Charte informatique : 2 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00683

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Charte informatique : 2 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00683

N° RG 21/00683 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IV65

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 02 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 26 Janvier 2021

APPELANT :

Monsieur [N] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anaëlle LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Société GENERALE DE MANUTENTION PORTUAIRE (GMP)

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Anne LEMONNIER-BUREL de la SELAS KPMG AVOCATS, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 18 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 18 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 02 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS DES PARTIES

M. [R] (le salarié) a été engagé par la société Générale de Manutention Portuaire (GMP) (la société) en qualité d’employé administratif par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 15 novembre 2004.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale de la manutention portuaire.

La société emploie environ 300 salariés.

Le contrat de travail a fait l’objet de sept avenants, M. [R] étant, au dernier état, classé agent de maîtrise au département Ressources Humaines et percevant un salaire mensuel brut de 2 576 euros.

M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 juin 2018 par lettre du 20 juin 2018.

Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 7 juillet 2018 dans les termes suivants :

‘Vous occupez les fonctions d’employé administratif (statut agent de maîtrise) au sein du service Ressources Humaines de notre entreprise. Vous êtes affecté notamment à la planification de la ressource du SOE en appui de l’ATT et à la tenue des bilans sociaux du groupe. Ponctuellement, vous pouvez aussi être amené à être affecté à la paie du personnel.

Dans le cadre de vos missions, vous bénéficiez d’un certain nombre de droits d’accès (aux logiciels RH). Compte tenu de votre poste de travail, la confiance que la direction a placée en vous et votre loyauté doivent être sans faille.

Le 7 juin dernier, l’administrateur informatique GMP en charge du système de gestion des temps OCTIME a détecté une intrusion non autorisée dans le système.

Pensant au départ à un piratage externe, l’administrateur s’est rendu immédiatement dans le service RH pour l’alerter.

Informé de l’alerte donnée, c’est alors que vous avez avoué que vous étiez responsable de cette intrusion, ce que vous avez confirmé dans un mail adressé le jour même à M. [X] [V], directeur IT.

Dans ce mail, vous prétextiez avoir mis le ‘bazar’ pour démontrer, selon vous, que le système pouvait être détourné!

Votre tentative d’explication n’est pas sérieuse: il ne ressort pas de votre poste de travail de ‘tester’ les systèmes d’information, et quand même bien cela aurait été votre intention, il vous appartenait de prévenir préalablement les personnes compétentes de l’entreprise (administrateur, directeur) avant de procéder à toute intrusion et manipulation.

Vous avez précisé que vous tentiez de modifié le mot de passe de l’administrateur et, ajouté puis supprimé des congés sur votre propre compteur.

Effectivement, le 7 juin, alors que vous êtes en charge de la paie du mois, vous avez pénétré dans OCTIME Admin (auquel vous n’avez pas accès), supprimé avec le compte Administrateur, compte qui ne vous appartient pas, votre demi-journée prise de CP du 22 mai dernier. Vous l’avez rajoutée après avoir appris que l’administrateur s’en était rendu compte et sans prévenir personne…Vous avez donc manipulé les données du logiciel OCTIME, à partir d’un accès non autorisé, et à votre avantage, avant que l’alerte ne soit déclenchée.

Votre comportement s’inscrit en violation des règles les plus élémentaires de votre contrat de travail et de la charte informatique en vigueur: il est évidemment formellement interdit à quiconque de s’introduire dans les systèmes d’information de la GMP sans autorisation. Il est encore plus interdit de modifier les mots de passe et de manipuler à son avantage des données.

Il ne saurait y avoir aucune tolérance sur ce type d’agissement touchant à la sécurité informatique de l’entreprise et à la loyauté.

Le 8 juin, vous écriviez d’ailleurs par mail à la direction ‘Conscient de la gravité de mes actes, j’en assumerais les conséquences.’

Les termes que vous avez utilisés dans vos mails des 7 et 8 juin révèlent en outre un non-respect manifeste de votre hiérarchie, et un dénigrement total des règles (informatiques) internes et du personnel en charge de les faire respecter: ‘désolée pour la petite frayeur, pour le reste je ne cherche pas à me faire pardonner’, vos mails sans copie avec votre supérieur hiérarchique (DRH), dénigrement de l’administrateur…

En parallèle, nous avons de surcroît diligenté une enquête. Nous avons découvert que vous passiez beaucoup de temps à faire des mouvements d’ajouts ou de suppressions d’événements ( sur des événements passés) sur ce logiciel. Cette utilisation excessive, opaque et inexpliquée de cet outil est bien au-delà de l’usage normal que vous devriez en faire.

C’est dans ces conditions que, par lettre en date du 20 juin 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable.

Vous êtes venu assisté de 2 personnes ( ce que nous avons admis exceptionnellement compte tenu de la gravité des griefs reprochés). Lors de cet entretien, vous avez alors nié la gravité de votre faute et avez persisté dans votre dénigrement des règles de fonctionnement interne. Vous nous avez mis dans l’impossibilité de penser que vous ne répéteriez pas votre agissement.

Cet entretien n’ayant pas permis de modifier notre appréciation des fait, nous avons donc décide de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave, la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis étant impossible. (…)’

Par requête du 20 décembre 2018, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre en contestation de la rupture du contrat de travail et paiement d’indemnités.

Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil de prud’hommes a :

– jugé recevables les pièces 9,10 à 14 produites par la société GMP,

– dit et jugé le licenciement pour faute grave de M. [R] justifié,

– en conséquence, débouté M. [R] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [R] à verser à la société GMP la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [R] aux éventuels dépens et frais d’exécution.

M. [R] a interjeté appel le 18 février 2021 de ce jugement qui lui a été notifié le 28 janvier précédent.

La société GMP a constitué avocat par voie électronique le 11 mars 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 17 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus amples exposé de ses moyens, M. [R] demande à la cour de :

– réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

– constater l’irrecevabilité des pièces de la société GMP n°10,11,13 et 14 ;

– juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamner en conséquence la société GMP au paiement des sommes suivantes :

dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 33 741,96 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 8 435,49 euros,

congés payés sur préavis : 843,54 euros,

indemnité de licenciement :13 695,96 euros,

– à titre subsidiaire, requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

– condamner en conséquence la société GMP au paiement des sommes suivantes :

dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 33 741,96 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 8 435,49 euros,

congés payés sur préavis : 843,54 euros,

indemnité de licenciement : 13 695,96 euros,

– débouter la société GMP de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– la condamner, en tout état de cause, au paiement d’une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 20 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus amples exposé de ses moyens, la société GMP demande à la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement entreprise ;

– condamner M. [R] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture du 15 décembre 2022 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 18 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 / Sur la recevabilité des extraits du logiciel OCTIME

Le salarié soulève l’irrecevabilité des pièces n° 10, 11, 13 et 14 communiquées par la société GMP à défaut pour cette dernière de rapporter la preuve que la mise en place du logiciel de pointage a fait l’objet d’une consultation du comité d’entreprise conformément à l’exigence posée par l’article L.2323-32 du code du travail.

La société réplique, d’une part que le logiciel a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL en 2004, qu’il est, de plus, doté d’un correspondant informatique et libertés depuis 2010, ce qui le dispense d’opérer les déclarations auprès de la CNIL, et d’autre part que les représentants du personnel ont été informés de sa mise en place en 2004, et que s’il n’a pu retrouver le procès-verbal traçant de façon écrite la consultation du CE sur ce sujet, plusieurs procès-verbaux de réunion CE font état de sa mise en place qui a perduré plusieurs mois et qu’étant une société particulièrement syndicalisée, avec un dialogue social très actif, il est évident que cette consultation a eu lieu tout au long du processus.

Il relève que l’ensemble du personnel a été informé de ce logiciel par des journées de formation, le règlement intérieur, l’accord collectif d’entreprise aménageant la durée du travail et sa charte informatique.

Il souligne enfin que dans le cadre de ses fonctions au service RH, M. [R] était, a fortiori, parfaitement informé de ce logiciel RH avec lequel il travaillait quotidiennement.

Au surplus, si la cour devait considérer les pièces critiquées illicites, la société soutient qu’elles peuvent néanmoins être déclarées recevables puisqu’elles sont indispensables à l’exercice du droit de la preuve et que l’atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi.

Sur ce ;

Les pièces litigieuses correspondent à des éditions de traçabilité de mouvements par utilisateur extraites du logiciel OCTIME et relatives à M. [R] s’agissant des pièces n° 10 et 13 et à son épouse, Mme [G] [R], s’agissant de la pièce n°14.

Il est constant que OCTIME est un logiciel de gestion des ressources humaines qui enregistre notamment les pointages d’arrivées et de départ du poste par badgeage, ainsi que les absences.

Eu égard à la date de mise en place du logiciel telle qu’elle ressort de la déclaration à la CNIL et des procès-verbaux de réunion du comité d’entreprise, soit 2004, c’est l’article L.432-2-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 20 février 2001 au 1er mai 2008 qui est applicable et qui prévoit en ses alinéas 2 et 3, certes à droit constant, que le comité d’entreprise « est informé, préalablement à leur introduction dans l’entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci.

Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en ‘uvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. »

En outre, conformément à l’article L.121-8 dans sa version en vigueur du 1er janvier 1993 au 1er mai 2008, donc applicable en l’espèce, « Aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à un emploi. »

Par ailleurs, il n’est plus désormais contesté que le logiciel OCTIME a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL le 28 mai 2004, conformément à l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et que la société GMP est dotée depuis 2010 d’un correspondant informatique et libertés, responsable de l’ensemble de ses traitements informatiques qui a notamment établi une fiche pour ce logiciel.

Ainsi que l’a rappelé, à juste titre le conseil, la société est tenue de justifier au regard des dispositions précitées :

-d’une information et d’une consultation du comité d’entreprise,

-d’une information individuelle du salarié.

S’agissant tout d’abord de l’information et la consultation du comité d’entreprise, il sera observé que la forme qu’elles doivent prendre n’est pas défini par la loi.

Si la société reconnaît ne pas être en mesure de retrouver le procès-verbal traçant de façon écrite la consultation du comité d’entreprise, elle produit néanmoins :

– le procès-verbal de la réunion du comité d’entreprise du 26 février 2004, lors de laquelle a été évoqué l’état d’avancement de la mise en place du nouveau logiciel OCTIME et soulevé un problème relatif à l’horaire de la pointeuse que le directeur de l’informatique se chargeait d’étudier, procès-verbal qui a été signé par le secrétaire et le président du comité d’entreprise,

– le procès-verbal du comité d’entreprise du 25 novembre 2004, qui mentionne la mise en place du logiciel en janvier 2005,

– l’accord collectif d’entreprise sur l’aménagement du temps de travail signé entre la direction de la société et les organisations syndicales de l’entreprise le 18 avril 2004 visant le souhait des parties d’un suivi individuel des horaires de travail de chaque salarié via OCTIME.

Ces pièces démontrent que le comité d’entreprise a bien été informé et consulté préalablement à l’installation du logiciel.

Pour établir l’information individuelle des salariés, la société produit :

– le règlement intérieur de l’entreprise qui vise le système de contrôle des horaires,

– la charte d’utilisation du système informatique en date du 1er octobre 2007, s’appliquant à tous les utilisateurs autorisés du système d’information,

– le mail de Mme [D] daté du 11 mai 2004 qui informe la direction de la formation des utilisateurs du logiciel,

– la note du 5 février 2004 sur les journées de formation au logiciel OCTIME.

Si ces deux dernières pièces sont antérieures de quelques mois à l’arrivée de M. [R] dans la société, il n’en demeure pas moins qu’il est ainsi établi qu’une information individuelle des salariés a été assurée par l’employeur lors de la mise en place du logiciel.

M. [R] travaillant au sein du département ressource humaine et utilisant quotidiennement le logiciel, comme le démontre son compte-rendu d’entretien professionnel du 24 février 2016 et qu’il le reconnaît d’ailleurs lui-même, est pour le moins malvenu à contester avoir été destinataire de l’ensemble des informations relatives au logiciel, notamment celles relatives au droit d’accès et de modification.

Au demeurant, le mail qu’il a adressé à Mme [D] le 12 juin 2018 confirme qu’il savait parfaitement avoir outrepassé ses droits sur le logiciel :

« Je ne vais pas chercher à me justifier ou te demander pardon, ce qui serait trop facile, vu que le mal est fait.

Je sais que tu vas en faire une histoire personnelle, en bonne capricorne que tu es, et c’est totalement justifié.

Mon intention n’était vraiment pas de te nuire, mais au final avec mes conneries, je sais que madame [K] va-t’en mettre plein la gueule.

Dans la mesure où je n’ai pas tendance à me défausser, j’assurais mes actes, et récolterait ce que j’ai semé, c’est le jeu. »

Le témoignage de M. [V], directeur informatique, vient confirmer que M. [R] avait pleinement conscience que ses actes étaient prohibés :

« J’ai reçu dans la foulée un email de [N] m’indiquant que c’est lui qui avait modifié le compte administrateur pour démontrer un problème de sécurité. »

Enfin, il convient de relever que le salarié reconnaît aux termes des écritures déposées au soutien de son appel, avoir utilisé le compte administrateur pour démontrer les dysfonctionnements dans l’utilisation du logiciel, ce qui confirme qu’il avait une parfaite connaissance de son utilisation.

En considération de l’ensemble de ces éléments, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a constaté que les extraits du logiciel OCTIME sont recevables et a donc débouté M. [R] de sa demande tendant à les voir déclarer irrecevables.

2/ Sur le licenciement

M. [R] conteste la légitimité de son licenciement en soutenant, en premier lieu qu’il a utilisé les codes auxquels il avait accès pour démontrer l’insécurité du système, qu’il n’a pas caché son intervention et en a fait état très rapidement en rectifiant l’information modifiée et, en second lieu que l’utilisation excessive et opaque du logiciel qui lui est reprochée n’est pas établie. Il considère, en tout état de cause, ne pas avoir violé la charte informatique, avoir seulement agi maladroitement, considérant que la sanction est disproportionnée notamment au regard de son absence d’antécédent disciplinaire, de son ancienneté, du fait que son travail donnait entière satisfaction, et qu’il n’a pas opéré de piratage.

La société réplique que M. [R] a toujours reconnu la réalité des faits, que les extraits de mouvements du logiciel et le message électronique de Mme [B] démontrent les manipulations auxquelles il s’est livré, et que c’est uniquement après avoir eu connaissance de l’alerte donnée par le service informatique, que M. [R] a tenté de justifier ses manipulations, d’ailleurs en critiquant et en dénigrant les collaborateurs de l’entreprise.

Il observe que les investigations complémentaires ont révélé que M. [R] faisait, depuis plusieurs mois, une utilisation non conforme du logiciel, faits pour lesquels il ne s’est pas dénoncé.

Il souligne la gravité des agissements de M. [R] qui touchent à la sécurité informatique et qu’au-delà d’une grave violation des dispositions de la charte informatique, ses agissements sont pénalement réprimés. Son comportement est d’autant plus grave qu’il avait déjà commis précédemment des manipulations frauduleuses des données du logiciel.

Il relève enfin que le salarié ne peut utilement se prévaloir, ni du délai pris pour enclencher la procédure de licenciement dès lors que les faits ne sont pas prescrits, et qu’il a tenu à clôturer l’enquête avant de le convoquer, ni de l’absence de mise à pied conservatoire, une telle mise à pied ne conditionnant pas le licenciement pour faute grave, d’autant que des mesures conservatoires avaient été prises à son égard par le service informatique qui lui avait retiré ses codes d’accès.

Sur ce :

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, il est reproché à M. [R] d’avoir :

– le 7 juin 2018, alors qu’il était en charge de la paie du mois, pénétré dans le logiciel OCTIME Admin (auquel il n’a pas accès), supprimé avec le compte Administrateur qui ne lui appartenait pas, sa demi-journée de prise de CP du 22 mai précédent, puis de l’avoir rajoutée après avoir appris que l’Administrateur s’en était rendu compte,

– passé beaucoup de temps à faire des mouvements d’ajouts ou de suppressions d’événements passés sur ce logiciel, cette utilisation excessive, opaque et inexpliquée qui va bien au-delà de l’usage normal qu’il devait en faire, ayant été découverte à la suite de l’enquête menée en parallèle.

Sur les faits du 7 juin 2018

Aux termes de son contrat de travail M. [R] s’est engagé « à observer toutes les instructions et consignes particulières de travail qui lui seront données ».

La charte d’utilisation du système d’information interne à la société GMP, qui a pour objet de rappeler et définir les règles de fonctionnement et d’utilisation du système, notamment du logiciel litigieux, et qui s’applique expressément à tous les utilisateurs autorisés du système, dont M. [R] ne conteste pas faire partie, prévoit qu’un administrateur est désigné qui veille à la protection, à la maintenance et au bon fonctionnement du système, que l’accès au réseau est sécurisé par des mots de passe communiqués individuellement aux utilisateurs, et que chaque utilisateur du réseau informatique s’engage à ne pas accomplir d’opérations qui auraient pour but de changer ou de détruire des informations sur un des systèmes connectés au réseau.

La charte prévoit également que si « quelqu’un s’introduit dans le système d’information de GMP sans autorisation, cela peut être considéré comme une infraction (le fait d’accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende (Article 323-1 alinéa 1 du Code pénal. »

Or, il ressort du relevé des mouvements de M. [R] sur le logiciel OCTIME, qu’il a utilisé, non pas son code d’accès mais le code Administrateur pour, le 7 juin 2018 :

à 10h13, supprimer un événement le concernant correspondant à une demi-journée de congés payés le 22 mai précédent,

à 11h50, ajouter de nouveau cet événement.

Mme [D], responsable RH, atteste que :

« Le lundi 11 juin 2018, j’ai trouvé 1 mail de Mme [K] [Z] qui me faisait part de son mécontentement suite aux agissements de Mr [R] [N]. En effet, durant mes congés (du 6 au 8 juin 2018 inclus), il avait utilisé mon mot de passe administrateur du logiciel de gestion du temps, afin de modifier le mot de passe d’un autre compte et ceci afin de transformer de façon « anonyme » ses congés et récupérations.

Il s’est avéré que Mr [R] [N] a réussi « informatiquement » à pirater mon mot de passe d’administrateur et qu’à aucun moment je ne lui avais donné. Il a donc utilisé mon compte administrateur en mon absence, à mon insu. »

Le 12 juin suivant, M. [R] a adressé le mail d’excuses à Mme [D] aux termes duquel il reconnaît ses « conneries » et assumer ses actes. S’il ne vise pas expressément l’utilisation frauduleuse du mot de passe administrateur de Mme [D] pour modifier ses congés, la concordance entre les dates permet néanmoins de confirmer qu’il s’agissait bien des faits qui lui sont reprochés.

Si M. [R] reconnaît tant la matérialité des faits que leur imputabilité, il tente en revanche de minimiser leur gravité en prétendant qu’il disposait du code d’accès et de les justifier par sa volonté d’alerter l’employeur sur un dysfonctionnement du système.

Alors que M. [R] ne justifie pas de ses allégations, Mme [D] atteste qu’il ne disposait pas de son mot de passe utilisateur et il ressort du témoignage de M. [V], directeur informatique, que ce n’est qu’après que son équipe l’ait alerté sur la modification du compte administrateur effectuée sur le poste de M. [R], que ce dernier lui a envoyé un mail aux termes duquel il prétendait avoir seulement voulu démontrer un problème de sécurité.

En tout état de cause et quelle qu’ait pu être sa motivation, le comportement de M. [R] demeure gravement fautif.

Nonobstant son ancienneté et le fait qu’il n’ait jamais été préalablement sanctionné, ce manquement à l’obligation particulière de loyauté et de probité mais également à ses obligations contractuelles rendait effectivement impossible son maintien dans l’entreprise et constituait une faute grave.

Ainsi et sans qu’il y ait lieu de s’attacher aux autres griefs invoqués dans la lettre de notification de la rupture, il convient de confirmer la décision entreprise qui a jugé le licenciement justifié par une faute grave et a, en conséquence, débouté M. [R] de sa demande tendant à voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des demandes qui en sont l’accessoires.

3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu de condamner M. [R], appelant succombant, aux dépens d’appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’employeur les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement qui l’a condamné à verser à l’employeur la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de le condamner à lui verser sur ce même fondement une somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil des prud’hommes du Havre le 26 janvier 2021 ;

Y ajoutant,

Condamne M. [R] à payer à la société GMP la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [R] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [R] aux entiers dépens d’appel.

La greffière La présidente

 


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