Chauffeur Poids-Lourd : décision du 12 mai 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00538

·

·

Chauffeur Poids-Lourd : décision du 12 mai 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00538
Ce point juridique est utile ?

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 MAI 2022

N° RG 20/00538 – N° Portalis DBV3-V-B7E-TYU3

AFFAIRE :

[O] [R]

C/

S.A.R.L. LES BALAIS ROSES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Janvier 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 18/00153

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Valérie LACROUX

Me Orane CARDONA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [O] [R]

né le 19 Avril 1982 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Valérie LACROUX, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1452

APPELANT

****************

S.A.R.L. LES BALAIS ROSES

N° SIRET : 813 531 191

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Orane CARDONA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0215, substituée à l’audience par Maître BABIGNAN Béatrice, avocat au barreau de PARIS

S.A.R.L. ASPIRATERRE FRANCE

N° SIRET : 422 645 093

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Orane CARDONA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0215 substituée à l’audience par Maître BABIGNAN Béatrice, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Février 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS ET PROCEDURE

Selon contrat de travail à durée indéterminée, régi par la convention collective des entreprises de propreté, M. [R] a été engagé à compter du 31 janvier 2014 par la société Bas, en qualité de’chauffeur poids-lourd, avec pour fonctions principales celles d’accomplir des «’travaux de nettoyage de sites et chantiers […] et toutes tâches et missions liées aux fonctions de chauffeur de balayeuse-nettoyeuse ». En contrepartie d’une durée mensuelle de 169 heures, le contrat prévoyait un salaire brut mensuel de 2 209,70 euros, y compris la majoration légale en vigueur concernant les heures effectuées entre 36 et 39 heures par semaine, et une prime mensuelle de trajet de 150 euros et une prime de panier de 8,30 euros par jour travaillé.

M. [R] a démissionné de son emploi, le terme du préavis d’un mois étant fixé au 30 octobre 2015.

Dès le 2 octobre 2015, il a été engagé par la société Aspiraterre suivant contrat à durée déterminée d’une durée de trois mois, pour «’accroissement d’activité’» en qualité de «’chauffeur-livreur conducteur d’engins’» pour une durée de 169 heures mensuelles, et ce moyennant un salaire mensuel brut de 1 665,73 euros, le contrat stipulant que la relation de travail serait régie par la convention collective «’maintenance, distribution et location de matériels’».

A compter du 1er janvier 2016, il a été engagé par la société «’les Balais Roses’», constituée le 1er septembre 2015 et faisant partie du même groupe que la société Aspiraterre, dont elle partage le siège social. Si la société allègue que M. [R] aurait signé son contrat de travail il n’en est pas justifié. Il ressort des bulletins de salaire que le salarié était rémunéré 1 691,73 euros pour 169 heures mensuelles (taux horaire de base de 9,75 euros) en qualité de «’chauffeur-livreur manutention’».

Le salarié a été victime d’un accident du travail le 27 février 2017.

Déclaré inapte par le médecin du travail à l’issue de la visite de reprise, M. [R] a été licencié par lettre datée du 12 mars 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Se plaignant notamment d’avoir été victime d’une fraude aux dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail et de ne pas avoir été rempli de ses droits, M. [R] a saisi le 11 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Poissy afin qu’il condamne les sociétés Aspiraterre et Balais Roses à lui verser les sommes suivantes :

– Indemnité de licenciement : 2 002,94 euros,

– Indemnité de salissure non versée : 1 303,56 euros,

– Prime de 13ème mois : 6 629,10 euros,

– Prime d’ancienneté : 6 629.97 euros,

– Rappel de salaire jusqu’à la date de l’accident du travail de février 2017 : 11 797,49 euros,

– Complément d’indemnité : 2 583,84 euros,

– Article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,

‘Les sociétés se sont opposées aux demandes et ont sollicité chacune une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 23 janvier 2020, notifié le 31 janvier 2020, le conseil a statué comme suit:

Met hors de cause la société Les Balais roses,

Condamne la société Aspiraterre France à verser à M. [R] avec intérêts légaux’ à compter du 13 juin 2018, les sommes suivantes :

– 506,94 euros au titre de l’indemnité de salissure non versée ;

– 4 797,40 euros au titre de la prime de 13ème mois,

– 239,87 euros au titre de la prime d’ancienneté,

– 963,47 euros au titre de l’indemnité complémentaire,

Rappelle que l’exécution est de droit,

Fixe la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 2 398,70 euros bruts,

Condamne la société Aspiraterre France à verser à M. [R] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [R] du surplus de ses demandes et la société Aspiraterre France de sa demande reconventionnelle,

Condamne la société Aspiraterre France aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels.

Le 25 février 2020, M. [R] a formé un appel partiel de cette décision, «’limité en ce que la décision a mis hors de cause la société les balais Roses et rejeté les demandes de l’appelant relativement aux rappels de salaires jusqu’à la date de l’accident du travail de février 2017 ainsi que la prime d’ancienneté’».

Par ordonnance rendue le 19 janvier 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 février 2022.

‘ Selon ses dernières conclusions, notifiées le 11 janvier 2022, M. [R] demande à la cour d’nfirmer partiellement le jugement en ce qui concerne l’omission de statuer relativement aux demandes de rappels de salaire et, en conséquence, de :

Dire et juger bien fondée et recevable la demande au titre des rappels de salaires portant sur la somme de 11 797,49 euros en réparation de la fraude à ses droits, en application de l’article L1224-1 du code du travail,

Constater l’existence d’une cession partielle d’activité entre la société Bas et les sociétés Aspiraterre et Balais Roses,

Constater que les sociétés Aspiraterre et Balais Roses ont concouru ensemble à organiser’ un transfert frauduleux du contrat de travail en fraude de ses droits, en lui faisant croire faussement qu’il devait démissionner de son’ contrat’ pour’ ensuite’ le’ recruter’ sans’ son’ ancienneté’ et’ à’ des’ conditions financières dégradées au sein de la société Aspiraterre, véhicule d’acquisition, puis au sein de la société Balais Roses, qui a été la société d’accueil de l’entité économique autonome transférée,

Dire et juger nul et inefficace la démission et constater le transfert automatique du contrat de travail conclu le 31 janvier 2014,

Condamner en conséquence les sociétés Aspiraterre et Balais Roses à lui verser la somme de 11 797,49 euros à titre de rappels de salaires, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 8 juin 2018, en compensation de la réduction frauduleuse de 41 % de son salaire brut suite à sa démission forcée,’

Condamner solidairement’ et’ conjointement la société Aspiraterre et la société Balais Roses au paiement de la somme de 20 000 euros au titre du préjudice financier et moral subi du fait de la fraude commise,

Confirmer toutes les autres dispositions du jugement querellé,

Condamner solidairement’ et conjointement la société Aspiraterre et la société Balais Roses au versement de la somme de 10 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel et en tous les frais et dépens.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 18 janvier 2022, la société Apiraterre France demande à la cour de :

Dire et juger qu’il y a prescription des demandes sur le principe de la rupture du contrat de travail,

Dire et juger M. [R] totalement infondé en ses demandes dirigées à son encontre notamment concernant sa demande de rappel de salaire d’un montant de 11 797,49 euros,

Dire et juge irrecevable sur le principe de l’unicité de la demande, la demande de 20 000 euros au titre du préjudice financier et moral subi de fait de la prétendue fraude commise,

Dire et juger qu’il n’y a pas eu de cession partielle d’activité entre Bas et les société Aspiraterre et Les Balais roses,

Dire et juger qu’il n’y a pas eu de transfert frauduleux,

Dire et juger que M. [R] a bien démissionné,

En conséquence, l’en débouter intégralement, de même que, de façon plus générale, de toutes ses fins et prétentions.

Constater qu’en ayant fait convoquer la société Aspiraterre par devant la cour d’appel de Versailles, M. [R] l’a mise dans l’obligation d’exposer des sommes, non comprises dans les dépens, qu’il ne serait pas équitable de laisser à sa charge,

Ce faisant, le condamner à lui payer une indemnité d’un montant de 4 500 euros, en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [R] aux entiers dépens.

‘ Selon ses dernières conclusions, en date du 18 janvier 2022, la société Les Balais roses demande à la cour de :

Dire et juger que la demande de contestation de la démission est prescrite,

Débouter M. [R] en sa demande de rappel de salaire d’un montant de 11 797,49 euros,

Dire et juger M. [R] totalement irrecevable sur le fondement de l’unicité de l’instance de sa demande de 20 000 euros au titre du préjudice financier et moral subi de fait de la prétendu fraude commise,

Dire et juger qu’il n’y a pas eu de cession partielle d’activité entre Bas et les société Aspiraterre et les Balais roses,

Dire et juger qu’il n’ y a pas eu de transfert frauduleux,

Dire et juger que M. [R] a bien démissionné,

En conséquence, l’en débouter intégralement, de même que, de façon plus générale, de toutes ses fins et prétentions,

Constater qu’en ayant fait convoquer la société Les Balais roses par devant la cour d’appel de Versailles, M. [R] l’a mise dans l’obligation d’exposer des sommes, non comprises dans les dépens, qu’il ne serait pas équitable de laisser à sa charge,

Ce faisant, le condamner à lui payer une indemnité d’un montant de 4 500 euros, en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [R] aux entiers dépens.

A la demande de la cour, les parties ont communiqué en cours de délibéré leurs dernières conclusions soutenues oralement devant le conseil de prud’hommes.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

La cour rappelle, à titre liminaire, qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de constatation qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques’; il en est de même des demandes de «’dire et juger’» qui ne sont, en l’espèce, pas des prétentions mais des moyens.

Au soutien de sa réclamation salariale, M. [R] expose que son contrat de travail a été transféré de la société Bas au profit de la société Aspiraterre puis de la société Les Balais Roses, dans le cadre d’une cession partielle de l’activité balayage des voiries qu’exerçait la première citée et ce au mépris des dispositions d’ordre public de l’article L. 1224-1 du code du travail, transfert à l’occasion duquel son salaire de base a été réduit de manière importante, ce dont il affirme n’avoir réalisé qu’en consultant son conseil en avril 2018.

Les sociétés intimées soulèvent l’irrecevabilité de l’action du salarié et, subsidiairement, son caractère injustifié, contestent qu’une cession partielle d’activité soit intervenue et affirment s’être contentées d’acquérir des engins d’occasion auprès de la société Bas qui a poursuivi son activité.

La société Les Balais Roses concédant avoir employé M. [R] du 1er janvier 2016 au12 mars 2018, date de son licenciement pour inaptitude, aucun motif ne justifie la mise hors de cause de cette société. Le jugement sera infirmé sur ce point.

I – Sur la prescription :

La société Aspiraterre soulève la prescription de l’action de M. [R] sur le fondement de l’article L. 1471-1 du code du travail selon lequel toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Elle souligne que M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy le 11 juin 2018, alors que le contrat à durée déterminée qu’elle a conclu avec ce dernier a cessé le 1er janvier 2016.

La société Les Balais Roses soulève également la prescription de l’action en justice du salarié portant sur la contestation de sa démission.

M. [R] oppose l’irrecevabilité de cette fin de non recevoir en faisant valoir qu’elle n’a pas été soulevée in limine litis. Il objecte en outre qu’il ne conteste pas son licenciement, mais sollicite un rappel de salaire sur le fondement du transfert illégal de son contrat de travail au profit des sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses.

La fin de non recevoir tirée d’une éventuelle prescription peut être soulevée en tout état de la cause. Aux termes des conclusions respectives des sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses, il y a lieu de constater que la prescription est bien soulevée in limine litis avant toute défense au fond.

Il est de droit que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande.

En l’espèce, M. [R] demande la condamnation de la société Aspiraterre et Balais Roses à lui payer la somme de 11 797,49 euros à titre de rappel de salaires sur la base du salaire qu’il aurait perçu si son contrat avait été transféré par application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail avec l’ancienneté et le niveau de rémunération acquis auprès de la société Bas.

Nonobstant les moyens soulevés au soutien de cette demande fondés, d’une part, sur la nullité de la démission du contrat de travail à durée indéterminée conclu avec la société Bas et, d’autre part, sur la fraude aux dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, l’action de M. [R] ne porte pas sur l’exécution ni la rupture du contrat de travail, mais bien sur une créance salariale, ce dont il résulte que les dispositions de l’article L. 1471-1, premier alinéa du code du travail ne sont pas applicables.

L’article L. 3245 – 1 du code du travail dispose que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Le rappel de salaire portant sur la période d’octobre 2015 à février 2017, et le cours de la prescription triennale ayant été interrompue le 8 juin 2018, dans les trois années suivant ce que l’appelant qualifie de transfert illégal de son contrat de travail de la société Bas au profit de la société Aspiraterre puis Les Balais Roses, force est de constater qu’aucune prescription n’est encourue à ce titre.

La fin de non-recevoir sera rejetée.

II – Sur la fraude :

Au soutien de la cession partielle d’activité alléguée par le salarié, ce dernier affirme que la société Aspiraterre a acquis auprès de la société Bas une activité de nettoyage industriel avec du matériel et des salariés auprès de la société Bas spécialisée dans le nettoyage industriel, cette cession comprenant la vente d’engins d’occasion (balayeuses) assortie du transfert concomitant de trois salariés ayant le permis poids-lourds, spécialement formés et affectés à la conduite de ces véhicules particuliers. Il estime que cette cession partielle d’activité s’est traduite pour la société cédante Bas comme une forme d’externalisation ou un lien de sous-traitance.

Les sociétés Aspiraterre et Balais Roses contestent toute fraude et cession partielle d’activité entre la société Bas et elles-mêmes, en reconnaissant seulement une simple vente de matériel en nombre limité compte tenu de l’importance de la société Bas et le recrutement de salariés libres de tout engagement qui ont librement consenti de contracter avec elles.

L’article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.

Il est constant que l’application de l’article L.1224-1 du code du travail qui prévoit le maintien des contrats de travail en cours, suppose le transfert d’une entité économique pourvue d’une autonomie, qui conserve son identité et poursuit son activité et à laquelle est rattaché le salarié appelé à changer d’employeur. Il appartient aux juges du fond de rechercher les éléments qui constituent une telle entité, indépendamment des règles d’organisation et de gestion du service au sein duquel s’exerce l’activité économique.

Cette notion d’entité économique suppose donc que des moyens matériels et techniques et en personnel, aient été spécifiquement affectés à la poursuite d’une finalité économique propre.

Cette entité doit ensuite conserver son identité à la suite du transfert dont elle est l’objet, l’activité exercée devant être poursuivie ou reprise sous une autre direction. Le maintien de l’identité doit être contrôlée au jour du transfert lui-même. Il faut que les moyens d’exploitation significatifs, nécessaires à l’exercice de l’activité, soient repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant et que l’activité se maintienne et se poursuive, peu important que l’entité en cause ne représente qu’une partie de l’entreprise dont elle relève, puisque les directives européennes successives visent expressément le transfert de parties d’entreprises ou d’établissement, même lorsque l’activité concernée présente un caractère accessoire. Dès lors, en présence d’une branche d’activité formant une véritable entité économique autonome, les salariés qui y sont rattachés passent au service du nouvel exploitant.

En l’espèce, au vu des pièces communiquées, il est établi que :

– M. [R] a été engagé le 31 janvier 2014 par contrat de travail à durée indéterminée par la société Bas, qui s’y présente comme exerçant ‘une activité de nettoyage de chantiers et de balayage de voirie’ pour occuper un emploi de chauffeur poids-lourds ; Le contrat précisait que les tâches confiées au salarié était plus précisémment celles de ‘chauffeur de balayeuse-nettoyeuse’, le contrat stipulant que ‘le salarié a déclaré disposer des compétences nécessaires pour ce poste’ ; En contrepartie d’une durée mensuelle de 169 heures, le contrat prévoyait un salaire brut mensuel de 2 209,70 euros y compris la majoration légale en vigueur concernant les heures effectuées entre 36 et 39 heures par semaine (taux horaire de base de 12,574 euros), et une prime mensuelle de trajet de 150 euros et une prime de panier de 8,30 euros par jour travaillé ; Cette relation de travail a duré du 3 février 2014 au 30 octobre 2015, terme du préavis d’un mois suivant la démission du salarié ;

– le 31 août 2015, la société Bas a vendu à la société Aspiraterre deux balayeuses industrielles moyennant le prix de 60 000 et 50 000 euros HT ;

– Suivant contrat de travail à durée déterminée en date du 2 octobre 2015, M. [R] a été engagé pour une durée de trois mois par la société Aspiraterre France sur un poste de ‘chauffeur livreur conducteur d’engins’ moyennant un salaire mensuel brut de 1 665,73 euros, pour une durée de 169 heures mensuelles, déterminant un taux horaire de base de 9,61 euros et non plus de 12,574 euros ; Au vu du contrat communiqué par la société intimée (pièce n°1) ce contrat a bien été signé par le salarié, lequel, tout en affirmant ne pas l’avoir signé, ne dénie pas sa signature figurant sur l’exemplaire produit par l’employeur ;

– A compter du 1er janvier 2016, il a été engagé par la société Les Balais Roses, constituée le 1er septembre 2015, soit postérieurement à l’acquisition par sa société soeur, Aspiraterre, des balayeuses industrielles ; Aucun contrat de travail n’est communiqué par les parties ; Il ressort des bulletins de salaire que M. [R] était rémunéré à hauteur de 1 691,73 euros pour 169 heures mensuelles (taux horaire de base de 9,75 euros) en qualité de ‘chauffeur-livreur manutention’ ;

– suivant factures en date du 25 janvier 2016, la société Aspiraterre a rétrocédé les balayeuses industrielles acquises auprès de la société Bas aux mêmes prix à la société Les Balais Roses ;

Si M. [R] ne démontre pas, ainsi qu’il l’allègue, que le dirigeant de la société Bas aurait exigé qu’il démissionne et qu’il ait assisté à son engagement par la société Aspiraterre en CDD, force est de relever que ces deux actes sont manifestement intervenus à des dates très proches, dans la mesure où le terme du délai-congé suivant la démission de M. [R] est fixé au 30 octobre 2015, et que la société Aspiraterre a recruté ce dernier dans le cadre d’un CDD de trois mois le 2 octobre 2015.

Dès le lendemain du terme de ce CDD, M. [R] a été engagé à compter du 1er janvier 2016 par la société Les Balais Roses afin d’exercer les mêmes fonctions que celles accomplies au profit de la société Aspiraterre.

Il est établi que ces différents actes (démission de la société Bas, signature du CDD avec la société Aspiraterre, puis du CDI avec la société Les Balais Roses) sont intervenus concomitamment à la cession par la société Bas à la société Aspiraterre de deux machines balayeuse d’occasion (factures du 31 août 2015), engins que cette société a rétrocédés à la société Les Balais Roses en janvier 2016, après que cette dernière ait été immatriculée (date de constitution fixée au 1er septembre 2015).

L’appelant communique également le témoignage certes succinct, mais non contredit par les sociétés intimées, de M. [P], qui atteste «’avoir démissionné de la société Bas pour être embauché dans la société Aspiraterre France.’». Son témoignage est confirmé par les registres du personnel des sociétés intimées (pièces n° 16 et 17 de la société Les Balais Roses) desquels il ressort que ce salarié a été engagé en qualité de chauffeur poids-lourd, par la société Aspiraterre le 1er septembre 2015 puis le 1er janvier 2016, comme M. [R], par la société Les Balais Roses.

Enfin, le salarié verse aux débats les attestations de MM. [H] et [V], lesquels figurent effectivement sur le registre du personnel de la société Les Balais Roses, aux termes desquelles ses collègues affirment «’avoir travaillé pour la société les Balais Rose et avoir fait des bons de passage au nom de la société Bas au lieu des Balais Roses.’»

Les sociétés intimées qui réfutent avoir repris l’activité de la société Bas, se bornent à opposer au salarié une information du site ‘société.com’ selon laquelle la société Bas, dont il convient de relever que selon le contrat de travail de 2014, n’avait pas pour seule activité celle de ‘balayage des voiries’ mais également celle de ‘nettoyage des chantiers’, a déclaré en 2016 un chiffre d’affaires de 852 300 euros, élément dépourvu de tout caractère probant.

De même, le fait que le salarié ait été inscrit parallèlement en qualité d’artisan est indifférent.

Les allégations des sociétés intimées selon lesquelles la société Bas ne respectait pas la réglementation sociale et rémunérait des heures supplémentaires par le biais de primes et que l’appelant leur aurait proposé de lui confier des missions dans le cadre de son entreprise personnelle ne reposent sur aucun élément probant.

Enfin, le fait que le salarié ait exécuté les prestations de travail sans se plaindre de la situation et de la diminution de son salaire jusqu’à la saisine du conseil de prud’hommes est inopérant.

Il résulte de l’ensemble des pièces communiquées que :

– le salarié justifie qu’à l’occasion de la cession par la société Bas de deux balayeuses industrielles, que pilotaient MM. [R] et [P], engins nécessitant des «’compétences nécessaires’», ainsi que le contrat de travail conclu le 31 janvier 2014 le stipulait expressément, ces salariés ont démissionné de la société Bas pour être aussitôt engagés temporairement par la société Aspiraterre,

– celle-ci plaide qu’en se portant acquéreur de ces machines elle souhaitait créer une «’division balayage’» au sein du groupe auquel elle appartient, activité qui sera finalement reprise par sa société soeur, Les Balais Roses, entre-temps constituée,

– à l’occasion du transfert de l’activité de balayage de voiries de la société Aspiraterre à la société Les Balais Roses, cette-ci a engagé en CDI MM. [R] et [P],

– la société Les Balais Roses travaillait pour le compte de la société Bas dans des conditions contractuelles (sous-traitance ‘), sur laquelle les sociétés intimées s’abstiennent d’apporter la moindre précision.

Les éléments ainsi établis par l’appelant caractérisent une cession partielle d’activité de la société Bas au profit des sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses, comportant outre des actifs matériels d’importance, du personnel qualifié dédié, constituant une entité économique pourvue d’une autonomie, qui a conservé son identité, la société Aspiraterre concédant créer une ‘division balayage’ au sein de son groupe, transférée à la société Les Balais Roses, et poursuivi son activité à laquelle le salarié était rattaché, qui obligeaient les intimées à respecter les dispositions d’ordre public de l’article L. 1224-1 du code du travail.

Sans qu’il soit nécessaire d’examiner la contestation de M. [R] relativement à sa démission de la société Bas, qu’il n’a pas mis en cause dans la procédure, la conclusion d’un CDD auprès de la société Aspiraterre, immédiatement suivi par un CDI verbal auprès de la société Les Balais Roses, contrats assortis d’une forte diminution du salaire contractuel et de la perte de l’ancienneté acquise auprès de la société Bas, au mépris du transfert légal d’ordre public du contrat, caractérise la fraude aux droits du salarié à laquelle les sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses ont conjointement concourru.

En l’état des bulletins de salaire communiqués et sur la base du salaire contractuel dont il bénéficiait au sein de la société Bas, du décompte détaillé communiqué par le salarié (17 mois x 693,97 euros, soit la différence du salaire de base perçu de la société Bas de ceux versés par les sociétés intimées), non critiqué, la demande de rappel de salaire sera accueillie et mise à la charge solidairement des sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses lesquelles ont concouru conjointement au préjudice du salarié.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef et les sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses condamnées in solidum au paiement de la somme de 11 797,49 euros bruts avec intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de conciliation.

Tout en demandant à la cour de ‘Dire et juger M. [R] totalement infondé en ses demandes dirigées à son encontre notamment concernant sa demande de rappel de salaire d’un montant de 11 797,49 euros’ et […] ‘en conséquence, l’en débouter intégralement, de même que, de façon plus générale, de toutes ses fins et prétentions’, force est de relever que la société Aspiraterre ne sollicite pas l’infirmation du jugement entrepris pour le surplus et ne développe en toute hypothèse pas dans ses conclusions de moyens à l’encontre des dispositions non visées par l’appel partiel de l’appelant.

III – Sur la demande de M. [R] au titre de la fraude et du préjudice moral et financier subi :

M.[R] sollicite la condamnation de la société Aspiraterre et de la société les Balais Roses au paiement de la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi. Il expose que ces dernières ont manqué à leur obligation de bonne foi dans le cadre de l’exécution du contrat, qu’il a été trompé de façon indigne par celles-ci, par une baisse significative de son salaire pendant près de trois ans.

La société Aspiraterre et la société les Balais Roses soulèvent l’ irrecevabilité de cette demande sur le fondement du principe de l’unicité de l’instance, en précisant qu’aux termes de l’article R. 1452-6 du code du travail dont l’abrogation est entrée en vigueur depuis le 1er août 2016, toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, faire l’objet d’une seule instance, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes.

Il est constant que cette demande de M.[R] est présentée pour la première fois en cause d’appel.

Il résulte des articles 564 à 566 du code de procédure civile qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Il résulte du jugement déféré et des conclusions de M. [R] présentées en première instance que ce dernier n’avait formé devant le premier juge aucune demande au titre de la fraude et du préjudice moral et financier subi.

Or, cette demande nouvelle en appel ne tend ni à opposer compensation, ni faire écarter les prétentions adverses ni à faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Elle ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge. Elle n’est ni l’accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire des prétentions qui ont été soumises à celui-ci.

Cette demande sera donc déclarée irrecevable.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré seulement en ce qu’il a mis hors de cause la société Les Balais Roses et omis de statuer du chef de la demande de rappel de salaire,

Statuant de nouveau de ce chef et complétant le jugement,

Dit n’y avoir lieu à mettre hors de cause la société Les Balais Roses,

Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription,

Condamne in solidum les sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses au paiement de la somme de 11 797,49 euros bruts avec intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de conciliation,

Y ajoutant,

Déclare M. [R] irrecevable en sa demande en paiement de dommages et intérêts,

Condamne in solidum les sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses à verser à M. [R] la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

Condamne les sociétés Aspiraterre et Les Balais Roses aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x