Charte informatique : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08125

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Charte informatique : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08125

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/08125 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCXQP

Décision déférée à la Cour : jugement du 23 octobre 2014 rendu par le Conseil de Prud’hommes, formation paritaire de Paris – RG n° 12/01947, infirmé partiellement par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 16 mars 2017, cassé partiellement par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 25 novembre 2020.

DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

M. [Z] [P]

Elisant domicile au cabinet de Me Zanotto

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Michel ZANOTTO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0647

DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

AGENCE FRANCE PRESSE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Barbara MOLLET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie FRENOY, Présidente de chambre

Mme Corinne JACQUEMIN, Conseillère

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Z] [P] a été engagé par l’Agence France Presse par contrat à durée indéterminée du 9 septembre 1991, en qualité de délégué commercial.

Dans le dernier état de la relation de travail, il occupait les fonctions de Responsable du contrôle et de la valorisation des usages numériques, coefficient 397 de la convention collective des cadres administratifs de l’AFP, au sein de la Direction Commerciale et Marketing Groupe, et ce depuis le 1er juin 2014.

Il a été désigné Correspondant Informatique et Libertés le 30 octobre 2013.

Souhaitant obtenir paiement de diverses sommes, M. [P] a saisi le 17 février 2012 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 23 octobre 2014, notifié aux parties par lettre du 28 novembre 2014, a :

-condamné l’Agence France Presse à lui verser:

*3 205 euros à titre de treizième mois,

*8 389 euros à titre d’ancienneté,

*1 924 euros à titre de RTT,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 23 février 2012,

-rappelé qu’en vertu de l’article R1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

-fixé cette moyenne à la somme de 7 097 euros,

*100 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

*700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-débouté M. [P] du surplus de ses demandes,

-reçu l’Agence France Presse en sa demande reconventionnelle mais l’en a déboutée,

-condamné l’Agence France Presse aux dépens.

Par déclaration du 19 décembre 2014, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

L’appel incident de l’AFP a été joint à l’appel principal.

Le 27 février 2015, l’AFP a convoqué M.[P] à un entretien préalable fixé au 10 mars suivant, l’a mis à pied à titre conservatoire et par courrier du 23 mars 2015, lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Par arrêt du 16 mars 2017, la cour d’appel de Paris a :

-infirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 23 octobre 2014 sur les congés d’ancienneté, le 13ème mois et les dommages- intérêts pour résistance abusive de l’AFP,

statuant à nouveau sur ces chefs de demande,

-débouté M. [P] de ses demandes au titre des congés d’ancienneté et pour résistance abusive,

-condamné l’Agence France Presse à payer à M.[P] les sommes de :

-293,76 euros au titre du 13ème mois de l’année 2007,

-291,66 euros au titre du 13ème mois de l’année 2008,

-176,25 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de RTT pour l’année 2007,

-175 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de RTT pour l’année 2008,

-débouté M. [P] de sa demande au titre du congé d’ancienneté,

-confirmé le jugement en ses autres dispositions,

y ajoutant,

-dit fondé le licenciement de M.[P],

-condamné l’Agence France Presse à payer à M. [P] les sommes de :

-352,51 euros à titre de rappel d’indemnités de congés payés 2007,

-350 euros à titre de rappel d’indemnités de congés payés 2008,

avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2016,

-condamné l’Agence France Presse à payer à M. [P] la somme de 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

-débouté les parties de leurs autres demandes,

-condamné l’AFP aux dépens.

La Cour de cassation, par arrêt du 25 novembre 2020, a cassé et annulé mais seulement en ce qu’il juge le licenciement de M. [P] fondé sur une faute grave et le déboute en conséquence de sa demande principale de réintégration et de ses demandes subsidiaires d’indemnité de préavis et de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt rendu le 16 mars 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Paris  et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Par saisine du 1er décembre 2020, M. [P] a saisi la juidiction désignée du renvoi.

Dans ses dernières conclusions développées à l’audience, M. [P] demande à la cour :

-de le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

en conséquence,

-de constater que l’AFP a méconnu les garanties de fond instaurées par l’article 32 de son règlement intérieur et l’article 51 de la convention d’entreprise applicable à ses cadres administratifs,

-de constater que les griefs invoqués ne rendaient pas impossible le maintien de Monsieur [P] au sein de l’Agence durant un préavis,

-de constater, également, que l’imputabilité des griefs invoqués n’est pas rapportée,

en tant que de besoin,

-de constater que l’AFP a installé et utilisé un logiciel permettant un traitement de données à caractère personnel sans jamais avoir informé Monsieur [P] ni les représentants des salariés et en méconnaissance de son obligation déclarative auprès de la CNIL,

-de constater, encore, que l’utilisation par l’AFP d’un dispositif clandestin constitue un procédé d’obtention de preuve déloyal,

-de constater, enfin, que le dispositif retenu par l’AFP n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et que l’atteinte à la vie personnelle que sa mise en ‘uvre impliquait ne demeurait pas proportionnée au but poursuivi,

en conséquence,

-de déclarer irrecevables et, par suite, inopposables à Monsieur [P], les résultats de l’expertise informatique, non contradictoire, réalisée par l’AFP,

dans tous les cas,

-de dire et juger que le licenciement de Monsieur [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

à titre principal :

-d’ordonner la réintégration de Monsieur [P] au sein de l’AFP,

-de condamner l’AFP à verser à Monsieur [P] la somme de 334 806 euros, sauf à parfaire, à titre d’indemnité compensatrice de perte de rémunération,

à titre subsidiaire :

-de condamner l’AFP à verser à Monsieur [P] les sommes de :

-23 084 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

-2 308,40 euros à titre de congés afférents,

-134 652 euros à titre d’indemnité de licenciement,

-184 666 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-de dire et juger que l’ensemble des condamnations seront assorties de l’intérêt de droit à compter de l’introduction de l’instance,

-de condamner l’AFP aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions soutenues oralement, l’AFP demande à la cour :

à titre principal :

-de constater que le licenciement de Monsieur [P] repose sur une faute grave, -de dire et juger que Monsieur [P] ne peut pas reprocher à l’AFP un défaut de déclaration CNIL alors qu’il lui appartenait en tant que CIL de tenir le registre de traitement,

-de dire et juger que la preuve utilisée par l’AFP était indispensable et ne portait pas atteinte à la vie privée et personnelle de Monsieur [P],

-de dire et juger que la procédure de licenciement est régulière,

-de débouter Monsieur [P] de ses demandes au titre du licenciement,

à titre subsidiaire :

-de dire et juger le licenciement de Monsieur [P] comme ayant une cause réelle et sérieuse,

à titre infiniment subsidiaire :

-de constater que l’AFP s’oppose à la réintégration de Monsieur [P],

-de débouter Monsieur [P] de sa demande de réintégration,

-de fixer l’indemnité de licenciement de Monsieur [P] à 133 181,66 euros bruts, -de fixer l’indemnité de préavis de Monsieur [P] à 21 074,91 euros bruts, -de fixer le montant des dommages et intérêts de Monsieur [P] à 6 mois de salaire maximum, soit 42 149,82 euros bruts,

en tout état de cause :

-de condamner Monsieur [P] à la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

-de condamner Monsieur [P] aux entiers dépens.

L’audience de plaidoiries a été fixée au 23 juin 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

La lettre de licenciement adressée le 23 mars 2015 à M. [P] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

‘Le vendredi 30 janvier 2015, une salariée du service commercial France de l’AFP reçoit un appel de son client, l’Européenne de Donnée (EDD), pour lui faire part d’incidents répétés sur son serveur. Face à la gravité des faits, la salariée transfère cet appel au Directeur Marketing de l’AFP. M…. (PDG de l’EDD) et M…. ( Directeur général de l’EDD) lui indiquent avoir reçu via le formulaire de contact de leur site de fausses demandes de renseignements.

Ces demandes ont été émises au nom de sociétés dont certaines sont clientes de l’EDD et d’autres qui ne le sont pas. Chacune de ces demandes comporte le nom et les coordonnées (mail) des personnes qui les envoient. Or, toutes ces demandes comportaient le même message: « consultation de dépêches AFP et alerte par mail ». L’EDD décide donc de faire intervenir son service commercial et interroge une des clientes qui auraient fait une de ces demandes. Cette dernière leur répond qu’aucune demande n’a été émise.

Après enquête interne, effectivement, l’EDD découvre en consultant les logs de connexion sur son serveur que toutes ces demandes sont en fait des requêtes provenant d’un serveur dont le numéro d’IP est une adresse AFP.

L’EDD envoie au Directeur Marketing de l’AFP le détail de ces 5 demandes. L’AFP découvre que ces demandes ont été émises à des noms et coordonnées de personnes qui sont ses propres clients. L’AFP procède alors à sa propre enquête interne grâce aux documents techniques fournis par l’EDD pour vérifier si quelqu’un de l’AFP s’est connecté à l’EDD via le serveur dont l’adresse IP lui a été fournie par l’EDD. Le résultat de ces recherches démontre que ces connexions proviennent de votre ordinateur.

Ces faits vous ont été exposés le 10 mars 2015 lors de l’entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’à un licenciement auquel nous vous avions convoqué et auquel vous vous êtes présenté accompagné de M. [N].

Malgré l’évidence des faits, vous avez nié être à l’origine de cette usurpation de données informatiques et, par conséquent, de l’usurpation de l’identité de clients de l’AFP pour faire des demandes auprès d’un service partenaire.

Nous vous avons précisé que le rapport établi par un expert informatique sous contrôle d’huissier démontrait que les messages de réclamation adressés à l’EDD émanaient bien de votre ordinateur. Or, compte tenu des heures de connexion, réparties tout au long de la journée, et de leur durée, jusqu’à 11 minutes, il n’était pas possible qu’une autre personne que vous ait pu utiliser votre ordinateur à votre insu pendant cette journée du 30 janvier 2015.

Vous nous avez dit ne pas comprendre ce qui avait pu se passer et avez contesté une nouvelle fois être à l’origine de cette usurpation de données informatiques.

Au-delà du caractère intrinsèquement grave des faits commis, qui constituent une violation de multiples règles fondamentales, parmi lesquelles, l’obligation de loyauté contractuelle, l’obligation de secret et de discrétion, et l’obligation d’utilisation conforme des moyens informatiques de l’entreprise, nous vous avons précisé que ce type de manipulation avait pour conséquence :

– une détérioration de la relation de confiance entre l’AFP et son partenaire de distribution ;

– une détérioration potentielle de la relation client de l’AFP et une possible perte de chiffre d’affaires : les clients de l’AFP pouvant se détourner des services de l’AFP au profit de tiers.

De surcroît, l’usurpation d’identité à travers des manipulations informatiques auprès de sociétés extérieures à l’AFP peut entraîner des contentieux juridiques avec nos clients ainsi que nos partenaires. Enfin des informations confidentielles (nom des sociétés clientes de l’AFP non client de l’EDD) ont été divulguées à notre partenaire, ce qui constitue un acte grave.

Suite à cet entretien et sur l’insistance de M.[N], nous avons revalidé avec la Direction des Systèmes d’Information que les logs n’avaient pas pu être modifiés, confirmant ainsi que les messages envoyés à l’EDD émanaient de façon certaine de votre ordinateur.

Aussi, compte tenu de l’évidence des faits constatés, malgré vos dénégations, et de leur gravité, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnités. Votre mise à pied à titre conservatoire vous sera néanmoins payée’.

L’AFP, qui reproche à M. [P] d’avoir violé son obligation de loyauté contractuelle, son obligation de secret et de discrétion, ainsi que son obligation d’utilisation conforme des moyens informatiques de la structure par l’usurpation de l’identité des cinq clients et la transmission de fausses demandes à l’Européenne de Données (EDD) pour tenter de détourner d’elle cette clientèle, soutient que le licenciement pour faute grave est légitimé par la preuve qu’elle rapporte de ce que l’adresse IP d’où les e-mails litigieux ont été expédiés correspond au compte de ce salarié et invoque le croisement des informations transmises par l’EDD, celles issues de la visualisation des connexions depuis le serveur de l’AFP vers celui de l’EDD le 30 janvier 2015 avec les données de journalisation issues du logiciel Radar Log Manager, informations constatées par huissier le 20 février 2015.

M.[P] conteste les faits qui lui sont reprochés, considère la preuve rapportée à son encontre déloyale et insuffisante à démontrer sa responsabilité dans les envois litigieux et soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a relevé que ‘ l’exploitation des fichiers de journalisation, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, et était ainsi soumise aux formalités préalables à la mise en ‘uvre de tels traitements prévues au chapitre IV de ladite loi, ce dont il résultait que la preuve était illicite (…)’

Sur l’illicéité de la preuve et ses conséquences

L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

A ce sujet, M. [P] considère que son employeur aurait pu, dans une démarche équitable, recourir à des moyens de preuve alternatifs, conduire une enquête contradictoire par l’audition de toute personne susceptible d’être impliquée, et procéder à des investigations utiles, d’autant que son poste de travail était situé dans un open space. Il fait valoir que l’atteinte à sa vie privée occasionnée par le dispositif retenu par l’AFP est totalement disproportionnée au regard de la nature des faits dénoncés, lesquels sont d’une portée très relative puisque circonscrits à un seul partenaire sur une seule journée et n’ont donné lieu à aucune plainte, ni induit aucun préjudice – les relations d’affaires avec les parties concernées n’ayant pas été affectées-. Il reproche à son employeur de s’être contenté de cette seule preuve, déloyale et disproportionnée, alors que la seule consultation des logs ne permettait aucune conclusion incontestable puisqu’ils n’avaient pas été stockés auprès d’un tiers de confiance pouvant garantir une neutralité impartiale, et alors qu’un délai de trois semaines s’était écoulé entre les faits reprochés et l’expertise.

L’AFP, après avoir rappelé que le caractère illicite de la preuve n’a pas pour effet de l’écarter automatiquement, soutient qu’elle démontre la faute grave commise par M. [P] au moyen de l’e-mail de l’EDD en date du 30 janvier 2015 faisant état des fausses demandes et transmettant l’adresse IP d’envoi des messages litigieux, le constat d’huissier du 20 février 2015 relatant la recherche de l’adresse IP d’envoi desdits messages (sans accès à la messagerie personnelle du salarié), ainsi que le fichier de journalisation, qui sont des preuves loyales obtenues a posteriori et sans mise en ‘uvre d’un stratagème, d’autant que le salarié avait évidemment connaissance du dispositif de journalisation des adresses IP (visé au surplus dans la charte informatique de l’entreprise). L’Agence France Presse affirme que les éléments de preuve produits sont indispensables à l’exercice de son droit à la preuve, qu’aucune enquête contradictoire n’aurait permis d’identifier l’auteur des messages litigieux, qu’aucun des salariés présents au moment des faits ne pouvait constater les agissements de leur collègue, sauf à scruter ses faits et gestes pendant plusieurs dizaines de minutes, considère que les relevés de badgeage et la vidéosurveillance sont encore plus intrusifs que l’analyse des connexions, ce dernier moyen étant le seul, et le moins intrusif, pour démontrer que M. [P] était l’expéditeur des e-mails litigieux. Elle rappelle que les informations obtenues par ce moyen n’ont pas été utilisées à d’autres fins que l’identification et la sanction de l’auteur des envois et considère qu’aucune atteinte disproportionnée au droit à la vie personnelle de M. [P] n’est caractérisée, comme l’a d’ailleurs souligné l’avocat général dans son avis à la Cour de cassation.

En considération des éléments recueillis aux débats, il s’avère que la nature des faits reprochés dans la lettre de licenciement supposait nécessairement, de la part de l’employeur cherchant à sanctionner l’auteur des messages électroniques litigieux, l’identification précise de l’ordinateur ayant permis ces envois.

Il est établi que l’exploitation des fichiers de journalisation tendant à la détermination d’une adresse IP était indispensable pour l’identification de l’auteur des messages litigieux, dont la réalité n’est pas contestée et qui est avérée par le courriel de l’EDD du 30 janvier 2015 dénonçant, comme l’indique son objet, une ‘fausse demande de renseignements’ainsi que par les captures d’écran de la plate-forme de log htpp et par les 5 e-mails reçus, joints en annexe dudit courriel.

La recherche de l’ordinateur ayant émis ces cinq messages, émissions susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur l’activité, les relations commerciales et la réputation de l’AFP et sources de risques de contentieux à l’occasion de la divulgation d’informations confidentielles relatives à sa clientèle, était donc légitime, d’autant qu’il n’est pas contesté que les recherches, effectuées a posteriori, une fois l’alerte lancée par le partenaire de l’employeur, ont été ponctuelles et que les résultats ainsi obtenus a posteriori, ont servi uniquement au but poursuivi, à savoir l’identification et la sanction de l’auteur des messages.

Les éléments obtenus – à savoir diverses données remontant à l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux envois litigieux- sont issus d’une méthode intrusive, susceptible de porter atteinte à la vie personnelle du salarié en ce qu’elle a tracé et recoupé l’activité effectuée le 30 janvier 2015 sur l’ordinateur qui lui est affecté ; toutefois, cette intrusion a été circonscrite au but légitime poursuivi par l’employeur et à son droit à la preuve, ayant été limitée dans le temps – de 8h à 18h01 ( selon les mentions du procès-verbal de l’huissier), sur une plage horaire adaptée eu égard aux heures d’envoi des messages litigieux entre 12h14 et 15 h, sur un seul jour, le 30 janvier 2015 – et seulement axée sur la recherche de la localisation IP de l’ordinateur émetteur.

Par conséquent, l’utilisation par l’AFP de cette preuve tirée de l’exploitation des fichiers de journalisation, production indispensable au droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi alors que ses intérêts et son image étaient en jeu, nonobstant l’atteinte limitée portée à la vie personnelle de M. [P], était légitime et n’a pas préjudicié à l’équité de la procédure dans son ensemble.

Sur l’imputabilité des faits reprochés

M. [P] considère que son employeur aurait dû s’assurer qu’il était bien présent devant l’ordinateur incriminé aux horaires indiqués et que le poste qui lui était dédié n’avait subi aucune intervention directe ou à distance, que la preuve en tout état de cause de sa présence au moment des faits n’est pas rapportée, pas plus que celle de la non-intervention d’un tiers sur l’ordinateur identifié comme à l’origine des messages. Il fait valoir que son outil informatique avait étrangement connu des dysfonctionnements fin janvier – début février 2015, qu’une action malveillante interne ne pouvait être écartée compte tenu des difficultés antérieurement rencontrées avec certains salariés du service informatique, d’autant que les horaires de connexion pour trois des messages correspondent à l’heure du déjeuner. Il maintient sa contestation des faits et, leur imputabilité n’étant pas démontrée, considère son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L’Agence France Presse considère l’argumentaire adverse peu sérieux, M. [P] ne pouvant prétendre qu’une autre personne ait pu prendre sa place à son poste de travail sans qu’il s’en aperçoive, compte tenu de la durée de certaines connexions (parfois pendant 11 minutes) sur une plage horaire de 3 heures et 15 minutes, que les autres salariés se seraient nécessairement aperçus de l’intervention d’un autre utilisateur, surtout à cinq reprises, que tout contrôle à distance de l’ordinateur aurait laissé une trace, que l’accès à distance par VPN se fait au moyen d’informations personnelles et confidentielles (login et mot de passe), que deux sessions ne peuvent être ouvertes simultanément sur le même appareil et qu’aucun problème de sécurité n’avait été signalé sur son compte utilisateur. En l’état des constatations informatiques faites par l’huissier, elle estime pouvoir conclure sans le moindre doute que M. [P] est bien à l’origine des messages frauduleux, d’autant qu’il n’explique pas comment son adresse aurait pu être piratée ou les logs altérés.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Alors que la preuve de l’imputabilité des faits reprochés au soutien du licenciement incombe à l’employeur qui ne saurait se retrancher derrière l’absence d’explications du salarié, l’identification de l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux envois incriminés ne saurait suffire, en l’espèce, à démontrer que M. [P] est l’auteur de ces envois, notamment en raison de la situation de son poste de travail au sein d’un open space, et en l’absence de tout élément consacrant sa présence aux horaires d’émissions des messages litigieux sur ledit poste de travail, lequel est dépourvu de système de verrouillage immédiat et automatique puisque la charte informatique de l’AFP demande à chaque utilisateur de fermer ‘systématiquement les sessions en cours lorsqu’il quitte son poste de travail’.

Au surplus, les éléments communiqués par l’employeur à M. [P] à l’occasion de son entretien préalable (cf le compte rendu d’entretien préalable (pièce n°10 du salarié), dont la teneur n’est pas contestée par l’AFP, selon lequel un des représentants de l’employeur est décrit comme ayant ‘dit avoir alors confié l’enquête interne à l’un de ses chefs de service (…), cadre administratif du marketing. Ce dernier se serait rapproché des services techniques de l’Agence afin de faire effectuer une recherche sur l’auteur de cette exploitation et après avoir consulté un fichier des logs, il lui a été permis d’identifier l’origine des connexions au serveur de l’EDD comme provenant du poste de travail de M. [P]. La décision a ensuite été prise de faire appel à un huissier et à un expert informatique chargé de valider les logs internes qui leur ont été présentés’), éléments confirmés indirectement par le déroulement des opérations constatées par l’huissier de justice dans son procès-verbal du 20 février 2015, relatant qu’après plusieurs opérations successives d’identification d’une adresse IP d’émission,’l’expert informatique ajoute au filtre précédent «user name »:H[P]’, sans faire état d’une recherche ou d’un quelconque tâtonnement à ce stade, faisant ainsi correspondre cet ‘user name’ à l’adresse IP litigieuse, permettent d’entériner que diverses recherches et investigations avaient été effectuées au sein du système informatique de l’AFP, avant le procès-verbal de constat.

Cette situation ainsi que le laps de temps écoulé entre le mail d’alerte de l’EDD et la saisine de l’huissier, sans qu’aucune garantie ne soit présentée quant à la sécurité de la conservation des données informatiques contenues dans l’ordinateur de M. [P] et le serveur de l’AFP, alors que la Charte informatique prévoit que ‘ lorsque des activités susceptibles d’entraîner des dysfonctionnements techniques ou de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise sont détectées, une consignation complète des communications peut être effectuée à la demande du DSI’ (cf la pièce n°13 du dossier de M. [P]), rendent l’exploitation des fichiers de journalisation insuffisante à démontrer l’imputabilité des faits à M. [P].

D’ailleurs, dans la lettre de licenciement, l’employeur expose que ‘suite à cet entretien et sur l’insistance de M.[N], nous avons revalidé avec la Direction des Systèmes d’Information que les logs n’avaient pas pu être modifiés, confirmant ainsi que les messages envoyés à l’EDD émanaient de façon certaine de votre ordinateur’, mais ne produit aucun élément en ce sens, ni ne démontre les démarches de revalidation ainsi accomplies et leur pertinence.

En l’état des dénégations constantes de l’intéressé, il convient de constater que la preuve de l’imputabilité des faits qui lui sont reprochés n’est pas rapportée, le doute subsistant devant lui profiter au surplus.

Le licenciement doit donc être dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnisation du licenciement

M. [P] sollicite à titre principal sa réintégration, subséquemment le versement d’une indemnité compensatrice de perte de rémunération à compter d’avril 2015, date de son éviction jusqu’au jour de son retour à son poste, à savoir la somme de 334’806 €. À titre subsidiaire, invoquant un salaire de référence de 7 694,42 €, il réclame une indemnité compensatrice de préavis de 23’084 € et une indemnité de licenciement de 134’652 €.

Eu égard à son âge, 56 ans, au moment du licenciement, et à son ancienneté de 24 ans et 7 mois, il sollicite la somme de 184’666 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en considération de sa situation d’allocataire du Pôle Emploi.

L’AFP, à titre subsidiaire, sollicite que l’indemnité de licenciement qui pourrait être octroyée au salarié n’excède pas la somme de 133’181,66 €, compte tenu de son ancienneté de 23 ans et 7 mois et de son salaire de référence s’élevant à 7 610,38 €. À titre infiniment subsidiaire, elle conclut au débouté de la demande de réintégration, s’opposant fermement à cette option, et en l’absence de démonstration d’un préjudice justifiant l’octroi de plus de six mois de salaire, demande que seule la somme de 42 149,82 € soit octroyée à M. [P].

En l’espèce, la réintégration du salarié n’étant pas admise par l’employeur, en tenant compte de l’âge de l’intéressé au moment de la rupture, de son ancienneté ( 23 ans et 7 mois ), de son salaire moyen mensuel brut (soit 7 610,38 €), des justificatifs de sa situation de demandeur d’emploi après la rupture jusqu’en janvier 2016, il y a lieu de lui allouer la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l’article L1235-3 du code du travail dans sa version applicable en la cause.

Sur la base du salaire qui lui aurait été servi s’il avait exécuté son préavis, il convient d’accueillir la demande d’indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 21’074,91 €, ainsi que celle relative aux congés payés y afférents à hauteur de 10 % de cette somme.

L’AFP doit lui verser aussi la somme de 133’181,66 € à titre d’indemnité de licenciement, en considération de son ancienneté, par application de l’article 28 de la convention collective des cadres des agences de presse.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi (indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter du 9 juin 2016, date de l’audience de la cour d’appel à laquelle les demandes relatives à l’indemnisation du licenciement ont été présentées et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Les dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d’espèce, le licenciement de M. [P] étant sans cause réelle et sérieuse, d’ordonner le remboursement par l’AFP des indemnités chômage perçues par l’intéressé, dans la limite de six mois d’indemnités.

Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l’article R 1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 3 800 € à M. [P].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Dans la limite de la saisine de la Cour relativement au licenciement de M. [P], consécutivement au renvoi décidé par la Cour de cassation, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la demande de rappel d’indemnité d’ancienneté de 2007 à 2015 rejetée par l’arrêt du 16 mars 2017, moyen rejeté par la Cour de cassation, ni sur les autres dispositions tranchées par ledit arrêt d’appel,

CONFIRME le jugement de première instance relativement aux dépens et aux frais irréptibles,

Y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [Z] [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE l’Agence France Presse à payer à M. [P] les sommes de :

– 21 074,91€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 2 107,49 € au titre des congés payés y afférents,

– 133 181,66 € à titre d’indemnité de licenciement,

– 50 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 9 juin 2016 pour les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les frais irréptibles confirmés et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE le remboursement par l’Agence France Presse aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage payées à M. [P] dans la limite de six mois,

ORDONNE l’envoi par le greffe d’une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE l’Agence France Presse aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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