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8 octobre 2020
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/11688
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 7
ARRÊT DU 08 OCTOBRE 2020
(n° 20, 37 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 19/11688 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAC3F
Décision déférée à la Cour : décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-10 en date du 27 mai 2019
REQUÉRANTES :
SOCIÉTÉ C8 S.A.S. ANCIENNEMENT D8
prise en la personne de ses représentants légaux
inscrite au RCS de Nanterre sous le n°444 564 793
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 16]
SOCIÉTÉ CSTAR S.A.S. ANCIENNEMENT D 17
prise en la personne de ses représentants légaux
inscrite au RCS de Nanterre sous le n°384 939 484
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 16]
SOCIÉTÉ GROUPE CANAL+ S.A.
prise en la personne de ses représentants légaux
inscrite au RCS de Nanterre sous le n°420 624 777
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 16]
Élisant toutes domicile au cabinet de la SCP BAECHLIN
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentées par Me Jeanne BAECHLIN, de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistées de Me Pascal WILHELM et de Me Emilie DUMUR, de la SELAS WILHELM & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0024
PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES :
SOCIÉTÉ FRANCE TÉLÉVISIONS S.A.
prise en la personne de ses représentants légaux
inscrite au RCS de Paris sous le n°432 766 947
ayant son siège social [Adresse 6]
[Localité 11]
Élisant domicile au cabinet de Me Jean-Philippe AUTIER
[Adresse 15]
[Localité 10]
Représentée par Me Jean-philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053
Assistée de Me Adrien GIRAUD substituant Me Jacques GUNTHER de l’AARPI LATHAM & WATKINS, avocat au barreau de PARIS, toque : J003
SOCIÉTÉ MÉTROPOLE TÉLÉVISION S.A.
prise en la personne de ses représentants légaux
inscrite au RCS de Nanterre sous le n° 339 012 452
ayant son siège [Adresse 13]
[Localité 17]
Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 14]
[Localité 8]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Inãki SAINT-ESTEBEN, de l’AARPI VIGUIÉ SCHMIDT & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : R145
SOCIÉTÉ TÉLÉVISION FRANÇAISE 1 S.A. – TF1
prise en la personne de son Président du conseil d’administration et Directeur général
inscrite au RCS de Nanterre sous le n°326 300 159
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 18]
Élisant domicile au cabinet de la SCP AFG
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Arnaud GUYONNET, de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Assistée de Me Joseph VOGEL, de la SELAS VOGEL & VOGEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0151
EN PRÉSENCE DE :
L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
prise en la personne de sa Présidente
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par M. [C] [V], dûment mandaté
LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE
[Adresse 19]
[Adresse 19]
[Localité 12]
Représenté par Mme [B] [K], dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 18 juin 2020, en audience publique, devant la cour composée de :
‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente
‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre
‘ Mme Sylvie TRÉARD, conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : l’affaire a été communiquée au parquet général qui a fait connaître son avis par écrit
ARRÊT :
‘ contradictoire
‘ rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
‘ signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * *
Vu la déclaration de recours à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-10 du 27 mai 2019, déposée au greffe de la cour par les sociétés C8 (anciennement D8), CStar (anciennement D17) et Groupe Canal +, le 2 juillet 2019 ;
Vu les déclarations d’intervention volontaire des sociétés Métropole Télévision sigle M6, France Télévisions et Télévision France 1 (TF1), respectivement déposées au greffe de la cour les 30 juillet, 3 et 4 septembre 2019 ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour le 11 mars 2020 par l’Autorité de la concurrence ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour le 13 mars 2020 par le ministre chargé de l’économie ;
Vu les conclusions récapitulatives transmises par voie numérique le 20 avril 2020 puis déposées à la cour le 19 mai 2020, par les société C8, CStar et Groupe Canal+ ;
Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour le 29 mai 2020 par la société France Télévisions ;
Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour le 4 juin 2020 par la société TF1 ;
Vu l’avis du ministère public en date du 17 juin 2020, communiqué le même jour aux requérantes, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 18 juin 2020, en leurs observations orales les conseils des sociétés Groupe Canal +, C8 et CStar , de la société TF1, de la société France télévisions, ainsi que celui de la société Métropole télévision, l’Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l’économie, les parties ayant été mises en mesure de répliquer, et connaissance prise du contenu des notes en délibéré ‘transmises en application de l’arrêt de la cour rendu 2 juillet 2020 concernant les modalités de la protection du secret des affaires appliquée aux pièces 15 et 16 des demanderesses au recours ‘ qui ont été déposées par l’Autorité de la concurrence le 15 juillet 2020 et par les sociétés Groupe Canal +, C8 et CStar le 22 juillet 2020.
*
* *
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE5
Le secteur concerné, sa réglementation et son fonctionnement5
‘ Les obligations réglementaires6
‘ Le fonctionnement du secteur7
Les pratiques constatées8
Le recours entrepris9
MOTIVATION11
I. SUR LA DEMANDE D’EXPERTISE11
II. SUR L’EXISTENCE D’UN MARCHÉ PERTINENT LIMITÉ AUX FILMS EOF PRÉFINANCÉS PAR LES CHAÎNES EN CLAIR19
III. SUR LES PRATIQUES LITIGIEUSES ET LEURS EFFETS27
IV. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS36
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
1.Par une plainte transmise le 9 décembre 2013 à l’Autorité de la concurrence (ci-après l’ « Autorité ») les sociétés Groupe Canal +, D8 et D17 (devenues respectivement C8 et CStar) ont dénoncé des ententes anticoncurrentielles entre les producteurs de films d’expression originale française (ci-après les « films EOF ») et les chaînes historiques en clair (c’est-à-dire celles qui préexistaient à la création de la télévision numérique terrestre), qui auraient pour effet cumulatif de verrouiller l’accès des chaînes de la télévision numérique terrestre gratuite, non adossées à une chaîne historique en clair, aux droits de diffusion des films EOF, dits « de catalogue », en faisant figurer des clauses de priorité et de préemption dans tous les contrats de préfinancement que les chaînes historiques concluent avec les producteurs des films. Elles faisaient valoir dans leur plainte qu’en pratique, ces clauses permettaient aux chaînes historiques de réserver la diffusion des films à leur propre antenne ou à celle des chaînes qui leur sont affiliées, sans limitation de durée, au détriment des chaînes concurrentes, et alors même que les diffusions préachetées sont déjà intervenues.
2.Les services d’instruction ont adressé une notification aux sociétés TF1, France Télévisions et M6 le 23 février 2018 dans laquelle il a été fait grief :
‘ pour la période courant d’octobre 2004 à décembre 2008, aux sociétés France 2, France 3, TF1 et Métropole Télévision ;
‘ pour la période courant à compter de janvier 2009, aux sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision,
en raison de leur participation directe, d’avoir mis en ‘uvre des ententes avec les producteurs de films EOF, au préfinancement desquels elles ont participé, visant à limiter la concurrence sur le marché aval de l’achat des droits de diffusions de films de catalogue EOF.
3.Dans le rapport qui a été notifié aux plaignantes et aux entreprises mises en cause le 26 septembre 2018, les services d’instruction ont révisé la délimitation du marché opérée dans la notification des griefs, à la lumière notamment des éléments apportés par les entreprises mises en cause dans leurs observations. Ils ont ainsi considéré que le marché pertinent était celui des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue.
4.Compte tenu de cette définition, ils ont estimé que les accords conclus entre les groupes historiques en clair et les producteurs de films EOF ne pouvaient plus être considérés comme ayant pour effet cumulatif d’entraver la concurrence et ont donc proposé au collège de ne pas retenir le grief notifié.
5.C’est dans ce contexte qu’a été rendue la décision n°19-D-10 du 27 mai 2019 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de l’acquisition de droits relatifs aux ‘uvres cinématographiques d’expression originale française dites « de catalogue » (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle l’Autorité a considéré, en application des dispositions de l’article L.464-6 du code de commerce, qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure.
Le secteur concerné, sa réglementation et son fonctionnement
6.La décision attaquée décrit ce secteur aux paragraphes 43 et suivants, auxquels la cour renvoie, en l’absence de contestation sur ce point.
7.Il sera simplement rappelé que la télévision numérique terrestre (ci-après la « TNT ») a été mise en ‘uvre en mars 2005 permettant à l’offre hertzienne de télévision gratuite de s’élargir, passant de 6 à 18 chaînes. Des mouvements de concentration successifs ont permis à des groupes positionnés en analogique de prendre le contrôle de plusieurs chaînes appartenant aux nouveaux opérateurs.
8.Comme le rappelle la décision attaquée au paragraphe 45, à la date de la décision, l’offre de TNT gratuite était la suivante (25 chaînes) :
Groupes historiques
Groupes
TF1
France Télévisions
Groupe Canal +
(GCP)
Métropole Télévision
Arte
chaînes gratuites ‘historiques’
TF1
France 2
France 3
France 5
plages en clair de la chaîne Canal+
M6
Arte
nouvelles chaînes de la TNT
TMC
NT1
HD1 devenue TF1 série films
LCI
France 4
France ô
CNews
C8
CStar
W9
6ter
—
Groupes indépendants
Groupes
NRJ
NextRadio
Assemblée nationale – Sénat
Amaury
Lagardère
nouvelles chaînes de la TNT
NRJ12
Chérie 25
BFM TV
RMC découverte Numéro 23 devenue ‘RMC story’
LCP-Public Sénat
L’équipe 21
Gulli
‘ Les obligations réglementaires
9.En contrepartie de l’utilisation gratuite des fréquences radioélectriques appartenant au domaine public de l’État, le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d”uvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre a soumis les chaînes de la TNT à des obligations de contribution à la production cinématographique européenne.
10.Les dépenses contribuant à ce développement peuvent consister, notamment, dans :
‘ des préachats de droits de diffusion : la chaîne intéressée prend la décision d’acquérir une ou plusieurs fenêtres de diffusion exclusive d’un film, en amont de la production et avant la fin de la période de prise de vues ;
‘ des investissements en parts de coproduction : la chaîne, en qualité de coproductrice, peut ainsi tirer des recettes de chaque étape du cycle d’exploitation du film et bénéficier d’une diffusion plus précoce du film après sa sortie en salle ;
‘ l’achat de droits de diffusion des films, qui intervient après que les fenêtres préachetées ont donné lieu à diffusion. Les films sont alors dits « de catalogue ».
11.Il convient de préciser qu’un film devient un film « de catalogue » pour une chaîne en clair après un premier cycle d’exploitation en télévision payante et gratuite, c’est-à-dire à partir de la première diffusion télévisuelle en clair non prévue au plan de financement, laquelle intervient, en pratique, environ quatre ans après sa sortie en salle.
12.Le film de catalogue devient par ailleurs un « film de patrimoine », selon la définition du Centre national du cinéma et de l’image animée (ci-après « CNC »), lorsque sa première sortie en salle date de plus de dix ans.
13.Les chaînes de télévision françaises (gratuites et payantes) participent au préfinancement des films d’initiative française (ci-après les « FIF ») et en sont les premiers préfinanceurs en termes de montants investis. Celles-ci achètent à l’avance des fenêtres de diffusion exclusive du film et, pour certaines d’entre elles, investissent en parts de coproduction.
14.Un FIF peut ne pas être un film EOF mais, en pratique, la quasi-totalité des FIF sont des films EOF.
15.Aux paragraphes 57 à 61 de la décision attaquée, auxquels la cour renvoie en l’absence de contestation sur ce point, il est rappelé les obligations incombant aux chaînes de la TNT gratuite en termes de contribution au développement de la production de films, définies en fonction du nombre de films diffusés par an et du chiffre d’affaires réalisé, puis décrit, aux paragraphes 70 et suivants, la contribution des chaînes en clair, ainsi que celle des nouvelles chaînes de la TNT gratuite aux paragraphes 74 et 77, auxquels la cour renvoie également.
16.Les sociétés mises en cause dans la plainte adressée à l’Autorité sont ainsi soumises à un certain nombre d’obligations, consistant notamment à consacrer un certain pourcentage de leur chiffre d’affaires annuel net à des dépenses contribuant au développement de la production de films européens.
17.Le décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 modifié pris pour application de la loi du 30 septembre 1986 fixant les principes généraux concernant la diffusion des ‘uvres cinématographiques et audiovisuelles par les éditeurs de services de télévision a par ailleurs fixé des quotas et plafonds pour la diffusion des films EOF par les chaînes publiques et privées de la TNT.
18.La décision attaquée dresse un tableau des films EOF de catalogue diffusés par les chaînes de la TNT gratuite (paragraphe 96) et précise, sur la base des données CNC-CSA disponibles, qu’à la différence des chaînes historiques de la TNT gratuite ‘ qui diffusent une part importante de films inédits dont elles ont préacheté les droits ‘ les nouvelles chaînes de la TNT gratuite diffusent quasi-exclusivement des films de catalogue.
19.À ces obligations réglementaires s’ajoutent les obligations conventionnelles qui incombent aux chaînes du groupe France Télévisions, décrites aux paragraphes 89 et 90 de la décision attaquée, concernant la diffusion d’au moins 420 films par an sur les antennes du groupe, dont 210 films EOF ou européens sur France 2 et France 3 (cote 3273).
‘ Le fonctionnement du secteur
20.Les délais d’exploitation des films relèvent d’accords contractuels conclus entre les ayants droit et les différents distributeurs et diffuseurs de l”uvre, qui doivent toutefois respecter les règles dites de la « chronologie des médias », qui résultent d’accords interprofessionnels, selon les modalités décrites aux paragraphes 82 et suivants de la décision attaquée.
21.Les droits de diffusion en clair d’un film EOF sont négociés de gré à gré entre les détenteurs de droits et les chaînes de télévision. Les contrats de cession de droits confèrent aux chaînes une exclusivité pendant une « fenêtre de diffusion », c’est-à-dire pour une période déterminée. Le nombre de fenêtres de diffusion en clair pour un film donné est déterminé librement par les ayants droit et les chaînes de télévision et dépend, en pratique, de la capacité des producteurs à commercialiser les droits correspondants, les troisièmes fenêtres étant réservées aux films les plus attractifs.
Les pratiques constatées
22.À partir des années 1990, l’insertion de clauses de priorité et de préemption dans les contrats de préfinancement des films EOF conclus par les chaînes en clair et les producteurs s’est généralisée.
23.À l’origine, ces clauses étaient insérées dans les contrats de coproduction ou dans les contrats de préachat dès lors que la chaîne qui préachetait des droits investissait également en parts de coproduction. La pratique a ensuite évolué, dans le sens d’une déconnexion entre le statut de copropriétaire de l”uvre et le bénéfice des clauses de priorité et de préemption. Ainsi, certaines chaînes (TMC, NT1 (devenue « TFX »), HD1 (devenue « TF1 Séries Films »), M6 et W9 ou C8 (cote 4030) ) qui ne sont pas coproductrices bénéficient tout de même de ce type de clauses dans leur contrat de préachat.
24.Les clauses de priorité et de préemption sont des clauses types, stipulées conjointement, instaurant des droits préférentiels à leurs bénéficiaires qui ont vocation à être mis en ‘uvre dans le cadre des discussions relatives aux cessions de droits de films de catalogue engagées après arrivée à échéance des fenêtres en clair préachetées.
25.Le droit de priorité garantit à la chaîne qui a préfinancé un film que son producteur ou son mandataire s’adressera prioritairement à elle lorsqu’il souhaitera vendre les droits de diffusion d’un film EOF de catalogue. Il s’agit d’un droit de première présentation.
26.Si la chaîne titulaire de ce droit est intéressée par l’achat de droits de diffusion, elle entre dans une négociation classique, aux conditions de marché, avec l’ayant droit ou son mandataire. Si ce dernier est satisfait du niveau de la proposition, les droits sont cédés. Sinon, il peut chercher à recueillir d’éventuelles autres offres émanant de chaînes tierces.
27.Le droit de préemption n’a vocation à être mis en ‘uvre que si la chaîne titulaire du droit de priorité n’a pas acquis les droits de diffusion au cours des différentes discussions avec les ayants droit.
28.Dans ce cas, si le producteur du film ou le distributeur estime l’offre d’une chaîne tierce satisfaisante, il est tenu de la transmettre à la chaîne titulaire du droit préemption, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par courriel, lui ouvrant ainsi la possibilité d’exercer son droit pendant une période donnée, sans qu’il y soit obligée.
29.La faculté de préempter implique que la chaîne titulaire de ce droit acquière le film à un prix et selon des modalités de diffusion au moins équivalents à ceux proposés) dans l’offre ferme (prix, durée de la fenêtre, type de droits, nombre de diffusions, plateforme de diffusion concernée, modalités de paiement…). La chaîne tierce n’a pas la faculté de surenchérir.
30.L’ayant droit est, par ailleurs, libre de retirer le film du marché, sans que la chaîne qui l’a préfinancé ait à donner son accord (cote 2816).
31.Lorsque plusieurs chaînes en clair investissent dans un même film, chacune des chaînes concernées peut convenir de bénéficier elle-même ou de faire bénéficier l’une quelconque de ses filiales de droits de priorité et de préemption, leur mise en ‘uvre, de manière alternative ou successive, étant le cas échéant effectuée selon des critères définis au contrat.
32.Si, à l’origine, seule la chaîne qui intervenait en tant que coproducteur d’un film pouvait bénéficier de la mise en ‘uvre des clauses de priorité ou de préemption, l’émergence de groupes audiovisuels regroupant plusieurs chaînes en clair a permis aux chaînes hertziennes « historiques » d’étendre le bénéfice de ces clauses aux nouvelles chaînes de leur groupe ‘ TMC, TFX et TF1 Séries Films pour le groupe TF1, France 4 et France Ô pour le groupe France Télévisions, et W9 et 6ter pour le groupe Métropole Télévision ‘ y compris lorsque celles-ci n’ont pas participé au préfinancement du film.
33.Les droits de priorité et de préemption ne sont pas limités dans le temps et peuvent ainsi être exercés chaque fois que les droits de diffusion du film concerné sont vendus, c’est-à-dire après arrivée à échéance des fenêtres en clair préachetées.
34.Au terme d’une étude visant à mesurer l’efficacité économique de l’investissement des chaînes en clair dans les préachats de films EOF, le CSA a observé que peu de films réalisaient lors de leur(s) diffusion(s) des recettes publicitaires supérieures aux montants investis en préachat. Il a également relevé que « l’efficacité » économique des films préachetés s’améliore de façon non négligeable lorsque sont pris en compte l’ensemble des préachats entre chaînes intervenant au préfinancement au sein d’un même groupe, et donc l’ensemble des diffusions effectuées sur les chaînes d’un même groupe (cotes 3837 et 3838).
35.À la différence du droit de priorité, l’exercice effectif du droit de préemption, compte tenu du formalisme applicable, est quantifiable. Pour la période 2009-2015, les investigations ont établi que les préemptions pour le compte de chaînes de la TNT gratuite se sont élevées à 7,9 % des offres fermes d’achat de droits de diffusion de films EOF de catalogue.
36.De manière générale, les préemptions portent essentiellement sur des films préfinancés par les chaînes historiques en clair compte tenu du faible nombre de films préfinancés par les nouvelles chaînes de la TNT.
Le recours entrepris
37.Les sociétés Groupe Canal +, C8 et CStar (ci-après les « sociétés saisissantes ») ont formé un recours contre la décision attaquée.
38.Par conclusions d’incident, les sociétés saisissantes ont demandé à la cour une mesure d’expertise sur le fondement de l’article 143 du code de procédure civile, notamment pour que la cour puisse disposer des éléments de fait concourant à la détermination de l’ampleur des effets des pratiques dénoncées, par l’examen de la valeur des films EOF de catalogue ainsi que de la part de marché en valeur des films associés à des droits préférentiels, durant la période de référence.
39.Par leurs conclusions récapitulatives les sociétés saisissantes demandent désormais à la cour :
‘ avant dire droit, d’ordonner une expertise judiciaire aux fins de :
1) fournir à la cour d’appel tous éléments permettant de déterminer dans quelle mesure les films EOF de catalogue sont différenciés du point de vue de l’importance économique, i.e. la valeur, que leur accordent les chaînes gratuites sur la période considérée c’est-à-dire de 2005 à ce jour et pour ce faire :
– indiquer pour tous les films EOF de catalogue concernés, leur audience moyenne lors de leurs quatre premières diffusions en distinguant selon qu’il s’agit (i) des chaînes historiques, (ii) des chaînes de la TNT adossées et (iii) des chaînes de la TNT non adossées ;
– indiquer pour tous les films EOF de catalogue concernés, leur succès au box-office ;
2) fournir à la cour d’appel tout élément permettant de déterminer la part de marché en valeur des films associés à des droits préférentiels sur la période considérée c’est-à-dire de 2005 à ce jour et pour ce faire :
– indiquer le nombre de films EOF produits année par année associés à des droits préférentiels ;
– indiquer le nombre exact de films EOF de catalogue diffusés sur (i) les chaînes historiques, (ii) les chaînes de la TNT adossées et (iii) les chaînes de la TNT non adossées année par année sur toute la période considérée ;
– identifier la proportion en volume des films EOF diffusés avec des droits préférentiels au cours de la période considérée, en distinguant selon qu’il s’agit (i) des chaînes historiques, (ii) des chaînes de la TNT adossées et (iii) des chaînes de la TNT non adossées ;
– identifier la proportion en valeur des films EOF diffusés avec des droits préférentiels au cours de la période considérée, selon une ou plusieurs métriques, comme par exemple le succès au box-office ou les données de diffusion, en fonction des données disponibles, en distinguant selon qu’il s’agit (i) des chaînes historiques, (ii) des chaînes de la TNT adossées et (iii) des chaînes de la TNT non adossées ;
– comparer la valeur publicitaire attribuée par les régies publicitaires des chaînes gratuites aux films préfinancés et aux films non préfinancés au cours de la période considérée ;
3) dire que l’expert pourra s’adjuger tout sachant qu’il jugera utile et interroger le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et le Centre National du Cinéma et de l’Image s’il le juge utile,
4) dire que l’expert pourra utiliser un échantillon de films/données suffisamment représentatif afin de mener son étude lorsque le nombre de données à analyser serait impraticable ou que les données pertinentes pour l’analyse ne sont disponibles qu’à l’échelle de cet échantillon,
5) dire que l’expert devra adresser aux parties un pré-rapport, leur impartir un délai d’un mois pour lui adresser leurs dires, y répondre et déposer son rapport définitif au greffe de la Cour.
Et au fond, annuler la décision attaquée ;
Statuant à nouveau :
‘ juger que le marché pertinent sur lequel les effets des pratiques dénoncées doivent être appréciés est le marché distinct des films EOF préfinancés ;
‘ juger que les pratiques dénoncées dans la saisine produisent des effets anticoncurrentiels significatifs prohibés par les articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce ;
‘ condamner l’Autorité à verser la somme de 10 000 euros à chacune des sociétés Groupe Canal+, C8 et CStar en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
40.En réplique la société TF1 demande à la cour :
‘ ‘ titre principal, juger que le marché pertinent est le marché des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue, que les accords en cause couvrent moins de 30 % du marché en cause et, en tout état de cause et quelle que soit la délimitation du marché, que les accords ne sont pas susceptibles de produire un effet cumulatif de verrouillage du marché ;
‘ ‘ titre subsidiaire, juger que ses contrats bénéficient d’une exemption individuelle ;
‘ ‘ titre encore plus subsidiaire, juger qu’en tout état de cause, une condamnation des clauses de priorité et de préemption contenues dans ses contrats constituerait une violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime au regard de la décision n°10-DCC-11 datée du 26 janvier 2010 par laquelle l’Autorité l’a expressément autorisée à prévoir de telles clauses dans ses contrats.
En conséquence :
‘ rejeter le recours des sociétés saisissantes et l’ensemble de leurs demandes, dont a demande d’expertise judiciaire ;
‘ condamner les sociétés saisissantes à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
41.La société Métropole Télévision demande à la cour :
‘ titre principal,
‘ juger recevable son intervention volontaire ;
‘ confirmer en toutes ses dispositions la décision attaquée ;
‘ rejeter l’ensemble des demandes des sociétés Groupe Canal +, C8 et CStar ;
‘ titre subsidiaire,
‘ juger qu’elle ne contribue pas significativement à l’effet cumulatif allégué ;
‘ titre infiniment subsidiaire,
‘ juger qu’elle bénéficie de l’exemption prévue par le règlement n°330/2010 du 20 avril 2010 ;
En tout état de cause,
‘ condamner les sociétés saisissantes à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
42.Par son mémoire récapitulatif la société France Télévisions demande à la cour de :
‘ juger mal-fondé le recours formé par les sociétés saisissantes ;
‘ confirmer en toutes ses dispositions la décision attaquée et rejeter l’intégralité des demandes, en ce compris la demande d’expertise ;
‘ condamner les sociétés saisissantes à lui payer la somme de 30’000 euros, sauf à parfaire, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
43.L’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent également la cour à rejeter moyens et recours.
*
* *
MOTIVATION
I. SUR LA DEMANDE D’EXPERTISE
44.L’Autorité, dans la décision attaquée, a rappelé, tout d’abord, que les services d’instruction avaient initialement considéré que la demande des chaînes en clair avait tendance à s’orienter en priorité vers les films qu’elles avaient préfinancés et de ce fait, avaient restreint le marché pertinent de l’achat de droits de diffusion de films EOF aux seuls films préfinancés par les chaînes en clair (cote 13 330). Elle a ensuite précisé que, tenant compte des éléments apportés par les entreprises mises en cause, le rapport avait finalement retenu que le marché pertinent était le marché des droits de diffusion en clair des films EOF de catalogue, dans la continuité de la pratique décisionnelle de l’Autorité (issue des décisions n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal + et n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017 portant réexamen des engagements de la décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal +).
45.L’Autorité a suivi cette dernière analyse, qui ne fait aucune distinction entre les films EOF selon leur mode de financement, et retenu que les effets des pratiques alléguées devaient être appréciés sur le marché des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue. Elle en a déduit que les pratiques alléguées n’étaient pas susceptibles de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour justifier l’application des articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
46.Les sociétés saisissantes considèrent que la délimitation du marché pertinent ainsi que l’analyse des effets anticoncurrentiels des pratiques n’ont manifestement pas été effectuées par l’Autorité et que la technicité de ces questions justifie une mesure d’expertise, conformément aux articles 143 et suivants du code de procédure civile.
47.Elles reprochent à l’Autorité de ne pas avoir procédé à une segmentation entre, d’une part, les films préfinancés par les chaînes de télévision gratuites historiques, qui sont à fort potentiel d’audience et de recettes publicitaires, d’autre part, les films non-préfinancés. Elles déplorent, en particulier, l’absence de prise en compte de la valeur économique des films EOF concernés ainsi que l’absence de certitude concernant le nombre précis de ces films. Elles considèrent que la décision de non-lieu a été prise sur des bases erronées, conduisant à retenir que les pratiques dénoncées, dont la réalité et la gravité ont été constatées, s’exerçaient sur moins de 30 % du marché des films EOF.
48.Au regard des « estimations divergentes » quant au volume de films EOF de catalogue disponibles, expressément relevées par l’Autorité, et des graves erreurs d’appréciation qu’elles estiment commises dans la décision attaquée, ces sociétés demandent la désignation d’un expert en vue de déterminer plus précisément :
‘ dans quelle mesure les films EOF de catalogue sont différenciés du point de vue de l’importance économique, c’est-à-dire de la valeur, que leur accordent les chaînes gratuites, afin d’identifier avec précision le marché pertinent sur lequel l’analyse des effets de l’exercice des droits préférentiels doit être conduite et ;
‘ l’ampleur des effets anticoncurrentiels des pratiques dénoncées, dont l’existence a été établie et retenue par la décision attaquée.
49.Concernant le premier point, elles estiment que l’Autorité a délimité le marché pertinent en utilisant une approche purement quantitative (le nombre de films EOF de catalogue au sein duquel les chaînes de la TNT gratuite pourraient puiser pour constituer leur grille de programmes) sans tenir compte de leur valeur économique et du fait que les marchés de l’audiovisuel sont considérés comme des marchés bifaces. Elles rappellent que la part de marché publicitaire d’une chaîne ne dépend pas du nombre de films qu’elle diffuse mais de la capacité de ses programmes à générer de l’audience et en déduisent que l’attractivité d’un film est certes fonction de divers critères mais qu’elle répond, pour toutes les chaînes, au même critère objectif de recherche de contenus à fort potentiel d’audience et de recettes publicitaires.
50.Concernant le second point, elles relèvent que l’Autorité a conclu à l’absence d’effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif, en raison, d’une part, du périmètre du marché pertinent retenu, distinct de celui retenu dans la notification de grief et des précédentes décisions de l’Autorité concernant le secteur audiovisuel, d’autre part, après avoir pris en compte la seule part de marché en volume des films associés à des droits préférentiels, sans considération de leur valeur. Elles considèrent qu’il est impératif d’analyser les parts de marché en valeur des films EOF de catalogue afin de déterminer l’ampleur des effets anticoncurrentiels des pratiques et rappellent à cet égard, d’une part, que les lignes directrices de la Commission européenne dites « communication de minimis » 2014/C 291/01, paragraphe12, reconnaissent la nécessité de procéder à une analyse en valeur afin d’apprécier l’effet de pratiques restrictives au sens de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE, d’autre part, que la pratique de l’Autorité dans le cadre d’opération de concentration révèle qu’elle ne se contente pas non plus, habituellement, d’une analyse purement quantitative.
51.Elles soutiennent également que les éléments sur lesquels l’Autorité se fonde, pour déterminer à la fois le nombre de films EOF de catalogue concerné et le nombre de films ayant effectivement fait l’objet de l’exercice de droits préférentiels et pour conclure à l’absence d’effet cumulatif de verrouillage significatif, sont entachés d’incertitudes et d’erreurs. Elles rappellent que les chiffres mentionnés dans l’avis du CSA du 24 juin 2015 (9650 films),dans la réponse apportée par le CNC au questionnaire des services d’instruction (10 000 films) et ceux figurant sur le site internet du CNC (8 376 FIF) ne concordent pas et relèvent que tous les chiffres qu’elles produisent résultent de sources fiables (Médiamétrie, CBO Box-office, catalogue de films Studio Canal). Elles dénoncent également une analyse lacunaire de l’exercice effectif des droits préférentiels, réalisée uniquement sur le taux d’exercice du taux de préemption.
52.Elles précisent que si les métriques utilisées, à savoir le succès au box-office et l’audience des films lors de leur diffusion télévisuelle, présentent certaines limites, cela ne peut justifier la position de l’Autorité de ne pas prendre en compte la valeur des films. Elles considèrent que c’est précisément le but de la désignation d’un expert indépendant que de remédier de manière objective à toutes limites éventuelles rencontrées lors de l’analyse de la valeur des films.
53.Elles estiment, compte tenu du fait qu’après cinq ans d’instruction la question de la délimitation précise du marché pertinent ne s’est réellement posée que tardivement et que des changements d’assiette sont intervenus au cours de la procédure concernant le nombre de films de catalogue et de films EOF préfinancés, que l’intervention d’un expert, neutre, est d’autant plus importante.
54.Elles font valoir enfin que seul un expert neutre et indépendant pourra se faire communiquer tous documents confidentiels, et procéder à toutes études, notamment concernant les autres parties intervenantes à la procédure, à savoir les sociétés TF1, M6 et France télévisions, et aura la possibilité d’entendre les parties de manière confidentielle, ainsi que tout sachant. Elles ajoutent que la note en délibéré déposée le 15 juillet 2020 par l’Autorité conforte cette nécessité dès lors qu’elle confirme qu’elles ne peuvent déterminer les coûts de grille des concurrents de la chaîne C8 pour parfaire leur démonstration.
55.La société France Télévisions estime que la mesure d’expertise sollicitée est dépourvue d’objet et « mal venue » compte tenu de l’instruction menée, particulièrement longue (près de six ans) et détaillée. Elle fait valoir qu’aucun élément concret ne permet de douter de l’exactitude des chiffres officiels retenus par l’Autorité, que les estimations du CSA et du CNC, qui restent proches, sont parfaitement cohérentes et que leurs différences s’expliquent par les méthologies différentes pratiquées.
56.Elle considère, en substance, que plusieurs éléments justifient le rejet du recours et de la demande d’expertise :
‘ la définition de marché proposée par les sociétés saisissantes, à la fois inédite et opportuniste, est injustifiée. L’amalgame opéré entre financement par une chaîne historique en clair et attractivité n’est pas fondé selon elle ;
‘ l’attractivité n’est pas un critère pertinent de segmentation du marché, la demande des chaînes de la TNT étant notamment fonction de leur ligne éditoriale et un tel critère ne correspond pas à la pratique décisionnelle constante qui retient le marché des films EOF de catalogue sans jamais avoir admis un marché étroit limité au préfinancement des films EOF par des chaînes en clair ;
‘ si on suit la logique retenue par les demandeurs (l’attractivité des films), il est
arbitraire d’exclure les films préfinancés par le groupe Canal+ ‘ acteur dominant du préfinancement de films EOF’ ainsi que par Orange Cinéma Séries (OCS) ‘ co-entreprise entre la société Orange et le groupe Canal+ ‘ également un autre acteur majeur du préfinancement ‘ qui tous deux préfinancent des films attractifs.
‘ il n’existe pas d’effet restrictif cumulatif sensible du fait des droits préférentiels consentis dès lors qu’il suffit aux nouvelles chaînes de la TNT de formuler une offre suffisamment attractive pour obtenir les droits de diffusion, les clauses litigieuses ne faisant pas obstacle à la vente des droits de diffusion au mieux disant.
57.Elle ajoute que ce sont en réalité les capacités budgétaires limitées de ces chaînes ‘ et non les droits de priorité et préemption ‘ qui empêchent ces dernières d’avoir accès aux films de catalogue les plus attractifs et observent que les sociétés saisissantes en font l’aveu lorsqu’elles excluent certains films de patrimoine, classiques ou films cultes de « leur » marché en raison du fait qu’ils sont « très coûteux » ce qui les rend « inaccessible pour les chaînes de la TNT non adossées ».
58.La société TF1 partage la même position concernant tant l’adéquation du marché retenu par l’Autorité, conforme à une jurisprudence constante et à l’avis du CSA, que l’absence d’effet cumulatif de verrouillage du marché résultant des droits préférentiels en cause.
59.Elle fait valoir que l’expertise judiciaire sollicitée est, par suite, dépourvue de toute utilité, d’autant que la cour dispose de tous les éléments lui permettant d’apprécier la délimitation retenue par l’Autorité.
60.Elle relève à cet égard :
‘ d’une part, que le chiffre retenu par l’Autorité quant au volume de films EOF est à la fois favorable aux sociétés saisissantes et fiable, dès lors qu’il’ émane du CNC qui a précisément pour mission de recenser et d’accorder des visas à tous les films diffusés en salle en France ;
‘ d’autre part, que les données figurant au dossier relatives à l’exercice du droit de préemption couvrent déjà une période significative de six ans et sont corroborées pour les années postérieures (2016 à 2018).
61.Elle souligne également que l’Autorité ne s’est pas exclusivement fondée sur des données quantitatives, dans la mesure où c’est après une analyse détaillée qu’elle a exclu la thèse des plaignantes selon laquelle les films préfinancés auraient une attractivité particulière qui les rendait non-substituables. Elle rappelle notamment le caractère très subjectif de la notion d’attractivité et renvoie aux paragraphes 42 et suivants de ses conclusions sur le fond pour écarter le raisonnement consistant à dire que la valeur des films préfinancés justifierait qu’ils appartiennent à un marché distinct.
62.Elle ajoute que, indépendamment de la taille du marché et de la détermination d’un taux d’application des droits de priorité, les prétentions des sociétés saisissantes sont en tout état de cause infondées dès lors que la chaîne C8 n’a aucun problème d’accès aux films EOF préfinancés liés aux clauses qu’elle dénonce et en diffuse d’ailleurs un nombre important.
63.La société Métropole Télévision partage la même analyse relevant la constance avec laquelle le marché pertinent est défini depuis plus de dix ans, la subjectivité du concept d’attractivité, l’absence de caractère incontestable du critère du succès au box-office comme indicateur de la valeur d’un film, la réalisation de bons scores d’audience à la télévision de films qui ne font pas l’objet de droits préférentiels et la substituabilité, du point de vie des chaînes, des films préfinancés et non préfinancés, toutes les chaînes gratuites diffusant aussi bien des films de catalogue ayant fait l’objet d’un préfinancement que des films non préfinancés.
64.Elle estime, comme les autres sociétés intervenantes, que la véritable barrière à l’accès aux films EOF de catalogue à fort potentiel d’audience, pour les chaînes non adossées, demeure le montant des droits de diffusion et non les droits préférentiels critiqués.
65.Elle relève que, au-delà du fait que les données issues du dossier de l’instruction sont amplement suffisantes pour permettre à la cour d’apprécier la délimitation de marché opérée par l’Autorité, l’expertise sollicitée est sans objet dès lors que les clauses litigieuses ne produisent aucun effet anticoncurrentiel de verrouillage qui aurait pour effet d’empêcher les concurrents de leurs titulaires de s’approvisionner en films EOF.
66.Elle ajoute que les chaînes C8 et CStar, adossées à la société Groupe Canal +, acteur dominant sur les marchés connexes de l’acquisition de droits de diffusion payants de film EOF et par ailleurs détenteur, via sa filiale StudioCanal, du catalogue le plus riche de ces films, ont en l’état actuel largement les moyens de diffuser tout type de film EOF et que cette possibilité de diffuser des films EOF à fort potentiel pourrait devenir à l’inverse anticoncurrentielle dès lors que le Groupe Canal + peut, depuis le 1er janvier 2020, faire jouer à plein ses effets de levier et son intégration verticale.
67.L’Autorité considère que les évaluations qui figurent dans la décision, de même que les différentes données présentes au dossier (notamment la cote 16034 relative à l’évaluation du nombre de films produits chaque année associés à des droits préférentiels), sont suffisantes pour permettre à la cour d’apprécier la délimitation de marché opérée dans la décision contestée et, qu’en toute hypothèse, l’exercice marginal du droit de préemption n’est pas de nature à produire un effet cumulatif suffisamment sensible.
68.Elle ajoute que :
‘ l’expertise tendant à mesurer l’existence d’une attractivité supplémentaire des films préfinancés n’est pas nécessaire pour la solution du litige, dans la mesure où le potentiel d’audience d’un film lors d’une diffusion télévisée dépend de plusieurs facteurs exogènes propres aux circonstances de sa diffusion, tels que les programmes diffusés par les chaînes concurrentes dans la même fenêtre de diffusion ;
‘ le recueil d’informations sur le succès au box-office des films a un intérêt limité pour les besoins de l’espèce en l’absence de corrélation avérée entre le succès en salle d’un film et son attractivité pour les chaînes gratuites. En effet, elle considère qu’il ne peut être exclu qu’entre la sortie d’un film en salle et la décision d’en acquérir les droits de diffusion après plusieurs diffusions à la télévision, son attractivité puisse évoluer positivement ou négativement et renvoie aux illustrations données au paragraphe 35 de ses écritures ;
‘ pour les mêmes motifs, elle estime que la mesure de la valeur publicitaire attribuée par les régies publicitaires des chaînes gratuites aux films préfinancés et aux films non préfinancés n’est pas nécessaire pour le cas d’espèce.
69.Elle considère également qu’il n’est pas possible d’évaluer, avec une précision suffisante, la mise en ‘uvre effective du droit de priorité pour les motifs exposés au paragraphe 160 de la décision attaquée et rappelle que ce droit, qui ne confère aucune exclusivité d’achat, ne permet pas de bloquer les achats des tiers. Elle souligne également, en ce qui concerne le prix des films préfinancés, que le choix de la chaîne C8 de ne pas investir sur les films préfinancés peut être expliqué par sa ligne éditoriale et ses capacités budgétaires restreintes.
70.Elle signale enfin que l’étude économique produite à l’appui de la demande d’expertise s’appuie sur le catalogue StudioCanal pour analyser la valeur économique des films préfinancés sans toutefois qu’il soit démontré en quoi le raisonnement adopté pour leur catalogue serait transposable aux chaînes historiques gratuites.
71.En dernier lieu, elle estime, quand bien même les accords de préfinancement dépasseraient le seuil de 30 % fixé par la communication de minimis, qu’aucun effet in concreto de verrouillage du marché ne peut être attribué auxdits accords, de sorte que la demande d’expertise est, en tout état de cause, inutile.
72.Le ministre chargé de l’économie, comme le ministère public, invite la cour à rejeter la demande, considérant que l’analyse de l’Autorité s’est fondée sur un ensemble de données fiables émanant du CNC, des opérateurs en cause et des analyses économiques soumises au contradictoire.
***
Sur ce, la cour
73.Aux termes de l’article 143 du code de procédure civile « [l]es faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».
74.Il doit par ailleurs être rappelé qu’en application de l’article 144 de ce code « [l]es mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer » et que « [l]e juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige » conformément à l’article 147 du même code.
75.C’est dans le respect de cette double limite que doit être appréciée la demande d’expertise qui a pour premier objectif de recueillir les éléments permettant, selon les sociétés saisissantes, de délimiter le marché pertinent sur lequel l’analyse des effets de l’exercice des droits préférentiels doit être opérée, et plus précisément démontrer l’existence d’une segmentation de marché distinguant les films EOF de catalogue préfinancés et ceux n’ayant pas fait l’objet d’un préfinancement par les chaînes en clair.
76.Il convient de relever, en premier lieu, qu’au cours de l’instruction de la plainte, le CSA, saisi par l’Autorité, lui a transmis le 24 juin 2015 un avis n° 2015-11, aux termes duquel, cette autorité publique indépendante chargée de la régulation de l’audiovisuel en France, réitèrant les observations de son avis n° 2014-2 du 12 février 2014, considère comme pertinente la segmentation du marché des droits de diffusion en clair de film EOF, distinguant :
‘ le marché du préachat de droits de diffusion (lui-même segmenté en deux sous marchés : le marché du préachat de droits de diffusion de films français en première fenêtre en clair et le marché du préachat de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair) et,
‘ le marché de l’achat de droits de diffusion de films français.
77.Il y a lieu de constater, en deuxième lieu, que pour écarter la thèse des sociétés saisissantes selon laquelle une nouvelle segmentation devrait être retenue, l’Autorité s’est tout d’abord appuyée sur les données suivantes :
‘ les éléments chiffrés contenus dans l’avis du CSA n° 2015-11 précité, couvrant la période 2012-2014, ainsi que l’analyse concurrentielle qui y figure faisant état de la position prépondérante des groupes TF1, France Télévisions et Métropole Télévision dans le préfinancement de la production française, des investissements dans le cinéma des chaînes de la TNT 2005 et 2012 filiales des grands groupes, de la position des différents groupes audiovisuels dans la diffusion d”uvres cinématographiques EOF, des diffusions des films français ayant réalisé les meilleures audiences sur les chaînes gratuites ;
‘ les deux études réalisées par le CNC concernant :
la production cinématographique en 2012, permettant de déterminer la nature des interventions des sociétés mises en cause en la matière (nombre de films coproduits (dont FIF), préachats, apports en coproduction, moyenne des investissements par film) (annexes 17 et 21) ;
la diffusion des films à la télévision en 2012, permettant d’identifier l’évolution et la structure de l’offre de films sur les chaînes nationales gratuites, les chaînes nationales publiques, les chaînes nationales privées gratuites, l’offre cinématographique sur Canal+, ainsi que l’analyse qui a été faite de l’audience des films en première partie de soirée et des meilleurs audiences réalisées sur les chaînes gratuites (comportant en annexes la liste des films agréés entre 2005 et 2009, non encore diffusés, coproduits par une chaîne de France Télévisions, TF1, M6, ainsi que la liste des films diffusés sue la case du samedi soir de Canal+ en 2012 et le classement des films les plus diffusés sur les chaines nationales gratuites depuis 1957) (annexe 22).
78.Sur le plan de la méthodologie, il doit être précisé que les résultats ainsi présentés sont issus d’une base de données commune au CSA et au CNC qui recense toutes les diffusions de films de long métrage sur les chaînes nationales publiques (France Télévisions, Arte et LCP-AN), sur les chaînes nationales privées gratuites (TF1, M6 et les chaînes privées de la TNT gratuite) et sur Canal+, la base de données, qui fait l’objet de réactualisations régulières, étant enrichie de données d’audience fournies par Médiamétrie. (annexe 22, étude CNC page 7) :
‘ le recensement des films coproduits par StudioCanal entre 2008 et 2012 et ceux diffusés en 2010 et 2011 sur les chaines hertziennes historiques, ainsi que la liste des droits de préemption des droits télévisuels gratuits existant dans les contrats de coproduction des filiales de productions des diffuseurs sur cette période, pour définir le nombre de films coproduits par une chaîne hertzienne historique comportant une clause de droit de préemption au bénéfice de cette même chaîne (annexes 18 et 19) ;
‘ les recensements des films français ayant réalisé plus d’un million d’entrées en salle en 2011 et 2012, extraits du Bilan CNC 2011 n° 322 de mai 2012 et du Bilan CNC 2012 n° 326 de mai 2013, indiquant que tous ces films ont été coproduits par une chaîne gratuite historique hertzienne en 2011, de même qu’en 2012, à une exception (annexe 23) ;
‘ la liste des films EOF produits depuis 1987 :
diffusés sur W9 de 2009 à 2013, présentée par ordre décroissant d’audience, avec indication de la chaîne gratuite coproductrice, faisant état de ce que près de 60 % des films diffusés par W9 sur cette période ont été coproduits par M6. (annexe 25) ;
diffusés sur TMC entre 2010 et 2013, présentée par ordre décroissant d’audience, avec indication de la chaîne gratuite coproductrice, faisant état de ce que plus de 90 % des films diffusés par TMC sur cette période ont été coproduits par TF1. (annexe 26) ;
diffusés sur NT1 entre 2011 et 2013, présentée par ordre décroissant d’audience, avec indication de la chaîne gratuite coproductrice, faisant état de ce que plus de 80 % des films diffusés par NT1 sur cette période ont été coproduits par TF1. (annexe 27) ;
‘ outres de nombreuses auditions, dont celle de l’Union des producteurs de films (annexe 65), qui renseignent sur les usages du secteur.
79.La mesure d’expertise ne peut donc être justifiée par l’absence de fiabilité ou de pertinence de la base de données constituée par l’Autorité, majoritairement issue des recherches et études menées par le CSA et le CNC, qui font autorité dans leur domaine, ou d’éléments fournis par les professionnels du secteur.
80.Ainsi que les sociétés intervenantes le font justement valoir, les estimations du CSA et du CNC (9650 films de catalogue selon l’avis CSA du 24 juin 2015, environ 10 000 selon la réponse du CNC au questionnaire adressé par les services d’instruction le 16 février 2015 et 8376 FIF de catalogue selon les statistiques publiques publiées sur le site du CNC au jour de la décision attaquée le 27 mai 2019) restent cohérentes compte tenu des différences de méthodologies utilisées, les films de catalogue « détenus par des ayant droits français ou leurs mandataires » et les « FIF » n’étant pas strictement identiques même si la quasi totalité des FIF sont des films EOF.
81.La « divergence d’estimations » quant au volume de films EOF de catalogue disponibles, dont fait état la décision attaquée au paragraphe 100 ‘ qui s’explique surtout par l’évaluation proposée par les sociétés saisissantes (6000 films) qui diffère sensiblement des estimations précitées mais n’est pas pertinente pour les motifs exposés au paragraphe 174 du présent arrêt, ne justifie pas la mesure d’expertise, la cour disposant des éléments nécessaires pour se déterminer.
82.Compte tenu des périodes relativement significatives déjà observées et des enseignements qui ont été tirés des données transmises, sur lesquels la cour reviendra dans les développements ultérieurs du présent arrêt, la circonstance que ces données ne couvrent pas intégralement la période visée par les sociétés saisissantes (2005 à nos jours) n’est pas davantage de nature à justifier la mesure d’expertise qui excède ce qui s’avère strictement nécessaire à la solution du litige.
83.L’Autorité a ensuite recueilli un certain nombre d’éléments établissant qu’elle n’a pas procédé à une analyse purement quantitative, en particulier :
‘ lorsqu’elle a examiné la question de l’attractivité des films EOF de catalogue (§ 107 à 111). Elle s’est appuyée, à cet égard, sur l’analyse du CNC (cote 3155), ainsi que sur les éléments recueillis auprès de ce dernier ;
‘ lorsqu’elle a relevé la corrélation entre le montant des droits de diffusion d’un film EOF de catalogue et son succès lors du premier cycle d’exploitation, ainsi que la corrélation entre les ressources des chaînes et le potentiel d’audience télévisée d’un film (§ 112 à 123), mises en évidence par l’avis du CSA du 24 juin 2015, qui a souligné la logique d’efficacité des distributeurs qui ciblent « les chaînes susceptibles d’être les plus intéressées et ayant les moyens financiers de les acquérir au meilleur prix » (cote 4014) ;
‘ lorsqu’elle a analysé les statistiques du CSA relatives à la diffusion des films diffusés par les nouvelles chaînes de la TNT, pour définir leur caractère ancien ou récent, et dont il ressort qu’ils sont généralement plus anciens que ceux diffusés par les chaînes historiques ;
‘ lorsqu’elle a fait état de la corrélation, soulignée par l’avis du CSA du 24 juin 2015, entre les capacités financières d’une chaîne et la durée d’exclusivité de diffusion qu’elle est capable de négocier pour préserver le caractère événementiel de la diffusion, la valeur d’un film étant susceptible de diminuer lorsqu’il est diffusé un grand nombre de fois sur de courtes périodes, entraînant une ‘usure’ du film en termes de potentiel d’audience.
84.La cour retient en conséquence, comme l’Autorité, que la recherche de données relatives aux audiences moyennes des films EOF préfinancés par des chaînes en clair sur la période 2005 à nos jours ne permettrait pas de conclure à l’existence d’une attractivité supplémentaire intrinsèque de ce type de films, dans la mesure où le potentiel d’audience d’un film lors d’une diffusion télévisée dépend de plusieurs facteurs exogènes propres aux circonstances de sa diffusion, tels que les programmes diffusés par les chaînes concurrentes dans la même fenêtre de diffusion ou la ligne éditoriale de la chaîne (une chaîne tout public ayant vocation à réaliser une audience plus importante qu’une chaîne dédiée à un certain type de programme ou de public), ce que des chiffres bruts ne permettent pas de renseigner.
85.De la même manière, la recherche de la valeur publicitaire attribuée par les régies publicitaires des chaînes gratuites aux films préfinancés et aux films non préfinancés n’est pas pertinente dès lors que cette valeur ne dépend pas de la nature préfinancée ou non du film mais des conditions dans lesquelles il est diffusé (tenant notamment au contexte, aux programmes diffusés sur les autres chaînes et aux conditions de diffusion négociées). A cet égard, l’avis du 24 juin 2015 du CSA rappelle que les chaînes historiques négocient une seule diffusion par fenêtre là où les nouvelles chaînes de la TNT achètent souvent une multidiffusion et qu’elles peuvent négocier, compte tenu du montant très élevé qu’elles sont capables de consacrer aux achats de droits de films de catalogue, une durée d’exclusivité de diffusion d’un film de catalogue de dix-huit mois, alors que les nouvelles chaînes de la TNT négocient des durées plus courtes, d’une durée minimale de trois mois et plus généralement de six ou neuf mois (cote 3990). Ces éléments, qui permettent de préserver le caractère événementiel de la diffusion, influent ainsi sur la valorisation des espaces publicitaires, indépendamment de la nature du film, préfinancée ou non.
86.Par suite, et sans méconnaître la dimension biface des marchés de l’audiovisuel, n’est-il pas pertinent d’ordonner une mesure d’expertise pour déterminer la part de marché en valeur des films associés à des droits préférentiels, d’autant que la cour dispose des éléments lui permettant d’apprécier si les chaînes de la TNT non adossées aux chaînes historiques sont en mesure, ou non, d’accéder au marché de la diffusion des films EOF de catalogue, y compris à ceux qui ont été préfinancés et pour lesquels des droits préférentiels ont été prévus.
87.Sur l’insuffisance de données relatives à la mise en ‘uvre du droit de priorité, il convient de rappeler que ce droit est un simple droit de première présentation, qui, lorsqu’il est exercé, ouvre une négociation avec l’ayant droit dans les conditions de marché.
88.Le droit de priorité n’a aucun impact sur les négociations avec l’ayant droit et ne permet au préfinanceur :
‘ ni d’empêcher l’ayant-droit de sonder les concurrents pour définir le niveau de prix qu’il peut escompter auprès d’eux ;
‘ ni de s’opposer à ce que l’ayant droit propose les droits de diffusion au marché s’il considère l’offre du préfinanceur insuffisante.
89.Il ressort de l’audition de l’Union des producteurs de films (annexe 65) que le droit de priorité « doit se faire au prix du marché. Pour cela, il faut connaître le prix du marché, ce qui ne pose pas de difficulté particulière pour les producteurs car il s’agit d’un ‘petit milieu’ ; les gens se parlent, connaissent bien le secteur et ont une expertise quant au prix du marché ».
90.Cet organisme professionnel observe d’ailleurs qu’il « n’existe pas d’observatoire des pratiques et ces dernières varient en fonction des films et des parties aux contrats ».
91.Ainsi, une mesure d’expertise pour déterminer le taux d’exercice d’un droit de priorité serait inutile et vaine.
92.La demande d’expertise est rejetée.
II. SUR L’EXISTENCE D’UN MARCHÉ PERTINENT LIMITÉ AUX FILMS EOF PRÉFINANCÉS PAR LES CHAÎNES EN CLAIR
93.Les sociétés saisissantes, invoquant une erreur dans la délimitation du marché pertinent et la nécessité d’appliquer la segmentation déjà exposée dans les développements consacrés à leur demande d’expertise, déduisent plusieurs enseignements de l’analyse économique qu’elles produisent (pièce des sociétés saisissantes n° 11), effectuée sur la base du catalogue de StudioCanal et d’informations publiques.
94.Elles font valoir, en premier lieu, que les films EOF de catalogue sont différenciés du point de vue de l’importance économique (de la valeur) que leur accordent les chaînes gratuites. Selon elles, les films préfinancés, à gros budget et fort potentiel d’audience, sont plus attractifs et constituent de meilleurs supports d’investissements publicitaires. Ils présentent des caractéristiques permettant de satisfaire des besoins spécifiques, ne sont pas interchangeables avec d’autres contenus tels que des films non préfinancés qui ne permettent pas de constituer une grille de programme attractive pour le marché de la publicité télévisuelle. Elles se réfèrent sur ce point, notamment, aux données internes du groupe Canal + établies à partir des données Médiamétrie et aux éléments chiffrés figurant dans l’avis n°2015-11 du CSA relatifs aux films ayant réalisé les meilleures audiences.
95.Elles estiment que cette situation explique pourquoi, afin de parvenir à des parts d’audience satisfaisantes, les chaînes de la TNT non adossées doivent privilégier des talk-shows. Elles ajoutent que si la convention conclue par la chaîne C8 avec le CSA prévoit que « la programmation est caractérisée par la présence importante d’émissions réalisées en direct », cette convention indique également qu’« elle privilégie les émissions inédites, les émissions en direct, les retransmissions d’événements, l’information, le divertissement, la découverte des nouveaux talents, la culture et le cinéma ». Elles soulignent que le cinéma figure ainsi sur le cahier des charges à l’article 3-1-1. Elles en déduisent que c’est à tort que l’Autorité considère que ce choix de diffusion peut être expliqué à la fois par les contraintes budgétaires et la ligne éditoriale propres à la chaîne.
96.Elles relèvent qu’afin de proposer une ligne éditoriale cohérente avec son cahier des charges et de satisfaire à ses obligations de diffusion en matière d”uvres audiovisuelles et cinématographiques EOF, la chaîne C8 doit pouvoir accéder à des films cinématographiques à fort potentiel d’audience et constate que faute de pouvoir accéder à des films préfinancés attractifs, la chaîne C8 n’a d’autre alternative pour générer de l’audience et par suite des recettes publicitaires, que la diffusion massive de programmes de flux ou la diffusion de films américains.
97.Elles soutiennent, en deuxième lieu, que les films préfinancés, qui sont associés à des droits préférentiels, sont des films à forte valeur économique, compte tenu de leur « surperformance » en terme d’audience, dont l’accès est privilégié pour les titulaires de ces droits. Dans un secteur, celui de la télévision gratuite, qui est considéré comme un marché biface cette situation donne aux chaînes historiques titulaires de ces droits un accès privilégié au marché publicitaire télévisuel. Elles en déduisent que, par suite de l’interdépendance entre l’acquisition de droits, l’audience et la part de marché publicitaire, les chaînes de la TNT non adossées se trouvent dans une situation d’asymétrie concurrentielle par rapport aux chaînes historiques et aux chaînes de la TNT adossées à ces groupes.
98.Elles ajoutent que leur analyse est confortée par la Communication de la Commission européenne sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (97/C372/03), qui indique que le marché pertinent de produits « comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés », comme par la pratique décisionnelle de l’Autorité qui considère qu’un écart de prix substantiel durable entre différents produits est un indice de non-substituabilité entre eux. Elles invoquent encore par transposition, la segmentation du marché des droits sportifs opérée entre les droits « premiums » et « non premiums », considérant que si les droits en cause ne sont pas « moteurs d’abonnement » comme le sont les droits portant sur des compétitions footballistiques ou des événements sportifs d’importance majeure, ils sont bien moteurs de recettes publicitaires. Elles considèrent que l’Autorité ne peut raisonnablement soutenir que l’attractivité des films préfinancés ne peut pas constituer en soi un élément de distinction du marché pertinent, sans se placer directement en contradiction avec les motifs retenus dans ses décisions portant sur le secteur des droits audiovisuels autres que le cinéma et alors qu’elle n’offre aucune justification rationnelle.
99.Pour exclure toute substituabilité entre films préfinancés et non préfinancés, elles contestent l’existence d’un nombre important de films attractifs non préfinancés dès lors que :
‘ s’agissant des films de patrimoine :leur nombre est très limité et leur ancienneté n’exclut pas qu’ils bénéficient de droits préférentiels. Elles observent que seuls quelque films de patrimoine de plus de 40 ans sont susceptibles de ne pas bénéficier de droits préférentiels et conservent aujourd’hui encore leur attractivité (« Les aventures de Rabbi Jacob », « La grande vadrouille »…) mais constatent que le caractère exceptionnel de ce type de film les rend très coûteux et par conséquent inaccessibles pour les chaînes de la TNT non adossées ;
‘ s’agissant des films préfinancés par des chaînes de télévision payante, qui peuvent être attractifs (même si les films les plus attractifs sont en règle générale ceux disposant du budget le plus élevé et donc préfinancés à la fois par une chaîne de télévision payante et une chaîne historique en clair), elles observent qu’à l’occasion du rachat des chaînes C8 et CStar en 2012, le groupe Canal + s’est engagé, d’une part, à ne pas procéder au préachat de droits de diffusion en télévision payante et en télévision en clair pour le même film EOF, pour plus de 20 films au cours d’une même année calendaire et, d’autre part, et surtout, à négocier ses acquisitions de droits de diffusion en télévision gratuite de manière séparée de ses acquisitions de droits de diffusion en télévision payante et à ne pratiquer aucune forme de couplage. Elles indiquent que, du fait de ces engagements, les chaînes en clair, C8 et CStar, n’ont jamais bénéficié des acquisitions de films attractifs effectuées par la chaîne payante Canal + . Elles relèvent, à l’inverse, que les études du CNC révèlent que la majorité des films récents diffusés par les chaînes historiques sont des films préfinancés.
100.Elles ajoutent que la part de marché en valeur des films EOF préfinancés pourrait excéder 50 %, (sur la base d’un ratio des valeurs économiques mesurées par le Box-office des films EOF préfinancés par les chaînes gratuites comparé aux autres films EOF, qui conduit à un ordre de grandeur proche de 4). La même analyse réalisée sur d’autres périmètres confirme, selon elles, le caractère raisonnable de ce résultat dans la mesure où l’estimation sur la seule base des films sortis au cinéma au cours des trois dernières années comme celle réalisée sur les films du catalogue Studiocanal produits entre 1994 et 2013 conduit à estimer une part de marché en valeur des films EOF préfinancés à près de 60 %. Elles en déduisent que la part de marché en valeur des films EOF se situe bien au-delà du seuil de minimis de 30 % et que l’ensemble de ces éléments justifie l’annulation et la réformation de la décision.
101.Les parties intervenantes, l’Autorité et le ministre chargé de l’économie renvoient aux avis concordants de l’autorité de régulation et à la pratique décisionnelle constante qui appliquent la segmentation retenue dans la décision attaquée. Ils relèvent également que dans son avis n° 2019-05 du 17 juillet 2019 relatif à la création de l’entreprise commune Salto par les sociétés France Télévisions, M6 et TF1, le CSA a de nouveau maintenu la même analyse et n’a pas davantage identifié le marché restreint dont se prévalent les sociétés saisissantes.
102.Ils soulignent que les constats opérés à l’occasion d’opérations de concentration demeurent pertinents pour éclairer l’analyse en cause, dès lors qu’ils concernent une même époque et des entreprises identiques.
103.L’Autorité précise à cet égard que les engagements pris dans le cadre de l’opération de concentration précitée répondent aux préoccupations de concurrence identifiées, lesquelles sont sans incidence sur l’appréciation de la substituabilité des films EOF de catalogue préfinancés par les chaînes en clair et des autres types de film, dès lors que l’effet de levier identifié pour justifier les engagements pris par le Groupe Canal + est susceptible de se manifester à l’occasion du préachat des films tandis que la substituabilité s’apprécie une fois toutes les fenêtres préachetées écoulées.
104.Tous critiquent le critère très subjectif et évolutif de la notion d’attractivité revendiquée par les sociétés saisissantes au bénéfice des films EOF de catalogue préfinancés par les chaînes historiques en clair, lequel n’a jamais été retenu pour segmenter un marché. Ils se prévalent également des réponses du CNC confirmant que l’attractivité d’un film peut être différente d’une chaîne à l’autre, ainsi que des chiffres fournis par le CSA, dont il ne ressort pas que les films non préfinancés par les chaînes en clair seraient sous-performants.
105.Les sociétés intervenantes, l’Autorité et le ministre chargé de l’économie s’accordent également pour écarter la pertinence de tout lien automatique entre préfinancement par des chaînes en clair, succès au box-office et bonnes audiences lors de la première diffusion à la télévision.
106.Les sociétés intervenantes observent par ailleurs que le choix des sociétés saisissantes de ne pas inclure certains films de patrimoine dans «’leur’» marché, en raison du fait qu’ils seraient «’très coûteux’», outre qu’il n’est pas pertinent s’agissant de savoir s’ils doivent être inclus dans un marché des films attractifs, constitue un aveu du réel obstacle rencontré par les chaînes C8/CStar, à savoir le caractère coûteux des ‘uvres les plus attractives, qui n’a rien à voir avec les clauses de priorité, de négociation et de préemption.
107.La société Métropole Télévision invoque au soutien de cette analyse les termes de l’audition d’un responsable de Pathé films rapportant la classification des films de catalogue en trois catégorie selon les budgets des chaînes et en déduit que la principale barrière à l’accès des films EOF de catégorie « A » (fort potentiel d’audience) pour les nouvelles chaînes de la TNT résulte bien des prix élevés de leurs droits de diffusion.
108.La société France Télévisions fait valoir, en outre, que les sociétés saisissantes entretiennent’ à dessein ‘ une confusion entre le marché des films de catalogue attractifs et le marché des ‘uvres financées par France Télévisions, M6 et TF1 en excluant du marché arbitrairement défini les films préfinancés par des chaînes concurrentes non historiques en clair, alors que ces dernières font état de ce qu’environ 30 % des 160 films FIF ayant réalisé les 40 meilleures audiences par chaîne entre 2012 et 2014 n’ont pas été coproduits par une chaîne en clair. Elle rappelle à cette fin les chiffres confirmés par le CNC, selon lequel «’Canal+ apporte chaque année près de 50% des investissements totaux des chaînes de télévision » et précise que les engagements du Groupe Canal + ne changent rien au fait qu’il préfinance des films EOF qui sont attractifs et qu’ils devraient dès lors être inclus dans le marché allégué. Elle relève que c’est tout aussi arbitrairement que les sociétés saisissantes excluent de leur «’marché’» les films attractifs financés par la société OCS ainsi que les films de patrimoine attractifs produits avant les années 1990 et non couverts par les droits de priorité, de négociation et de préemption.
109.Elle estime, en tout état de cause, que le critère d’attractivité serait particulièrement peu pertinent au regard de sa situation spécifique dès lors qu’elle est amenée à répartir ses investissements sur une variété de films, dont certains à faible potentiel commercial, pour assurer pleinement les missions de service public qui lui incombent. Pour un exposé détaillé de sa singularité par rapport aux autres chaînes historiques en clair, elle renvoie à ses observations en réponse au Rapport (Pièce n° 2′, paragraphes 20 à 29). Elle ajoute que son contrat d’objectifs et de moyens 2011-2015 précise que «’le groupe poursuivra sa politique de soutien à la création cinématographique dans toute sa diversité, exprimée tant au plan artistique que financier, et portera notamment une attention particulière aux premiers films’». Elle invoque ainsi la situation spécifique dans laquelle elle se trouve, compte tenu de ses missions de service public qui impliquent qu’elle ne recherche pas la rentabilité maximale de ses investissements dans le cinéma français. Elle rappelle également que la Cour des comptes fait le constat du nombre significatif des investissements dans des films de France Télévisions qui ne connaissent pas le succès escompté : «’la moitié des sorties de France 3 Cinéma en 2015 réalisent moins de 100’000 entrées’», étant précisé que France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, les deux sociétés de production de France Télévisions, ne sont structurellement pas rentables. Elle en déduit qu’il serait erroné de considérer par conséquent que tous les films qu’elle finance se trouvent dans la catégorie des films EOF attractifs revendiqués par les sociétés saisissantes.
110.Le ministre chargé de l’économie souligne que si le prix d’un produit est un paramètre qui doit être pris en considération dans la délimitation du marché pertinent, le seul critère d’un prix plus élevé que la moyenne des autres droits est à lui seul insuffisant pour définir un marché pertinent. Il estime que la stratégie éditoriale de la chaîne et le public visé sont des critères de l’attractivité que le film représente et en déduit que les films EOF de catalogue préfinancés par une chaîne en clair ne sont pas systématiquement et automatiquement attractifs pour l’ensemble des chaînes gratuites. Il considère, avec l’Autorité, que les films de patrimoine et ceux qui n’ont pas été préfinancés par une chaîne en clair sont substituables à ceux qui l’ont été.
***
Sur ce, la cour
111.Il convient de rappeler que la définition du marché permet d’identifier le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre les entreprises et de déterminer s’il existe des concurrents réels, capables de peser sur le comportement des entreprises en cause ou de les empêcher d’agir indépendamment des pressions qu’exerce une concurrence effective.
112.L’effet cumulatif dénoncé auprès de l’Autorité justifie, pour apprécier la dangerosité de la pratique critiquée, de prendre en compte l’ensemble des pratiques identiques ou similaires développées sur le même marché. Il est donc nécessaire, comme l’a fait la décision attaquée, de délimiter le marché pertinent avec une précision suffisante pour être en mesure d’apprécier les possibilités pour les concurrents des entreprises mises en cause d’accéder à ce marché.
113.Il ressort d’une analyse constante, tant nationale qu’européenne, qu’un marché comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés. Il est tout aussi constant que la notion de substituabilité n’a pas à être absolue, une substituabilité parfaite entre produits s’observant rarement, comme l’a justement rappelé la décision attaquée au paragraphe 200.
114.Il n’est pas contesté que l’examen doit intervenir sur le marché de l’achat des droits de diffusion télévisuelle d’oeuvres cinématographiques, la question en débat étant uniquement de savoir s’il y a lieu de restreindre le marché de l’achat des droits de diffusion de films EOF aux seuls films préfinancés par les chaînes en clair.
115.Il convient d’observer, en premier lieu, que la nécessité d’une segmentation plus fine n’a jamais été ni retenue ni même invoquée jusqu’ alors. Or, ainsi que l’ont relevé les contradicteurs des sociétés saisissantes, la segmentation actuelle a été considérée comme pertinente par le CSA à plusieurs reprises, dans son avis n° 2015-11 transmis dans la présente affaire, mais encore récemment dans l’avis n° 2019-05 précité. Le CSA connaissant parfaitement les caractéristiques et le fonctionnement du secteur, il s’agit là d’un premier élément confortant le caractère approprié de la segmentation de marché retenue.
116.La segmentation retenue n’a pas non plus été remise en cause à l’issue du test de marché réalisé auprès des opérateurs de secteur, lors du réexamen des engagements pris par les sociétés Vivendi et groupe Canal + dans le cadre de la décision n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017 portant réexamen des engagements de la décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal +. Si cette analyse de marché réalisée dans le cadre d’une opération de concentration ne lie pas la cour, elle s’avère toutefois intéressante pour éclairer celle du marché concerné par les pratiques anticoncurrentielles alléguées, dès lors qu’elle est contemporaine de ces faits et relatives aux mêmes entreprises. Cette décision a relevé qu’« il est toujours pertinent de définir un marché des droits portant sur les films EOF de catalogue, distinct de l’acquisition de films EOF par les chaînes de télévision en clair dans le cadre de préachats, compte tenu notamment de leur attractivité différente et du fait que les films de catalogue ne sont plus soumis à la chronologie des médias » et force est de constater qu’il n’a pas non plus été revendiqué, ni même identifié, d’élément justifiant une nouvelle segmentation à cette occasion.
117.Il convient de préciser que les engagements pris dans le cadre de cette opération de concentration répondent aux préoccupations de concurrence identifiées, lesquelles sont distinctes de l’appréciation de la substituabilité des films EOF de catalogue préfinancés par les chaînes en clair et des autres types de film. L’effet de levier en cause dans les engagements résulte du fait que la société Groupe Canal + « qui reste l’acteur dominant sur le marché de l’acquisition de droits de diffusion de films EOF récents pour la télévision payante, est toujours en mesure de faire jouer un effet de levier entre ses activités de télévision payante et de télévision gratuite ». Comme l’Autorité l’avait relevé dans la décision n° 14-DCC-50, le Groupe Canal + était quasiment le seul acheteur de droits cinématographiques pour une diffusion en première et deuxième fenêtres de télévision payante sur le territoire français et que « [p]ris individuellement, aucun opérateur de la télévision gratuite n’a un poids supérieur à 18 % dans le préachat des films EOF, soit un montant près de trois fois inférieur à celui de GCP. » (§211 de la décision n° 17-DCC-93). Il est donc vain d’invoquer une contradiction entre le raisonnement appliqué au Groupe Canal + lors de l’examen d’une situation mettant en cause l’existence possible d’un effet de levier susceptible de se manifester à l’occasion du préachat des films par le Groupe Canal + au bénéfice des nouvelles chaînes en clair acquises, et celui relatif à la substituabilité des films de catalogue entre eux, qui s’apprécie une fois toutes les fenêtres préachetées écoulées.
118.Il doit être relevé, en deuxième lieu, que la notion de « film de catalogue attractif » n’est quant à elle pas suffisamment homogène pour justifier, ni même permettre, une sous-segmentation du marché des droits de diffusion relatifs aux films EOF de catalogue. Comme l’a justement retenu la décision attaquée, le potentiel d’audience d’un film lors d’une diffusion télévisée dépend de plusieurs facteurs exogènes propres aux circonstances de sa diffusion, tels que les programmes diffusés par les chaînes concurrentes dans la même fenêtre de diffusion. En outre, ainsi qu’il ressort de la réponse apportée par le CNC au questionnaire qui lui a été adressé par les services d’instruction de l’Autorité (pièce n° 3 de France Télévisions), les critères d’appréciation ne sont pas les mêmes en fonction des acteurs économiques et dépendent du marché sur lequel évolue l’acteur, sa stratégie éditoriale, son public. Par suite, à la question 8.« Sur la base des critères que vous avez renseignés à la question précédente, quelle est la proportion du nombre d’oeuvres cinématographiques EOF attractives rapportées au nombre total des ‘uvres cinématographiques de catalogue ‘ » le CNC n’a été en mesure de fournir aucune réponse.
119.Ensuite, s’il est exact que les préachats visent, le plus souvent, les films aux devis les plus élevés, présumés être les plus attractifs, il doit être observé, comme le relevait déjà l’Autorité dans la décision n° 17-DCC-93 précitée, que le développement des chaînes TNT filiales des grands groupes audiovisuels a eu pour effet d’accroître le nombre de fenêtres de diffusion acquises dans le cadre des préachats pour les films EOF. Nul ne conteste que la multiplication des fenêtres de diffusion lors du premier cycle d’exploitation du film conduit à une plus grande « usure » lorsqu’il devient un film de catalogue, de sorte que le film est alors moins générateur d’audience. Il ne parait donc pas pertinent de poser pour principe que l’attractivité d’un film de catalogue, c’est-à-dire sa capacité à générer de l’audience, est liée à la circonstance qu’il a fait l’objet d’un préfinancement par une chaîne historique en clair ou que ce préfinancement garantirait une surperformance des audiences.
120.Les exemples fournis, notamment par les sociétés Métropole Télévision et France Télévisions, qui figurent également pour certains dans la décision attaquée et qui ne sont pas contestés, confirment également l’absence de toute automaticité entre préfinancement par des chaînes en clair, succès au box-office et fortes audiences télévisuelles :
‘ des films ont ainsi connu un grand succès en salle en ayant été produits sans le financement de chaînes en clair, tels « L’Arnacoeur » (plus de 3,7 millions d’entrées en salles), « Baby Sitting » (plus de 2 millions d’entrées en salles) ou encore « Carbonne » (plus de 600 000 entrées en salles) ;
‘ de nombreux films coproduits par une chaîne en clair aux devis élevés (supérieurs à 7 millions d’euros) ont rencontré des succès limités dans les salles, tels que « Les aventures de Philibert » (59 354 entrées en salles en France), « Les reines du ring » (266 285 entrées en salles en France) « La vérité si je mens, les débuts » (194 356 entrées en salles en France) ;
‘ des films préfinancés ont pu ne pas réaliser de bons scores d’audience lors de leur première diffusion à la télévision, alors même qu’ils avaient rencontré un certain succès au box-office, tels en 2017 « [R] [Y] » (plus d’1,6 million d’entrées en salles), diffusé en première partie de programme sur la chaîne France 2, qui a réalisé une audience inférieure (-31%) à l’audience moyenne annuelle de cette chaîne en prime time, en 2018, « Le Petit Prince » (plus d’1,9 million d’entrées en salles), diffusé en première partie de programme sur la chaîne M6, a réalisé une audience inférieure (- 41%) à l’audience moyenne annuelle de cette chaîne en prime time, en 2019, « L’Odyssée » (plus d’1,2 million d’entrées en salles), diffusé en première partie de programme sur la chaîne TF1, a réalisé une audience inférieure (-36%) à l’audience moyenne annuelle de cette chaîne en prime time ;
‘ à l’inverse, des films de patrimoine de plus de 40 ans continuent de réaliser de très bons scores d’audience lors de leur rediffusion à la télévision, tels « Le Gendarme de Saint-Tropez » le 23 mars 2020 (2,96 millions de téléspectateur pour 11, 7% de part d’audience, avec des résultats proches pour les autres films de la même série (« Le Gendarme et les gendarmettes » etc…),« Mais où est donc passé la 7ème Compagnie ‘ » le 9 avril 2020 (6,7 millions de téléspectateurs pour 25,6 % de part d’audience, avec des résultats proches pour les autres films de la même série (« On a retrouvé la 7ème compagnie » etc…)).
‘ outre les films préfinancés par des chaînes payantes, tels ceux préfinancés par le Groupe Canal + : «’Le Grand Bain’» (près de 4 millions d’entrées), «’Mia et le Lion Blanc’» (plus d’1 million d’entrées), «’Paddington’1 » (plus de 2,5 millions d’entrées) ou ceux préfinancés par la société Orange Cinéma Séries (OCS), tels «’The Artist’» (plus de 3 millions d’entrées en France), «’Valérian et la cité des mille planètes’» (près de 4 millions d’entrées), ou encore «’Nicky Larson’» (plus d’1 million d’entrées).
121.Sur ce dernier point, il convient de relever que les sociétés saisissantes ne peuvent utilement invoquer une distorsion de concurrence et le fait qu’elles ne peuvent avoir accès aux films attractifs préfinancés par le Groupe Canal + en raison des engagements qui pèsent sur lui. Tout d’abord, si ce dernier s’est engagé à limiter à 20 films le couplage de préachats de droits en télévision payante et en clair de films EOF (engagement qui a pris fin au 1er janvier 2020), il a été autorisé à bénéficier de droits de priorité et de préemption, comme les autres investisseurs. Ce seuil de 20 films n’est pas anodin dès lors qu’il n’est pas contesté que la société TF1 préfinance un nombre similaire de films. Il n’est donc pas fondé de prétendre que les chaînes de la TNT appartenant au Groupe Canal + ne seraient pas en mesure d’accéder aux films attractifs préfinancés par Canal+. Ensuite, et surtout, il convient de rappeler que l’effet de levier dont il s’agit n’a pas d’incidence sur l’appréciation du caractère substituable des films de catalogue entre eux, ces deux analyses intervenant à des stades et sur des marchés différents.
122.Il convient de relever, en troisième lieu, concernant l’analyse du marché en valeur, que la segmentation actuelle, qui distingue le marché de l’achat de droits de diffusion correspondant aux films de catalogue et celui du préachat de droits de diffusion qui concernent des films inédits (lui-même segmenté en deux sous marché comme le rappelle le paragraphe 76 du présent arrêt) repose sur une différenciation économique tenant compte de l’attractivité intrinsèque de l’inédit et, davantage encore, de la première fenêtre de diffusion par rapport aux diffusions postérieures.
123.La cour souligne également qu’il n’est pas pertinent de se prévaloir de données brutes relatives aux meilleures audiences réalisées par les chaînes historiques en clair pour soutenir la « surperformance » des films préfinancés, dès lors que de telles données intègrent des audiences qui correspondent à des diffusion préachetées qui relèvent de marché différents (pour une première, deuxième ou troisième fenêtre de diffusion).
124.Par ailleurs, ainsi que le relève justement la société TF1, la pièce n° 16 des sociétés saisissantes, listant le montant d’acquisition des seize titres EOF les plus chers programmés sur C8 sur la période 2013-2018, comporte quatre films historiques (« PROFS », « Hibernatus », « Les sous doués en vacances » et « Les sous doués passent le bac ») qui n’ont pas été préfinancés, ce qui établit que la valeur d’un film n’est pas nécessairement corrélée au fait qu’il a été préfinancé.
125.L’approche en valeur, lorsqu’elle présente un degré de pertinence permettant d’identifier une catégorie autonome de produits, est donc prise en compte dans la segmentation de marché actuelle, sans qu’il soit justifié d’en définir une nouvelle sous-segmentation.
126.Comme l’a indiqué un représentant de Pathé films (audition du 22 avril 2015 pièce n°13 de la société Métropole Télévision) et ainsi que le rappelle la décision attaquée (§ 118 à 121), si les films EOF de catalogue se répartissent en trois grandes catégories en fonction de leur potentiel commercial et de leur valorisation, le seul critère d’un prix plus élevé que la moyenne des autres droits (films de catégorie « A » à très fort potentiel d’audiences) est toutefois insuffisant pour définir à lui seul un marché. À cet égard, il n’est pas pertinent d’invoquer la situation spécifique des droits relatifs aux compétitions sportives dites « premium », tels que les droits de la Ligue 1, pour soutenir le contraire, dans la mesure où de tels droits n’ont pas vocation à être rediffusées et présentent une nature événementielle différente des films de catalogue. En outre, au niveau des films EOF, la différenciation de valeur est, comme il a dit précédemment, déjà prise en compte dans la segmentation de marché distinguant l’achat des droits de films de catalogue des préachats, avec la sous segmentation entre les différentes fenêtres de diffusion. L’événementiel, l’inédit, se retrouve ainsi dans la première fenêtre de diffusion.
127.’ la lumière de l’ensemble de ces éléments, il est donc inexact de prétendre que l’Autorité a procédé à une analyse purement quantitative du marché, puisqu’elle a procédé à l’analyse des caractéristiques des films EOF de catalogue, et il n’est pas justifié, dans la configuration actuelle du marché, de procéder à une segmentation plus fine.
128.En quatrième lieu, et sans méconnaître le constat figurant dans l’analyse statistique des films EOF de catalogue produite par les sociétés saisissantes ‘selon laquelle la valeur économique des films EOF varie beaucoup d’un film à l’autre, qui est également exposée aux paragraphes 117 à 121 de la décision attaquée ‘force est de rappeler que pour justifier un marché restreint aux films EOF préfinancés par les chaînes historiques en clair encore faut-il établir que les chaînes de la TNT ne disposent pas de moyens alternatifs pour satisfaire leurs besoins. Or il n’est pas établi que d’autres films de catalogue (patrimoine, non-préfinancés, préfinancés par des chaînes payantes ou gratuites non historiques) ne seraient pas à même de satisfaire les besoins spécifiques des chaînes de la TNT non adossées à une chaîne historique.
129.À cet égard, il n’est pas contestable que les chaînes gratuites de la TNT diffusent aussi bien des films de catalogue ayant fait l’objet d’un préfinancement que des films de catalogue non préfinancés, à l’exception de celles dont la ligne éditoriale les oriente vers un tout autre domaine, par exemple musical. En outre, comme le révèle l’avis du CSA n° 2015-11, 44 % des films diffusés en 2014 correspondent à des films non-coproduits (page 21) et les chaînes C8 [anciennement D8] et NRJ12 ne diffusent pas une proportion plus élevée de films non-coproduits que la moyenne des quatre chaînes qu’elles forment avec TMC [groupe TF1] et W9 [groupe Métropole Télévision-M6] (même avis page 24). En outre, la circonstance que les chaînes historiques en claire diffusent un grand nombre de films coproduits ne permet nullement de conclure que les autres films ne sont pas attractifs mais tend davantage à établir que ces diffusions sont nécessaires pour rentabiliser les investissements initialement consentis.
130.Il convient également de relever, avec les sociétés intervenantes, sans que les chiffres qui suivent ne soient davantage contestés, que le 26 avril 2020, la chaîne C8 a été la première chaîne de la TNT, en termes d’audience, avec la rediffusion de « La cuisine au beurre » qui a réuni plus d’un million de téléspectateurs (1,23 million pour une part d’audience de 4,9 %, conclusions Métropole Télévision, p27), étant observé que cette chaîne avait déjà obtenu l’une de ses meilleures part d’audience en 2017 avec le même film (part d’audience de 3,7 %, pièce n° 12 des sociétés saisissantes) et que ces chiffres sont à rapprocher de la part d’audience moyenne des films français diffusés en première partie de soirée qui atteignait 2,8 % en 2017, comme en 2018 (conclusionTF1, p.18, sur la base des données fournies par Médiamétrie). Elle a, de même, réalisé à plusieurs reprises une part d’audience supérieure à la moyenne des films qu’elle a diffusés en première partie de soirée en 2017 et 2018 grâce à des films de patrimoine, tels que « Maigret tend un piège », « Adieu poulet », « Le petit monde de Don Camillo » ou « Les grandes vacances » (conclusions France Télévisions, p18 et pièce n° 12 des sociétés saisissantes). Les sociétés saisissantes ne sont donc pas fondées à prétendre que les films non-préfinancés seraient sous-performants en termes d’audience et donc de recettes publicitaires.
131.Dans la mesure où il n’est pas contesté que les films de catalogue, non préfinancés par une chaîne historique en clair, permettent de satisfaire les quotas réglementaires pesant sur les chaînes, ni sérieusement contestable qu’ils permettent de générer des recettes publicitaires, comme en témoignent les parts d’audience précitées, force est de conclure qu’ils permettent de satisfaire les mêmes besoins que les films de catalogues préfinancés.
132.Sur la question du potentiel publicitaire, il doit être également relevé que les sociétés saisissantes ne peuvent à la fois se prévaloir de l’interdépendance entre l’acquisition de droits, l’audience et la part de marché publicitaire, pour justifier une nouvelle segmentation du marché en considération de l’attractivité des films et leur valeur économique, et dans le même temps exclure du vivier des films attractifs à fort potentiel d’audience et de recettes publicitaires les films de patrimoine qui sont à la fois aptes à répondre aux besoins des chaînes et ne sont grevés d’aucun droit préférentiel, au motif que leur attractivité les rend très coûteux et par conséquent inaccessibles pour le chaînes de la TNT non adossées.
133.Concernant le critère d’attractivité revendiqué, ce type de film de patrimoine démontre la substituabilité entre les films qui sont préfinancés par des chaînes historiques en clair et ceux qui ne le sont pas.
134.En définitive, le principal critère d’accès est, pour la chaîne qui convoite un film attractif, sa capacité financière à en supporter le coût de diffusion. Comme l’a justement relevé la décision attaquée au paragraphe 121, le CSA fait état, dans son avis du 24 juin 2015, du fait que « les distributeurs, dans une logique d’efficacité, ciblent leurs propositions d’acquisition sur les chaînes susceptibles d’être les plus intéressées et ayant les moyens financiers de les acquérir au meilleur prix » (cote 4014).
135.À cet égard, la cour relève que si les pièces n° 15 et 16 versées aux débats par les sociétés saisissantes établissent que la chaîne C8 est en capacité d’investir ponctuellement des sommes importantes pour l’acquisition des droits de diffusion de certains films préfinancés, elles tendent également à démontrer que l’attribution des droits s’opère en faveur du mieux disant.
136.Au regard de l’ensemble des éléments précités qui ne justifient pas une segmentation plus fine, la définition de marché retenue, qui applique une segmentation issue d’une pratique constante qui demeure toujours pertinente et qui au demeurant a été approuvée par l’autorité de régulation de l’audiovisuel en France, doit être validée.
137.Le moyen est rejeté.
III. SUR LES PRATIQUES LITIGIEUSES ET LEURS EFFETS
138.L’Autorité a constaté, aux paragraphes 129 à 157 de la décision attaquée qui ne sont pas contestés et auxquels la cour renvoie, que les clauses de priorité et de préemption sont apparues à partir du début des années1990 dans les contrats de préfinancement des films EOF et ont vocation à être mises en ‘uvre une fois les fenêtres en clair préachetées arrivées à échéance dans le cadre des discussions relatives aux cessions de droits de films de catalogue.
139.Elle a estimé que ces pratiques n’étaient pas susceptibles de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour justifier l’application des articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce dans la mesure où les droits de priorité et de préemption n’étaient susceptibles d’être exercés que sur 20 % des films français de catalogue disponibles et, en outre, compte tenu du fait que le droit de préemption n’était exercé que de manière extrêmement marginale, ayant représenté moins de 8 % des offres fermes d’achat de droits de diffusion de films EOF de catalogue.
140.Elle a déduit de l’ensemble de ces éléments que les accords conclus entre les groupes historiques en clair et les producteurs de films EOF n’étaient pas susceptibles d’avoir pour effet cumulatif d’entraver la concurrence sur le marché des achats de droits de diffusion des films EOF de catalogue.
141.Les sociétés saisissantes estiment qu’en toute hypothèse, et quand bien même la cour retiendrait un marché unique des films EOF de catalogue, que les pratiques anticoncurrentielles des sociétés TF1, France Télévisions et M6 produisent un effet cumulatif de verrouillage significatif, de nature à justifier l’application des articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce.
142.Comme déjà évoqué, elles se prévalent de l’absence de fiabilité des éléments retenus par l’Autorité, contestant le nombre de films de catalogue disponibles comme le nombre de films préfinancés. Elles considèrent en effet que dans la décision n° 17-DCC-93 l’Autorité a relevé que le catalogue de Studio Canal contenait 1800 films français environ et que sa part de marché sur le marché des films de catalogue EOF était d’environ 30 %. Elles en déduisent que le marché se situe autour de 6000 films et ajoutent que parmi eux moins de 2500 films seraient véritablement exploitables. Elles relèvent également que, dans la notification de griefs (§78) et le rapport (§48) ; le nombre de FIF préfinancés avait été évalué à 1904 entre 1994 et 2015.
143.Dans la mesure où les pratiques perdurent, elles considèrent qu’il aurait été nécessaire d’obtenir des données allant de 1990 à 2018, concernant tant le nombre de FIF préfinancés que la taux d’exercice des droits préférentiels.
144.Elles estiment également que l’Autorité commet une erreur d’appréciation dans son analyse des effets concrets des droits préférentiels dès lors qu’elle ne prend pas en compte l’exercice des droits de priorité.
145.Elles font valoir que l’accès aux films préfinancés est significativement restreint par les droits préférentiels et constatent que contrairement aux chaînes historiques qui diffusent une part importante de films inédits, les nouvelles chaînes de la TNT diffusent quasi-exclusivement des films de catalogue. Elles estiment que faute de pouvoir accéder à des films préfinancés attractifs, la chaîne C8 n’a d’autre alternative que la diffusion massive de programmes de flux et déplorent le fait que les films EOF attractifs circulent quasi uniquement au sein du groupe préfinanceur détenteur des droits préférentiels. Elles dénoncent encore l’asymétrie concurrentielle née de la pratique des achats couplés combinée aux droits préférentiels, dont elles relèvent l’absence de limitation dans le temps.
146.Elles demandent en conséquence d’annuler et reformer la décision en ce qu’elle a prononcé un non-lieu.
147.Dans leur note en délibéré déposée le 22 juillet 2020, elles ajoutent que la comparaison entre leur pièce n°15 et le budget moyen consacré à l’acquisition d’un film EOF de catalogue par une nouvelle chaîne de la TNT, tel qu’évalué par la société France Télévisions au point 120 de ses conclusions récapitulatives, établit que la chaîne C8 est contrainte de surpayer les droits de diffusion des films préfinancés pour contourner les droits préférentiels et que, dès lors qu’il est démontré notamment par leurs pièces 15 et 16 que la capacité budgétaire de C8 lui permet d’investir dans quelques films coûteux il est possible d’en déduire que les difficultés des chaînes de la TNT non adossées à des chaînes historiques d’accéder au marché de l’acquisition des films préfinancés résulte bien des droits préférentiels litigieux et non de leur capacité budgétaire.
148.Les sociétés intervenantes, comme l’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public, estiment, au regard des données chiffrées transmises par le CSA, que les chaînes de la TNT non adossées à des groupes historiques n’ont aucune difficulté à s’approvisionner en films EOF de catalogue et qu’elles diffusent un nombre significatif de films coproduits. Elles en déduisent, comme eux, que l’accès au marché n’est pas entravé et qu’en outre les films circulent en dehors du groupe qui les a préfinancés.
149.La société TF1 précise que les diffusions de films EOF par les chaînes de la TNT non adossées à un groupe historique ont été similaires à celles qui le sont, tant en 2012-2014, qu’en 2017 et 2018 (avis CSA 1015 et pièce TF1 n° 4 et 5).
150.Si la société France Télévisions estime que la théorie de l’effet cumulatif est propre aux clauses d’exclusivité et n’est pas transposable aux clauses de priorité, de négociation et de préemption insérées dans les contrats de préfinancement, à la différence de la société TF1 qui l’estime applicable à tous types d’accord, toutes les sociétés intervenantes’accordent pour dire que cette théorie est d’interprétation stricte et nécessite des conditions cumulatives qui ne sont pas remplies en l’espèce.
151.Elles rappellent que l’estimation du taux de couverture des droits préférentiels retenue par l’Autorité est pertinente, dans la mesure où le nombre de films EOF de catalogue qu’elles ont financé ne fait pas débat et que pour retenir que le marché en cause contient au moins 8’000 ‘uvres l’Autorité a adopté l’approche la plus conservatrice parmi les trois estimations recueillies et s’est appuyée sur les informations fournies par le CNC, qui constituent des données fiables et exhaustives.
152.Elles considèrent ensuite que, même si les chiffres avancés par les sociétés saisissantes étaient fondés et permettaient de dépasser le seuil de 30 % en discussion, cela ne permettrait pas de conclure que l’effet cumulatif avancé est avéré dans la mesure où les droits litigieux n’empêchent pas la circulation des films. Elles constatent également que, sur la période 2009-2015, 92,1 % des offres formulées n’ont pas été préemptées.
153.La société France Télévisions considère également qu’il est faux de prétendre, comme le font les sociétés saisissantes, que l’exercice du droit de priorité conduirait à ce que le stade de l’exercice des droits de préemption ne soit jamais atteint. En effet, elle observe que le droit de priorité donne un «’droit de première présentation’» mais que l”uvre reviendra systématiquement au mieux disant. Elle fait état d’exemples récents dans lesquels elle n’a au final pas souhaité ‘ ou pu ‘ s’aligner’sur les offres formulées par la concurrence et cite notamment «’Le Miraculé’», «’Coup de torchon », «’Buffet froid’», «’La dilettante’», quatre ‘uvres qui ont été achetés par la chaîne C8.
154.La société TF1 ajoute que le nombre de films diffusés, et l’éventuel choix de se concentrer sur les talk-shows ou sur tout autre type de programme, résulte de la ligne éditoriale de chaque chaîne, établie dans la convention conclue avec le CSA. Elle observe, s’agissant de C8, que le cinéma intervient en dernière position dans l’énumération de ses priorités et constate que si C8 privilégie les talk-shows, c’est parce qu’ils correspondent à sa ligne éditoriale, de sorte qu’elle ne peut alléguer d’une prétendue difficulté d’accès à des films EOF alors qu’elle fait le choix de concentrer ses moyens financiers dans la production de ce type d’émissions et non dans le paiement du juste prix pour des films attractifs. Elle rappelle par ailleurs que le critère de décision pour l’acquisition d’un film de catalogue, qu’il soit proposé au groupe ou que le groupe ait pris l’initiative de l’achat, n’est pas l’existence d’un droit de priorité à son profit mais l’intérêt commercial et éditorial du film.
155.Elle précise par ailleurs, que les contrats de coproduction conclus par TF1 Films Production ne contiennent aucune interdiction de vendre les droits de diffusion à d’autres chaînes en clair que les chaînes du groupe TF1 et que les films préfinancés par TF1 ne représentent en moyenne depuis 1994 que 20% des films préfinancés (Notification de Grief, p.112).
156.La société Métropole Télévision rappelle pour sa part l’avis du CSA 2015 et les auditions des professionnels du secteur dont il ressort que la proportion de clauses par groupe reste relativement faible et constate qu’en 2019, 58,8 % des films d’initiative française agréés ne bénéficiaient pas du financement d’une chaîne en clair (Etude CNC 2020, pièce 24). Elle ajoute que quelque soit la période retenue, le taux de couverture des contrats de préfinancement comportant des droits préférentiels sur le marché des films EOF de catalogue reste inférieur au seuil de 30% en dessous duquel un effet cumulatif de verrouillage n’existera manifestement pas selon la Communication dite de minimis.
157.Elle fait également observer que les clauses de priorité et de préemption comportent un facteur de concurrence, à savoir l’offre des chaînes tierces, et qu’elles diffèrent significativement des clauses d’exclusivité dès lors qu’elles n’obligent pas les producteurs à céder les droits des films EOF aux chaînes les ayant préfinancés. Elle relève par ailleurs que la valorisation de chaque film dépend notamment du nombre de chaînes en concurrence pour en acquérir les droits et qu’il n’est pas pertinent de comparer le prix d’acquisition d’un film donné à une moyenne de prix pour prétendre établir qu’une chaîne, telle C8, serait contrainte de « surpayer » les droits de diffusion des films EOF préfinancés.
158.Elle estime également que les performances d’audience de C8 et Cstar, et consécutivement de leurs parts sur le marché publicitaire, démontrent qu’elles n’ont pas été affectées par les pratiques en cause, renvoyant au guide des chaînes numériques édité en avril 2020 par le CNC (pièce Métropole Télévision n°25). Elle rappelle par ailleurs la position dominante du Groupe Canal+, via sa filiale StudioCanal qui détient le catalogue de films EOF le plus important du marché à la fois en qualité et en nombre (décision n° 17-DCC-93 §275) et considère que s’il existe une asymétrie c’est au profit de C8 et Cstar qui sont les seules chaînes gratuites à pouvoir bénéficier de cette position pour capter des contenus. À cet égard, elle relève que depuis le 1er janvier 2020 cette situation pourrait devenir anticoncurrentielle, le Groupe Canal + étant en mesure de faire jouer ses effets de levier et son intégration verticale.
159.Les sociétés intervenantes, comme l’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public, déduisent de l’ensemble de ces développements que les droits de priorité et de préemption ne sont pas, par leur nature et par l’usage qui en est fait, à même de fermer l’accès au marché, de sorte qu’ils n’ont pas pour effet actuel ou potentiel d’empêcher les concurrents d’y accéder.
160.Les sociétés intervenantes font également observer, d’une part, que la disparition des droits préférentiels ne permettrait pas pour autant aux nouvelles chaînes de la TNT de diffuser tous les films auxquels ils sont attachés si elles n’ont pas les moyens financiers d’en payer le prix et ne répondent pas aux critères des distributeurs en termes d’audience et de positionnement, d’autre part, viendrait fragiliser celles qui ont pris le risque d’investir en les privant d’un amortissement lors de l’entrée de ces films dans le catalogue et interviendrait au détriment de la production cinématographique par le risque de limitation des investissements que cette situation pourrait entraîner. Elles concluent par le fait que ce sont les contraintes budgétaires des chaînes, telles que C8/CStar, qui expliquent l’absence d’accès aux ‘uvres les plus attractives et non les clauses de priorité, de négociation et préemption.
***
Sur ce, la cour
161.Aux termes de l’article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
162.L’article L.420-1 du code de commerce prohibe de la même manière ces comportements.
163.Conformément à la théorie dite « de l’effet cumulatif » consacrée par la Cour de justice dans un arrêt du 12 décembre 1967 ( C- 23/67, Brasserie De Haecht / [H] [I]) « en frappant les accords, décisions ou pratiques en raison, non seulement de leur objet, mais aussi de leurs effets au regard de la concurrence, l’article 85, §1 [devenu 101 TFUE], implique la nécessité d’observer ces effets dans le cadre où ils se produisent, c’est-à-dire dans le contexte économique et juridique au sein duquel ces accords, décisions ou pratiques se situent et où ils peuvent concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ; qu’il serait vain, en effet, de viser un accord, une décision ou une pratique en raison de leurs effets, si ceux-ci devaient être séparés du marché où ils se manifestent et ne pouvaient être examinés que détachés du faisceau d’effets, convergents ou non au milieu desquels ils se produisent ».
164.Cette théorie repose sur la nécessaire prise en compte du contexte dans lequel s’inscrivent des contrats pour apprécier leurs effets au regard de la concurrence, de sorte que rien ne justifie de restreindre son champ d’application à la seule hypothèse des contrats assortis de clauses d’exclusivité.
165.Il est constant en l’espèce que les pratiques anticoncurrentielles alléguées ne résultent pas d’accords de volonté qui pris individuellement seraient prohibés, mais de la mise en oeuvre indépendante de plusieurs contrats identiques, ce qui pose la question de savoir si et dans quelle mesure ces contrats produisent un effet cumulatif de blocage du marché.
166.Il importe en conséquence de déterminer si les conditions énoncées par la Cour de justice pour caractériser un effet cumulatif significatif de blocage, notamment dans l’arrêt du 28 février 1991, Delimitis, (C-234/89), sont réunies.
167.Selon cette jurisprudence, il convient, tout d’abord, de rechercher si, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel s’intègrent les contrats litigieux, le marché pertinent est difficilement accessible pour des concurrents qui souhaiteraient s’implanter sur ce marché ou y élargir leur part de marché, puis, lorsque l’examen révèle que le marché est difficilement accessible, d’apprécier dans quelle mesure les contrats conclus par les opérateurs mis en cause contribuent de manière significative à l’effet de blocage produit par l’ensemble de ces contrats, placés dans leur contexte économique et juridique.
168.La cour relève, en premier lieu, sur la base des éléments déjà exposés dans la partie II du présent arrêt ‘ en particulier les données émanant du CSA et les études réalisées par le CNC ‘ que la première condition n’est pas remplie dès lors que le marché des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue n’est pas difficilement accessible aux nouvelles chaînes de la TNT non adossées à des chaînes historiques en clair. Il résulte en effet de l’avis du CSA n°2015-11 qu’ «’à l’exception de France 5, de RMC découverte et de l’Equipe 21, dont la programmation est essentiellement centrée sur les documentaires ou le sport, de France Ô et de Chérie 25, toutes les chaînes en clair diffusent un volume important d”uvres cinématographique, proche du maximum autorisé » et qu’à de rares exceptions ponctuelles, l’ensemble des chaînes en clair satisfont à leur obligation de diffuser au moins 40 % de films EOF sur leur volume total de diffusions de films.
169.Le tableau figurant au paragraphe 96 de la décision attaquée, dénombrant les films EOF de catalogue qui ont été diffusés par les chaînes de la TNT gratuite entre 2009 et 2015, confirme également cette situation et révèle d’ailleurs que la chaîne D8, devenue C8, a diffusé sur cette période un nombre de films EOF de catalogue (468) supérieur à celui diffusé par les chaînes M6 (269), TF1 (260) et France 2 (376). A cet égard, la période observée, comme sa durée de six ans, s’avère suffisamment significative pour qu’il en soit tiré des conclusions fiables, étant observé que les autres données recueillies confirment la capacité des chaînes de la TNT gratuite à accéder au marché en cause.
170.Ce n’est par suite que pour parfaire la démonstration qu’il est observé, en deuxième lieu, que l’avantage concurrentiel contesté, résultant de l’insertion des droits préférentiels litigieux, doit être relativisé à deux titres :
‘ d’une part, il reste tributaire des choix opérés par le public et du succès du film auprès de lui, comme le confirment à la fois l’extrait du rapport de la Cour des comptes versé aux débats, qui fait le constat du nombre significatif des investissements dans des films de France Télévisions qui ne connaissent pas le succès’ escompté, et les écritures de cette société qui indique, sans être contredite sur ce point, que selon les années, entre un quart et la moitié seulement des films qu’elle coproduit se trouvent diffusés par France Télévisions en première partie de soirée faute d’être suffisamment attractif. Comme l’ont souligné les professionnels du secteur, ce n’est pas l’existence d’un droit préférentiel qui suscite la décision d’acquérir un film mais son intérêt commercial et éditorial ;
‘ d’autre part, il couvre une part de marché réduite, limitée aux films de catalogue préfinancés qui seuls en contiennent.
171.Il doit être rappelé à cet égard, et en troisième lieu, de manière toute aussi surabondante, qu’aux termes du point 10 de la Communication de la Commission européenne concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, 2014/C291/01, dite « Communication de minimis », laquelle constitue une grille d’analyse appropriée pour apprécier l’effet cumulatif incriminé, « [l]orsque, sur un marché en cause, la concurrence est restreinte par l’effet cumulatif d’accords de vente de biens ou de services contractés par différents fournisseurs ou distributeurs (effet cumulatif de verrouillage de réseaux parallèles d’accords ayant des effets similaires sur le marché) (…)[o]n considère que les fournisseurs ou distributeurs individuels dont la part de marché n’excède pas 5 % ne contribuent en général pas d’une manière significative à un effet cumulatif de verrouillage. Un effet cumulatif de verrouillage n’existera vraisemblablement pas si moins de 30 % du marché en cause est couvert par des (réseaux) d’accords parallèles ayant des effets similaires ».
172.En l’espèce, l’Autorité, s’appuyant sur les données fournies par le CNC et le CSA, a retenu que le marché de films EOF de catalogue contient au moins 8’376 ‘uvres. Ce chiffre a été établi sur la base du nombre de FIF de catalogue dénombrés par les statistiques publiques mises à disposition par le CNC sur son site Internet ‘étant rappelé que la quasi-totalité des FIF sont des films EOF ‘ après l’avoir comparé au chiffre de 10’000 films EOF de catalogue de long métrage estimés par le CNC’ (hors films tombés dans le domaine public) et celui de 9’650 films de catalogue détenus par des ayants droit français ou leurs mandataires estimés par le CSA dans son avis du 24 juin 2015.
173.Comme l’ont déjà expliqué les développements consacrés à la demande d’expertise, les différences entre ces chiffres procèdent à l’évidence de l’utilisation de méthodes et de référentiels différents (certains se référant aux EOF long métrage, d’autres aux FIF de catalogue ou aux films de catalogue détenus par des ayants droit français…) mais n’affectent pas la fiabilité du chiffre retenu par l’Autorité.
174.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés saisissantes, la décision n° 17-DCC-93 précitée ne conduit pas à retenir que le marché des films EOF de catalogue se situe autour de 6000 films. Cette décision se borne en effet à indiquer au paragraphe 275 que « GCP dispose, à ce jour, de parts de marché probablement inférieures à 30 % en valeur sur les marchés des droits de films de catalogue (…) ». Il n’est pas pertinent de rapporter un simple ordre de grandeur, relatif à une part de marché définie en valeur, au nombre de films français que le catalogue Canal+ aurait contenu à cette date, pour établir le nombre total de films EOF de catalogue disponibles.
175.L’évaluation de ce nombre par l’Autorité, qui repose sur des données fiables, est pertinente et doit être validée.
176.Cette évaluation permet d’établir, compte tenu du nombre de films préfinancés par les chaînes en clair dénombrés par le CNC, que les droits préférentiels litigieux, qui ne s’exercent que sur les films préfinancés, n’étaient susceptibles d’être exercés que sur un nombre limité de films français de catalogue, représentant un chiffre de 20 % entre 1994 et 2014,ce pourcentage demeurant dans le même ordre de grandeur que l’on intègre l’année 2015 ou non :
‘ le chiffre de 22 % étant atteint sur la base d’un préfinancement des chaînes en clair ayant porté sur 1904 FIF entre 1994 et 2015 (annexe 212, Tableau du CNC intitulé « Production cinématographique – données statistiques », cote 11696, élément mentionné dans la notification de griefs et le rapport) ;
‘ le chiffre de 20 % étant atteint sur la base d’un préfinancement ayant porté sur 1688 FIF entre 1994 et 2014 (base des données statistiques mises à jour fournies par le CNC, cotes 16021 à 16041 mentionnées dans la décision attaquée).
177.Il convient d’ajouter que l’appréciation de l’effet de verrouillage dénoncé à l’égard des nouvelles chaînes gratuites de la TNT ne requiert pas d’établir quels étaient ces chiffres sur la période 1990 à 1994, au regard des trois éléments suivants : la TNT a été lancée en 2005, toutes les chaînes n’ont pas commencé à introduire les droits préférentiels en 1990 (ainsi n’est-il pas contesté que M6 n’a introduit ce type de clauses qu’en 1998, pièce n°10 Métropole Télévision) et il est constant que cinq ans sont nécessaires à partir de la date de délivrance de l’agrément pour qu’un film préfinancé devienne un film de catalogue et permette l’exercice des droits préférentiels. Par ailleurs, la période examinée étant suffisamment significative pour confirmer la tendance globale observée, il ne peut être reproché à l’Autorité de ne pas avoir recensé les films préfinancés jusqu’en 2018, d’autant que la saisine date de 2013 et que la notification des griefs est intervenue en février 2018.
178.Il y a lieu d’observer, au surplus, que les chiffres recensés entre 1994 et 2017 inclus, mentionnés au paragraphe 70 de la décision attaquée, établissant à 2119 le nombre de FIF préfinancés, maintiennent le pourcentage de films EOF de catalogue susceptibles d’être préemptés en dessous de 30 %, en l’occurrence 25 %. Il peut également être constaté, cet élément n’étant pas contesté par les sociétés saisissantes, que, sur la base des données publiées par le CNC en mars 2019 concernant « la production cinématographique en 2018 », la société Métropole Télévision recense jusqu’en 2018 un nombre total de 9493 FIF dont 2226 ont été préfinancés, établissant à 23% le pourcentage de films EOF de catalogue susceptibles d’être préemptés (pièce n° 21 Métropole Télévision).
179.C’est en conséquence à juste titre que la décision attaquée a retenu, qu’en toute hypothèse, il ne peut être utilement soutenu qu’un ensemble d’accords couvrant le cinquième du marché en cause est susceptible de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour empêcher les concurrents des entreprises mises en cause de s’approvisionner en droits de diffusions de films EOF de catalogue. Cette analyse n’est pas remise en cause par l’absence de limitation dans le temps des droits préférentiels.
180.’ titre plus surabondant encore, la cour constate, comme l’a fait l’Autorité, que l’analyse in concreto de l’effet des pratiques ne démontre aucun effet actuel de verrouillage.
181.Comme le soulignent les contradicteurs des sociétés saisissantes, si les clauses litigieuses des contrats de préfinancement conclus par les groupes TF1, France Télévisions et M6 avaient pour effet de bloquer l’accès aux films EOF de catalogue, par leur effet cumulatif, les chaînes de la TNT non adossées ne pourraient pas ou peu diffuser de films EOF, dès lors qu’elles réalisent en règle générale peu d’investissements au stade du préfinancement. Or, il vient d’être dit que les études et données transmises par le CSA et le CNC établissent que les chaînes en clair de la TNT dont la convention conclue avec le CSA prévoit une programmation incluant du cinéma, telle que la chaîne C8, diffusent au moins 40 % de films EOF sur leur volume total de diffusions de films et diffusent un volume proche du maximum autorisé, étant rappelé qu’en application du décret n°90-66 déjà évoqué, les chaînes en clair ne peuvent diffuser qu’un maximum de 192 oeuvres cinématographiques de longue durée dont un maximum de144 en première partie de soirée.
182.Par ailleurs, le fait que le nombre de diffusions de films EOF par les chaînes C8 et NRJ12 est sensiblement similaire à celui réalisé par les chaînes adossées à des chaînes historiques, TMC (groupe TF1) et W9 (groupe M6), tant sur la période 2012 à 2014 (données CSA avis de 2015), qu’en 2017 et 2018 (données et tableaux TF1, §73 des conclusions étayées par les pièces n° 4 et 5), conforte encore l’absence d’effet cumulatif restrictif de concurrence, étant observé qu’aucun élément ne permet de considérer que les situations antérieures et postérieures à ces périodes se seraient démarquées de cette relative homogénéité.
183.Il est, en outre, établi qu’il existe des possibilités réelles et concrètes d’acquérir pour une chaîne tierce les droits de diffusion de films EOF de catalogue préfinancés compte tenu des contraintes, qui seront plus amplement développées au paragraphe 191 du présent arrêt, qui empêchent les bénéficiaires des clauses litigieuses d’en faire application de manière systématique. Il convient ainsi de rappeler qu’aux termes de l’avis du CSA de 2015, portant sur une analyse de l’année 2014 « [l]es films français ayant réalisé les meilleures audiences sur les chaînes D8, D17, NRJ 12 et Numéro 23, non adossées à des chaînes hertziennes «historiques», sont également majoritairement des films cofinancés par les chaînes «historiques» en clair bénéficiant du mécanisme des clauses de priorité et de préemption (50% sur D8, 63% du D17, 100% sur NRJ 12 et Numéro23] ».
184.Cet avis démontre que les films préfinancés circulent en dehors du groupe préfinanceur, étant relevé que le CSA a également constaté :
‘ concernant les films sortis en 2004 et en 2007 et ayant réalisé plus d’un million d’entrées en salles, que « 40% des films sortis en 2004 et 36% des films sortis en 2007 ont circulé en dehors des groupes préfinanceurs » et concernant ceux ayant réalisé entre 500 000 et 1 million d’entrées en salles qu’ils circulent encore plus largement, « 86% des films sortis en salles en 2004 ont fait l’objet d’exploitations extra groupe, et 53% des films sortis en 2007 » (côte 3849, avis CSA page 48, pièce n°2 Métropole Télévision) ;
‘ sur la période 2012 à 2014 observée, que « 82% des films français diffusés sur D8, NRJ 12, TMC et W9 en première partie de soirée sont des films coproduits par les chaînes en clair ‘historiques’, TF1, France 2, France 3 ou M6. 45% des films diffusés coproduits l’ont été par TF1 » (cote 3825, avis CSA 2015 page 24).
185.Les rapports du CSA relatifs au « Respect des quotas de diffusion d”uvres des chaînes hertziennes nationales privées gratuites et du service Canal+ » concernant les exercices 2017 et 2018 (pièces TF1 n° 4 et 5) confirment également que les chaînes de la TNT non adossées à des groupes historiques diffusent un nombre important de films coproduits.
186.Il s’en déduit que, sur toutes les périodes observées qui, prises ensemble, peuvent être considérées comme suffisamment significatives, les chaînes de la TNT non adossées ont été non seulement en mesure de diffuser des films EOF de catalogue mais au surplus en capacité de réaliser des audiences importantes en diffusant des films attractifs auxquels étaient attachés des droits préférentiels.
187.En revanche, le constat selon lequel les chaînes historiques diffusent une part importante de films inédits, tandis que les nouvelles chaînes diffusent majoritairement des films de catalogue, est sans lien avec l’effet de verrouillage allégué dès lors que cette situation résulte des préachats de droits consentis et non des droits préférentiels en cause.
188.De même, s’agissant de la pratique des achats couplés combinée aux droits préférentiels dont profitent les chaînes de la TNT adossées aux groupes historiques en clair, il n’est pas démontré qu’elle serait à l’origine d’une asymétrie concurrentielle préjudiciable aux chaînes de la TNT non adossées, et notamment C8,au regard des données chiffrées versées aux débats. Outre les pièces précitées qui ne traduisent pas un blocage de l’évolution des parts de marché de C8, « Le guide des chaînes » 18ème édition d’avril 2020, publié par le CNC, établit qu’« en 2018, l’univers ‘TNT’ est dominé par C8 et TMC », tandis qu’un « décrochage » est observé par rapport à 2012 concernant W9 et une baisse plus nette pour France 4 (pièce Métropole Télévision n°25, page 31).
189.Il convient d’ajouter, concernant le contexte global en cause, et toujours à titre surabondant, comme cela ressort de la décision 17-DCC-93 du 22 juin 2017 précitée, invoquée par les parties, que « StudioCanal reste le leader français de la distribution de films de catalogue toutes origines confondues. Les principaux concurrents de Groupe Canal plus, notamment les groupes Gaumont et Pathé, détiennent des portefeuilles de droits beaucoup plus étroits ». (§261) « En outre, le portefeuille de droits détenu par StudioCanal continue de proposer des films très attractifs pour les chaînes de télévision, en particulier pour les nouvelles chaînes de la TNT » (§262). « La domination de StudioCanal, en particulier en ce qui concerne les films français, trouve sa traduction directe dans le nombre de premières parties de soirée (prime time) potentielles que son catalogue représente ». (§264). « En définitive, StudioCanal reste le premier fournisseur de films EOF et européens en France ». (§267) « son portefeuille reste le plus important du marché pour les droits de films EOF, à la fois en qualité et en nombre de films ».(§275). Les engagements du Groupe canal+ destinés à limiter les effets de levier précédemment exposés ayant pris fin le 1er janvier 2020, la chaîne C8 est en capacité de bénéficier de la position du groupe auquel elle appartient. Dans ce contexte, les clauses litigieuses sont de nature à produire des effets proconcurrentiels. En effet, comme l’a relevé la décision 17-DCC-93 aux § 285 et 286 « un verrouillage de l’accès aux droits de films de catalogue EOF de StudioCanal pourrait permettre à GCP d’augmenter l’attractivité relative de C8 et CStar en appauvrissant la programmation cinématographique des chaînes concurrentes » de sorte que les clauses de priorité et préemption constituent un moyen d’empêcher « le verrouillage, par StudioCanal, de l’accès aux films de catalogue cofinancés par une chaîne de la télévision gratuite », puisqu’elles préservent les mises en concurrence en permettant l’attribution des droits au prix du marché.
190.Enfin, les données recueillies concernant l’exercice du droit de préemption ‘ seul quantifiable pour les raisons précédemment exposées ‘ et l’analyse du droit de priorité présentée au paragraphe 88 du présent arrêt démontrent que les droits préférentiels litigieux, même envisagés cumulativement, ne produisent pas un effet anticoncurrentiel de verrouillage, compte tenu de leur nature et des conditions dans lequel ils s’exercent, également décrites et analysées aux paragraphes 24 et suivants du présent arrêt.
191.À cet égard, il doit être rappelé que la nécessité d’égaler les caractéristiques des offres émanant des tiers (qui ne se cantonnent pas à leur prix) limite l’exercice du droit de préemption. Comme l’a indiqué Pathé Films lors de son audition, « d’une manière générale, les chaînes n’exercent pas leur droit de préemption de manière systématique, non pas uniquement par faute d’intérêt pour les films concemés, mais parce qu’elles ne disposent pas de case disponible dans leur grille pour la période visée par l’offre émise par la chaîne tierce » (cote 3331, pièce Métropole Télévision n°13). Comme l’observe à juste titre la société TF1, un groupe doit anticiper la constitution des grilles de programmes des chaînes. Or, lorsqu’il exerce son droit de préemption, il le fait à des conditions égales, de sorte que la période de diffusion se trouve déterminée en fonction des offres reçues de tiers. Il n’est donc pas envisageable de préempter l’ensemble des offres transmises.
192.Ainsi, comme il a été établi par les services d’instruction, sans être utilement contesté sur ce point, concernant le droit de préemption, seules 54 offres fermes d’achat de droits de diffusion de films EOF de catalogue ont été préemptées, sur la période étudiée, pour le compte des chaînes de la TNT sur les 683 offres distinctes transmises au titre de la préemption, soit moins de 8 % d’entre elles. Autrement dit, 92 % des offres formulées n’ont pas été préemptées.
193.Les chiffres communiqués par les sociétés intervenantes, qui ne sont pas contestés, confirment également cette tendance, faisant état :
‘ entre 2016 et 2018, d’un seul droit de préemption exercé par M6 pour le film « Le crocodile du Botswanga » sur les 18 offres soumises par le Groupe Canal+ pour ses chaînes C8 et Cstar, étant précisé qu’il n’est pas davantage contesté que la chaîne C8 a pu acquérir par la suite les droits de diffusion de ce film (conclusions Métropole Télévision) ;
‘ en 2016, TF1 a exercé 7 fois son droit de préemption sur les 99 offres reçues (taux d’exercice de 7%), en 2017, elle a également exercé 7 fois son droit de préemption sur les 124 offres reçues (taux d’exercice de 5,6%) et en 2018, aucun droit de préemption n’a été exercé sur les 121 offres reçues par TF1 (pièce TF1 n° 6)
‘ au cours de toute la période prise en compte dans la décision attaquée, la société France Télévisions n’a exercé que trois fois son droit de préemption (en 2009, 2010 et 2012) et à chaque fois vis-à-vis de M6. Plus récemment, sur l’année 2018, elle n’a exercé qu’une seule fois son droit de préemption sur les 11 offres que C8 et CStar ont émises en vue d’acquérir des droits sur des ‘uvres sur lesquelles elle bénéficiait d’un droit de préemption, tandis qu’en 2019,elle n’a exercé aucun droit de préemption.
194.À l’égard du droit de priorité, qui est un simple droit de présentation, il a déjà été indiqué qu’il n’a aucun impact sur les négociations avec l’ayant droit.
195.En outre, comme cela a déjà été relevé, le droit de priorité n’oblige pas les producteurs à céder les droits des films EOF aux chaînes les ayant préfinancés.
196.Ces droits ne font ainsi pas obstacle à la concurrence par les mérites dans la mesure où, comme il a été précédemment relevé, « il s’agit d’un ‘petit milieu’ ; les gens se parlent, connaissent bien le secteur et ont une expertise quant au prix du marché » ( audition de l’Union des producteurs de films, annexe 65), de sorte que les droits ont vocation à être cédés à celui qui présente la meilleure offre.
197.La capacité d’une chaîne de la TNT non adossée à une chaîne historique en clair d’obtenir les droits de diffusion d’un film auquel sont attachés des droits préférentiels est d’ailleurs démontrée par la pièce 15 des sociétés saisissantes, l’opérateur remportant les droits de diffusion étant celui qui a la capacité de les acquérir aux meilleures conditions pour le distributeur. À cet égard il ne saurait être déduit de cette pièce que les nouvelles chaînes sont obligées de « surpayer » les droits de diffusion des films préfinancés pour contourner les droits préférentiels, dès lors qu’elle traduit simplement l’existence d’une concurrence vive entre les chaînes à l’égard des films présentant un fort potentiel en termes d’audience, concurrence accrue par le fait qu’il existe à l’égard d’un film préfinancé des enjeux de rentabilisation pour la chaîne qui est à l’origine des investissements.
198.Il ressort par ailleurs des constatations du CSA (avis n° 2015-11, page 4) comme des termes de certaines auditions (telle l’audition de Pathé films partiellement reproduite au paragraphe 117 de la décision attaquée) que la différence de prix pour l’achat des droits entre les chaînes historiques et les chaînes de la TNT peut se situer dans un rapport de 1 à 10 et l’accès aux films de catégorie A est principalement conditionnée par les ressources dont les chaînes disposent, de sorte que la principale barrière à l’accès des films EOF de catalogue à fort potentiel pour les nouvelles chaînes de la TNT n’est pas l’insertion de droits préférentiels dans les contrats de financement, mais, comme le relève juste titre l’ensemble des contradicteurs des sociétés saisissantes, les prix élevés demandés pour leur diffusion.
199.C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure, les conditions d’application d’une interdiction au titre des articles 101 TFUE et L.420-1 du code de commerce n’étant pas réunies en l’espèce.
IV. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS
200.Les sociétés saisissantes demandent à la cour de condamner l’Autorité à verser la somme de 10 000 euros à chacune des sociétés Groupe Canal+, C8 et CStar en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
201.Les sociétés qui sont volontairement intervenues à l’instance demandent à la cour la condamnation des sociétés Groupe Canal+, C8 et CStar à leur payer sur ce même fondement :
‘ 15 000 euros au bénéfice de la société TF1 ;
‘ 15 000 euros au bénéfice de la société Métropole Télévision ;
‘ 30’000 euros, sauf à parfaire, à la société France Télévisions.
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202.Les sociétés saisissantes succombant en leur recours, il y a lieu de rejeter leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et de les condamner aux entiers dépens.
203.Il est également équitable de condamner les sociétés saisissantes à verser la somme globale de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à chacune des sociétés TF1, Métropole Télévision et France Télévisions.
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PAR CES MOTIFS
REJETTE la demande d’expertise présentée par les sociétés Groupe Canal+, C8 et Cstar ;
REJETTE le recours des sociétés Groupe Canal+, C8 et Cstar contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-10 du 27 mai 2019 ;
REJETTE les demandes présentées par ces sociétés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les sociétés Groupe Canal+, C8 et Cstar à verser la somme globale de 10 000 euros à chacune des sociétés TF1, Métropole Télévision et France Télévisions sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les sociétés Groupe Canal+, C8 et Cstar aux dépens.
LA GREFFIÈRE,
Véronique COUVET
LA PRÉSIDENTE,
Agnès MAITREPIERRE