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C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE – A –
Section 2
PRUD’HOMMES
Exp +GROSSES le 16 FEVRIER 2023 à
la SELARL NADAUD DEBEAUCE PARIS
la SELARL VERDIER
XA
ARRÊT du : 16 FEVRIER 2023
MINUTE N° : – 23
N° RG 21/00118 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GIYT
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’ORLÉANS en date du 14 Décembre 2020 – Section : COMMERCE
APPELANT :
Monsieur [O] [J]
né le 01 Juillet 1989 à [Localité 7] ([Localité 4])
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Jérôme DEBEAUCE de la SELARL NADAUD DEBEAUCE PARIS, avocat au barreau d’ORLEANS
ET
INTIMÉE :
S.A.S. TAILORMADE LOGISTICS FRANCE venant aux droits de la SASU KTO TRANSPORTS ET LOGISTICS, prise en son établissement secondaire situé [Adresse 3],
prise en la personne de son représenTant légal, domicilié en cette qualité au siège social,
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Martine VERDIER de la SELARL VERDIER, avocat au barreau d’ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Philippe BELLANDI, avocat au barreau d’AGEN
Ordonnance de clôture : 17 novembre 2022
Audience publique du 13 Décembre 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l’absence d’opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller.
Puis le 16 Février 2023, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [O] [J] a été engagé par la société KTO Transports et Logistics (SASU), aux droits de laquelle vient aujourd’hui la société Tailormade Logistics France (SAS), en qualité de chauffeur poids lourd-livreur, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 avril 2015.
L’employeur a notifié à Monsieur [J] cinq avertissements entre le 8 octobre 2018 et le 19 juillet 2019.
Par requête du 6 août 2019, Monsieur [O] [J] a saisi le conseil de prud’hommes d’Orléans d’une demande tendant à annuler les avertissements notifiés les 8 et 12 octobre 2018, 19 février, 20 mai et 19 juillet 2019, ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts afférents.
Par jugement du 14 décembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Orléans a :
– Débouté Monsieur [O] [J] de sa demande d’annulation des cinq avertissements,
– Débouté Monsieur [O] [J] du surplus de ses demandes,
– Débouté la SAS Tailormade Logistics France, venant aux droits de la SASU KTO Transports & Logistics, de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné Monsieur [O] [J] aux entiers dépens.
Le 14 janvier 2021, Monsieur [O] [J] a relevé appel de cette décision par déclaration formée par voie électronique.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 10 novembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles Monsieur [O] [J] demande à la cour de :
– Déclarer Monsieur [O] [J] recevable et bien fondé en en son appel à l’encontre du jugement du conseil de prud’hommes d’Orléans du 14 décembre 2020,
– Réformer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes d’Orléans du 14 décembre 2020,
Statuant à nouveau,
– Annuler les 5 avertissements des 8, 12 octobre 2018, 19 février, 20 mai et 19 juillet 2019,
– Condamner la société SAS Tailormade Logistics France venant aux droits de la SASU KTO Transports et Logistics à payer à Monsieur [O] [J] la somme de 2.500,00 euros en réparation du préjudice que lui a causé son employeur en multipliant les avertissements infondés,
– Condamner la société Tailormade Logistics France venant aux droits de la SASU KTO Transports et Logistics à payer à Monsieur [O] [J] la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner la société SAS Tailormade Logistics France venant aux droits de la SASU KTO Transports et Logistics aux entiers dépens de première instance.
Y ajoutant,
– Condamner la société SAS Tailormade Logistics France venant aux droits de la SASU KTO Transports et Logistics à payer à Monsieur [O] [J] la somme de 2.300,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
– Condamner la société SAS Tailormade Logistics France venant aux droits de la SASU KTO Transports et Logistics aux entiers dépens d’appel.
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 25 juin 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A.S. Tailormade Logistics France demande à la cour de :
– Confirmer le jugement dont appel,
– Dire que l’ensemble des avertissements dont a fait l’objet M.[J] sont totalement justifiés.
– Débouter Monsieur [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
– Le condamner à payer la somme de 1800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamner Monsieur [J] aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont droit de recouvrement direct au profit de Société Verdier & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
– Sur les avertissements
L’article L.1331-1 du code du travail définit la sanction disciplinaire comme suit : ” Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération “.
L’avertissement constitue une sanction disciplinaire au sens de ce texte.
L’article L1333-1 du code du travail prévoit :
” En cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. ”
Enfin, l’article L1333-2 du code du travail prévoit : ” Le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise “.
M.[J] expose qu’il a contesté en vain les cinq avertissements dont il a été l’objet, qui lui ont été infligés en raison des demandes qu’il avait exprimées visant à ce que son contrat de travail soit respecté.
La société Tailormade Logistics France invoque le règlement intérieur, les dispositions contractuelles et celles de la convention collective pour justifier des avertissements délivrés à M.[J].
– L’avertissement du 8 octobre 2018 :
L’employeur, dans ce courrier qui ” vaut un premier avertissement “, reproche à M.[J] d’avoir, dans un email du 30 septembre 2018, ” remis en cause la probité des dirigeants de la société KTO Transports et Logistics “.
La société Tailormade Logistics France évoque un email du 1er octobre 2018, dans lequel M.[J] indique que les dirigeants de l’entreprise lui auraient demandé de ne pas respecter la législation sur les temps de repos, ce à quoi elle n’a pu que réagir, face à une telle contre-vérité, en rappelant le salarié à ses obligations.
M.[J] soutient que l’employeur ne peut sanctionner un salarié pour avoir demandé le respect de la législation ou dénoncé ses conditions de travail.
La cour constate que seul un email du 10 septembre 2018 est produit aux débats, dans lequel effectivement M.[J] affirme que M.[B] et M.[S] lui auraient demandé de se mettre en temps de repos tout en continuant de livrer des clients, pendant les temps de déchargements.
Aucun élément n’est produit qui puisse justifier de la fausseté de ces affirmations, qui seule aurait pu légitimer l’avertissement infligé à M.[J].
Cet avertissement apparaît donc injustifié et sera, par voie d’infirmation, annulé.
– L’avertissement du 12 octobre 2018
Il est reproché à M.[J] d’avoir, le 27 septembre 2018, omis de faire le plein de carburant du camion qui lui avait été confié, alors qu’il était en congés le lendemain et que cela dénotait une ” volonté délibérée de mettre son collègue en difficulté “, perturbait le bon fonctionnement de l’entreprise et nuisait à son image, en contradiction avec ses ” obligations professionnelles et contractuelles “.
M.[J] conteste ne pas avoir fait le plein d’essence ce jour-là, en produisant le ticket client qu’il avait déjà remis à l’employeur en pièce jointe par courriel du 15 octobre 2018.
La société Tailormade Logistics France réplique que le délégué du personnel, M.[I], l’aurait averti, par email du 27 septembre 2018, de ce que M.[J] se serait ” vanté, avant de partir en vacances, de ne pas avoir fait le plein de son camion, contrairement aux consignes “, de sorte que si la production du ticket de caisse établit que M.[J] a effectivement fait le plein du véhicule, l’information contraire qu’il en a donnée à M.[I] justifie néanmoins l’avertissement, qui a été maintenu ” afin de préserver l’autorité de M.[I], lequel ne peut en aucun cas être sous la menace permanente de fausse information sur l’organisation de l’entreprise de la part du salarié mal informé “.
Cependant, si l’employeur souhaitait sanctionner l’information éventuellement mensongère délivrée par M.[J] à M.[I], cela aurait dû faire l’objet d’une sanction spécifique et pour ce manquement précis, étant relevé au demeurant que le courriel du 27 septembre 2018 de M.[I] n’est pas produit aux débats, pas plus qu’une attestation de ce dernier qui aurait pu confirmer ses dires.
Il n’en demeure pas moins que le fait reproché à M.[J] dans l’avertissement litigieux, à savoir de ne pas avoir fait le plein d’essence du véhicule, n’est pas établi et que cet avertissement doit être, par voie d’infirmation, annulé.
– L’avertissement du 19 février 2019
Il est reproché à M.[J] d’avoir ramené le 29 janvier 2019 la marchandise au dépôt sans livrer un client à qui il avait demandé, en vain, d’effectuer la livraison entre 12h et 14h, l’entreprise étant fermée à ces horaires, alors qu’un autre horaire était prévu, le tout sans en informer son supérieur hiérarchique.
M.[J] affirme qu’il lui a été impossible d’arriver avant 12 heures chez ce client éloigné et qu’il a fourni toutes les explications dans un courrier de contestation de l’avertissement.
La société Tailormade Logistics France réplique que M.[J] a pris l’initiative de ne pas livrer la marchandise et ” surtout ” de ne pas avoir averti son supérieur hiérarchique de cette décision.
L’employeur produit une attestation de Mme [N] qui indique que M.[J] a ” appelé le client pour lui dire qu’il arriverait à 12h15, sauf que celui-ci était fermé entre 12h et 14h. Il a pris l’initiative de ne pas y aller sans avertir le bureau. Il nous a mis dans l’embarras vis-à-vis du client “.
M.[J] explique dans son courrier du 26 février 2019 qu’il a averti sa supérieure de la situation et que celle-ci a reporté la livraison au 31 janvier 2019, qui a été effectuée à cette date.
Il produit un courrier de ce client, la société ” Couleurs Déco “, qui loue les services de M.[J] et qui se plaint de ce que l’entreprise ” avait été mise en cause sur un courrier lui ayant été adressé ” selon lequel elle se serait plainte ” de divers soucis lors des livraisons “, ce qu’elle conteste.
Il est donc établi que l’incident n’a donné lieu à aucune récrimination de la part du client, ce qui prive l’avertissement délivré à ce dernier de tout fondement.
Cet avertissement sera, par voie d’infirmation, annulé.
– Les avertissements des 20 mai et 19 juillet 2019
Ces avertissements ont été adressés à M.[J] en raison d’infractions à la législation sur les transports, avec à l’appui l’analyse des disques chronotachygraphes qui laissent apparaître :
– en avril 2019, 1 dépassement du temps de conduite continue, 1 repos quotidien insuffisant, 3 temps de pause insuffisant et 8 durées journalières de travail excessives
– en juin 2019 : 3 durées journalières de travail excessives et 2 durées hebdomadaires de travail excessives
La société Tailormade Logistics France indique que de tels avertissements sont régulièrement adressés aux chauffeurs, en produisant divers exemplaires, et invoque le fait qu’elle engage sa responsabilité pénale en cas de telles infractions, d’où l’importance de rappeler aux chauffeurs leurs obligations.
M.[J] soutient qu’il n’est pas responsable de l’organisation des tournées et qu’il ne fait qu’exécuter les ordres de sa supérieure hiérarchique qui se serait vue elle-même adresser un avertissement en raison des faits reprochés à son subordonné.
Il résulte en effet des relevés produits que les dépassements des durées journalières de travail et leur répercussion sur les durées hebdomadaires, qui constituent la majeure partie des infractions relevées, n’excèdent pas une heure mais sont répétés, sans que soit reproché à M.[J] une mise en ‘uvre trop lente de ses tournées ou toute autre raison qui lui soit propre ou circonstance dont il serait responsable, de sorte que l’hypothèse émise par M.[J] selon laquelle c’est un problème d’organisation des tournées qui est à l’origine de ces dépassements apparaît plausible. Le doute devant profiter au salarié, les avertissements contestés seront, par voie de confirmation, annulés.
– Sur la demande en paiement de dommages-intérêts
Au regard de la répétition d’avertissements injustifiés dont M.[J] a fait l’objet, sa demande en paiement de dommages-intérêts apparaît fondée en son principe. Le préjudice en résultant sera justement réparé par l’octroi de la somme de 1500 euros, le jugement entrepris étant infirmé ce point.
– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande de condamner la société Tailormade Logistics France à payer à M.[J] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en première instance et en appel, et de débouter celle-ci de sa demande au même titre.
La société Tailormade Logistics France sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 14 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Montargis en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Annule les avertissements délivrés à M.[O] [J] les 8 octobre 2018, 12 octobre 2018, 19 février 2019, 20 mai 2019 et 19 juillet 2019 ;
Condamne la société Tailormade Logistics France à payer à M.[O] [J] la somme de 1500 euros à titre de dommages-intérêts ;
Condamne la société Tailormade Logistics France à payer à M.[O] [J] la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles, et la déboute elle-même de ce chef de prétention, tant au titre la première instance qu’en cause d’appel ;
Condamne la société Tailormade Logistics France aux dépens de première instance et d’appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Karine DUPONT Laurence DUVALLET