Cession de droits : 6 octobre 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/03520

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Cession de droits : 6 octobre 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/03520
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6 octobre 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
22/03520

MINUTE N° 454/2023

Copie exécutoire

aux avocats

Le 6 octobre 2023

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03520 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H5PC

Décision déférée à la cour : 4 décembre 2019 rendue par la cour d’appel de Colmar

– sur renvoi après cassation –

APPELANT :

Monsieur [P] [O]

demeurant [Adresse 1] à [Localité 4]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2022/002827 du 25/10/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de COLMAR)

représenté par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, avocat à la cour.

INTIMÉS :

Madame [D] [M]

Monsieur [W] [T]

demeurant [Adresse 3] à [Localité 5]

représentés par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Mai 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 1er avril 1998, M. [H], aux droits duquel sont successivement venus M. [R], puis M. [W] [T] et Mme [D] [M], a donné à bail commercial à M. [P] [O] des locaux à usage d’atelier de photographie publicitaire situés au troisième étage d’un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 4].

Le 29 septembre 2006, M. [T] et Mme [M] ont fait signifier un congé avec refus de renouvellement à M. [O], à effet au 30 mars 2007.

M. [T] et Mme [M] ont saisi le président du tribunal de grande instance de Strasbourg en constat du défaut d’exploitation du fonds à des fins commerciales et résiliation de plein droit du bail sans indemnité.

Par ordonnance du 31 octobre 2006, le juge des référés a rejeté cette demande.

M. [O] a contesté au fond la validité du congé du 29 septembre 2006, la procédure a fait l’objet d’une radiation le 15 septembre 2010.

Le 29 juin 2011, M. [T] et Mme [M] ont saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg afin de faire constater la validité de leur congé et la résiliation du bail à effet du 30 mars 2007, fixer une indemnité d’occupation à compter de cette date, et obtenir l’expulsion de M. [O] sans indemnité d’éviction.

Par jugement du 6 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Strasbourg a :

– dit que le bail du 1er avril 1998 a pris fin le 30 mars 2007,

– dit que M. [O] a droit à l’indemnité d’éviction de l’article L145-14 du code de commerce,

– dit que M. [O] est redevable depuis le 1er avril 2007 d’une indemnité mensuelle d’occupation fixée provisoirement au montant du loyer du mois de mars 2007, ce montant indexé comme mentionné au bail susdit, avances sur charges fixée par le bail en sus,

– condamné M. [O] à payer les montants ci-dessus déterminés à M. [T] et Mme [M],

– ordonné une expertise et désigné pour y procéder Mme [X], avec pour mission de donner son avis sur le montant de l’indemnité d’éviction due par les bailleurs et sur la valeur locative des locaux à compter du 1er avril 2007.

L’expert a déposé son rapport le 8 septembre 2014, retenant notamment qu’il était impossible de fixer le montant d’une indemnité d’éviction dans la mesure où le fonds n’avait pas été exploité pendant les trois années ayant précédé la fin du bail.

Par jugement du 26 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Strasbourg a rejeté les prétentions de M. [O] tendant à la nullité du rapport d’expertise du 8 septembre 2014 et à la condamnation de M. [T] et Mme [M] au paiement d’une indemnité d’éviction, fixé l’indemnité mensuelle d’occupation des locaux objets du bail à 759,17 euros hors charges à compter du 1er avril 2007 avec indexation chaque année en application de l’indice INSEE du coût de la construction et condamné M. [O] aux dépens, rejetant la demande des consorts [T]-[M] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Le tribunal, après avoir considéré qu’il n’y avait pas lieu d’annuler le rapport d’expertise, a estimé qu’en l’absence de tout élément de la part de M. [O] permettant de déterminer un préjudice, sa demande relative à l’indemnité d’éviction devait être rejetée.

Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt de la première chambre civile de cette cour du 4 décembre 2019.

Par arrêt du 22 juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il confirme le jugement ayant rejeté les prétentions de M. [O] en condamnation de M. [T] et Mme [M] au paiement d’une indemnité d’éviction, l’arrêt rendu le 4 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar et renvoyé l’affaire devant cette cour autrement composée.

La Cour de cassation a rappelé, au visa de l’article L. 145-14 du code de commerce, que le bailleur qui refuse le renouvellement du bail commercial doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants du code précité, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Elle a considéré que la cour qui n’avait pas recherché si le bailleur rapportait la preuve que le locataire ne se réinstallerait pas dans un autre fonds, alors qu’il était tenu d’indemniser le preneur évincé des frais de recherche d’un nouveau droit au bail, de réinstallation et de mutation à exposer pour l’acquisition d’un fonds de même valeur, n’avait pas donné de base légale à sa décision.

M. [O] a saisi la cour d’appel de Colmar, désignée comme cour de renvoi, par déclaration de saisine du 31 août 2022.

Par ordonnance en date du 19 octobre 2022, la présidente de la chambre saisie a fixé d’office l’affaire à l’audience du 5 mai 2023, en application de l’article 1037-1 du code de procédure civile.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 22 février 2023, M. [O] demande à la cour d’infirmer le jugement du 26 septembre 2017 en ce qu’il a rejeté ses prétentions tendant à la condamnation de M. [T] et Mme [M] au paiement d’une indemnité d’éviction, et en conséquence de :

– condamner les consorts [T], et [M] à lui régler une indemnité d’éviction au titre du préjudice de remplacement de 102 450 euros, voire 75 308 euros, décomposée comme suit :

* la somme de 85 000 euros, subsidiairement, 58 507,50 euros à titre d’indemnité principale avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2008,

* la somme de 8 500 euros, subsidiairement, 5 850,75 euros à titre d’indemnité de remploi avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2008,

* la somme de 7 000 euros à titre d’indemnité de déménagement avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

* la somme de 1 950 euros à titre d’indemnité liée au trouble commercial avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

Subsidiairement :

– condamner les consorts [T], et [M] à lui régler une indemnité d’éviction au titre de préjudice de déplacement d’un montant total de 117 201,50 euros, voire de 50 757 euros, décomposée comme suit :

* la somme de 85 000 euros, subsidiairement, 25 505 euros à titre d’indemnité principale avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2008,

* la somme de 8 500 euros, subsidiairement, 2 550,50 euros à titre d’indemnité de remploi avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2008,

* la somme de 7 000 euros à titre d’indemnité de déménagement avec intérêts au taux légal à compter à compter de la décision à intervenir,

* la somme de 3 900,50 euros à titre d’indemnité liée au trouble commercial avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

* la somme de 5 000 euros à titre d’indemnité de réinstallation avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

* la somme de 7 801 euros à titre d’indemnité liée à la parte partielle de clientèle avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

En tout état de cause :

– condamner les consorts [T] et [M] solidairement à lui régler un montant de 50 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice financier (perte d’exploitation),

Au besoin,

– ordonner une expertise aux fins de chiffrer le préjudice financier de M. [O],

– condamner les consorts [T] et [M] à lui régler une indemnité de 10 000 euros pour le préjudice moral subi,

– les débouter de l’ensemble de leurs demandes, fin et conclusions,

– condamner les consorts [T] et [M] à régler à M. [O] une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance.

L’appelant fait valoir que dans son jugement du 6 novembre 2013, entré en force de chose jugée, le tribunal a consacré le principe de son droit à une indemnité d’éviction.

Il relève que, comme l’a retenu la Cour de cassation, il appartient au bailleur, qui est tenu d’indemniser le preneur évincé des frais de recherche d’un nouveau droit au bail, de réinstallation et de mutation à exposer pour l’acquisition d’un fonds de même valeur, de rapporter la preuve que le locataire ne se réinstallera pas dans un autre fonds.

A titre principal, il sollicite une indemnité de remplacement pour perte totale du fonds du fait du refus de renouvellement et de l’expulsion, calculée par rapport à la valeur marchande de celui-ci. Il critique le rapport d’expertise de Mme [X] sur lequel s’appuient les intimés, cette dernière n’ayant pas pris en compte toutes les pièces produites par le preneur, et n’ayant pas régulièrement rempli sa mission. Il rappelle que la juridiction n’est pas liée par les constatations et conclusions de l’expert et fait valoir que :

– il a toujours souhaité continuer son activité, et indiqué ne pouvoir quitter le local qui était exceptionnel, s’agissant d’un studio de 140m² situé au coeur de [Localité 4], tant qu’il n’en avait pas les moyens, la preuve contraire n’étant pas rapportée,

– le fait qu’il ait été expulsé en novembre 2021 et qu’il ait remis les clés pour éviter de voir la porte forcée ne saurait être qualifié de ‘départ volontaire’ et n’implique pas refus de se réinstaller.

S’agissant du montant de l’indemnité d’éviction, l’appelant rappelle les dispositions de l’article L. 145-14, alinéa 2 du code de commerce qui pose le principe selon lequel l’indemnité est au moins égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, et fait valoir que contrairement à ce que soutiennent les intimés, le fonds existait, ainsi qu’il le démontre, puisqu’il a continué à l’exploiter même si son chiffre d’affaires a pu baisser dans les années ayant précédé le congé, outre le fait que la poursuite de son activité a été perturbée par les mesures d’exécution multiples dont il a fait l’objet.

M. [O] soutient que l’indemnité principale doit être calculée soit en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce, soit de la valeur du droit au bail, la plus forte valeur devant être retenue. Il prétend avoir eu l’occasion de voir son fonds de commerce racheté lorsqu’un potentiel acquéreur avait proposé de racheter l’intégralité du ‘logement’ (mur + fonds de commerce) moyennant le versement d’une indemnité de 85 000 euros, montant qui doit être retenu.

Subsidiairement, la valeur marchande du fonds peut-être évaluée selon le barème fiscal, en appliquant au chiffre d’affaires moyen de 2005 à 2007, soit 7 801 euros, un coefficient de 7,5 tenant compte de la situation exceptionnelle du studio qui bénéficiait de lumière naturelle, soit un montant de 58 507,50 euros.

Il estime par ailleurs que la valeur du droit au bail peut-être fixée à 25 505 euros, et met également en compte différents montants au titre des indemnités accessoires.

Dans l’hypothèse où la cour considérerait que le fonds est transférable, il sollicite un montant de 85 000 euros au titre de l’indemnité de déplacement, subsidiairement 25 505 euros, outre des indemnités de remploi, de déménagement calculées comme précédemment, ainsi qu’une indemnité de réinstallation pour les aménagements du nouveau commerce, une indemnité pour trouble commercial calculée sur 6 mois et une indemnité pour perte de clientèle sur 12 mois.

M. [O] ajoute que M. [T] et Mme [M] ont poursuivi son expulsion, nonobstant la procédure en cours devant la Cour de cassation, en exécution d’une ordonnance du juge des référés du 7 mai 2021 qui a été infirmée par un arrêt de cette cour du 18 janvier 2023, ce qui lui a causé un préjudice notamment au regard de sa durée d’occupation – 30 ans -, de son âge – 65 ans -, et du fait qu’il n’avait pas suffisamment cotisé pour avoir une retraite pleine. Il soutient que l’expulsion a précipité l’arrêt de son activité, entraînant une perte d’exploitation, outre un préjudice moral.

Il conclut enfin au rejet de la demande de compensation, en l’absence de décompte détaillé permettant de s’assurer de l’exigibilité des sommes réclamées au titre des indemnités d’occupation.

Aux termes de leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 22 décembre 2022, M. [T] et Mme [M] demandent à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 26 septembre 2017 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, et de débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A défaut, si une quelconque somme devait être mise à la charge de M. [T] et Mme [M], d’ordonner la compensation entre l’éventuelle indemnité d’éviction qui serait allouée à M. [O] et les arriérés d’indemnités d’occupation dues par lui.

En tout état de cause, le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens d’appel.

Ils approuvent les motifs du jugement qui s’est appuyé sur le rapport d’expertise judiciaire, soulignant que l’expert qui avait relevé que M. [O] ne lui avait transmis que le seul avis d’imposition de 2004 faisant apparaître un chiffre d’affaires non significatif ne pouvait dès lors que constater que le fonds de commerce n’était plus exploité de 2004 à 2007, en l’absence d’autre élément de nature à remettre en cause cette appréciation.

Ils soutiennent que, bien que le principe de l’indemnité d’éviction ait été mis en exergue, par le jugement de 2013, le montant de cette indemnité est forcément nul en raison de l’inexistence du fonds de commerce et de l’impossibilité de dégager une quelconque valeur, y compris relativement au droit au bail. Le fonds litigieux qui n’existait plus au moment du refus de renouvellement n’a pas été détruit par l’éviction, et n’était manifestement plus transférable du seul fait de l’appelant, qui ne disposait pas non plus d’une clientèle.

Ils soutiennent que M. [O] qui est resté dans les lieux jusqu’au 25 novembre 2021, soit 14 ans après la fin du bail, n’a jamais justifié de la moindre activité commerciale dans les lieux loués pendant cette période, les pièces produites en appel ne permettant pas de le démontrer, alors que les constats d’huissier qu’ils produisent établissent l’absence de toute activité.

En outre, il n’a pas respecté les clauses du bail expiré qui demeuraient applicables, s’agissant du paiement des charges et de l’indemnité d’occupation ce qui le prive du bénéfice d’une indemnité d’éviction. Ils ajoutent que si M. [O] avait eu une activité réelle le fonds aurait été transférable, et que ce n’est donc pas l’éviction qui a détruit le fonds ou empêché son transfert, mais le défaut d’exploitation et de clientèle constatés déjà antérieurement au refus de renouvellement, M. [O] ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, alors qu’au surplus il a fini par quitter les lieux volontairement le 25 novembre 2021, en remettant les clés à cette date.

Ils font valoir que lorsque le refus de renouvellement ne cause aucun préjudice au locataire évincé, il n’y a pas lieu de lui allouer une indemnité d’éviction, et qu’en l’espèce, le fonds inexistant n’avait aucune valeur marchande, il n’est pas justifié de l’identité du potentiel acquéreur, le chiffre d’affaires provenant de cette activité en 2004 était inexistant (déficit de 254 euros) et les avis d’imposition ultérieurs faisant apparaître des revenus salariaux. Enfin, en l’absence de fonds de commerce, il ne peut y avoir de droit au bail.

Ils ajoutent que les indemnités accessoires ne sont pas davantage justifiées, M. [O] qui ne s’est pas réinstallé n’a pas exposé de frais et n’a subi aucun trouble commercial, et que le préjudice moral n’est pas non plus démontré.

Subsidiairement, il y a aurait lieu d’opérer une compensation avec les montants dus au titre des arriérés d’indemnités d’occupation qui s’élèvent à 87 763,19 euros.

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

Sur l’indemnité d’éviction

Si dans son jugement du 6 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Strasbourg a posé le principe selon lequel M. [O] avait droit à une indemnité d’éviction, il a toutefois estimé ne pas disposer d’éléments suffisants pour la déterminer et a ordonné une mesure d’expertise à cette fin.

Conformément à l’article L.145-14, alinéa 2 du code de commerce, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

L’indemnité d’éviction du preneur sortant ne doit ainsi réparer que le préjudice qu’il a subi, ce préjudice étant évalué à la date à laquelle a lieu l’éviction, qui est celle du départ du locataire.

En l’occurrence, il est établi que M. [O] a quitté les lieux le 25 novembre 2021, et qu’il a remis les clés du local aux bailleurs à cette date, ce départ faisant certes suite à la délivrance d’un commandement de quitter les lieux et à l’obtention par les bailleurs du concours de la force publique, mais emportant néanmoins exécution volontaire de l’ordonnance du 7 mai 2021 ayant ordonné son expulsion qu’il avait frappée d’appel.

Les bailleurs ne rapportant pas la preuve de l’existence de locaux de remplacement équivalents disponibles au jour où le preneur a libéré les lieux, le fonds doit être considéré comme étant non transférable.

Selon une jurisprudence établie, le bailleur est tenu d’indemniser des frais de réinstallation le preneur évincé d’un fonds non transférable, sauf s’il établit que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds.

A cet égard, il ressort des avis d’imposition versés aux débats par M. [O] que son activité a généré un déficit de 254 euros en 2004 et qu’à partir de 2005, il a exercé une activité salariée et que ne figure plus sur ses déclarations de revenus aucun revenu déclaré au titre des revenus non commerciaux.

Le seul fait que M. [O] ait été inscrit au registre des métiers le 26 juillet 2006 n’est pas suffisant pour établir une poursuite effective de son activité. À cet égard, il ne verse aux débats que de rares factures postérieures à la délivrance du congé datées du 4 novembre 2013, des 18 et 29 août 2015, du 30 septembre 2016 et du 31 janvier 2018, lesquelles, à l’exception de celles du 29 août 2015 et du 31 janvier 2018 qui portent respectivement sur une cession de droits d’auteur et sur des prises de vue en studio, se rapportent à des prises de vue sur site, et non en studio. L’appelant produit également une attestation de réalisation de 15 catalogues pour la société Mobil Elasto France entre 2001 et 2009 lesquels consistent cependant en des reportages photographiques réalisés dans différentes villes de France et non dans son atelier. En outre, les photographies produites se rapportant à différentes campagnes publicitaires datent de 1999 ou 2000 pour celles de l’annexe n° 17, et sont dépourvues de date pour celles produites en annexe n° 25 à 36.

Enfin, l’arrêt du 27 février 2007 se rapporte à une cession de droits d’auteur relative à un contrat de 2001, donc antérieur à la délivrance du congé.

Il s’évince de l’ensemble de ces constatations, que M. [O] qui a exercé une activité salariée à partir de 2005, ne justifie pas avoir effectivement continué à exercer son activité de photographe dans les locaux loués, hormis pour quelques missions très ponctuelles, essentiellement hors studio, alors pourtant qu’il s’est maintenu dans les lieux pendant de nombreuses années, ce dont il peut être déduit l’absence de toute intention manifeste de sa part de se réinstaller dans un autre fonds, alors qu’au surplus ayant atteint l’âge de 65 ans il ne démontre pas devoir continuer à travailler du fait d’une insuffisance de cotisations comme il l’affirme.

Par voie de conséquence, le jugement entrepris sera confirmé, par ces motifs substitués à ceux du premier juge, en tant qu’il a débouté M. [O] de sa demande d’indemnité d’éviction, que ce soit à titre principal ou accessoire, en l’absence de préjudice susceptible d’ouvrir droit à indemnisation.

Sur les dommages et intérêts

M. [O] reproche à M. [T] et Mme [M] d’avoir poursuivi l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du 7 mai 2021 ayant ordonné son expulsion, nonobstant la procédure pendante devant la Cour de cassation, et relève que cette ordonnance a été infirmée par un arrêt de cette cour du 18 janvier 2023.

L’instance pendante devant la Cour de cassation, qui ne portait que sur l’indemnité d’éviction, était sans emport sur la procédure d’expulsion. En revanche, il est de jurisprudence constante que le créancier qui exécute une décision assortie de l’exécution provisoire frappée de recours le fait à ses risques et périls.

M. [O] prétend avoir subi de ce fait un préjudice consistant en une perte d’exploitation. Il soutient que ce préjudice correspond à la perte de son fonds de commerce, majorée de frais divers, notamment de déménagement et de chiffres d’affaires. Il apparaît ainsi que sous couvert de cette demande, M. [O] demande en réalité indemnisation du préjudice causé par l’éviction, et non pas d’un préjudice distinct de celui résultant du refus de renouvellement du bail.

Sa demande sera donc rejetée en l’absence de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué.

M. [O] ne démontre pas non plus le préjudice moral considérable qu’il allègue découlant de l’obstination et de l’acharnement dont feraient preuve les bailleurs à son égard, et de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de récupérer différents éléments de mobilier.

En effet, au vu de ce qui précède, le prétendu acharnement des bailleurs n’est pas caractérisé, ces derniers étant en effet fondés à s’opposer au paiement d’une indemnité d’éviction. M. [O] ne démontre pas davantage son impossibilité de conserver les éléments de mobilier qu’il liste, alors qu’il a lui-même établi une facture correspondant à des frais de déménagement. Enfin, dans la mesure où il résulte de ce qui précède qu’il n’exerçait plus d’activité dans les locaux loués, l’expulsion n’est pas à l’origine de sa perte de revenus.

Ses demandes de dommages et intérêts seront donc rejetées.

Sur les dépens et les frais exclus des dépens

M. [O] qui succombe supportera la charge des dépens exposés devant cette cour statuant sur renvoi après cassation, et sera condamné à payer à M. [T] et Mme [M] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

Vu l’arrêt de la première chambre civile de cette cour du 4 décembre 2009 ;

Vu l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 22 juin 2022 ayant partiellement cassé cet arrêt ;

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 26 septembre 2017 en ce qu’il a débouté M. [P] [O] de sa demande en paiement d’une indemnité d’éviction ;

Ajoutant au dit jugement,

DEBOUTE M. [P] [O] de ses demandes additionnelles de dommages et intérêts pour perte d’exploitation et préjudice moral ;

DEBOUTE M. [P] [O] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [P] [O] à supporter la charge des entiers dépens exposés devant cette cour statuant sur renvoi après cassation, ainsi qu’à payer à M. [W] [T] et Mme [D] [M], ensemble, une somme de 2 000 € (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,

 


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