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La clause de cession du fonds de commerce permettant au cédant de conserver les droits sur sa marque est difficilement compatible avec l’interdiction de se rétablir ou de s’intéresser, directement ou indirectement, dans une activité similaire telle que stipulée à la cession du fonds.
Exploitant une agence immobilière, une société en a cédé le fonds de commerce par un acte notarié prévoyant notamment:
– qu’était exclue du périmètre de la vente la marque «’Cabinet Kerjean’», propriété de la SAS Financière Kerjean qui l’avait déposée auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle ;
– qu’une licence d’exploitation de ladite marque devait être consentie par la SAS Financière Kerjean à la SARL Atlantique et Iroise par un acte sous seing privé du même jour, la SAS concédante étant intervenue à l’acte notarié pour le confirmer’ ;
– que la cédante s’interdisait formellement le droit «’de se rétablir ou de s’intéresser, directement ou indirectement, dans une activité de transaction sur immeubles, terrains, achats, ventes et locations, mandataires en vente de fonds de commerce, gestion, placements fonciers, crédits, pendant un délai de cinq ans à compter de l’entrée en jouissance et ce, sur les communes de Crozon, Lanvéoc, Camaret Sur Mer, Roscanvel, Argol, Landévennec, Telgruc, Trégarvan, Saint Nic, Plomodiern et Rosnoën, le tout sous peine de dommages-intérêts envers la cessionnaire ou ses cessionnaires ou ayants cause, et sans préjudice du droit pour ces derniers de faire cesser la contravention ou de faire fermer l’établissement ouvert et exploité au mépris de la présente clause’».
L’engagement de non-concurrence ayant été conçu de manière extensive puisque interdisant à la cédante, non seulement «’de se rétablir’», mais également «’de s’intéresser directement ou directement’» à l’activité d’agent immobilier sur les communes de la presqu’île de Crozon, la société cédant a été condamnée pour violation de son engagement de non concurrence.
En effet, les sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier, qui appartiennent au même groupe, avaient un «’intérêt’» à la conclusion de ce nouveau contrat de concession puisqu’ayant vocation à percevoir des redevances assises sur le chiffre d’affaires réalisé par la nouvelle concessionnaire.
En conséquence, le jugement a été confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les deux sociétés, sur le fondement d’un manquement à leurs obligations contractuelles, à faire cesser l’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’» sur l’ensemble des communes précitées.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 24 mars 2020
3e Chambre Commerciale
N° RG 17/05320 N° Portalis DBVL-V-B7B-ODW6
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, rapporteur,
GREFFIER : Madame Isabelle G, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : À l’audience publique du 11 février 2020
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement le 24 mars 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
APPELANTES : SARL CABINET KERJEAN immatriculée au RCS de Brest sous le n° 314 305 467, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège : 33 Place des Otages 29600 MORLAIX Représentée par Me Emmanuel CUIEC de la SCP CUIEC, plaidant/postulant, avocat au barreau de BREST
SARL MORLAIX IMMOBILIER, immatriculée au RCS de Brest sous le n° 384 985 545, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège 33 Place des Otages 29600 MORLAIX Représentée par Me Emmanuel CUIEC de la SCP CUIEC, plaidant/postulant, avocat au barreau de BREST
SAS RIVELO immatriculée au RCS de Brest sous le n° 791 213 697, prise en son établissement secondaire […] 29160 CROZON, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège : […] 29280 PLOUZANE
Représentée par Me Emmanuel CUIEC de la SCP CUIEC, plaidant/postulant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉE : SARL ATLANTIQUE ET IROISE, immatriculée sous le n° 791 090 004 au RCS de Quimper, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège : […] 29160 CROZON Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL C.V.S, postulant, avocat au barreau de RENNES Représentée par Me Félicie BOUYER substituant Me Anne-Sophie L de la SELARL C.V.S, plaidant, avocats au barreau de NANTES
INTERVENANTE FORCEE : par acte du 27 02 2019 remis à personne habilitée SELARL EP & ASSOCIES immatriculée au RCS de QUIMPER sous le n° 791 090 004, prise en la personne de Me P, ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL ATLANTIQUE ET IROISE […] 29000 SUIMPER Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL C.V.S, postulant, avocat au barreau de RENNES Représentée par Me Félicie BOUYER substituant Me Anne-Sophie L de la SELARL C.V.S, plaidant, avocats au barreau de NANTES
FAITS ET PROCEDURE La SARL Cabinet Kerjean exerce une activité d’agence d’immobilière en divers endroits du Finistère.
Exploitant une agence à Crozon, elle en a cédé le fonds de commerce à la SARL Atlantique et Iroise et ce, par un acte notarié du 20 mars 2013 prévoyant notamment:
– qu’était exclue du périmètre de la vente la marque «’Cabinet Kerjean’», propriété de la SAS Financière Kerjean qui l’avait déposée le 17 juillet 2007 auprès de l’Institut National de la Propriété Industriellé ;
– qu’une licence d’exploitation de ladite marque devait être consentie par la SAS Financière Kerjean à la SARL Atlantique et Iroise par un acte sous seing privé du même jour, la SAS concédante étant intervenue à l’acte notarié pour le confirmer’ ;
– que la cédante s’interdisait formellement le droit «’de se rétablir ou de s’intéresser, directement ou indirectement, dans une activité de transaction sur immeubles, terrains, achats, ventes et locations, mandataires en vente de fonds de commerce, gestion, placements fonciers, crédits, pendant un délai de cinq ans à compter de l’entrée en jouissance et ce, sur les communes de Crozon, Lanvéoc, Camaret Sur Mer, Roscanvel, Argol, Landévennec, Telgruc, Trégarvan, Saint Nic, Plomodiern et Rosnoën, le tout sous peine de dommages-intérêts envers la cessionnaire ou ses cessionnaires ou ayants cause, et sans préjudice du droit pour ces derniers de faire cesser la contravention ou de faire fermer l’établissement ouvert et exploité au mépris de la présente clause’».
Par acte sous seing privé du même jour, le contrat de concession prévu à l’acte de cession a été conclu entre la SAS Financière Kerjean et la SARL Atlantique et Iroise, la SARL Morlaix Immobilier étant elle- même intervenue à cet acte en qualité de société mère des sociétés Cabinet Kerjean et Financière Kerjean, ce contrat prévoyant le droit pour la SARL Atlantique et Iroise d’exploiter en exclusivité la marque «’Cabinet Kerjean’» sur le territoire des mêmes communes que celles précédemment énumérées et ce, pour une durée de trois ans, moyennant le versement d’une redevance assise sur le chiffre d’affaires de l’exploitante.
Le 5 septembre 2016, Mme Nadine T, associée de la SARL Atlantique et Iroise, a cédé l’intégralité de ses parts sociales à son associée, Mme Anne L.
Le même jour, d’un commun accord avec la SARL Morlaix Immobilier, venant aux droits de la SAS Financière Kerjean par suite d’une fusion- absorption intervenue le 23 juillet 2015, la SARL Atlantique et Iroise a résilié le contrat d’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’».
Par contrat du 30 septembre 2016, la SARL Morlaix Immobilier a concédé le droit d’exploiter la marque «’Cabinet Kerjean’» sur les communes précitées à la SAS Rivelo, société créée pour l’occasion, qui a alors embauché Mme T pour exploiter une agence immobilière ouverte à Crozon à l’enseigne «’Cabinet Kerjean’».
Se plaignant d’une concurrence déloyale de la part de cette agence ainsi que d’une violation de la clause de non-concurrence souscrite par les sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier, la SARL Atlantique et Iroise les a fait assigner toutes deux, ainsi que la société Rivelo, devant le tribunal de commerce de Quimper aux fins d’obtenir à titre principal la fermeture de la nouvelle agence «’Cabinet Kerjean’» de Crozon, et à tout le moins, la cessation de l’utilisation de ladite marque sur l’ensemble de la presqu’île.
Par jugement du 16 juin 2017, le tribunal a :
– condamné solidairement les trois sociétés défenderesses à cesser l’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’» sur l’ensemble du territoire concerné par la clause de non-concurrence prévue au contrat du 20 mars 2013 et ce, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à
compter de la signification du jugement jusqu’au terme de la clause, soit jusqu’au 20 mars 2018
– condamné solidairement les trois défenderesses à faire publier à leurs frais le jugement dans le journal Le Télégramme sur la zone de Crozon et ce, en deux parutions successives sur une semainé ;
– les a également condamnées solidairement à publier le jugement, pendant un délai de deux mois courant à compter de sa signification, sur la page d’accueil des sites internet des trois sociétés ainsi que, pendant la même période, sur les pages de profil des réseaux sociaux et professionnels utilisés par elles pour promouvoir leurs activités ainsi que sur tous leurs supports électroniques de communication’ ;
– les a encore condamnées, solidairement, au paiement d’une somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ‘;
– les a déboutées de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions’ ;
– les a enfin condamnées, solidairement, aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 20 juillet 2017, les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo ont interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 8 juin 2018, la SARL Atlantique et Iroise a été placée sous sauvegarde et la Selarl EP & Associés désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Par acte du 27 février 2019, les appelantes ont fait assigner la Selarl EP & Associés ès-qualités en intervention forcée devant la cour.
Les appelantes ont notifié leurs dernières conclusions le 31 décembre 2019, les intimées les leurs le 7 janvier 2020.
La clôture de la mise en état est intervenue par ordonnance du 6 février 2020.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo demandent à la cour de :
Vu les articles 1134 et suivants, 1147 et suivants, 1165, 1382 du code civil (ancien),
Vu les articles 1103, 1104, 1193, 1199, 1231-1 du code civil (nouveau),
Vu les articles 32-1, 700 du code de procédure civile,
Vu l’acte authentique de cession de fonds de commerce du 20 mars 2013,
Vu le contrat de licence de marque du 20 mars 2013,
— réformer le jugement en toutes ses dispositions’ ;
– dire et juger irrecevables, injustifiées et dénuées de fondement les demandes présentées par la société Atlantique et Iroise et la Selarl EP & Associés à l’encontre des sociétés Rivelo, Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier
– débouter la société Atlantique et Iroise et la Selarl EP & Associés de toutes leurs demandes, fins et conclusions’ ;
– faire droit aux demandes reconventionnelles des sociétés Rivelo, Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier’ ;
– condamner la société Atlantique et Iroise à verser à la société Rivelo la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts’ ;
– condamner la société Atlantique et Iroise à verser à la société Morlaix Immobilier la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts, outre celle de 7.500 € à titre de dommages et intérêts pour toute nouvelle infraction constatée par huissier à l’interdiction d’utiliser l’enseigne, la marque «’Cabinet Kerjean’», ses couleurs, outils, logos et sigles distinctifs ‘;
– condamner la société Atlantique et Iroise à verser à la société Cabinet Kerjean la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et tous chefs de préjudices confondus’ ;
– la condamner à verser aux sociétés Rivelo, Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier la somme de 6.000 €, chacune, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu’en cause d’appel ;
– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel qui comprendront les frais d’exécution et ceux de l’article 10 du tarif des huissiers de Justice, le coût des procès-verbaux de constat de Me G des 4 avril, 6 et 12 juillet 2017 et qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Au contraire, la société Atlantique et Iroise ainsi que la Selarl EP & Associés demandent à la cour de :
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu l’acte authentique de cession de fonds de commerce du 20 mars 2013,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
— confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– y additant, condamner solidairement les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo au paiement d’une somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et argumentations des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
I – Sur les demandes principales :
A – Sur la demande d’interdiction dirigée à l’encontre des sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier’ :
Aux termes de l’acte notarié du 20 mars 2013 portant cession du fonds de commerce de l’agence immobilière de Crozon au profit de la société Atlantique et Iroise, la société Cabinet Kerjean s’est interdit «’de se rétablir ou de s’intéresser, directement ou indirectement’» à toute activité d’agent immobilier sur l’ensemble des communes composant la presqu’île de Crozon et ce, pendant les cinq années suivant la vente.
Ce même acte stipule en outre que «’le cédant [la société Cabinet Kerjean] et la société Financière Kerjean’» concèdent à la société Atlantique et Iroise la licence d’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’» et ce, par acte signé le même jour.
Bien que les sociétés Cabinet Kerjean et Financière Kerjean aient constitué des entités juridiques distinctes, pour autant elles avaient le même dirigeant, en l’occurrence M. H, également dirigeant de la société Morlaix Immobilier, maison mère des deux autres sociétés.
La société Financière Kerjean, titulaire de la marque «’Cabinet Kerjean’», est elle-même intervenue à l’acte de cession pour s’engager à en concéder l’exploitation à la société Atlantique et Iroise, cessionnaire du fonds de commerce.
Ainsi, la société Atlantique et Iroise a acquis non seulement un fonds de commerce d’agence d’immobilière, mais également la notoriété de la marque «’Cabinet Kerjean’» sous laquelle l’agence était exploitée jusqu’alors.
À cet égard, il convient d’observer que l’engagement de non- concurrence souscrit par la cédante a été conclu pour une durée de cinq ans, soit pour une durée supérieure à celle du contrat d’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’», souscrit quant à lui pour trois ans seulement.
Dès lors, la société Cabinet Kerjean, cédante du fonds, ne pouvait tirer prétexte de la résiliation du contrat d’exploitation de la marque par la société Atlantique et Iroise, intervenue au mois de septembre 2016, pour s’affranchir de son engagement de non-concurrence en concédant de nouveau cette marque, par l’intermédiaire de la société Morlaix Immobilier venant aux droits de la société Financière Kerjean, à une autre agence immobilière opportunément venue s’installer dans le périmètre de l’interdiction, en l’occurrence la société Rivelo.
L’engagement de non-concurrence a en effet été conçu de manière extensive puisque interdisant à la cédante, non seulement «’de se rétablir’», mais également «’de s’intéresser directement ou directement’» à l’activité d’agent immobilier sur les communes de la presqu’île de Crozon.
Or, les sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier, qui appartiennent au même groupe, avaient un «’intérêt’» à la conclusion de ce nouveau contrat de concession puisqu’ayant vocation à percevoir des redevances assises sur le chiffre d’affaires réalisé par la nouvelle concessionnaire.
À cet égard, c’est vainement que les sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier soutiennent qu’elles auraient retrouvé toute liberté d’exploitation de leur marque à partir du moment où la société Atlantique et Iroise avait résilié son contrat de licence, la cour observant en effet’ :
– qu’en raisonnant de la sorte, elles confondent leur engagement général de ne pas concurrencer l’acheteur du fonds avec celui, particulier, de garantir au concessionnaire le droit d’exploiter la marque en exclusivité ‘;
– qu’il n’appartenait qu’à elles, si elles entendaient lier ces deux engagements, de le stipuler dans l’acte du 20 mars 2013 en prévoyant que la résiliation du contrat de concession entraînerait celle de l’engagement de non-concurrencé ;
– qu’en s’abstenant de le faire, elles ont permis que l’engagement de non-concurrence survive au contrat de concession, la société Atlantique et Iroise s’étant ainsi vu garantir, à tout le moins jusqu’au 20 mars 2018, qu’aucun concurrent ne viendrait s’installer sur le territoire de la presqu’île de Crozon en se prévalant de la marque ‘Cabinet Kerjean’ sous laquelle le fonds était jusqu’alors exploité.
De même, c’est en vain que les sociétés défenderesses laissent entendre que Mme L, associée de la SARL Atlantique et Iroise, aurait renoncé à cet engagement de non-concurrence lorsqu’elle a racheté les parts de son associée et résilié son contrat de concession, alors en effet’ :
– qu’en s’abstenant de lui interdire, dans l’acte de cession de parts sociales, de se réinstaller à Crozon en qualité d’agent immobilier, Mme L n’a pas pour autant entendu autoriser Mme T à le faire sous la marque «’Cabinet Kerjean’», la résiliation du contrat d’exploitation souscrit par la société Atlantique et Iroise ayant d’ailleurs été motivée par des difficultés de paiement des redevances, et non par le choix convenu entre les parties d’un transfert de la marque au profit d’un tiers ‘;
– que le message électronique du 19 août 2016, par lequel Mme L s’est adressée à M. P, dirigeant de la société Morlaix Immobilier, pour discuter des conditions de la résiliation du contrat, ne saurait non plus être interprété comme valant renonciation de sa part à se prévaloir de l’engagement de non-concurrence dont la société Atlantique et Iroise était censée pouvoir bénéficier jusqu’au 20 mars 2018, ni comme une autorisation donnée à la société Morlaix Immobilier de signer un nouveau contrat de concession au profit d’un tiers en violation de cet engagement.
Ainsi la société Atlantique et Iroise était-elle fondée à voir interdire, jusqu’au 20 mars 2018 et sur le territoire des communes visées par la clause de non-concurrence, la concession de la marque «’Cabinet Kerjean’» à tout agent immobilier prétendant s’y installer, cette interdiction s’appliquant tant à la société Cabinet Kerjean, cédante du fonds de commerce, qu’à la société Morlaix Immobilier, venant aux droits de la société Financière Kerjean, elle-même signataire de l’acte du 20 mars 2013 contenant ladite clause.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les deux sociétés, sur le fondement d’un manquement à leurs obligations contractuelles, à faire cesser l’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’» sur l’ensemble des communes précitées et ce, jusqu’au 20 mars 2018.
B – Sur la demande d’interdiction dirigée à rencontre de la société Rivelo’ :
Il est constant que celle-ci n’était pas partie à l’acte du 20 mars 2013, ne pouvant dès lors se voir reprocher un manquement contractuel à la clause de non-concurrence y insérée.
Elle n’en demeurait pas moins tenue de respecter les règles d’une concurrence loyale, conforme aux lois et usages du commerce, devant répondre de ses agissements déloyaux et ce, sur le fondement de la responsabilité civile extra-contractuelle.
Il en est ainsi, notamment, du fait de prêter son concours, en toute connaissance de cause, à la violation d’un engagement de non- concurrence.
Tel est le cas de la société Rivelo, qui a en effet été créée pour les besoins de la conclusion du nouveau contrat de concession de la marque «’Cabinet Kerjean’» en vue de l’exploitation d’une agence immobilière concurrente de celle exploitée par la société Atlantique et Iroise, la cour observant à cet égard’:
– que sans avoir de liens capitalistiques directs avec les sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix Immobilier, la société Rivelo a en revanche pour gérante Mme E, ancienne dirigeante de la société Morlaix Immobilier’ ;
– qu’elle a pour salariées Mme D, ex-employée de la société Atlantique et Iroise, et Mme T, ex-associée de Mme L, par là même parfaitement informée de la clause de non-concurrence souscrite en faveur de la société Atlantique et Iroise jusqu’au 20 mars 2018, Mme T ayant en effet signé l’acte du 20 mars 2013 en qualité d’associée de celle-ci ;
– que la société Rivelo a installé son agence à l’enseigne «’Cabinet Kerjean’» à Crozon, dans la même rue que la société Atlantique et Iroise, devenant par là même sa concurrente la plus directe et ce, d’une manière d’autant plus déloyale qu’elle est née de la violation, par personne morale interposée, d’une clause interdisant la réinstallation sur la presqu’île de Crozon de la société Cabinet Kerjean, cédante du fonds de commerce exploitée par la société Atlantique et Iroise.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Rivelo, au même titre que les sociétés Cabinet Kerjean et Morlaix immobilier, à cesser l’exploitation de la marque «’Cabinet Kerjean’» sur le territoire visé par la clause de non-concurrence et ce, jusqu’au terme de celle-ci, soit le 20 mars 2018.
C – Sur les autres demandes dirigées à l’encontre des sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo’ :
C’est à bon droit que le tribunal, pour assurer le rétablissement de l’engagement prévu au contrat du 20 mars 2013, a ordonné les mesures de publicité qui s’imposaient à l’époque où il a rendu son jugement, quand bien même ces mesures ne sont désormais plus d’actualité du fait de l’expiration de la clause de non-concurrence.
II – Sur les demandes reconventionnelles formées à l’encontre de la société Atlantique et Iroise’:
A – Sur la demande indemnitaire formée par la société Morlaix Immobilier ‘:
Au motif que la société Atlantique et Iroise aurait continué à utiliser la marque «’Cabinet Kerjean’» malgré la résiliation du contrat de licence, la société Morlaix Immobilier réclame sa condamnation au paiement d’une somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts outre d’une astreinte de 7.500 € pour toute nouvelle infraction qui serait constatée par huissier.
Pour s’y opposer, la société Atlantique et Iroise, qui ne prétend nullement continuer à utiliser la marque litigieuse, affirme qu’elle en a cessé l’exploitation dès le mois de septembre 2016 et ce, quand bien même certaines traces d’une exploitation antérieure auraient pu persister au-delà de cette date sans pour autant qu’elle en soit responsable.
La société Morlaix Immobilier produit en effet quelques pièces faisant apparaître le «’Cabinet Kerjean’» comme étant exploité à l’adresse de la société Atlantique et Iroise, notamment’ :
— des publicités (pièces n° 18 et 19) pour le «’Cabinet Kerjean’» situé […], soit le siège de la société Atlantique et Iroise’; toutefois, la cour observe d’une part que ces publicités ne comportent pas de date, d’autre part qu’elles font mention du nom de Mmes L et T, ce qui confirme qu’elles sont toutes antérieures à la résiliation du contrat de concession
– des constats d’huissier de justice réalisés les 4 avril, 6 et 12 juillet 2017, soit postérieurement à la résiliation du contrat de concession, dont il résulte que des recherches effectuées sur internet, notamment au moyen du moteur de recherche «’google’», font apparaître le «’Cabinet Kerjean’» comme étant situé […], soit l’adresse de la société Atlantique et Iroise’; toutefois, l’officier ministériel indique lui-même dans son procès-verbal que le moteur de recherche mentionne l’établissement comme étant «’définitivement fermé’» ‘;
– la persistance, au sein des locaux de l’office du tourisme de Crozon ainsi que sur des plans de la commune, d’encarts publicitaires présentant l’enseigne «’Cabinet Kerjean’» comme étant exploitée par l’agence Atlantique et Iroise’; mais ici encore, le nom de Mme T apparaît sur ces encarts au même titre que celui de Mme L, ce qui confirme qu’il s’agit de vestiges publicitaires d’une époque où la société Atlantique et Iroise était encore concessionnaire de la marque.
Au contraire, la société Atlantique et Iroise justifie des démarches qu’elle a engagées auprès de l’office du tourisme ainsi que de la communauté de communes de Crozon pour obtenir le retrait de ces encarts publicitaires périmés, de même qu’auprès de la société Google pour qu’elle mette à jour ses référencements sur internet.
De même justifie-t-elle avoir effectué des travaux, dès le mois de septembre 2016, pour faire modifier la façade de son agence immobilière afin que disparaisse toute référence à la marque «’Cabinet Kerjean’», les photographies de l’immeuble issues du site «’google street view’» actualisé au mois de novembre 2016 confirmant d’ailleurs la bonne exécution de ces travaux (cf. en ce sens le constat d’huissier du 12 juillet 2017).
C’est encore en vain que la société Morlaix Immobilier soutient que la société Atlantique Iroise aurait reconnu qu’elle continuait à utiliser la marque «’Cabinet Kerjean’» en dépit de la résiliation du contrat de concession, la cour considérant au contraire que ni le message électronique adressé le 14 septembre 2016 par le conseil de la société Atlantique et Iroise à celui de la société Morlaix Immobilier ni celui de Mme L en date du 27 septembre 2016 ne constituent un tel aveu, alors en effet’:
– que le premier message a pour objet d’informer la société Morlaix Immobilier que les travaux nécessaires à l’effacement de la marque antérieure sont en cours d’exécution,
– que le second confirme qu’ils sont achevés.
Ainsi et alors que la société Atlantique et Iroise n’a commis aucun faute susceptible d’ouvrir droit à dommages-intérêts en faveur de la société titulaire de la marque, c’est à bon droit que le tribunal a débouté la société Morlaix Immobilier de l’intégralité de ses demandes.
B – Sur la demande indemnitaire formée par la société Rivelo ‘:
Ici encore, il n’est pas justifié de ce que la société Atlantique et Iroise aurait continué à utiliser la marque «’Cabinet Kerjean’» au détriment de la société Rivelo qui venait de s’en faire concéder l’exploitation exclusive, alors au surplus qu’il vient d’être démontré que c’était de manière illicite que celle-ci avait ouvert une agence immobilière sous cette enseigne à Crozon.
En conséquence, le jugement sera également confirmé en ce qu’il a débouté la société Rivelo de sa demande indemnitaire.
C – Sur la demande indemnitaire formée par la société Cabinet Kerjean ‘:
C’est vainement que la société Cabinet Kerjean reproche à la société Atlantique et Iroise d’avoir intenté une procédure abusive à son encontre, alors au contraire que celle-ci était fondée à mettre en œuvre les mesures judiciaires propres à obtenir le respect de l’engagement de non-concurrence souscrit en sa faveur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la société Cabinet Kerjean de sa demande indemnitaire.
Parties perdantes, les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo seront solidairement condamnées à payer à la société Atlantique et Iroise une somme de 6.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en cause d’appel, cette somme s’ajoutant à celle de même montant allouée par le tribunal au titre de ceux qu’elle a exposés en première instance.
Enfin, les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo supporteront solidairement les entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour’:
— confirme le jugement en toutes ses dispositions’ ;
— y ajoutant, * condamne solidairement les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo à payer à la société Atlantique et Iroise une somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ‘; * condamne solidairement les sociétés Cabinet Kerjean, Morlaix Immobilier et Rivelo aux entiers dépens de la procédure d’appel.