Charte informatique : prévoir une clause de confidentialité  

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Charte informatique : prévoir une clause de confidentialité  

Une salariée a été licenciée pour faute pour s’être envoyé massivement 268 courriels internes professionnels sur sa boîte personnelle de courrier électronique, en « copie cachée » et sans autorisation de l’employeur.

Parmi ces différents courriels, certains messages comportaient des données confidentielles ou stratégiques de l’entreprise, en particulier des éléments de régularisation de la taxe Télecom, des échanges avec l’avocat de la société, la liste des prestataires, notamment dans le domaine juridique, les enjeux du groupe et sa nouvelle stratégie tournant autour du leasing, des liasses fiscales ou encore des informations financières.

Faute grave de la salariée

Par suite, la salariée a méconnu, volontairement et de manière grave et répétée, les clauses de son  contrat de travail et de la charte informatique, qui interdisent en principe la sortie de ces documents, la transformation des données professionnelles en données personnelles ainsi que celles qui visent la protection des risques face aux tiers.

Par ailleurs, ces différentes clauses précitées se rattachent tant à l’activité de l’entreprise, qui nécessite une protection des données relatives aux clients, aux différentes innovations ou aux choix stratégiques, qu’à la nature et au niveau hiérarchique du poste à responsabilité occupé par la salariée, qui disposait d’un accès à ces informations

Atteinte au secret professionnel   

Aux termes de la clause « secret professionnel » du contrat de travail de la salariée :

« Compte tenu de l’activité concurrentielle de la Société, le Salarié est liée par une obligation de discrétion absolue et s’engage à ne divulguer, communiquer, laisser divulguer ou laisser communiquer, ainsi qu’à ne pas utiliser directement, indirectement des informations ou renseignements confidentiels de toutes natures, dont elle aura eu connaissance en sa qualité de salarié de la société et concernant, notamment la clientèle, les ventes ou autres données techniques, commerciales, financières ou administratives, et les affaires de la société en général.

De plus, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer qu’aucun tiers non-autorisé puisse accéder à aucun document comportant des informations confidentielles. Il est entendu que tout manquement à cette obligation au cours du contrat constituerait une faute grave ou lourde et ceci indépendamment de la réparation éventuelle du préjudice subi par la Société. (…)

Le Salarié s’engage à ne sortir aucun document de la société qui ne lui soit pas personnel sans l’accord préalable et express de celle-ci, quelque soit le support de tels documents.

Le Salarié reconnaît avoir reçu et signé une charte informatique rappelant les règles et de réglementant le fonctionnement et l’utilisation du système d’information de l’entreprise ».

Clause dédiée de la charte informatique

Par ailleurs, aux termes de la charte informatique, intégrée au contrat de travail par renvoi et signée par les parties :

« L’utilisateur s’engage à ne pas transformer des informations professionnelles en informations personnelles. 

Les risques d’interception des messages électroniques exigent de limiter l’utilisation de la messagerie électronique à destination de l’extérieur du système d’information aux informations à caractère non confidentiel, non stratégique et non sensible. Si un utilisateur est contraint d’adresser à l’extérieur des informations à caractère confidentiel, stratégique ou sensible, outre la signature préalable d’un engagement de confidentialité conforme aux règles imposées par le service juridique et SCT Telecom, l’utilisateur devra demander à l’administrateur de l’assister dans le cryptage de l’information ».

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

CAA de VERSAILLES

6ème chambre

3 juin 2021

N° 19VE00098

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SCT Telecom a demandé au tribunal administratif de Montreuil d’annuler la décision implicite née du silence gardé par la ministre du travail sur le recours hiérarchique qu’elle avait formé le 28 juillet 2017 contre une décision de l’inspecteur du travail en date du 28 juin 2017 refusant le licenciement de Mme C… ensemble la décision de l’inspecteur du travail en date du 28 juin 2017 refusant le licenciement de Mme C… et d’autoriser ce licenciement.

Par un jugement n° 1800934 du 17 décembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 6 février 2018 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 28 juin 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 janvier et 8 avril 2019, Mme C… épouse E…, représentée par Me Ilic, avocat, demande à la cour :

1°) d’infirmer le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de mettre à la charge de la société SCT Telecom le versement de la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

— les premiers juges ont inexactement apprécié le respect de ses obligations contractuelles, la pratique de l’entreprise quant à la transmission des informations et les difficultés qu’elle a pu rencontrer, notamment la charge de travail et les difficultés informatiques ;

 – elle n’a pas commis de faute d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;

 – elle n’a méconnu ni ses obligations contractuelles, ni la charte d’utilisation du système d’information, laquelle ne constitue qu’un élément d’appréciation ;

 – elle a connu des difficultés informatiques et notamment de connexion au réseau ;

 – les conditions de travail étaient anormales, en raison de la surcharge de travail ;

 – elle n’a eu aucune intention malveillante ;

 – elle n’a causé aucun préjudice à l’entreprise ;

 – elle n’a pas d’antécédent judiciaire ;

 – elle a agi dans le cadre d’une pratique admise par l’entreprise.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code du travail ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. D…,

 – les conclusions de Mme Margerit, rapporteure publique,

 – et les observations de Me A… pour Mme C… épouse E….

Considérant ce qui suit :

1. Mme B… C… épouse E… a été recrutée le 4 novembre 2014 par contrat à durée indéterminée en qualité de responsable comptable, au statut cadre groupe E par la société SCT Telecom, entreprise spécialisée dans la fourniture de systèmes de téléphonie intégrée pour les entreprises. Au sein de cette société, elle occupait des mandats de déléguée du personnel et de membre du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. La société SCT Telecom a saisi l’inspecteur du travail le 22 mai 2017 d’une demande d’autorisation de licenciement, pour faute. Par une décision du 28 juin 2017, l’inspecteur du travail a refusé d’accorder cette autorisation. La société a alors formé le 28 juillet 2017 un recours hiérarchique contre cette décision auprès de la ministre du travail, laquelle a rejeté cette demande par une décision implicite de rejet née le 1er décembre 2017. Par une décision expresse du 6 février 2018, la ministre du travail a retiré sa décision implicite en raison de diverses illégalités, a annulé la décision de l’inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de Mme C… épouse E…. La société SCT Telecom a présenté un recours tendant, notamment, à l’annulation de la décision du 1er décembre 2017 du ministre du travail auprès du tribunal administratif de Montreuil. Mme B… C… épouse E…, relève appel du jugement n° 1800934 du 17 décembre 2018, par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Mme C… épouse E… soutient que les premiers juges auraient inexactement apprécié le respect de ses obligations contractuelles, la pratique de l’entreprise quant à la transmission des informations et les difficultés qu’elle a pu rencontrer, notamment la charge de travail et les problèmes informatiques. Ces moyens procèdent toutefois d’une contestation du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Ils doivent, par suite, être écartés pour ce motif.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. D’abord, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des salariés qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Ensuite, aux termes de l’article 9 du contrat de travail du 4 novembre 2014 conclu entre l’appelante et la société SCT Telecom, relatif au secret professionnel : « 9.1 Compte tenu de l’activité concurrentielle de la Société, le Salarié est liée par une obligation de discrétion absolue et s’engage à ne divulguer, communiquer, laisser divulguer ou laisser communiquer, ainsi qu’à ne pas utiliser directement, indirectement des informations ou renseignements confidentiels de toutes natures, dont elle aura eu connaissance en sa qualité de salarié de la société et concernant, notamment la clientèle, les ventes ou autres données techniques, commerciales, financières ou administratives, et les affaires de la société en général.

De plus, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer qu’aucun tiers non-autorisé puisse accéder à aucun document comportant des informations confidentielles. Il est entendu que tout manquement à cette obligation au cours du contrat constituerait une faute grave ou lourde et ceci indépendamment de la réparation éventuelle du préjudice subi par la Société. (…) 9.3 : Le Salarié s’engage à ne sortir aucun document de la société qui ne lui soit pas personnel sans l’accord préalable et express de celle-ci, quelque soit le support de tels documents. 9.4 Le Salarié reconnaît avoir reçu et signé une charte informatique rappelant les règles et de réglementant le fonctionnement et l’utilisation du système d’information de l’entreprise ».

Aux termes de l’article 2.5 de la charte informatique, intégrée au contrat de travail par renvoi de l’article 9.4 du contrat de travail et signée par les parties : « L’utilisateur s’engage à ne pas transformer des informations professionnelles en informations personnelles. ». Aux termes de l’article 4.4 de cette charte : « Les risques d’interception des messages électroniques exigent de limiter l’utilisation de la messagerie électronique à destination de l’extérieur du système d’information aux informations à caractère non confidentiel, non stratégique et non sensible. Si un utilisateur est contraint d’adresser à l’extérieur des informations à caractère confidentiel, stratégique ou sensible, outre la signature préalable d’un engagement de confidentialité conforme aux règles imposées par le service juridique et SCT Telecom, l’utilisateur devra demander à l’administrateur de l’assister dans le cryptage de l’information ».

5. Il ressort des pièces du dossier qu’à la suite d’un congé maternité, Mme C… épouse E… a repris son poste entre le 27 mars et le 10 avril 2017, période pendant laquelle, s’estimant victime d’un harcèlement moral émanant de son nouveau supérieur hiérarchique, elle a sollicité de son employeur, le 3 avril 2017, une enquête. Cette enquête a été réalisée entre les 10 et 19 avril 2017, en donnant lieu, notamment, à différentes auditions. Si cette enquête n’a pas permis de retenir un harcèlement moral, elle a, en revanche, révélé que Mme C… épouse E… s’était envoyé massivement 268 courriels internes professionnels sur sa boîte personnelle de courrier électronique, en « copie cachée » et sans autorisation de l’employeur, depuis 2015, dont 128 pour la seule période de reprise d’activité comprise entre le 27 mars et le 4 avril 2017. Parmi ces différents courriels, certains messages comportaient des données confidentielles ou stratégiques de l’entreprise, en particulier des éléments de régularisation de la taxe Télecom, des échanges avec l’avocat de la société, la liste des prestataires, notamment dans le domaine juridique, les enjeux du groupe et sa nouvelle stratégie tournant autour du leasing, des liasses fiscales ou encore des informations financières. Par suite, Mme C… épouse E… a méconnu, volontairement et de manière grave et répétée, les clauses citées au point 4. du contrat de travail et de la charte informatique, qui interdisent en principe la sortie de ces documents, la transformation des données professionnelles en données personnelles ainsi que celles qui visent la protection des risques face aux tiers. Par ailleurs, ces différentes clauses précitées se rattachent tant à l’activité de l’entreprise, qui nécessite une protection des données relatives aux clients, aux différentes innovations ou aux choix stratégiques, qu’à la nature et au niveau hiérarchique du poste à responsabilité occupé Mme C… épouse E…, qui disposait d’un accès à ces informations. S’il ressort, notamment, des échanges de courriels des 3 décembre 2015 au 3 février 2016 ou d’un courrier du 29 juillet 2016, que Mme C… épouse E… souffrait d’une surcharge de travail, en raison de la réduction des effectifs des comptables, qu’il n’est pas sérieusement contesté que le transfert massif des données sur son adresse email personnelle n’a pas eu d’incidence sur l’entreprise et qu’il est constant que l’appelante n’a aucun antécédent disciplinaire au sein de sa société employeur, ces circonstances ne suffisent pas à atténuer le caractère suffisamment grave des manquements qu’elle a commis au regard des stipulations de son contrat depuis 2015, compte tenu du niveau hiérarchique et de la nature du poste qu’elle occupait. Enfin, s’il ressort d’un procès verbal d’huissier du 19 mai 2017, qu’elle avait connu des difficultés de synchronisation des mails et d’accès VPN à cette date, d’un courrier du 29 juillet 2016 se bornant à affirmer que Mme C… épouse E… n’avait pas accès à son outil informatique, ou encore de courriers électroniques démontrant des difficultés informatiques au 28 mars 2017, ces éléments ne sont pas de nature à démontrer que ces défaillances informatiques sur son lieu de travail auraient été constantes depuis 2015 ou que l’intéressée aurait essayé, dans ces circonstances, d’obtenir l’accord de son employeur pour sortir ces informations du réseau interne. Enfin, les pièces versées au dossier par Mme C… épouse E… et qui établissent, tout au plus, qu’un poste informatique lui a été confié, ne sont pas de nature à démontrer l’existence d’une pratique au sein de l’entreprise, qui présenterait un risque au regard de son activité et qui se heurterait aux clauses susmentionnées en tolérant ces manquements. Dans ces conditions, Mme C… épouse E… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 6 février 2018 du ministre du travail.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et celles relatives aux dépens :

6. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».

7. La société SCT Telecom n’étant pas la partie perdante, les conclusions de Mme C… épouse E… tendant à mettre à sa charge une somme en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu’être rejetées. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme C… épouse E… une somme à verser à la société SCT Telecom en application de ces dispositions. Il en va de même en ce qui concerne les dépens, la présente instance n’ayant nécessité aucune somme à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C… épouse E… est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société SCT Telecom en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et au titre des dépens sont rejetées.


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