Cession de droits : 31 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/09119

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Cession de droits : 31 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/09119
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31 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/09119

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 31 MAI 2023

(n° 081/2023, 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/09119 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZIX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Avril 2022 – Ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre 1ère section – RG n° 21/01580

APPELANTS

Monsieur [U] [X] [W] alias ‘[Z]’

Né le 6 juin 1992 à [Localité 6]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

S.A.S. MANGEMORT SQUAD RECORDS

Société au capital de 1 000 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 849 648 191

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentés par Me Karim LAOUAFI de la SELARL KHIASMA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P526

Assistés de Me Yasmine OUAOU de la SELARL KHIASMA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0526

INTIMEE

Association LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME-LICRA

Enregistrée sous le numéro de SIRET 78445168400020

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée de Me Corinne POURRINET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0096

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, conseillère et Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHEE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La Ligue Internationale Contre le Racisme (ci-après, la LICRA), fondée en 1927, est une association militant à travers le monde contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations.

M. [U] [X] [W] dit ‘[Z]’ est un artiste-interprète de musique rap et coauteur d”uvres musicales avec d’autres membres d’un collectif dit ‘667″.

Le 2 avril 2019, il a créé la société MANGEMORT SQUAD RECORDS, exerçant, suivant son extrait Kbis, une activité de production phonographique et vidéographique et d’édition musicale. Il en est l’associé unique et le représentant légal.

Le 19 décembre 2019, la société MANGEMORT SQUAD RECORDS a conclu un contrat de distribution physique et numérique avec la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE pour la distribution et la commercialisation des ‘uvres de [Z].

Le 11 septembre 2020, un album studio intitulé La Menace Fantôme, ou LMF, a été produit et édité par la société MANGEMORT SQUAD RECORDS et distribué par la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE.

La LICRA expose que le 16 septembre 2020, dans un communiqué sur son compte Twitter, elle a dénoncé les propos de l’artiste [Z] dans un certain nombre de ses ‘uvres musicales comme étant antisémites, complotistes, faisant l’apologie d'[G] [R], du troisième Reich et du terrorisme, et qu’à l’appui, elle a publié une compilation d’extraits de vidéoclips mettant en image les enregistrements sonores d’interprétations de [Z] et comportant en sous-titre la reproduction graphique des paroles qu’elle critique.

Le 18 septembre 2020, la société UNIVERSAL MUSIQUE FRANCE a annoncé mettre un terme à sa collaboration avec l’artiste [Z], via un communiqué officiel.

Par acte d’huissier de justice du 20 janvier 2021, M. [W] et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ont fait assigner la LICRA devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de leurs droits sur les ‘uvres précitées.

La LICRA a saisi le juge de la mise en état du tribunal d’un incident pour voir les demandes dirigées contre elle déclarées irrecevables.

Par une ordonnance rendue le 14 avril 2022, dont appel, le juge de la mise en l’état a :

– déclaré irrecevable l’ensemble des demandes formées par M. [W] dit ‘[Z]’, ainsi que par la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ;

– condamné in solidum M. [W] dit ‘[Z]’ et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS à payer à la LICRA la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum M. [W] dit ‘[Z]’ et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS aux dépens, dont distraction au profit de Me Corinne POURRINET, sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.

Le 6 mai 2022, M. [W] et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ont interjeté appel de cette ordonnance.

Dans leurs dernières conclusions, numérotées 2 et transmises le 24 février 2023, M. [W] et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS demandent à la cour de :

Vu les articles 56, 648 2°, 114, 115, 122 et 126 du code de procédure civile,

Vu les articles L111-1, L112-1, L112-2, L113-1 à L113-3, L121-1, L122-1 à L.122-4, L212-1 à L212-3, L131-3, L132-1, L213-1, L215-1, L.331-1-3, L.335-3 du code la propriété intellectuelle,

– infirmer l’ordonnance du 14 avril 2022 en toutes ses dispositions ;

– et, statuant à nouveau de :

– recevoir la société MANGEMORT SQUAD et l’artiste [Z] en leurs demandes, et les dire bien fondés ;

– rejeter la LICRA de toutes fins, moyens et conclusions contraires ;

– en conséquence :

– déclarer recevable l’action en contrefaçon de la société MANGEMORT SQUAD à l’encontre de la LICRA en sa qualité de titulaire des droits de reproduction et de représentation des ‘uvres musicales suivantes :

– Lyonzon x 667 ‘ 669

– Baton Rouge

– 16 Pains (Freestyle)

– Veerus ‘ KKK feat [Z]

– Hors Ligne

– THC

– Mode Avion

– S/O Congo

– S/O Congo Part. 2 ;

– déclarer recevable l’action en dénaturation des droits moraux de [Z] à l’encontre de la LICRA en qualité d’auteur-compositeur des ‘uvres musicales susvisées ;

– déclarer recevable l’action en contrefaçon de [Z] à l’encontre de la LICRA en sa qualité d’artiste-interprète ;

– condamner la LICRA à payer à chacun des appelants la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la LICRA aux entiers dépens de la présente instance en ce compris les frais de constat d’huissier.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, transmises le 13 mars 2023, la LICRA demande à la cour de :

Vu les articles 122 et 789 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 113-1, L.213-1 et L.215-1 du code de la propriété intellectuelle,

– confirmer l’ordonnance dont appel dans toutes ses dispositions,

– débouter la société MANGEMORT SQUAD RECORDS et M. [W] de toutes leurs demandes,

– à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire à une audience ultérieure pour permettre à la LICRA de conclure en réponse au fond sur les demandes formées à son encontre par les appelants,

– en tout état de cause,

– condamner in solidum la société MANGEMORT SQUAD RECORDS et M. [W] à payer à la LICRA une somme complémentaire de 5.000 € au titre de ses frais d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum la société MANGEMORT SQUAD RECORDS et M. [W] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la recevabilité de l’action en contrefaçon de M. [W]

M. [W] soutient qu’il est recevable à agir à la fois en qualité d’auteur-compositeur et d’artiste-interprète. Sur le premier point, il fait valoir que l’action en contrefaçon exercée par un seul des coauteurs d’une ‘uvre de collaboration est recevable, dès lors qu’elle concerne la violation du droit moral sur l”uvre ; que pour que son action soit recevable, ni l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle ni la jurisprudence n’exigent que les ‘uvres soient divulguées sous le seul et unique nom de [Z] en tant qu’auteur, la présomption de la qualité d’auteur pouvant être invoquée par n’importe lequel des créateurs dont le nom a été porté à la connaissance du public ; que l’ensemble des albums et singles correspondant aux oeuvres en cause ont été divulgués sous son nom ; qu’il est l’unique auteur des oeuvres Hors Ligne, S/O Congo Part. 2, S/O Congo, Baton Rouge, THC, Mode Avion et 16 Pains (Freestyle) et crédité comme tel dans le répertoire de la SACEM ou sur le site www.genius.com ; que si l’oeuvre Lyonzon x 667 ‘ 669 a été écrite par le ‘collectif 667″, ce collectif était porté par lui personnellement et que sa contribution est parfaitement individualisée dans la mesure où ses textes sont chantés par lui (exemple : couplet 7) ; qu’il en est de même du titre Veerus ‘ KKK feat [Z] (couplet 4) ; que les trois contrats d’édition musicale et de cession des droits d’exploitation produits au débat font expressément état de sa qualité d’auteur-compositeur. Sur le second point, il fait valoir que sa qualité d’artiste-interprète des chants extraits des oeuvres litigieuses n’est pas contestée.

La LICRA soutient que M. [W] est irrecevable à agir en tant qu’auteur dès lors qu’il n’est pas le seul et unique auteur des oeuvres reproduites dans les phonogrammes et vidéogrammes objets du litige ; que la Cour de cassation a jugé que par l’union de ses texte et musique, la chanson constitue un tout indivisible ; qu’il en résulte que les auteurs et compositeurs d’une ‘uvre musicale doivent exercer leurs droits d’un commun accord et que tous les coauteurs d’une ‘uvre musicale doivent être mis en cause dans une action en contrefaçon fondée sur les droits patrimoniaux d’auteur ; que si le coauteur d’une oeuvre de collaboration peut agir seul pour la défense de son droit moral, c’est à la condition que sa contribution puisse être individualisée ; que M. [W] n’est pas le seul auteur-compositeur des chansons en cause, ce qu’il reconnaissait en première instance mais conteste en appel ; que plusieurs des oeuvres en cause ont été écrites en collaboration avec d’autres auteurs ou compositeurs (Baton Rouge, Hors Ligne, S/O Congo Part. 2, S/O Congo, KKK) ; que M. [W] s’abstient de produire toutes les fiches SACEM des ‘uvres litigieuses ou les bulletins de déclarations à la SACEM qui seuls seraient probants pour établir la paternité des oeuvres, à l’opposé des captures d’écran du site américain www.genius.com ; que M. [W] n’est pas non plus l’auteur de tous les textes ; qu’il a produit des captures d’écran tronquées du site précité pour abuser la cour sur sa prétendue qualité d’unique auteur des textes des chansons concernées ; qu’en tout état de cause, la compilation des extraits des vidéomusiques, mettant en image les enregistrements sonores des interprétations de [Z], réalisée par la LICRA, reproduit les paroles et la musique des chansons et pas seulement les textes en sous-titre, de sorte qu’il importe que les compositeurs des musiques soient informés de la procédure en cours ; que M. [W] ne peut prétendre bénéficier de la présomption d’auteur prévue à l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle du seul fait que les oeuvres seraient divulguées sous son nom en tant qu’artiste, procédant ainsi à une confusion entre ses deux qualités juridiques distinctes d’auteur-compositeur et d’artiste-interprète ; que les pochettes des albums n’attestent pas de sa qualité d’auteur unique des ‘uvres.

Ceci étant exposé, la cour rappelle qu’aux termes de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, est dite de collaboration l’oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques, l’article L.113-3 du même code prévoyant notamment que l’oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs lesquels doivent exercer leurs droits d’un commun accord.

Si le coauteur d’une oeuvre de collaboration peut agir seul pour la défense de son droit moral, c’est à la condition que sa contribution puisse être individualisée. Dans le cas contraire, il doit à peine d’irrecevabilité mettre en cause les autres auteurs de l’oeuvre ou de la partie de l’oeuvre à laquelle il a contribué (Cass Civ. 1ère, 21 mars 2018, n° 17-14.728).

Ces solutions trouvent leur justification dans le fait que l’oeuvre de collaboration suppose que la participation des coauteurs soit concertée, autrement dit relève d’une communauté d’inspiration et d’un mutuel contrôle.

En l’espèce, les actes de contrefaçon reprochés à la LICRA consistent en la mise en ligne sur son compte Twitter, accompagnant un communiqué dénonçant l’antisémitisme, le complotisme, l’apologie d'[R], du troisième Reich et du terroriste [F] [I] ressortant d’oeuvres musicales interprétées par [Z], d’une compilation d’extraits de vidéoclips de 9 titres interprétés par l’artiste et comportant en sous-titres la reproduction graphique des paroles critiquées.

Les paroles incriminées qui apparaissant en sous-titres de la compilation litigieuse sont les suivantes (procès-verbal de constat d’huissier en pièce 6 et conclusions de l’appelant) :

– ‘ Negro comme des banquiers suisses, tout pour la famille, pour qu’mes enfants vivent comme des rentiers juifs’ (paroles issues du clip du titre Lyonzon x 667 ‘ 669) ;

– ‘Killu à vie, fuck un [O], fuck un [L]’ (paroles issues du clip du titre Baton Rouge) ;

– ‘J’arrive déterminé comme [G] dans les années 30’ (paroles issues du clip du titre Baton Rouge) ;

– ‘Dans l’ombre on complote comme les Bilderberg’ (paroles issues du clip du titre 16 Pains (Freestyle) Rouge) ;

– ‘Sur la route du papier, monte un empire comme le jeune [G], déterminé avec de grandes ambitions Négro comme le jeune [G]’ (paroles issues du clip du titre [Y] ‘ KKK) ;

-‘J’suis à Dakar, t’es dans ton centre à [Localité 7]’ et ‘S/O les indiens d’Amérique, S/O l’esclavage, R.A.F (Rien à Foutre) des *BIP*’ (paroles issues du titre Hors Ligne) ;

– ‘[P] [A], j’ai les techniques de propagande de [N]’ (paroles issues du titre THC);

– ‘On arrive dans des allemandes comme des SS’ (paroles issues du titre Mode Avion) ;

– ‘Tous les jours R.A.F. (Rien à Foutre) de la Shoah’ (paroles issues du titre S/O Congo) ;

– ‘Killu à vie, Seigneur de guerre comme le [F] [I]’ (paroles issues du titre S/O Congo Part.2).

Pour se prévaloir de la qualité d’auteur-compositeur des neuf oeuvres concernées, M. [W] invoque les contrats d’édition musicale et de cession de droits d’exploitation et les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle, tous en date du 1er mai 2019, conclus entre lui-même en qualité d’auteur/interprète et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS en qualité d’éditeur, représentée par M. [W], qui le mentionnent en tant qu’ ‘auteur’ et ‘propriétaire’ des oeuvres 669 part 1, 16 Pains, KKK, Mode Avion, S/O Congo Part. 1, S/O Congo Part. 2 et THC (pièce 9.1), Baton Rouge (pièce 9.2) et Hors Ligne (pièce 9.3). Cette qualité d’auteur exclusif est cependant contredite par les captures d’écran du site www.genius.com qu’il produit par ailleurs et qui indiquent que 669 Lyonzon et KKK ont été écrits par une pluralité d’auteurs. La fiche du répertoire SACEM produite par la LICRA confirme que le titre KKK a pour auteurs [Z] et [Y] (pièce 12 LICRA). Ces contrats signés par M. [W] en sa double qualité d’artiste et de président de la société MANGEMORT SQUAD RECORDS n’apparaissent donc pas probants pour établir sa paternité exclusive sur les oeuvres concernées.

La circonstance, à la supposer établie, que [Z] ait fondé le collectif 667 et qu’il soit la figure centrale de ce groupe dont certains membres entendraient ‘rester dans l’ombre’ ne peut l’autoriser à revendiquer la paternité exclusive des paroles des titres Lyonzon 667 x 669 et KKK [Y] feat [Z].

Les trois seules fiches SACEM que M. [W] verse au débat, concernant les oeuvres Hors Ligne, So Congo et So Congo Part 2, mentionnent [Z] en tant qu’auteur mais [S] comme compositeur du premier titre et [T] comme celui des deux autres.

Les pochettes des albums ne démontrent pas plus la paternité exclusive de M. [W] et ne lui permettent pas de se prévaloir de la présomption d’auteur de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée, dès lors que la pochette de l’album L. M. F (La Menace Fantôme), qui comprend le titre Hors Ligne, fait certes apparaître le nom de [Z] mais également le logo du collectif ‘667″ (pièce 10.1) et que la pochette du single KKK [Y] feat [Z] (pièce 10.6) vise ainsi [Y] qui, comme le révèle la pièce 9 de la LICRA, est un autre rappeur ‘incontournable’.

Pour les quatre autres oeuvres (Baton Rouge, 16 Pains, THC et Mode Avion), la mention ‘written by [Z]’ sur les extraits du site www.genius.com ne peut suffire à établir qu’il est l’auteur exclusif des paroles et de la musique. En admettant qu’il soit l’unique auteur des paroles de ces quatre titres, il ne démontre pas être aussi le compositeur de leur musique.

Les neuf oeuvres musicales en cause doivent donc être considérées comme des oeuvres de collaboration, qualification qui n’était du reste pas contestée par M. [W] en première instance, dès lors qu’il n’est pas démontré qu’elles ont été à la fois écrites, composées et interprétées par [Z] seul. M. [W] doit donc être considéré seulement comme l’un des co-auteurs des oeuvres musicales invoquées.

M. [W] soutient que sa contribution relative à l’écriture de paroles peut néanmoins être individualisée et qu’il est ainsi recevable à agir seul pour la défense de ses droits moraux d’auteur.

Cependant, en admettant que les contributions de M. [W] à l’écriture des textes soient individualisables, les reprises litigieuses contenues dans la compilation d’extraits de vidéoclips publiée par la LICRA ne sont pas exclusivement textuelles, même si sont particulièrement mises en exergue les paroles de chansons dont le contenu idéologique est dénoncé et qui apparaissent en sous-titres, puisque la compilation reproduit, outre les paroles incriminées par la LICRA, les musiques et l’interprétation de [Z].

Dès lors, il incombait à M. [W] d’appeler en la cause les coauteurs des oeuvres musicales concernées, ce d’autant plus qu’en l’espèce, comme le souligne la LICRA, les chansons en cause apparaissent comme des ensembles indivisibles, les musiques ayant été écrites pour des paroles conçues spécifiquement pour elles et réciproquement.

A défaut, M. [W] est irrecevable à agir en contrefaçon, que ce soit pour la défense de son droit moral sur les oeuvres musicales ou de ses droits voisins d’artiste-interprète.

L’ordonnance entreprise doit être confirmée sur ce point.

Sur la recevabilité de l’action en contrefaçon de la société MANGEMORT SQUAD RECORDS au titre des droits patrimoniaux détenus sur les oeuvres musicales

La société MANGEMORT SQUAD RECORDS fait valoir qu’elle agit en qualité à la fois d’éditeur et de producteur des vidéogrammes et phonogrammes reproduisant les neuf oeuvres musicales en cause ; qu’elle a été créée par M. [W], qui en est l’associé unique et le représentant légal, pour permettre l’exploitation de ses ‘uvres ; que son objet statutaire est bien d’avoir notamment une activité de production et d’édition musicale (incluant la production de vidéo musiques) ; qu’elle est à ce titre cessionnaire à titre exclusif de l’ensemble des droits patrimoniaux relatifs aux ‘uvres phonographiques et vidéographiques issues des ‘uvres et interprétations de [Z] ; que les contrats versés au débat en attestent.

La LICRA soutient que la société MANGEMORT SQUAD RECORDS est irrecevable à agir car elle ne prouve toujours pas en appel ni qu’elle serait l’unique éditeur des ‘uvres musicales, ni même qu’elle détiendrait des droits d’édition et d’exploitation sur les ‘uvres Lyonzon x 667 ‘ 669 et [Y] ‘ KKK ; qu’en réalité, elle n’est titulaire d’aucun droit exclusif sur les ‘uvres Hors Ligne, S/O Congo, S/O Congo Part 2 et KKK, puisqu’elles ont été coéditées par [Z] en son nom propre et des tiers ; que l”uvre Bâton Rouge est coéditée par la société MANGEMORT SQUAD PUBLISHING et les sociétés DESCENDANCE et UNIVERSAL MUSIC ; que les contrats fournis par l’appelante sont contredits par les fiches SACEM des ‘uvres ; que la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ne démontre pas davantage qu’elle serait le producteur des vidéogrammes et des phonogrammes.

Ceci étant exposé, les appelants versent au débat les trois contrats précités en date du 1er mai 2019 desquels il ressort que M. [W], en qualité d’auteur/interprète, a cédé ‘à titre exclusif’ à la société MANGEMORT SQUAD RECORDS les droits d’édition et d’exploitation, ainsi que le droit d’adaptation audiovisuelle sur les neuf oeuvres en cause (pièces 9.1 à 9.3). Comme il a été dit, ces contrats dans lesquels M. [W] se présente comme ‘l’auteur et le propriétaire’ des oeuvres sont contredits par d’autres pièces au dossier (captures d’écran du site www.genius.com indiquant que les titres 669 Lyonzon et KKK ont été écrits par une pluralité d’auteurs ; fiche SACEM du titre KKK).

En ce qui concerne les droits d’édition, les fiches du répertoire de la SACEM produites par les parties viennent contredire ces contrats, révélant que le titre Baton Rouge est coédité par les sociétés DESCENDANCE, MANGEMORT SQUAD RECORDS et UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING (pièces 4 et 11 LICRA), que le titre KKK feat [Z] est coédité par [Z] en son nom propre, [Y] et les sociétés MUSIC IS COMING, 404 HUMAN et FISHING CLUB (pièce 12 LICRA), que le titre Hors Ligne est coédité par [Z] en son nom propre ainsi que par les sociétés INFLUENCE et NIUWAVE PUBLISHING (pièce 12 des appelants), et que les titres S/O Congo Part. 1 et S/O Congo Part. 2 sont coédités par [Z] en son nom propre et [T] (également compositeur des oeuvres) (pièce 12 appelants). Pour tous ces titres, la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ne démontre donc pas qu’elle détient les droits d’édition et d’exploitation (KKK feat [Z], Hors Ligne, S/O Congo Part. 1 et S/O Congo Part. 2) ou qu’elle est unique éditrice (Baton Rouge).

Dans ces conditions, en ne produisant pas les fiches du répertoire de la SACEM ou les bulletins de déclaration auprès de cette société, mais les seuls contrats précités du 1er mai 2019, la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ne parvient pas à démontrer qu’elle est l’unique éditrice des trois autres titres, 16 Pains, THC et Mode Avion.

Par ailleurs, la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ne justifie pas qu’elle a pris l’initiative et la responsabilité, au sens de l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle, de la première fixation des vidéoclips utilisés par la LICRA dans la compilation litigieuse et qu’elle aurait ainsi le droit exclusif de s’opposer à l’utilisation de tout extrait de ces vidéogrammes. En tout état de cause, comme le juge de la mise en état l’a justement relevé, à supposer que la société MANGEMORT SQUAD RECORDS ait bien la qualité de producteur des vidéogrammes réalisés à partir des oeuvres musicales, elle n’était nullement dispensée de mettre en cause les coauteurs et interprètes de celles-ci.

La société MANGEMORT SQUAD RECORDS ne produit pas non plus de pièces prouvant qu’elle aurait pris l’initiative et la responsabilité, au sens de l’article L.213-1 du code de la propriété intellectuelle, de la première fixation des bandes sonores utilisées par la LICRA dans sa compilation et qu’elle serait titulaire des droits y afférents.

Le contrat de distribution conclu le 19 décembre 2019 entre la société MANGEMORT SQUAD RECORDS et la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, qui désigne la première comme producteur, ‘titulaire des droits d’exploitation des phonogrammes, vidéogrammes et plus généralement tout contenu composant son Catalogue’, celui-ci étant défini comme l’ensemble des enregistrements phonographiques, vidéographiques et multimédia produits par le producteur reproduisant les interprétations de l’artiste [Z] ‘après la date de signature du présent contrat (…)’, et exclut de son champ d’application les participations de l’artiste intervenant pour des tiers ou en featuring, ainsi que le collectif 667 et tous enregistrements avec les membres de ce collectif, n’apparaît pas suffisant à la démonstration requise, plusieurs des titres en cause dans le litige étant ainsi exclus de ce contrat ([Y] – KKK feat [Z] (pour lequel l’artiste intervient en featuring), Lyonzon x 667 -669 et Hors Ligne qui ont été réalisés avec le collectif 667 – pièces 10. 1 et 13 des appelants) et faute de précision sur les dates de production des autres titres.

L’ordonnance querellée sera donc également confirmée en ce qu’elle a déclaré irrecevables les demandes formées par la société MANGEMORT SQUAD RECORDS.

Sur la demande de renvoi de l’affaire à une audience ultérieure

Cette demande formulée par la LICRA, mais non développée dans ses conclusions, est sans objet eu égard à la teneur de cet arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [W] et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS, parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens d’appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise in solidum à la charge de M. [W] et de la société MANGEMORT SQUAD RECORDS au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la LICRA peut être équitablement fixée à 5 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions,

Condamne in solidum M. [W] et la société MANGEMORT SQUAD RECORDS aux dépens d’appel et au paiement à la LICRA de la somme de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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