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ARRÊT N° /2022
PH
DU 01er DECEMBRE 2022
N° RG 21/02974 – N° Portalis DBVR-V-B7F-E4O3
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANCY
20/00417
25 novembre 2021
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE – SECTION 2
APPELANT :
Monsieur [B] [V]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Marie-line DIEUDONNE, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
S.A.S. L.[P] TP Prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Fabrice GOSSIN substitué par Me FORT, de la SCP FABRICE GOSSIN ET ERIC HORBER, avocats au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : WEISSMANN Raphaël,
Président : HAQUET Jean-Baptiste,
Conseiller : STANEK Stéphane,
Greffier lors des débats : RIVORY Laurène
DÉBATS :
En audience publique du 22 Septembre 2022 ;
L’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 24 Novembre 2022 ; par mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 01er Décembre 2022;
Le 01er Décembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Monsieur [B] [V] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société L. [P] TP à compter du 01 novembre 2005, en qualité de chauffeur poids lourd.
Monsieur [B] [V] a été placé en arrêt de travail pour la période du 29 mai 2020 au 28 juin 2020.
Par courrier du 12 juin 2020, Monsieur [B] [V] a été licencié pour faute grave.
Par requête du 19 octobre 2020, Monsieur [B] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy, aux fins de :
– dire et juger que son licenciement pour faute grave est abusif,
– condamnation de la société L. [P] TP à lui verser les sommes suivantes :
– 22 138,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif,
– 880,29 euros au titre de la mise à pied,
– 1 702,97 euros à titre d’indemnité de préavis,
– 170,00 euros au titre des congés payés sur préavis,
– 2 000,00 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy rendu le 25 novembre 2021, lequel a :
– débouté Monsieur [B] [V] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté Monsieur [B] [V] et la société L. [P] TP de leur demande fondée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Monsieur [B] [V] aux dépens.
Vu l’appel formé par Monsieur [B] [V] le 20 décembre 2021,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de Monsieur [B] [V] déposées sur le RPVA le 16 mai 2022, et celles de la société [P] déposées sur le RPVA le 10 mars 2022,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 29 juin 2022,
Monsieur [B] [V] demande :
– de déclarer recevable et bien-fondé son appel,
– de réformer en tous points le jugement du conseil des prud’hommes en date du 25 novembre 2021,
Statuant à nouveau :
– de condamner la société L. [P] TP à lui payer les sommes suivantes :
– 22 138,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif, correspondant à 13 mois de salaire brut (1 702,97 euros) eu égard à son ancienneté (14 ans/7 mois/16 jours),
– 880,29 euros (616,20 euros + 264,09 euros) au titre de la mise à pied,
– 1 702,97 euros à titre d’indemnité de préavis (un mois),
– 170 euros à titre de congés payés sur préavis,
– 2 000 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de débouter la société L. [P] TP de toutes demandes.
La société L. [P] TP demande :
– de dire et juger que le licenciement pour faute grave de Monsieur [B] [V] est fondé,
– de débouter Monsieur [B] [V] en ses demandes, fins et conclusions,
– de confirmer le jugement entrepris,
– de condamner Monsieur [B] [V] à titre reconventionnel à verser à la société L. [P] TP la somme de 3 000,00 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner Monsieur [B] [V] aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu’elles ont déposées sur le RPVA, s’agissant de l’employeur le 10 mars 2022, et en ce qui concerne le salarié le 16 mai 2022.
Sur le licenciement
L’article L 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l’article L 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur.
La lettre de licenciement du 12 juin 2020 indique :
« (‘)
Par lettre en date du 28 mai 2020, nous vous avons convoqué à un entretien dans la mesure où nous envisagions de prendre une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la rupture pour faute grave de votre contrat.
L’entretien était fixé au 9 juin 2020, entretien auquel vous vous êtes rendu accompagné d’un salarié de la société.
Nous vous avons reproché :
Un défaut de contrôle et d’entretien du camion qui vous est affecté, nonobstant vos obligations contractuelles.
En effet, alors que vous utilisez le véhicule AM 610 LP, le 25 mai 2020, Monsieur [Y], effectuant quant à lui, le contrôle du véhicule confié, a constaté un manque d’huile, ce dernier a confié le véhicule au chef d’atelier, M [Z], qui a dû compléter le niveau avec 14 litres d’huile, ce qui signifie que vous l’avez utilisé les jours qui ont précédés, avec un niveau de fluide susceptible d’entrainer une casse du moteur
A ce sujet, nous vous rappelons que vous avez déjà été sanctionné l’année dernière pour défaut d’entretien du véhicule confié ce qui démontre que vous vous refusez à respecter vos obligations et ne tenez pas compte des directives qui vous sont données
Le non port des équipements de protection individuels
Le 26 mai 2020, alors que vous conduisiez un chargeur de la société, nous vous avons surpris en plein travail sans port de votre gilet fluorescent
Comme vous le savez, les équipements de sécurité fournis doivent être obligatoirement revêtus, obligation rappelée dans le règlement intérieur de la société.
Outre le fait que vous violez délibérément vos obligations à ce titre, en cas d’accident, la responsabilité de la société et de son Dirigeant sont susceptibles d’être engagées.
Le refus de remplir correctement les rapports de conduite
De façon systématique, vous refusez de signer vos rapports journaliers alors que cela vous a déjà été demandé.
Vos refus d’exécuter les ordres et consignes qui vous sont donnés sont réguliers, vos
manquements réguliers quant à vos obligations sont inacceptables et ce d’autant que nous vous avons déjà sanctionné auparavant pour des faits similaires mais cela ne semble avoir aucun effet.
En conséquence, votre contrat sera rompu pour faute grave dès l’envoi de la présente.
(…) »
La société L. [P] TP fait valoir que le contrôle des fluides était prévu par le contrat de travail, et que M. [B] [V] a déjà été sanctionné pour des manquements de cette nature ; que le mécanicien a dû rajouter 14 litres d’huile dans le moteur du camion utilisé par l’appelant.
Elle souligne que le mécanicien a constaté le manque d’huile le lundi 25 mai 2020 ; que le dernier rapport journalier de M. [B] [V] est du mercredi 20 mai 2020 ; que le 21 mai était férié et que la société a fait le pont le 22 mai. La société L. [P] TP estime donc que M. [B] [V] était le dernier chauffeur à utiliser le camion AM 310 LP avant le constat du 25 mai 2020.
Elle considère que le fait est avéré et constitue une réitération des manquements qui lui sont reprochés. Elle souligne qu’il avait été déjà sanctionné pour l’entretien du matériel confié.
L’appelante précise que le véhicule ne dispose pas de témoin de niveau d’huile, ce qui impose au conducteur de vérifier au moyen de la jauge le niveau d’huile.
En ce qui concerne le deuxième grief, la société L. [P] TP indique que le 26 mai 2020, alors qu’il conduisait un chargeur, M. [B] [V] ne portait pas son gilet fluorescent ; elle estime qu’il s’agit d’un manquement inacceptable aux obligations de sécurité pouvant entraîner la responsabilité du dirigeant de la société en cas d’accident. Elle fait valoir que le conducteur doit porter cet équipement en toute circonstance, qui le signale mais également le protège, de l’abrasion par exemple. L’intimée renvoie aux dispositions du règlement intérieur, pages 9 et 11.
S’agissant du dernier grief, la société L. [P] TP explique que M. [B] [V] ne remplissait pas de façon correcte ses rapports de conduite, sachant qu’il refusait de les signer alors que cela lui avait déjà été demandé.
Sur le premier grief, M. [B] [V] répond qu’il assure l’entretien du véhicule sans la moindre difficulté, et souligne être chauffeur poids lourd dans l’entreprise depuis 2005.
Il fait valoir que la société L. [P] TP produit des attestations de salariés, qui ont un lien de subordination avec l’intimée, et que M. [P] qui atteste a un lien familial.
Il explique que le camion a pu être utilisé par d’autres entre le 20 mai et le 25 mai, et souligne qu’entre ces deux dates le camion a parcouru 521 kilomètres.
M. [B] [V] conteste qu’une sanction antérieure pour défaut d’entretien du véhicule existe.
Sur le deuxième grief, M. [B] [V] précise que sa veste était avec lui dans l’habitacle du chargeur et qu’avant de sortir du chargeur, il a revêtu cette veste fluorescente pour circuler sur le chantier. Il indique que les équipements de chantier sont avant tout des équipements pour permettre de se signaler et ainsi circuler à pied en sécurité.
M. [B] [V] ajoute que par courrier recommandé du 25 juin 2020 il a rappelé à son employeur que sa veste était trop petite et qu’il était en attente de son remplacement.
Sur le dernier grief, M. [B] [V] explique avoir toujours complété ses rapports journaliers, sans qu’il lui ait été demandé de les signer, et ce depuis plus d’une dizaine d’années.
Motivation
Il résulte des conclusions des parties et des pièces 29 et 34-3 de l’employeur que le poids lourd litigieux a parcouru 521 kilomètres, entre le 20 mai 2020 quand M. [B] [V] l’a laissé, et le 25 mai 2020 où il a fait l’objet d’un recomplètement en huile, ce qui signifie qu’il a été utilisé par un ou plusieurs tiers, de sorte que le défaut de recomplètement, faute de savoir s’il manquait de l’huile le 20 mai 2020, ne peut être formellement imputé à l’appelant.
Le premier grief n’est dès lors pas établi.
S’agissant du deuxième grief, le règlement intérieur de l’entreprise prévoit, comme le fait valoir l’employeur, en pages 9 et 11 que « (‘) pour des raisons de sécurité et d’hygiène, les membres du personnel seront tenus de porter la tenue de travail qui leur a été fournie par la société pendant les heures de service. » et que « Chaque salarié est tenu d’utiliser tous les moyens de protection individuels (EPI) et collectifs mis à sa disposition pour éviter les accidents et préserver sa santé et celle des autres ».
M. [B] [V] reconnaît qu’il ne portait pas sur lui la veste fluorescente lorsqu’il se trouvait dans la cabine du chargeur.
Cette obligation résulte des dispositions précitées du règlement intérieur.
L’invocation d’une demande de veste à sa taille, par un courrier postérieur à la procédure disciplinaire est dans cette mesure sans emport.
Ce grief est donc établi.
S’agissant du dernier grief, la société L. [P] TP produit en pièce 9 des « rapports journaliers chauffeurs » établis par M. [B] [V], ces derniers portant son nom, en date des 18 novembre 2019, 27 novembre 2019, 28 novembre 2019, 29 novembre 2019, 02 décembre 2019 ; dans l’encadré « signature du conducteur » ne figure aucune signature, sur chacun des documents.
L’employeur ne démontre cependant, ni que la signature était exigée sur ces documents, par exemple par note de service, ni qu’un rappel à l’ordre sur la question de la signature aurait été fait à M. [B] [V].
Ni l’avertissement de 2014 évoqué dans ses conclusions par la société L. [P] TP, non produit et ne figurant pas au bordereau de pièces, ni la mise à pied disciplinaire du 25 juin 2019 (pièce 3 de l’intimée) ne concernent ces « rapports journaliers chauffeurs ».
Au terme de cette analyse, seul le grief relatif au port de la veste de travail est donc établi.
La seule sanction antérieure justifiée par sa production aux débats est celle du 25 juin 2019 (pièce 3 de la société L. [P] TP), qui concernait : une prise de service le 17 mai 2019 à 07h00 au lieu de 07h30, « sans information et surtout sans autorisation de votre hiérarchie » ; le refus de procéder à l’évacuation de gravats sur un chantier le 29 mai 2019 ; le fait d’avoir endommagé un candélabre avec un véhicule le 04 juin 2019, avoir cassé une vitre de ce véhicule, et un défaut d’entretien du véhicule ; outre le reproche de manoeuvrer la grue depuis la cabine du camion plutôt que de l’extérieur.
Compte tenu du seul grief établi visé par la lettre de licenciement, et en dépit de la mise à pied du 25 juin 2019, la faute reprochée, eu égard à son caractère véniel, ne pouvait justifier le licenciement prononcé.
Le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera réformé sur ce point.
Sur les conséquences financières du licenciement
M. [B] [V] présente ses demandes financières dans le dispositif de ses conclusions.
La société L. [P] TP ne conclut pas sur ces points.
Motivation
En application des articles L1234-5, L1234-9, et L1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement, et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, la société L. [P] TP ne discute pas à titre subsidiaire les demandes formées à ces titres par M. [B] [V], pas plus que sa demande de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire.
Dans ces conditions, il sera fait droit aux prétentions de l’appelant.
Sur l’application d’office des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail en faveur de Pôle Emploi
Aux termes des dispositions de l’article 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L1132-4, L1134-4, L1144-3, L1152-3, L1153-4, L1235-3 et L1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
En l’espèce, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de 6 mois en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant à l’instance, la société L. [P] TP sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nancy le 25 novembre 2021 ;
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M. [B] [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société L. [P] TP à payer à M. [B] [V]:
– 22 138,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif,
– 880,29 euros au titre de la mise à pied,
– 1 702,97 euros à titre d’indemnité de préavis ,
– 170 euros à titre de congés payés sur préavis ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Y ajoutant,
Condamne la société L. [P] TP à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées à M. [B] [V] du fait de son licenciement, dans la limite de six mois d’allocations ;
Condamne la société L. [P] TP à payer à M. [B] [V] 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société L. [P] TP aux dépens de première instance et d’appel.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en huit pages