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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 JUIN 2022
N° RG 19/04888
N° Portalis DBV3-V-B7D-TVES
AFFAIRE :
[L] [M]
C/
Société CG DISTRIBUTION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Novembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Montmorency
N° Section : Commerce
N° RG : F 18/00773
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
– Me Laëtitia GERNEZ
– Me Lin NIN
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant fixé au 02 mars 2022 prorogé au 06 avril 2022 prorogé au 18 mai 2022 prorogé au 15 juin 2022 les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [L] [M]
né le 16 Juillet 1967 à [Localité 5] (94)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Laëtitia GERNEZ de la SELARL SELARL ATEMIS AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 18B
APPELANT
****************
Société CG DISTRIBUTION
N° SIRET : 512 041 211
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Lin NIN de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0075 substitué par Me Sarah LARBI, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
FAITS ET PROCÉDURE,
Monsieur [L] [M] a été embauché par la société CG Distribution par contrat à durée déterminée à compter du 2 novembre 2015 en qualité de chauffeur livreur, pour un horaire mensuel de 169 heures, avec un salaire brut mensuel de 2 037,20 euros, auquel s’ajoute la somme de 290,97 euros correspondant à 17,33 heures supplémentaires majorées.
A compter du 6 octobre 2016, la relation contractuelle s’est poursuivie en contrat à durée indéterminé aux mêmes conditions.
Par avenant à son contrat de travail du 28 avril 2017 et à effet au 1er mai 2017, le salarié est devenu chauffeur livreur manutentionnaire.
La société emploie plus de 11 salariés et relève de la convention collective nationale de la boucherie, boucherie charcuterie, boucherie hippophagique, triperie, commerces de volailles et gibiers.
A compter du 30 juin 2017, le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle.
Par courrier recommandé du 19 juillet 2018, M. [M] a fait état de divers griefs à l’encontre de la société.
Par courrier du 20 juillet 2018, la société a répondu aux griefs exposés par le salarié.
Par courrier recommandé du 30 juillet 2018, le salarié pris acte de la rupture de son contrat de travail.
M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency par requête enregistrée le 03 décembre 2018 afin de solliciter la requalification de sa prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir le versement de diverses sommes.
Par jugement du 04 novembre 2019, auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Montmorency a :
– dit que la demande de qualification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse est mal fondée et donc rejetée.
– dit que la rupture du contrat de travail de M. [M] résulte d’une démission et le déboute de l’ensemble de ses demandes.
– débouté la société CG Distribution de ses demandes reconventionnelles.
– laissé les dépens à la charge des parties.
Par déclaration du 23 décembre 2019, M. [M] a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 18 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [M], appelant, demande à la cour de :
– réformer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Montmorency le 4 novembre 2019 en ce qu’il a :
– dit que la demande de qualification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse est mal fondée et donc rejetée,
– dit que la rupture du contrat de travail de M. [M] résulte d’une démission et le déboute de l’ensemble de ses demandes.
– laissé les dépens à la charge des parties.
Et, statuant à nouveau,
– dire et juger que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– en conséquence, condamner la société CG Distribution à verser à M. [M] les sommes suivantes :
. indemnité compensatrice de préavis : 6 311,74 euros bruts
. indemnité de congés payés sur préavis : 631,74euros bruts
. indemnité de licenciement : 2 169,67 euros bruts
. rappels de salaire novembre 2015 à mai 2017 : 6 955,62 euros bruts
. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 9 467,61euros
. Article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
– lui délivrer le solde de tout compte sous astreinte de 50 euros par jour de retard
– lui délivrer les documents conformes à la décision à intervenir
– débouter la société CG Distribution de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de son appel incident
– ordonner l’exécution provisoire au titre de l’article 515 du Code de procédure civile
– mettre les entiers dépens à la charge de l’employeur.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société CG Distribution, intimée, demande à la cour de :
– fixer le salaire de référence de M. [M] à la somme de 3 119,20 euros bruts.
– confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Montmorency le 4 novembre 2019 en ce qu’il a :
– dit que la demande de requalification de la prise d’acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse est mal fondée et donc rejetée ;
– dit que la rupture du contrat de travail de M. [M] résulte d’une démission et le déboute de l’ensemble de ses demandes.
– réformer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Montmorency le 4 novembre 2019 en ce qu’il a débouté la société CG Distribution de sa demande de condamnation de M. [M] au paiement des deux mois de préavis non effectués, correspondant à un montant de 5 655,50 euros.
– condamner par conséquent M. [M] au paiement de la somme de 5 655,50 euros au bénéfice de la société CG Distribution au titre des deux mois de préavis non effectués.
En tout état de cause,
– condamner M. [M] à verser à la société CG Distribution la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 24 novembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour rappelle que le pourvoi en cassation en matière civile n’est pas suspensif d’exécution, de sorte que la demande d’exécution provisoire du présent arrêt est sans objet.
Sur la prise d’acte et ses conséquences indemnitaires
Il résulte de la combinaison des articles L1231-1, L1237-2 et L1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur qui empêchent la poursuite du contrat. La prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat, reportée le cas échéant à la fin du préavis. Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
Monsieur [M] doit établir que les manquements reprochés à son employeur sont fondés et suffisamment graves pour empecher la poursuite du contrat de travail
A l’appui de sa prise d’acte, M. [M] soutient qu’il se serait vu opposer par son employeur : une mauvaise qualification, une inégalité de traitement et l’absence de règlement d’heures supplémentaires.
Sur la qualification de Monsieur [M]
Monsieur [M] est chauffeur poids lourd. Il estime que sa qualification de “chauffeur-livreur”, ne correspond pas à son activité réelle, de sorte qu’il serait ainsi privé d’une qualification et d’une rémunération conséquente.
Monsieur [M], dans l’exercice de ses fonctions est amené à conduire des poids lourds de 19 tonnes.
En 2017, la société lui a fait signer un avenant accompagné d’une fiche de poste détaillant les tâches à accomplir sous l’intitulé ” chauffeur livreur manutentionnaire. ”
Monsieur [M] n’a pas sollicité de changement de la convention collective applicable à la relation de travail qui est celle de la boucherie, boucherie-charcuterie, boucherie hippophagique
Monsieur [M] estime que la société Cg Distribution aurait dû lui appliquer une qualification correspondant à la dénomination de ” Chauffeur Poids Lourds ” en lieu et place de la qualification de ” Chauffeur Livreur manutentionnaire ” mentionnée au sein de son contrat de travail et sur ses fiches de paie.
Il en déduit que le coefficient qui lui a été appliqué en vertu de la convention collective de la boucherie, boucherie-charcuterie, boucherie hippophagique est erroné, et que cette erreur lui a occasionné une perte de salaire.
Or, il résulte des pièces produites que la classification invoquée par M. [M] relève d’une convention collective qui n’est pas applicable au sein de la société Cg Distribution.
Le salarié affirme ainsi qu’il aurait du bénéficier du coefficient 128 correspondant au poste de Chauffeur Poids Lourd, en lieu et place du coefficient 118, correspondant au poste de Chauffeur Véhicule Léger.
Or, il est établi que le salarié se fonde sur les coefficients définis au sein d’une convention collective nationale “des transports routiers et activités auxiliaires du transport” du 21 décembre 1950 (IDCC 16) qui n’est pas celle applicable à sa relation de travail
Le salarié ne conteste pas que la convention collective applicable au sein de la société CG Distribution est bien celle de “la boucherie, boucherie-charcuterie, boucherie hippophagique, triperie, commerces de volailles et gibiers” du 12 décembre 1978 (IDCC 992).
Le salarié ne peut donc se prévaloir d’un coefficient qui n’est pas applicable à son contrat de travail, ni à l’accord de branche dont relève son employeur.
Aux termes de la convention collective de la boucherie, Monsieur [M] relève bien du Niveau II – Echelon A correspondant au poste de “Chauffeur-livreur”.
Cette convention collective ne prévoit aucune qualification correspondant au poste de “Chauffeur Poids Lourd”.
L’employeur a expliqué sa position à ce titre au salarié dans un courrier circosntancié du 20 juillet 2018, préalable à son courrier de prise d’acte du 30 juillet 2018.
Il se déduit de ce qui précède que Monsieur [M] n’est pas fondé à se prévaloir du coefficient associé à une convention collective qui ne lui est pas applicable et il s’en suit que le grief tiré de la mauvaise qualification qui lui serait appliqué n’est pas établi.
Sur l’inégalité de traitement en matière de rémunération
Monsieur [M] soutient qu’à la date du 30 juillet 2018, il aurait été victime d’une inégalité de traitement en matière de rémunération, du fait de l’application d’un taux horaire qui lui serait défavorable.
Il affirme ainsi qu’il aurait dû se voir appliquer un taux horaire supérieur à 13,43 euros.
Or, il est établi qu’à la date de sa prise d’acte, soit le 30 juillet 2018, Monsieur [M] bénéficiait d’un taux horaire correspondant à 15,43 euros, et ce, depuis le mois de mai 2017, soit depuis plus d’une année.
Monsieur [M] soulève désormais le même grief, mais pour une période antérieure comprise entre novembre 2015 à mai 2017, contrairement à ce qui figure indiqué dans son courrier de prise d’acte.
Aucune pièce ne permet d’établir que M. [M] se trouvait à un niveau de compétence et d’expérience égal à un employé intérimaire dont il produit le contrat, lequel peut s’avérer être mieux rémunéré qu’un salarié sous CDI en raison de la précarité de son emploi.
M. [M] n’était ainsi pas dans une situation identique à celle de cet intérimaire.
L’inégalité de traitement pour la période antérieure de novembre 2015 à mai 2017 n’est dès lors pas établie.
Sur les heures supplémentaires
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
M. [M] se borne à affirmer qu’il a fait des heures supplémentaires de novembre 2015 à janvier 2016 sans aucune autre précision.
En l’absence d’éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, ne peut répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Ce troisième grief n’est dès lors pas établi.
Lorsque les griefs invoqués par le salarié ne sont pas justifiés, sa prise d’acte est alors requalifiée en démission.
Le jugement déféré qui a requalifé en démission la prise d’acte de M. [M] et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes indemnitaires subséquentes sera dès lors confirmé.
Sur la demande reconventionnelle de paiement du préavis
Le salarié est redevable d’une somme forfaitaire correspondant au montant de l’indemnité correspondant au préavis de démission non effectué.
Il est établi par les pièces produites qu’à l’issue de sa prise d’acte intervenue le 30 juillet 2018, Monsieur [M] n’a pas effectué son préavis.
Aux termes de l’article 33 de la convention collective de la boucherie, les durées des préavis sont fixées conformément aux lois et règlements en vigueur, soit selon les dispositions de l’article L.1234-1 du Code du travail avec un préavis de deux mois, correspondant aux salariés ayant plus de deux années d’ancienneté.
Il convient d’infirmer le jugement déféré sur ce point et de condamner Monsieur [M] au paiement de la somme de 5 655,50 euros, correspondant aux deux mois de préavis non effectués au sein de la société CG Distribution.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
M. [M] qui succombe à l’instance sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et débouté de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il convient de le condamner à payer à la Société CG Distribution la somme de 400 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Montmorency en date du 04 novembre 2019 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés:
CONDAMNE M. [L] [M] à payer à la Société CG Distribution la somme de 5 655,50 euros à titre d’indemnité pour non exécution du préavis,
CONFIRME pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;
Y ajoutant :
CONDAMNE M. [L] [M] à payer à la Société CG Distribution la somme de 400 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [L] [M] de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
CONDAMNE M. [L] [M] aux dépens de première instance et d’appel.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,