Cession de parts sociales : la clause de complément de prix

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Cession de parts sociales : la clause de complément de prix

Attention à bien préciser dans l’acte de cession de parts sociales, l’adresse de correspondance des parties, notamment en cas de représentation par un conseil.

En la cause, l’acte de cession des 31 juillet et 4 août 2015 stipule dans le paragraphe « complément de prix » :

« Le cédant devra adresser au cessionnaire l’appel de fonds correspondant à ce complément de prix.

Sans contestation de la part du cessionnaire, dans un délai de 12 jours ouvrés, le paiement devra parvenir dans les 30 jours ouvrés de la réception de l’appel de fonds correspondant au complément de prix.

En cas de contestation du cessionnaire et à défaut d’accord entre les parties, les parties conviennent de s’en remettre à l’arbitrage d’un expert. »

Les parties s’opposent sur le formalisme applicable à l’envoi de l’appel de fonds, l’appelante estimant que faute d’un envoi par Mme [N] en personne, adressé directement à la société Dream Energy et non à son conseil, le délai de 12 jours mentionné ci-dessus n’a pas couru contre elle.

Il est constant que l’appel de fonds n’a pas été adressé par Mme [N] en personne et n’a pas été envoyé directement à la société Artesol.

En effet, cet appel de fonds a été envoyé par un courrier daté du 26 septembre 2017 par le conseil de Mme [N] au conseil de la société Pautralec. On peut lire « la présente correspondance, qui est OFFICIELLE du fait de son contenu, vaut par conséquent appel de fonds de ce complément de prix de 190 000 euros » (pièce 11 de l’intimée).

La cour relève que s’il est indéniable que le paragraphe « complément de prix » rappelé ci-dessus ne mentionne que le « cédant » et le « cessionnaire », il n’impose toutefois aucun formalisme et n’exclut pas que les parties puissent être représentées.

Or il résulte de l’échange des courriers précités des 26 septembre et 13 novembre 2017 que c’est au nom de leur cliente respective que les conseils sont intervenus.

Il y a donc lieu de considérer que, contrairement à ce qu’allègue l’appelante, la lettre du 26 septembre 2017 constitue un appel de fonds régulier.

Résumé de l’affaire : Le 4 août 2015, la société Artea Environnement, maintenant Holding Dream Energy, a acquis toutes les parts de la société Prautelec, qui exploitait deux centrales hydroélectriques. La cession a inclus un prix de 200 000 euros pour une centrale et un complément de 190 000 euros pour l’autre, conditionné à un accord avec l’indivision [Y]. En janvier 2017, Prautelec a acquis le terrain nécessaire à l’exploitation de la centrale, et en mars 2017, le droit d’eau a été transféré à Prautelec. En septembre 2017, Mme [N] a demandé le paiement du complément de prix, que Dream Energy a refusé, arguant que les conditions n’étaient pas remplies. En mars 2021, Mme [N] a assigné Dream Energy, qui a été condamnée en juin 2022 à payer 190 000 euros avec intérêts. Dream Energy a fait appel de cette décision. En novembre 2023, Dream Energy a demandé l’infirmation du jugement, tandis que Mme [N] a demandé la confirmation de la décision initiale. La cour a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, condamnant Dream Energy aux dépens d’appel et à payer 5 000 euros à Mme [N] pour les frais non compris dans les dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 septembre 2024
Cour d’appel de Versailles
RG
22/04997
COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 35A

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 SEPTEMBRE 2024

N° RG 22/04997 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VLCB

AFFAIRE :

S.A.R.L. HODLING DREAM ENERGY

C/

[U] [N]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juin 2022 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° RG : 2021F00219

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Dan ZERHAT

Me Thierry VOITELLIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

APPELANT

S.A.R.L. HODLING DREAM ENERGY

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 – N° du dossier 22078134

Plaidant : Me Pauline DE SARS DE ROQUETTE substituée par Me Bénédicte HAMBURA de la SELARL ACT, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 311

****************

INTIME

Madame [U] [N] Agissant à titre personnel ainsi qu’en qualité d’héritière de Monsieur [H] [N], né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 9] (78), de nationalité française, décédé à [Localité 7] le [Date décès 1] 2016,

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentant : Me Thierry VOITELLIER de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 021595 –

Plaidant: Me Sébastien HAREL substitué par Me Paul PENCOLE de la SELARL CVS, avocat au barreau de RENNES, vestiaire :43

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Juin 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Ronan GUERLOT, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président,

Monsieur Cyril ROTH, Président,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

FAITS ET PROCEDURE,

 

Le 4 août 2015, la société Artea Environnement, anciennement Artesol Energie et désormais Holding Dream Energy (la société Dream Energy), a acquis l’intégralité des parts sociales de la société Prautelec détenues par Mme [U] [N] et par son frère, aujourd’hui décédé.

La société Prautelec exploitait deux centrales hydroélectriques, l’une située sur la commune de [Localité 10], cédée pour un prix de 200 000 euros, l’autre située sur la commune de [Localité 8], cédée moyennant le paiement d’un complément de prix de 190 000 euros conditionné à la mise en place d’un accord avec l’ancien bailleur, l’indivision [Y], portant sur la conclusion soit d’un nouveau bail emphytéotique, soit sur l’acquisition du terrain objet du bail, ainsi que le transfert du droit d’eau au bénéfice de la société Prautelec.

Le 12 janvier 2017, la société Prautelec a acquis auprès de l’indivision [Y] l’ensemble immobilier nécessaire à l’exploitation de la centrale [Localité 8].

 

Le 28 mars 2017, le préfet du Jura a transféré le droit d’eau à la société Prautelec.

 

Par courrier du 26 septembre 2017, Mme [N] a demandé à la société Holding Dream Energy de verser le complément de prix de 190 000 euros. Considérant que les conditions prévues au contrat de cession n’avaient pas été remplies, la société Dream Energy a refusé de payer le complément de prix.

 

Le 3 mars 2021, Mme [N] a assigné la société Dream Energy devant le tribunal de commerce de Versailles lequel par jugement contradictoire du 29 juin 2022, a :

– condamné la société Holding Dream Energy à payer à Mme [N] la somme de 190 000 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,67% à compter du 7 novembre 2017 ;

– ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

– débouté Mme [N] de sa demande de voir condamner la société Holding Dream Energy au paiement d’une amende civile de 5 000 euros ;

– débouté la société Holding Dream Energy de ses demandes reconventionnelles ;

– condamné la société Holding Dream Energy à payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Holding Dream Energy aux dépens.

 

Le 27 juillet 2022, la société Holding Dream Energy a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition la concernant.

 

Par dernières conclusions du 21 novembre 2023, elle demande à la cour de :

– infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

– condamné la société Dream Energy à lui payer la somme de 190 000 euros outre intérêts ;

– ordonné la capitalisation des intérêts ;

– débouté la société Dream Energy à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

– débouter Mme [N] de l’intégralité de ses demandes, fins et moyens ;

– condamner Mme [N] au paiement d’une somme de 75 600 euros en réparation du préjudice financier et de la perte de chance de contracter à un prix raisonnable, pour la société Holding Dream Energy ;

– condamner M. [N] au paiement d’une somme de 400 000 euros au titre de la perte de chance d’avoir pu conclure aux conditions financières initialement prévues ;

En tout état de cause,

– condamner Mme [N] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.

 

Par dernières conclusions du 13 novembre 2023, Mme [N] demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

            – condamné la société Holding Dream Energy à lui payer la somme de 190 000 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,67% à compter du 7 novembre 2017 ;

– ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

– condamné la société Holding Dream Energy à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Holding Dream Energy aux dépens ;

Sur les demandes indemnitaires formées par la société Holding Dream Energy,

A titre principal,

– déclarer la société Holding Dream Energy irrecevable en ses demandes ;

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Holding Dream Energy de ses demandes ;

En tout état de cause,

– condamner la société Holding Dream Energy à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens de l’instance.

 

La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 mai 2024.

 

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

 

1-      Sur la forclusion et le paiement du complément de prix

 

Répondant au moyen tiré de la forclusion de sa contestation du paiement du complément de prix, l’appelante expose d’abord que Mme [N] s’est affranchie du préalable de la procédure d’arbitrage prévue par le contrat de cession. Elle souligne que l’intention des parties était de ne pas soumettre un éventuel désaccord sur l’exigibilité du complément de prix aux juridictions.

Elle soutient ensuite que l’appel de fonds n’a pas été adressé selon les modalités prévues par le contrat et en déduit que le délai de contestation de 12 jours n’a pas pu courir à son encontre.

 

Mme [N] réplique que l’appelante est forclose car ses contestations ont été formulées au-delà du délai de 12 jours ouvrés à compter de son appel de fonds. Elle ajoute que la clause d’arbitrage ne vise que l’hypothèse où une contestation a été soulevée dans le délai de 12 jours de sorte que cette clause ne peut pas lui être opposée.

 

Réponse de la cour

 

L’acte de cession des 31 juillet et 4 août 2015 stipule dans le paragraphe « complément de prix » :

 « Le cédant devra adresser au cessionnaire l’appel de fonds correspondant à ce complément de prix.

Sans contestation de la part du cessionnaire, dans un délai de 12 jours ouvrés, le paiement devra parvenir dans les 30 jours ouvrés de la réception de l’appel de fonds correspondant au complément de prix.

En cas de contestation du cessionnaire et à défaut d’accord entre les parties, les parties conviennent de s’en remettre à l’arbitrage d’un expert. »

Les parties s’opposent sur le formalisme applicable à l’envoi de l’appel de fonds, l’appelante estimant que faute d’un envoi par Mme [N] en personne, adressé directement à la société Dream Energy et non à son conseil, le délai de 12 jours mentionné ci-dessus n’a pas couru contre elle.  

Il est constant que l’appel de fonds n’a pas été adressé par Mme [N] en personne et n’a pas été envoyé directement à la société Artesol. 

En effet, cet appel de fonds a été envoyé par un courrier daté du 26 septembre 2017 par le conseil de Mme [N] au conseil de la société Pautralec. On peut lire « la présente correspondance, qui est OFFICIELLE du fait de son contenu, vaut par conséquent appel de fonds de ce complément de prix de 190 000 euros » (pièce 11 de l’intimée).

La société Artesol a formalisé une contestation à l’encontre de cet appel de fonds par courrier officiel de son conseil daté du 13 novembre 2017 (pièce 12 de l’intimée).

La cour relève que s’il est indéniable que le paragraphe « complément de prix » rappelé ci-dessus ne mentionne que le « cédant » et le « cessionnaire », il n’impose toutefois aucun formalisme et n’exclut pas que les parties puissent être représentées.

Or il résulte de l’échange des courriers précités des 26 septembre et 13 novembre 2017 que c’est au nom de leur cliente respective que les conseils sont intervenus.

Il y a donc lieu de considérer que, contrairement à ce qu’allègue l’appelante, la lettre du 26 septembre 2017 constitue un appel de fonds régulier.

Les parties s’opposent également sur l’application de la clause d’arbitrage rappelée ci-dessus. Cette question suppose de savoir si les contestations de l’appelante ont été formulées par l’appelante dans le délai de 12 ouvrés de l’appel de fonds.

 

Il résulte des pièces versées aux débats que la société Dream Energy a manifesté son opposition à l’appel de fonds, par des lettres du 13 novembre 2017 (précitée), et du 15 février 2017 (pièce 21).

 

La cour relève que Mme [N] observe avec pertinence que l’appelante ne tire pas de conséquences précises du fait qu’elle n’aurait pas appliqué la clause « d’arbitrage » et qu’en tout état de cause, le recours préalable à un expert suppose qu’une contestation ait été régulièrement élevée par le cessionnaire.

Sur ce dernier point, elle fait valoir que le délai a couru à compter de la notification de l’appel de fonds par le cédant, soit à compter de sa lettre précitée, et soutient que ce délai a expiré le 12 octobre 2017, comme les premiers juges l’ont retenu.

Il résulte du contrat, qui stipule « sans contestation de la part du cessionnaire, dans un délai de 12 jours ouvrés, le paiement devra parvenir dans les 30 jours de la réception de l’appel de fonds », que le point de départ du délai est la date de la réception de l’appel de fonds.

 

Si, comme l’indique l’appelante, le courrier d’appel de fonds ne comporte pas d’accusé de réception, la cour relève toutefois que dans sa lettre de réponse, le conseil de l’appelante fait état de ce courrier. A cet égard, on peut lire « je reviens vers vous dans le cadre de l’affaire dont références en marge et fais suite à votre correspondance du 26 septembre qui m’est parvenue que très récemment’ »

Il en résulte que le conseil de l’appelante reconnaît avoir réceptionné le courrier daté du 26 septembre 2017.

Ainsi la cour retiendra la date du 26 septembre 2017 comme point de départ du délai de 12 jours ouvrés. Ce délai expirant le 12 octobre 2017 comme l’a retenu à juste titre le tribunal, la contestation a donc été émise tardivement. Dès lors, conformément à l’acte de cession, l’intimée est bien fondée à réclamer le complément de prix de 190 000 euros.

C’est donc à juste titre que le tribunal a considéré que l’appel de fonds a été notifié par cette lettre.

 De manière surabondante, la cour relève que les deux conditions sont réalisées.

 Sur cette question, la société Dream Enercy explique qu’elle n’est pas redevable du complément estimant que les conditions pour son paiement n’ont pas été réalisées selon les modalités prévues par le contrat de cession.

A ce titre, elle rappelle que le contrat conditionnait ce paiement à la réalisation de diligences des cédants aux fins d’obtenir d’une part, le transfert du droit d’eau à la société Prautelec et d’autre part, un accord du bailleur du terrain de [Localité 8] portant soit sur la conclusion d’un nouveau bail moyennant un loyer annuel maximum de 15 000 euros, soit sur un prix maximum de 400 000 euros pour l’acquisition du terrain. Elle soutient que cette dernière condition était plafonnée et fait en outre valoir que les parties avaient envisagé la possibilité que le complément ne fut pas dû dans la mesure où l’acte fait référence à un « éventuel » complément du prix par opposition à la situation où le complément du prix serait dû. Elle explique qu’elle n’a pas eu d’autre choix que d’accepter d’acquérir le terrain à un prix 3,5 fois plus élevé que celui convenu par le contrat afin d’exploiter la première centrale. Elle souligne que les installations techniques de celle-ci sont situées dans la seconde centrale située à [Localité 8]. Elle fait valoir que sans cette acquisition, l’économie de l’ensemble du contrat s’effondrait.

 

En réponse à l’intimée, elle conteste avoir empêché la réalisation des conditions et estime au contraire que des tiers ont empêché leur réalisation (à savoir le préfet qui a refusé le droit d’eau et l’indivision [Y] qui a refusé le prix de 400 000 euros).

Elle explique le complément du prix n’était dû qu’en cas de réalisation cumulative des deux conditions (droit d’eau et acquisition d’un titre sur le terrain) et fait surtout valoir que les modalités d’exécution des deux conditions font partie intégrante de la condition suspensive.

Sur le droit d’eau, elle fait valoir que l’intimée n’a accompli aucune diligence pour son obtention.

S’agissant de l’obtention de l’accord des consorts [Y], elle souligne également que l’intimée n’a accompli aucune diligence et que les conditions financières imposées par les consorts [Y] ont rendu impossible la conclusion d’un accord aux conditions prévues par le contrat. Elle en déduit que la condition ne s’est pas accomplie et conteste l’argument de l’intimée qui allègue que le seul cas dans lequel le complément n’est pas dû est l’hypothèse dans laquelle elle aurait renoncé à l’acquisition. Elle soutient au contraire que le fait d’accepter d’acquérir le bien 3,5 fois plus cher que le prix convenu dans l’acte de cession justifie de ne pas payer le complément du prix, les conditions prévues par le contrat n’étant pas ainsi respectées.

 

Subsidiairement, Mme [N] soutient que les deux conditions suspensives prévues par l’acte de cession ont été accomplies. Elle explique que, parce qu’au jour de la cession la société Prautelec ne disposait pas de toutes les autorisations pour faire fonctionner la centrale de [Localité 8], les parties ont convenu que le complément de prix ne serait versé que lorsque les conditions d’exploitation seraient réunies, à savoir le transfert du droit d’eau et l’acquisition d’un titre sur l’immobilier). Elle ajoute que ces conditions ont été érigées en conditions suspensives.

S’agissant de la première condition, elle soutient qu’elle est accomplie par le seul transfert du droit d’eau. Contestant les manquements qui lui sont reprochés, elle fait valoir que les cédants avaient mandaté la société Prautelec pour obtenir l’autorisation du droit d’eau. Elle en déduit qu’il importait peu que cette autorisation ait été donnée après la cession.

En ce qui concerne la seconde condition, elle considère que le complément de prix était dû même dans l’hypothèse où la société Artesol trouvait un accord avec l’indivision [Y] pour un prix d’acquisition du terrain supérieur à 400 000 euros.

Elle conteste en outre l’affirmation de l’appelante qui prétend que les deux centrales électriques sont dépendantes l’une de l’autre et fait observer à cet égard qu’elles sont éloignées de 130 km.

Contestant également avoir manqué à ses obligations, elle fait observer que le contrat prévoyait expressément que les démarches tendant à obtenir l’accord de l’indivision [Y] devaient être accomplies par les cessionnaires.

Répondant à l’appelante, elle termine en soulignant que la situation locative du terrain de [Localité 8] qui était détaillée dans l’acte de cession donc connue du cessionnaire, a conduit les parties à prévoir la condition relative à la conclusion d’un accord avec l’indivision [Y].

  

Le paragraphe « complément de prix » prévoit deux conditions « de déclenchement » du paiement du complément de prix libellées ainsi qu’il suit :

« Dès la mise en place d’un accord avec l’indivision [Y] et le cessionnaire et dès l’obtention du transfert du droit d’eau de son titulaire actuel au profit de la société Prautelec s’agissant des biens situés à [Localité 8] il sera dû par le cessionnaire au cédant 190 000 euros à titre de complément de prix.

Ledit complément de prix sera exigible et versé dès l’obtention par le cessionnaire d’un accord avec accord avec l’indivision [Y] et de l’obtention par le cédant du transfert du droit d’eau au profit de la société Prautelec relativement à la centrale de [Localité 8].

A cet effet, le cédant s’engage à procédant à toutes les formalités nécessaires au transfert, à profit de la société Prautelec du droit d’eau sur la centrale de [Localité 8].

D’autre part de convention express entre les parties, le cédant donne tous pouvoirs au cessionnaire à l’effet de négocier avec les consorts [Y] un bail emphytéotique à leur profit (‘)

Le cessionnaire s’engage à proposer aux consorts [Y] avant la date du 31 décembre 2034, et à maintenir sa proposition jusqu’à cette date :

–          Soit un nouveau loyer annuel de 15 000 euros HT, pour la conclusion d’un nouveau bail ;

–          Soit un prix maximum de 400 000 euros pour l’acquisition du terrain.

Dans le cas où le complément de prix serait dû, celui-ci sera payable par le cessionnaire au cédant, le jour de la constatation du transfert du droit d’eau et de l’accord avec les consorts [Y]. »

En l’espèce, le droit d’eau a été transféré à la société Prautelec par arrêté du préfet du Jura portant changement du bénéficiaire de l’autorisation d’exploiter de la micro-centrale hydroélectrique [Localité 8] du 28 mars 2017 (pièce 9 de l’intimée).

L’appelante soutient que contrairement à la lettre de l’acte de cession, Mme [N] n’a pas respecté les modalités de l’accord mettant à sa charge les formalités de transfert du droit d’eau.

 

La cour relève que Mme [N] ne conteste pas que l’acte de cession mettait à sa charge le soin de procéder aux formalités de transfert du droit d’eau et que pour sa part, l’appelante ne discute pas que le dirigeant de la société Pautelec a pris l’initiative de solliciter lui-même le transfert du droit et qu’il a fait signer une déclaration en ce sens à Mme [N],

 

A cet égard, la cour constate :

 

–          que le 16 octobre 2016, Mme [N] a signé une déclaration (pièce 6-1) dans laquelle elle indique que la centrale de [Localité 8] est exploitée par la société Prautelec et qu’elle sollicite que le droit soit transféré à cette dernière ;

–          que par lettre du 21 décembre 2015 adressée à la DDT du Jura, service de l’eau, des risques de l’environnement et de la forêt, M. [L], représentant de la société Pautrelec sollicite la poursuite de l’instruction du droit d’eau. On peut lire : « par courrier en date du 27 octobre 2015, mon mandataire, la SAS ATESyn, vous a transmis un dossier relatif au changement de bénéficiaire de l’arrêté préfectoral du 15 janvier 2004 autorisant la centrale hydroélectrique à [Localité 8] pour une durée de trente ans (‘) Par votre courrier du 10 décembre 2015, vous accusez réception du dossier précité. Au-delà de la complétude du dossier de demande de changement de bénéficiaire, que vous ne mettez pas en question, vous sollicitez des précisions sur la relation civile entre l’indivision [Y] et [M] [N], décédé, et demandez que la SARL Pautrelec, destinataire de l’autorisation, justifie du bail emphytéotique qui unissait autrefois les consorts [Y] et [M] [N] (‘) Cette requête formulée dans votre courrier du 10 décembre 2015 sort du champ d’application de l’article R. 214-45 du code de l’environnement. Je vous demande en conséquence d’instruire la demande de changement de bénéficiaire transmise le 27 octobre 2016 conformément aux dispositions de l’article R 214-45 (‘) Lorsque la SARL Prautelec sera établie dans ses droits, alors je vous apporterais, si vous le souhaitez, toute information utile sur la disposition des terrains d’assise de la centrale (‘) que vous avez autorisé par arrêté préfectoral du 15 janvier 2004, pour une durée de 30 ans. » (pièce 6-2)

Au regard de ces éléments, c’est de manière pertinente que Mme [N] fait valoir que contrairement à la lettre du contrat, le dirigeant d’Artesol a pris l’initiative de solliciter le transfert du droit d’eau.

De là il résulte que l’appelante ne peut utilement alléguer que Mme [N] aurait manqué à ses obligations contractuelles. De surcroît et en tout état de cause, ce moyen est sans portée dès lors que le contrat de cession stipule clairement que le complément du prix est dû dès le transfert du droit et dès l’obtention d’un accord avec l’indivision [Y], seconde condition démontrée ci-après.

S’agissant de la seconde condition, il est constant qu’un accord a été conclu avec l’indivision [Y] conduisant à l’acquisition le 12 janvier 2017 d’un ensemble de biens nécessaires à l’exploitation de la centrale (voir acte notarié produit en pièce 8 de l’intimée).

De la même manière que pour le transfert du droit, l’appelante fait valoir que l’acquisition a été faite sans l’intervention des consorts [N] et que les modalités d’acquisition prévues par le contrat n’ont pas été respectées, arguant notamment du fait que les consorts [Y] ont fait obstacle à la conclusion d’un accord dans les conditions initialement prévues par le contrat, soit un maximum de 400 000 euros ce qui justifie, selon elle, que le complément de prix ne soit pas dû.

 

Il n’est pas débattu que la société Pautrelec a acquis l’ensemble immobilier des consorts [Y] moyennant un prix de 1,4 million d’euros, soit un prix 3,5 fois supérieur au maximum prévu par le contrat. Il n’est pas discuté non plus que l’acquisition a été négociée par la société Artesol ainsi que cela ressort au demeurant de l’acte notarié de vente.

 

Le contrat prévoyant que le cessionnaire négocie avec l’indivision [Y] un accord aux fins d’obtenir soit un nouveau bail emphytéotique, soit la propriété du terrain, objet dudit bail, la cour relève que le tribunal a retenu de manière pertinente que, si l’indivision [Y] n’acceptait pas la proposition d’un loyer maximum de 15 000 euros HT ou d’un prix d’achat maximum de 400 000 euros, la société Artesol pouvait renoncer à l’acquisition du terrain, de sorte que dans cette hypothèse le complément de prix n’était pas dû.

 

A l’inverse et conformément aux termes du contrat, dès lors qu’un accord était conclu, même à des conditions plus onéreuses, ce que l’appelante pouvait refuser, cette seconde condition était accomplie.

 

L’appelante ne peut donc utilement soutenir que le complément de prix n’était dû qu’en cas d’accord au prix de 400 000 euros.

 

C’est donc à juste titre que le tribunal a retenu que le complément de prix était dû.

 

2-      Sur les intérêts de retard

 

L’appelante soutient que le tribunal a retenu à tort l’application du taux conventionnel. Elle fait valoir que le contrat de cession, qui stipule que le défaut de paiement du complément de prix par le cessionnaire entraînera l’octroi d’intérêts au taux annuel de l’Euribor trois mois, majoré de 200 points, comporte une contradiction. Elle souligne que cette clause peut être comprise de deux manières : soit un taux annuel de l’Euribor trois mois majoré de 200 points, soit un taux d’intérêt légal majoré de 4 points. Elle en conclut que deux taux d’intérêts sont stipulés pour les intérêts de retard. Elle conclut au visa de l’article 1162 du code civil dans sa version applicable à l’espèce que le taux le plus favorable doit être retenu.

 

L’intimée répond que le contrat comporte une clause faisant référence à l’Euribor trois mois majoré de 200 points de base et une clause rédigée en termes plus généraux faisant référence au taux légal majoré de 4 points. Elle considère que la première clause déroge à seconde clause.

 

Réponse de la cour

Le contrat de cession prévoit à son paragraphe « complément de prix » (page 16) :

« Le cas échéant, la date d’envoi ou de la remise de cette notification servira de point de départ au délai fixé ci-dessus pour le paiement du complément de prix considéré. En cas de retard de paiement, la somme impayée sera passible d’une indemnité de retard de 4 % annuel et calculée du jour de son exigibilité jusqu’au jour du paiement effectif, sans que cette stipulation autorise la partie défaillante à différer l’exécution de son obligation et sans préjudice des droits de l’autre partie. Le paiement par le cessionnaire d’une indemnité de retard ne vaudra pas, de la part du cédant, accord de délai de règlement. »

 

Au même paragraphe, il comporte la stipulation suivante :

 

« Dans l’hypothèse où, pour quelque raison que ce soit, le cessionnaire ne réglerait pas au cédant le complément de prix, le complément de prix exigible dans le délai ci-dessus convenu, la somme impayée sera productive d’intérêt au taux annuel de l’Euribor trois mois, majoré de 200 points de base. »

Il stipule encore à son paragraphe « intérêts de retard » (page 16) :

 

« Toute somme due en vertu des présentes par l’une ou l’autre des parties, et non payée à la date prévue de son exigibilité, produira intérêts jusqu’à son règlement effectif, en faveur du créancier, un intérêt de retard qui sera calculé sur la base du taux d’intérêt légal majoré de quatre points ; sans toutefois que cette stipulation d’intérêts puisse être interprétée comme valant octroi d’un délai légal de règlement supplémentaire. »

 

Il résulte de ce qui précède que le contrat de cession prévoit au sein du même paragraphe « complément de prix » deux stipulations d’intérêt différentes s’appliquant à la situation d’un retard de paiement.

Toutefois, la cour relève que la seconde clause précise clairement qu’en cas de retard du complément de prix, le taux d’intérêt applicable à l’intérêt de retard est le taux Euribor trois mois majoré de 200 points.

 

De là il résulte que la volonté des parties était d’appliquer ce taux en cas de retard de paiement du complément de prix. Le moyen de l’appelante fondé sur l’article 1162 du code civil dans sa version applicable au litige ne peut être qu’écarté.

 

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu des intérêts au taux de 1,67 % l’an correspondant au taux Euribor trois mois majoré de 200 points à compter du 7 novembre 2017 sur la somme de 190 000 euros.

 
3-      Sur les demandes reconventionnelles de l’appelante

L’appelante soutient d’abord que Mme [N] a manqué à ses obligations relatives aux formalités nécessaires pour le transfert du droit d’eau. Elle considère avoir subi un préjudice direct, personnel et certain et que cette inexécution contractuelle ne provient pas d’un cas de force majeure. Elle explique qu’elle a dû accomplir par elle-même les formalités de transfert du droit d’eau et que ce manquement a conduit la société Artesol à acquérir l’ensemble immobilier de l’indivision [Y] 3,5 fois plus cher que ce qui était convenu au contrat. Elle en déduit que son préjudice est constitutif d’une perte de chance d’avoir pu contracter à un prix raisonnable ou de renoncer à la vente. Elle ajoute qu’il est démontré que la société Artesol a négocié elle-même l’acquisition de l’ensemble immobilier et qu’elle a dû dépenser 75 600 euros de frais d’intermédiaire. Elle termine en expliquant qu’elle a subi un préjudice de 400 000 euros au titre de la perte de chance de réaliser l’opération telle qu’elle était prévue par le contrat.

 

L’intimée soutient que demande de l’appelante est irrecevable car elle est dépourvue d’intérêt à former ces demandes reconventionnelles. Elle fait valoir à cet égard que l’acte de vente a été signé par la société Prautelec, non par la société Artesol.

Subsidiairement, elle conteste l’existence des préjudices allégués par l’appelante et fait observer que le représentant d’Artesol lui a fait signer un mandat. Elle ajoute que les honoraires de négociation sont usuels et que la société Artesol ne démontre pas en quoi ils seraient inhabituels. Elle en déduit que l’existence d’un préjudice n’est pas démontrée.

Elle termine en observant qu’elle n’était pas propriétaire de l’immeuble cédé et qu’elle ne s’était pas engagée à ce que la société Artesol acquiert l’immeuble moyennant un prix de 400 000 euros.

 

Réponse de la cour

 

Contrairement à ce que soutient l’intimée, l’appelante avait intérêt à former des demandes reconventionnelles dès lors qu’elle a acquis les parts de la société Prautelec.

S’agissant du préjudice afférent aux honoraires la cour relève que l’acte de cession prévoit que les parties ont convenu que les négociations avec l’indivision [Y] sont menées par le cessionnaire. C’est donc par des motifs pertinents que le tribunal a retenu que Mme [N] n’est nullement intervenue dans la vente avec les consorts [Y], de sorte que le choix et la rémunération de l’intermédiaire relevait de la seule responsabilité de la société Arteal, devenue Dream Energy.

 

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de l’appelante au titre des honoraires.

 

En ce qui concerne la demande relative au préjudice de perte de chance de négocier à un prix raisonnable, le tribunal a relevé à juste titre que le prix de 400 000 euros n’a jamais été garanti à la société Artesol et que celle-ci, qui aurait pu s’abstenir, a choisi d’acquérir l’immeuble à un prix qu’elle a négocié seule, de sorte qu’elle ne peut venir reprocher à l’intimée le prix d’achat.

 

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de l’appelante à hauteur de 400 000 euros.

 

4-      Sur les demandes accessoires

 

En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Dream Energy sera condamnée à payer à Mme [N] la somme de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

 

La cour statuant par arrêt contradictoire,

  

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

 

Y ajoutant,

 

Condamne la société Dream Energy aux dépens d’appel ;

 

Condamne société Dream Energy à payer à Mme [N] la somme de 5 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,


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