Chauffeur Poids-Lourd : décision du 14 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/07064

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 14 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/07064
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07064 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE7Y

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EVRY – RG n° 18/01059

APPELANT

Monsieur [D] [G] [O] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Caroline BENHAIM, avocat au barreau de PARIS, toque : C1803

INTIMÉE

S.A.S. LOCATION MATERIAUX TRANSPORTS LO MA TRA

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Cécile HENRY- WEISSGERBER, avocat au barreau de MELUN, Toque M 98

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Joanna FABBY, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [D] [G] [O] [Y] a été engagé par la société Location Materiaux Transport (LOMATRA, ci-après la société) par contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2007 en qualité de chauffeur poids lourd.

Le contrat de travail prévoyait une rémunération mensuelle brute de 1 730 euros pour 169 heures, composée de 151,67 heures de travail et 17,33 heures d’équivalence.

Par trois avenants au contrat de travail du 27 octobre 2016, du 7 février 2017 et du 1er décembre 2017, les parties ont convenu une clause de dédit-formation.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par lettre du 3 septembre 2018, M. [O] [Y] a remis sa démission.

Sollicitant la requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le paiement d’heures d’équivalences contractuelles et d’heures supplémentaires, M. [O] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evry-Courcouronnes qui, par jugement du 6 juillet 2021 auquel la cour renvoie pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties a :

– dit qu’il a bien démissioné ;

– condamné la société LOMATRA, en la personne de son représentant légal, à lui verser les sommes suivantes :

* 1 983,58 euros au titre des heures d’équivalences contractuelles de septembre 2013 à septembre 2018,

* 198,35 euros au titre des congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la date de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, soit le 4 janvier 2019,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal sur cette somme à compter du prononcé du jugement ;

– débouté M. [O] [Y] du surplus de ses demandes ;

– condamné M. [O] [Y] à verser à la société les sommes suivantes :

* 2 271 euros au titre du remboursement du solde prorata temporis des formations dispensées,

* 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– laissé les dépens à la charge de chaque partie.

M. [O] [Y] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 2 août 2021. Il a également effectué une déclaration d’appel complémentaire le 5 octobre 2021, cette affaire étant enregistrée sous le numéro de répertoire général 21/08155.

Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 octobre 2022, les deux affaires ont été jointes sous le RG n° 21/07064.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [O] [Y] demande à la cour de :

– l’accueillir en ses demandes les jugeant bien fondées ;

En conséquence,

– infirmer le jugement entrepris dans ses dispositions critiquées ;

Statuant de nouveau :

– constater qu’il justifie d’impayés de salaires au titre des heures d’équivalence et des heures supplémentaires réalisées ;

– constater que c’est la raison principale de sa démission laquelle est de ce fait équivoque et doit être requalifiée afin de produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– constater qu’il n’est en conséquence pas tenu de rembourser le solde prorata temporis des formations dispensées ;

– condamner la société LOMATRA à lui payer :

* 19 342,85 euros bruts, au titre des heures supplémentaires réalisées durant le temps de son affection au dépôt et non comptabilisées (période allant de janvier 2015 à septembre 2018),

* 1 934,28 euros bruts, au titre des 10% de congés payés afférents,

* 9 973,82 euros bruts, au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 33 497,10 euros bruts, au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ou sérieuse (10,5 mois de salaires bruts au titre des 11 ans d’ancienneté),

* 6 380,40 euros bruts, au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (2 mois),

* 638,04 euros bruts, au titre des congés payés afférents,

* 5 000 euros, au titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait des retards de salaire,

* intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2018 ;

– débouter la société LOMATRA de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner la société LOMATRA à payer en outre la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société LOMATRA demande à la cour de :

– prononcer la jonction de la présente procédure avec celle enrôlée sous le numéro de RG 21/07064 ;

– la recevoir en son appel incident ;

Y faisant droit :

– infirmer le jugement en ce qu’il a limité le montant de la condamnation de M. [O] [Y] au titre du remboursement du solde prorata temporis des fonnations dispensées à la somme de 2 271 euros et statuant à nouveau le condamner à lui verser à ce titre la somme de 2 665,44 euros ;

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [O] [Y] les sommes suivantes :

* 1 983,58 euros au titre des heures d’équivalence contractuelles de septembre 2013 à septembre 2018,

* 198,35 euros au titre des congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la date de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, soit le 4 janvier 2019,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal sur cette somme à compter du jugement ;

– déclarer M. [O] [Y] irrecevable et en tout état de cause mal fondé en ses demandes et l’en débouter ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que M. [O] [Y] a bien démissionné et l’a débouté de sa demande en requalification de sa démission en licenciement pour cause réelle et sérieuse, en ce qu’il a débouté M. [O] [Y] de ses demandes en paiement d’heures supplémentaires et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis, d’indemnité pour licenciement sans cause

réelle et sérieuse et de dommages intérêts pour préjudice moral subi du fait des retards de salaire

et en ce qu’il a condanmé M. [O] [Y] à lui verser les sommes suivantes :

* 2 271 euros au titre du remboursement du solde prorata temporis des formations dispensées,

* 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter M. [O] [Y] de sa demande en cause d’appel en condamnation de la SAS Location Materiaux Transport LO MA TRA de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [O] [Y] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700

du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 avril 2023.

MOTIVATION

Sur la jonction des procédures

Celle-ci ayant été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 octobre 2022, cette demande est sans objet.

Sur les heures d’équivalence

La société soutient que la décision des premiers juges doit être infirmée sur ce chef de demande car ils n’ont pas répondu à sa fin de non-recevoir relative à la prescription de cette demande et ils ont statué selon elle ultra petita. Elle fait valoir en outre que les heures d’équivalence ont été payées au salarié, la réglementation en vigueur à l’époque ne prévoyant pas le paiement des heures d’équivalence en cas d’activité partielle.

M. [O] [Y] fait valoir l’existence d’une erreur de dates de la période de réclamation dans le dispositif de ses écritures de première instance et considère que les premiers juges ont arrêté leur calcul à la période non-prescrite soit du mois de septembre 2015 au mois de septembre 2018. Il soutient qu’ils ne lui ont pas alloué plus qu’il n’avait demandé bien que ses demandes afférentes aux heures d’équivalence aient été limitées à 1 803,25 euros et 180,32 euros au titre des congés payés afférents, dans la mesure où sa demande relative aux impayés de salaire était de 21 146,01 euros ‘ laissant ainsi toute latitude au Conseil d’allouer une somme supérieure à la somme de 1 803,25 euros ‘.

Aux termes de l’article L. 3245-l du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Le contrat de travail ayant été rompu le 10 septembre 2018, la demande de M. [O] [Y] est prescrite pour la période antérieure au 10 septembre 2015 ce qu’il ne conteste pas.

Aux termes de l’article L. 3121-9 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, une durée du travail équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d’inaction soit par décret, pris après conclusion d’une convention ou d’un accord de branche, soit par décret en Conseil d’Etat. Ces périodes sont rémunérées conformément aux usages ou aux conventions ou accords collectifs de travail.

Aux termes de l’article R. 5122-19 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, le nombre d’heures pouvant justifier de l’attribution de l’allocation d’activité partielle correspond à la différence entre la durée légale du travail sur la période considérée ou, lorsqu’elle est inférieure, la durée collective du travail ou la durée stipulée au contrat, et le nombre d’heures travaillées sur ladite période. Lorsque la durée du travail du salarié est fixée par forfait en heures ou en jours sur l’année, en application des articles L. 3121-42 et L. 3121-43, est prise en compte la durée légale correspondant aux jours de fermeture de l’établissement. Lorsque le salarié est employé dans le cadre d’un régime d’équivalence tel que prévu à l’article L. 3121-9, est déduit de la durée légale mentionnée au premier alinéa le nombre d’heures rémunérées sur la période considérée. Pour l’application du présent article, la durée légale du travail et la durée stipulée au contrat sont définies sur la période considérée en tenant compte du nombre de mois entiers, du nombre de semaines entières et du nombre de jours ouvrés.

Il résulte du contrat de travail que les heures d’équivalence ont été contractualisées et des bulletins de paie produits pour la période de réclamation non-prescrite que des heures d’équivalence n’ont pas été réglées. En tenant compte des périodes de congés sans solde et des périodes de chômage partiel au cours de l’année 2015, l’allocation de chômage partiel étant calculée sur la base de la durée légale du travail comme le fait valoir à juste titre la société, il reste dû à M. [O] [Y] la somme de 1 284,25 euros au titre des heures d’équivalence pour la période du 10 septembre 2015 au 10 septembre 2018 outre la somme de 128,42 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande sans qu’il soit besoin d’examiner d’autres moyens.

Sur les heures supplémentaires

M. [O] [Y] soutient qu’il a accompli des heures supplémentaires car il travaillait de 6h30 à 17h30 tous les jours avec une heure de pause.

La société soulève la même fin de non-recevoir puis fait valoir que M. [O] [Y] n’a pas accompli toutes les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement et dont il ne justifie pas, que des heures d’équivalence et des heures supplémentaires lui ont été réglées et qu’il convient de tenir compte des périodes d’absence et de chômage partiel.

La période de réclamation au titre des heures supplémentaires court du mois de septembre 2015 au mois de septembre 2018. Comme retenu précédemment, la demande de M. [O] [Y] au titre des heures supplémentaires est prescrite pour la période antérieure au 10 septembre 2015.

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande, M. [O] [Y] produit des attestations de plusieurs salariés, M. [F], M. [L], M. [V], M. [X], M. [U] [V] et Mme [E], affirmant qu’il travaillait de 6 heures 30 à 17 heures 30, M. [V] indiquant qu’il prenait une heure de pause.

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies.

La société ne produit aucun élément quant aux horaires de travail effectués par M. [O] [Y] dès lors qu’elle verse uniquement aux débats des attestations de quatre salariés, M. [Z], M. [I], M. [U] [K] et M. [B] qui affirment avoir été réglés des heures supplémentaires qu’ils ont accompli ce qui n’est opérant quant aux horaires de travail effectués par M. [O] [Y].

En conséquence, la cour a la conviction que ce dernier a accompli des heures supplémentaires et condamne la société à lui payer la somme de 8 905,23 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 10 septembre 2015 au 10 septembre 2018 outre la somme de 890,52 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur la démission

M. [O] [Y] soutient que sa démission doit être requalifiée en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse car il a été contraint de remettre sa démission en raison de manquements de l’employeur à son égard caractérisés selon lui par des impayés de salaire, la modification unilatérale du contrat de travail et des conditions de travail déplorables. Il fait valoir que sa démission est du fait de ces manquements, équivoque.

La société fait valoir que la démission du salarié procède d’une volonté libre et non équivoque, sa lettre de démission en date du 3 septembre 2018 ne faisant état d’aucun grief à son encontre. Elle souligne que la remise en cause de sa démission est intervenue pour la première fois dans le courrier de son conseil du 20 novembre 2018 après réception de ses trois courriers lui réclamant le remboursement du solde prorata temporis des formations dispensées et de la suspension de son permis de conduire. Elle ajoute qu’en réalité, il souhaitait travailler dans une autre société. Elle affirme que le salarié n’a pas vécu son affectation à l’entrepôt comme une sanction dissimulée comme il le soutient et qu’il ne s’en est jamais plaint.

La démission ne se présume pas, elle ne peut résulter que d’une manifestation claire et non équivoque de volonté de rompre le contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.

En l’espèce, la lettre de démission est rédigée en ces termes : ‘ (…) Par la présente, je vous donne ma démission à compter de ce jour.(…) ‘.

Elle ne contient donc pas de réserve.

Cependant, il est établi que M. [O] [Y] a adressé à la société deux lettres de réclamation l’une du 29 mai 2018, l’autre du 25 juin 2018 aux termes desquelles il a sollicité le paiement de ses heures supplémentaires non payées selon lui depuis trois ans. Dans le premier courrier, il a également signalé qu’il travaillait au dépôt de [Localité 4] sans avenant à son contrat de travail et qu’il devait remplacer les chauffeurs absents. Dans le second, il a relaté que le 30 mai, il a été évincé du dépôt et qu’il a repris des fonctions de chauffeur.

Il en résulte que M. [O] [Y] a formulé une réclamation antérieurement à sa démission portant sur des manquements de la société. Il existe donc un lien de causalité entre ces manquements allégués et la démission du salarié de sorte qu’elle est équivoque et s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

A l’appui de cette prise d’acte de la rupture du contrat de travail, M. [O] [Y] invoque le non paiement d’heures de travail, une modification de son contrat de travail et des conditions de travail déplorables.

Sur la modification de son contrat de travail

M. [O] [Y] soutient que son contrat de travail a été modifié au cours de la période du 1er juin 2015 au 30 mai 2018 car alors qu’il exerçait les fonctions de chauffeur poids-lourds, il a été affecté au dépôt ce qui constitue selon lui une sanction en réponse à ses réclamations orales répétées. Il ajoute qu’il a été affecté à nouveaux à ses fonctions de chauffeur poids-lourds le 1er juin 2018 en réponse à sa demande de rappel de salaire.

La société fait valoir que si le salarié a été amené à travailler au dépôt au cours de cette période, il a poursuivi son activité de conduite comme il le reconnaît selon elle dans son courrier du 28 mai 2018. Elle fait valoir qu’il n’a pas vécu son affectation au dépôt comme une sanction et ne s’en est jamais plaint au contraire comme le révèle selon elle son courrier du 25 juin 2018. Elle ajoute que son contrat de travail stipulait que ses fonctions étaient susceptibles d’évoluer.

Il appartient au salarié de démontrer qu’il a subi une modification de son contrat de travail.

En l’espèce, il résulte du contrat de travail que M. [O] [Y] a été engagé en qualité de chauffeur poids lourds. Le fait que le contrat de travail mentionne que ses fonctions sont susceptibles d’évolution n’autorise pas l’employeur à modifier le contrat de travail notamment en ce qui concerne le poste occupé par le salarié sans l’accord de ce dernier.

Il est établi par les attestations produites aux débats par le salarié et non contesté par la société qu’à compter du 1er juin 2015 et jusqu’au 30 mai 2018, M. [O] [Y] a été affecté au dépôt pour y exercer des fonctions sédentaires. Il résulte de l’attestation de M.. [U] [V] que le travail du salarié consistait à charger et décharger des camions, à entretenir des machines type ‘ bull, pelle et la machine qui servait à faire du concassé ‘. Il s’en déduit que les fonctions qu’il exerçait ne correspondaiennt pas à celles d’un chauffeur poids lourds dont la mission essentielle est de conduire un véhicule. Il ressort du courrier de M. [O] [Y] du 29 mai 2018 qu’il a dû remplacer ponctuellement un chauffeur absent et la société ne produit aucun élément quant au maintien de l’activité de conduite au cours de ces trois années. Il en résulte que le salarié a subi une modification de son contrat de travail. Cependant, il est établi par son courrier du 25 juin 2018 et confirmé par les deux parties qu’il a repris son poste de chauffeur poids-lourds à compter du 1er juin 2018 de sorte que la société a régularisé ce manquement avant la prise d’acte de la rupture.

Sur les conditions de travail déplorables

M. [O] [Y] soutient qu’il a été victime d’un accident du travail, que la société a manqué à son obligation de prévention et de sécurité et que les salariés sont insultés.

Concernant l’accident du travail, la société conteste l’avoir empêché de se faire soigner et souligne qu’il n’en justifie pas. Elle fait valoir que la mention apposée sur la note de service ne peut pas lui être imputée.

La réalité d’un accident du travail est démontrée par des pièces médicales. Cependant, elles ne suffisent pas à démontrer l’existence d’un manquement de l’employeur qui selon le salarié ne l’aurait pas autorisé à quitter son poste pour se faire soigner.

De même, si M. [O] [Y] produit aux débats une note de service du 19 février 2016 sur laquelle le mot ‘ chauffeurs ‘ a été remplacé par le mot ‘ connards ‘, aucun élément ne permet de retenir que cette modification est imputable à la société.

Dès lors, la cour retient que ce manquement n’est pas établi.

Sur le non paiement d’heures de travail

Il est constant que la société n’a pas régularisé sa situation quant aux heures de travail non rémunérées compte tenu des développements précédents dès lors que la cour a retenu qu’un rappel de salaire lui était dû au titre des heures d’équivalence et des heures supplémentaires. La société a ainsi manqué à son obligation de paiement du salaire.

Ce manquement récurrent pendant trois ans est suffisamment grave pour empêcher à lui seul la poursuite du contrat de travail ce d’autant que l’employeur n’a pas régularisé la situation du salarié en temps utile et malgré ses réclamations répétées.

En conséquence, la démission de M. [O] [Y] s’analyse en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

M. [O] [Y] fonde sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis de deux mois sur un salaire de 3 190,20 euros alors que la société soutient qu’il doit être retenu un montant de 2 854,73 euros.

Au vu de l’attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire versés au dossier et du rappel de salaire alloué, les indemnités seront calculées sur la base du salaire proposé par M. [O] [Y] soit 3 190,20 euros.

En conséquence, par application des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail, la société sera condamnée à payer à M. [O] [Y] la somme de 6 380,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 638,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents.

Par application combinées des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, la société sera condamnée à lui payer la somme de 9 925,06 euros à titre d’indemnité de licenciement.

Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article, en l’espèce entre 3 et 10,5 mois compte tenu de l’ancienneté de M. [O] [Y] de 11 ans.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, 46 ans, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, étant observé qu’il a retrouvé un emploi dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée du 9 janvier au 29 mars 2019 puis d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 juin 2019, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur les dommages intérêts pour préjudice moral subi du fait des retards de salaires

M. [O] [Y] soutient qu’il a subi un préjudice moral distinct en raison du retard dans le paiement de son salaire, des demandes qu’il a dû formuler tant orales qu’écrites, des insultes qu’il a subies et de l’attitude de son employeur au moment de son accident du travail.

La société fait valoir qu’en l’absence de rappel de salaire, aucun préjudice ne peut être allégué et que le salarié n’apporte aucun élément permettant de constater un préjudice.

La cour constate qu’elle est saisie d’une demande de dommages et intérêts pour préjudice moral subi du fait des retards de salaires. En tout état de cause, les manquements de l’employeur au titre de l’accident du travail et des insultes n’ont pas été retenus.

Au titre de la récurrence de ses réclamations afférentes aux rappels de salaire, M. [O] [Y] produit seulement les deux lettres qu’il a adressées à son employeur ce qui ne suffit pas à retenir un préjudice moral résultant de démarches récurrentes.

Enfin, il ne justifie pas de l’existence d’un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts moratoires afférents au rappel de salaire.

En conséquence, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral subi du fait des retards de salaire.

La décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur remboursement du solde prorata temporis des formations dispensées

M. [O] [Y] sollicite l’infirmation du jugement à ce titre en faisant valoir qu’il n’a pas été licencié pour faute grave et faute lourde et que, compte tenu de la requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sa démission ne peut plus être constitutive d’un départ à son intitiative.

La société fait valoir que ce remboursement est dû dans la mesure où M. [O] [Y] a donné sa démission le 3 septembre 2018 ce qui constitue un départ à l’initiative du salarié au sens des clauses de dédit formation signées.

Les deux parties invoquent les dispositions de l’article 1103 du code civil aux termes duquel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Les parties ont conclu trois avenants au contrat de travail respectivement le 27 octobre 2016, le 1er décembre et le 7 février2017 stipulant le suivi par le salarié d’une formation, son engagement à rester dans l’entreprise pendant une durée de trois ans ainsi qu’un engagement de sa part à rembourser les frais de formation engagés par l’entreprise dont le montant est indiqué, le montant de ce remboursement étant progressivement réduit de 1/36ème par mois effectué. Ces avenants stipulent également : ‘ En cas de départ, à l’initiative de Monsieur [O] [Y] [D] et ce quel qu’en soit le motif ou en cas de licenciement pour faute grave ou faute lourde, avant l’issue de cette période minimale, Monsieur [O] [Y] [D] s’engage à rembourser les frais de formation engagés par l’entreprise (…) ‘.

Ces avenants stipulent donc une clause de dédit-formation et aux termes de la dernière d’entre elles, M. [O] [Y] s’est engagé à rester dans l’entreprise pour une durée de trois ans à compter du 19 janvier 2018 de sorte que sa démission est intervenue au cours de cette période.

Cependant, la cour a retenu précédemment que la démission du salarié s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse de sorte que cette rupture est imputable à l’employeur et non au salarié.

En conséquence, la société sera déboutée de sa demande à ce titre et la décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l’article. L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner à la société Location matériaux transport de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [D] [G] [O] [Y] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite d’un mois d’indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Location matériaux transport sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a laissé les dépens à la charge de chaque partie.

La société Location matériaux transport sera condamnée à payer à M. [O] [Y] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel, la décision des premiers juges étant confirmée en ce qu’ils ont condamné la société à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et infirmée en ce qu’ils l’ont condamné à payer à la société la somme de 1 200 euros au même titre. La société sera déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Location matériaux transport à payer à M. [D] [G] [O] [Y] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes de rappel de salaire de M. [D] [O] [Y] pour la période antérieure au 10 septembre 2015,

Dit que la démission de M. [D] [G] [O] [Y] s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Location matériaux transport à payer à M. [D] [G] [O] [Y] les sommes suivantes :

– 1 284,25 euros au titre des heures d’équivalence pour la période du 10 septembre 2015 au 10 septembre 2018 ;

– 128,42 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

– 8 905,23 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 10 septembre 2015 au 10 septembre 2018,

– 890,52 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

– 6 380,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 638,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

– 9 925,06 euros à titre d’indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Location matériaux transport de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes ;

Condamne la société Location matériaux transport à payer à M. [D] [G] [O] [Y] les sommes suivantes :

– 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Ordonne à la société Location matériaux transport de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [D] [G] [O] [Y] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite d’un mois d’indemnités,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Location matériaux transport aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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