de commerce, contrairement à ses engagement ; que M. [R] [U] l’a par ailleurs humilié ; que ces manquements l’ont beaucoup affecté et l’ont entraîné à une tentative de suicide et à une hospitalisation ; qu’il réclame en conséquence des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Que toutefois, il est constant que préexistait au manquement à l’obligation d’information prévue par le code de commerce qui est invoquée un conflit familial entre M. [H] [U] et son père, M. [R] [U] ; qu’aucun élément ne vient établir un lien de causalité direct et certain entre ce manquement commis à l’occasion de l’exécution du contrat de travail et la tentative de suicide invoquée ;

Que par ailleurs, M. [H] [U] ne verse aucun élément venant établir des humiliations de la part de M. [R] [U] ;

Qu’en conséquence, il y a lieu de débouter M. [H] [U] de sa demande de dommages-intérêts ;

Que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

Considérant que M. [H] [U] invoque à ce titre une remise tardive des documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle l’empêchant d’y adhérer ;

Que toutefois et en tout état de cause, M. [H] [U] ne verse aucun élément venant justifier l’existence d’un préjudice à ce titre ; qu’il y a donc lieu de le débouter de cette demande indemnitaire ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur les intérêts et la capitalisation :

Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il statue sur ces points ;

Sur la remise de documents sociaux et l’astreinte :

Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris et d’ordonner à M. [R] [U] de remettre à M. [H] [U] un bulletin de salaire récapitulatif (étant précisé qu’aucune justification n’est apportée par le salarié à la demande de remise de bulletins des mois de novembre 2018, janvier et février 2019), une attestation pour Pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes au présent arrêt ;

Qu’une astreinte à ce titre n’étant pas nécessaire, il y a lieu de débouter M. [H] [U] de cette demande ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur le remboursement des indemnités de chômage par l’employeur :

Considérant que M. [R] [U] employait habituellement moins de onze salariés au moment du licenciement litigieux ; que par application des dispositions de L. 1235-5 du code du travail, il n’y pas lieu à ordonner le remboursement par ce dernier des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [H] [U] sur le fondement de l’article L. 1235-4 du code du travail ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu’eu égard à la solution du litige il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il statue sur ces deux points ; que M. [R] [U] sera condamné à payer à M. [H] [U] une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu’aux dépens d’appel ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu’il statue sur le bien-fondé du licenciement de M. [H] [U], les intérêts légaux et la capitalisation, l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Statuant les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne M. [R] [U] à payer à M. [H] [U] une somme de 10’000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [H] [U] de ses demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et pour exécution déloyale du contrat de travail,

Ordonne à M. [R] [U] de remettre à M. [H] [U] un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation pour Pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte conformes au présent arrêt,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail à l’encontre de M. [R] [U],

Condamne M. [R] [U] à payer à M. [H] [U] une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne M. [R] [U] aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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