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29 juin 2022
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
20/02553
ARRÊT N°
N° RG 20/02553 – N° Portalis DBVH-V-B7E-H2GR
CS
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NIMES
15 septembre 2020
RG:2016J314
S.A.S. BDO RHONE ALPES
C/
[E]
[Z]
Grosse délivrée le 29 juin 2022 à :
– Me DIVISIA
– Me GARCIA
COUR D’APPEL DE NÎMES
4ème CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 29 JUIN 2022
APPELANTE :
S.A.S. BDO RHONE ALPES, Société par Actions Simplifiée immatriculée au RCS de [Localité 10] sous le n°061 500 542, [Localité 6], représentée par son Président en exercice. prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Laurent BERTIN de la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de LYON
INTIMÉS :
Madame [O] [E] épouse [Z]
née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Patricia GARCIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Monsieur [V] [Z]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 9]
[Adresse 11]
[Localité 7]
Représenté par Me MAURIN Brigitte, substituant Me Patricia GARCIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,
Mme Corinne STRUNK, Conseillère,
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l’audience publique du 02 Juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 29 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSÉ
Vu l’appel interjeté le 13 octobre 2020 par la SAS BDO Rhône Alpes à l’encontre du jugement prononcé le 15 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l’instance n° 2016J314 ;
Vu l’ordonnance rendue le 11 décembre 2020 par Monsieur le Premier Président de la cour d’appel de Nîmes;
Vu la consignation de la somme de 85.631,43 euros sur le compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations en date du 6 janvier 2021 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 29 avril 2021 par l’appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 25 juin 2021 par Madame [E] [O] épouse [Z] et Monsieur [Z] [V], intimés et appelants incidents, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l’ordonnance du 10 décembre 2021 de clôture à effet différé au 19 mai 2022 avec fixation de l’audience de plaidoiries au 2 juin 2022.
* * *
Par acte sous seing privé du 28 septembre 2012, Madame [O] [E] épouse [Z] a cédé 325 parts sociales, dont elle était propriétaire dans la société commerciale, à Monsieur [V] [Z] .
Par acte sous seing privé du 18 avril 2013, Madame [W] [Z] (ci-après Madame [Z]) a cédé à Monsieur [J] (ci-après Monsieur [J]) 320 parts sociales de cette même société.
Par acte du 25 juin 2013, l’intimé a cédé à Monsieur [J] et Monsieur [N] (ci-après Monsieur P. ) 650 parts sociales de la société commerciale.
Enfin, et suivant acte sous-seing privé du 20 février 2014, l’intimé et Madame [Z] ont cédé à Monsieur [J] l’intégralité des parts sociales restantes qu’ils détenaient au capital de la société commerciale, soit 80.
Par assemblée générale du 20 février 2014, la cession a été agréée et les statuts de ladite société ont également été mis à jour.
La rédaction du dernier acte de cession et les formalités afférentes ont été réalisées par la société d’expertise comptable, BDO Rhône Alpes.
A la suite de la liquidation judiciaire de la société commerciale, prononcée le 7 octobre 2015, l’établissement bancaire a poursuivi les intimés en paiement des sommes dues en leur qualité de cautions solidaires de la société liquidée au titre d’un prêt qu’il avait octroyé.
Par jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 25 octobre 2016, confirmé par arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 18 janvier 2018, les intimés ont été condamnés à payer à la banque la somme de 85.631.43 € assortis des intérêts outre 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par exploit du 19 septembre 2018, les intimés ont assigné la société d’expertise comptable devant le tribunal de grande instance de Valence aux fins de la voir condamner, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, à leur payer les sommes de :
85.631,43 € assortie des intérêts au taux conventionnel de 3.50 % l’an postérieurement au 20 novembre 2015 et capitalisés dans les termes des articles 1153 et 1154 anciens du code civil,
2.000,00 € au titre du préjudice moral,
4.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et les dépens de l’instance.
Le tribunal de grande instance de Valence a décliné sa compétence au profit de la juridiction consulaire nîmoise.
Par jugement du 15 septembre 2020, le tribunal de commerce de Nîmes a :
condamné la société d’expertise comptable à payer aux intimés la somme de 85.631,43 euros, assortie des intérêts au taux conventionnel de 3.50% l’an, postérieurement au 20 novembre 2015,
condamné la société d’expertise comptable à payer aux intimés, l’intégralité des sommes auxquelles ils ont été condamnés à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 18 janvier 2018,
dit n’y avoir lieu à dommages et intérêts à titre de préjudice moral,
ordonné l’exécution provisoire,
condamné la société d’expertise comptable à régler aux intimés, solidairement, la somme de 3.000 €, par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,
condamné la société d’expertise comptable aux dépens de l’instance que le tribunal liquide et taxe à la somme de / euros en ce non compris le coût de la citation introductive d’instance, le coût de la signification de la présente procédure
Le tribunal de commerce a considéré que la société d’expertise comptable aurait dû dans le cadre de sa mission et en tant que professionnel averti, mettre en garde et prévenir les cautions. Il a donc reconnu que la société d’expertise comptable a causé un préjudice aux intimés consistant en la perte de chance de solliciter et d’obtenir la mainlevée de leurs actes de cautionnement. Par contre, il n’a pas retenu l’existence d’un préjudice moral.
Par déclaration au greffe le 13 octobre 2020, l’appelante a interjeté appel de ce jugement pour le voir réformer.
* * *
La société d’expertise comptable réclame, tout d’abord, l’annulation et à défaut la réformation de la décision déférée puisque le premier juge a méconnu les dispositions des articles 12 et 455 du code de procédure civile l’obligeant à statuer en respectant les règles de droit applicables et en répondant aux moyens de défense dont il était saisi.
En effet, au soutien de cette prétention, elle rappelle que les intimés se prévalaient d’une responsabilité de l’expert-comptable de la société commerciale et réclamaient expressément à ce titre une indemnisation au titre d’une « perte de chance » en l’absence de substitution de caution, ce qui impliquait nécessairement une indemnisation à la hauteur de la chance perdue et non à hauteur des engagements de caution auxquels l’expert-comptable ne peut, par hypothèse, être tenu en vertu de l’effet relatif des contrats.
Elle ajoute que le tribunal a laissé sans réponse ses observations et moyens de défense, privant ainsi son jugement de toute validité, et qu’il a méconnu directement l’effet relatif de la chose jugée en mettant intégralement à sa charge diverses condamnations prononcées contre les intimées par la Cour d’appel de Nîmes dans un contentieux initié par l’établissement bancaire et auquel le tribunal avait lui-même considéré que l’expert-comptable devait demeurer totalement étranger pour refuser la jonction des deux instances.
Sur les prétentions indemnitaires, elle estime que les conditions d’engagement de la responsabilité délictuelle ou contractuelle n’étant pas réunies, aucune demande indemnitaire ne saurait aboutir. Elle considère que l’indemnisation, à ce titre, doit être évaluée au titre de la chance perdue et non à hauteur de l’avantage résultant de la chance si elle s’était réalisée.
Elle soutient que l’expert-comptable est débiteur d’une obligation de moyen, de sorte que sa responsabilité ne peut être retenue que si est rapportée la preuve d’une faute dans l’accomplissement de la mission qui lui a été confiée et qu’il a acceptée.
Or, elle soulève à cet égard que les intimés ne rapportent pas la preuve d’une faute causale qui lui est imputable et d’un quelconque dommage en relation de causalité avec son manquement à ses obligations contractuelles, ajoutant que si les tiers sont susceptibles de rechercher la responsabilité de l’expert comptable c’est, à la condition, essentielle, de démontrer, au titre de quelle obligation contractuelle une faute de nature délictuelle peut être retenue.
Elle relève ainsi l’absence de lien contractuel avec les intimés et qu’en conséquence, aucune faute ne peut lui être reprochée au regard des obligations souscrites étant donné qu’elle a été mandatée pour le compte et dans l’intérêt seul de la société commerciale pour régulariser formellement des cessions qui, en tant que telles, n’étaient aucunement susceptibles d’entraîner des conséquences dommageables pour la société.
Elle affirme que sa mission se limitait à la rédaction de l’acte de cession d’où le montant de ses honoraires fixé à la somme ht de 300 euros. Sur ce point, elle rappelle que la cession de parts a été négociée directement par les parties hors de son intervention et qu’elle s’est limitée à la mise en forme de l’acte.
Elle n’avait pas à assister ou conseiller les parties sur les modalités de la cession si bien que l’information relative à la substitution de caution ne lui incombait pas.
De même, l’intimée, qui a cédé ses actions à l’intimé le 28 septembre 2012, n’a jamais fait appel à elle de sorte qu’elle ne justifie d’aucun manquement à une obligation d’information dans une transaction à laquelle la société d’expertise-comptable n’est pas intervenue.
Elle conteste par ailleurs l’existence d’un lien de causalité soulignant qu’au regard de la situation financière de la société cédée, elle estime que la banque n’aurait jamais accepté de libérer l’intimé de son obligation de caution. C’est la même chose pour l’intimée qui n’aurait pas été libéré de cette obligation par la banque, qui aurait perdu de ce fait la moitié des garanties personnelles.
Pour finir, elle souligne la qualité de caution avertie des intimés qui ne pouvaient ignorer l’étendue de leur engagement en dépit de l’acte de cession ni la nécessité de solliciter une substitution de cautions.
S’agissant des préjudices, la société d’expertise-comptable conteste la preuve d’un préjudice moral.
Enfin, elle dénonce le caractère abusif de la procédure initiée par les intimés à son encontre pour laquelle elle sollicite réparation sur le fondement de l’article 1382 du code civil.
Au terme de ses dernières conclusions, l’appelante demande à la cour, de :
Annulant et à défaut réformant le jugement entrepris,
dire et juger que les intimés ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d’un quelconque dommage en relation de causalité avec un manquement de l’appelante à ses obligations contractuelles.
Par suite,
débouter les intimés de l’intégralité de leurs demandes dirigées contre la société d’expertise comptable,
débouter les intimés de leur appel incident,
condamner in solidum les intimés à lui payer chacun la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi consécutivement à la production abusive de l’action,
condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner les mêmes aux entiers dépens dont distraction au profit de l’avocat intéressé, sur son affirmation de droit.
* * *
Les intimés sollicitent la confirmation de la décision déférée sauf en ce qu’elle a rejeté leur demande de dommages et intérêts, et forment, à ce titre, un appel incident arguant que le préjudice moral subi a affecté le cours de leur vie, ayant dû faire face à des poursuites et des procédures multiples pendant de nombreux mois.
Ils rappellent, tout d’abord, qu’en sa qualité de professionnel, l’expert-comptable est tenu à un devoir général d’information, d’assistance et de conseil en vertu notamment de l’article 155 du décret du 30 mars 2012 et qu’il a le devoir de conseiller ses clients non seulement dans le cadre des missions qui lui ont été contractuellement confiées, mais aussi au-delà.
Ils ajoutent également que dans le cadre de la mission de rédaction d’acte ou de documents ayant un effet juridique, l’expert-comptable, comme tout professionnel rédacteur d’actes, est tenu envers son client d’en assurer toute l’efficacité ainsi que toute la portée et qu’en l’espèce, il est manifeste, que la société d’expertise comptable a fait preuve de manquement en ne s’inquiétant pas du sort des cautions, à la suite de la cession de ses parts sociales et en ne les avisant pas de la nécessité d’obtenir la main levée.
Il importe peu, selon les intimés, que l’expert-comptable ait participé ou non aux négociations dans la mesure où sa responsabilité est liée à la seule rédaction de l’acte impliquant l’obligation d’infirmer et d’éclairer les parties sur les effets, les implications et les risques dudit acte. A cet égard, la société d’expertise-comptable devait les informer les cédants de la persistance de leur engagement de cautions peu importe leur qualité au sein de la société cédée.
Sur la réparation du préjudice subi, ils soulèvent que l’expert-comptable n’est pas déchargé de son obligation d’information par le fait que l’une des parties à l’acte a des compétences particulières en la matière, peu importe leur qualité de dirigeant ou d’associés au sein d’autres sociétés.
Ils considèrent donc que les fautes commises par la société d’expertise comptable sont à l’origine des poursuites engagées à leur encontre et de leur condamnation en paiement devant la Cour d’appel en leur qualité de cautions à la suite de la liquidation judiciaire de la société commerciale , en précisant que leur condamnation est la conséquence directe de leur qualité de caution qui a été maintenue, leur attention n’ayant pas été attirée sur la nécessité d’obtenir une substitution de caution.
En réponse aux arguments de la partie adverse relatifs à leur demande indemnitaire, les intimés indiquent que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage et rappellent, à ce titre, avoir visé les dispositions de l’article 1382 du code civil.
Au terme de leurs dernières conclusions, les intimés demandent à la cour, au visa des articles 1382 anciens et suivants du code civil, des articles 9, 367, 377, 378, 379 du code de procédure civile, des articles 22 et suivants de l’ordonnance du 19 septembre 1945 et du décret 2012-432 du 30 mars 2012, de :
débouter la société d’expertise comptable de son appel et le dire injuste et mal fondé, se faisant,
confirmer les dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 15/09/2020 suivantes :
« Condamne la société d’expertise comptable à payer aux intimés, solidairement, la somme de 85 631.43 € assortie des intérêts au taux conventionnel de 3.50 % l’an, postérieurement au 20 novembre 2015,
Condamne la société d’expertise comptable à payer aux intimés, l’intégralité des sommes auxquelles ils ont été condamnés à la suite de l’arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes du 18 janvier 2018.
Ordonne l’exécution provisoire.
Condamne la société d’expertise comptable à payer aux intimés, solidairement, la somme de 3.000€ par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.
Condamne la société d’expertise comptable aux dépens de l’instance que le tribunal liquide et taxe à la somme de euros en ce non compris le cour des la citation introductive d ‘instance, le coût de la signification de la présente décision, ainsi que tous autres frais et accessoires. »
Accueillir l’appel incident des intimés et y faisant droit,
réformer les dispositions de jugement du tribunal de commerce qui ont débouté les intimés, de leur demande de réparation au titre de leur préjudice moral.
se faisant, condamner la société d’expertise comptable à payer aux intimés, solidairement, la somme de 3.000€ au titre de leur préjudice moral,
débouter la société d’expertise comptable de l’intégralité de ses demandes fins et prétentions, telles que dirigées à l’encontre des intimés,
condamner la société d’expertise comptable à payer aux intimés solidairement la somme de 6000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
condamner la société d’expertise comptable aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de l’avocat intéressé.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur la demande d’annulation du jugement :
En application de l’article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Conformément aux dispositions de l’article 455, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conditions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
Au soutien de la demande en annulation du jugement déféré, la société d’expertise comptable soutient que le tribunal de commerce a laissé sans réponse les arguments qu’elle exposait, tout en octroyant une indemnisation correspondant aux engagements de caution alors que seule l’indemnisation au titre de la perte de chance peut être retenue. Elle souligne enfin que la condamnation est sans fondement et que cette même juridiction a omis de caractériser la perte de chance.
En l’espèce, la juridiction commerciale a retenu la responsabilité de la société d’expertise-comptable au motif pris qu’elle aurait dû informer les intimés de la persistance de leurs engagements de caution en sa qualité de rédactrice de l’acte de cession ; elle a caractérisé leur préjudice consistant en une perte d’une chance de ne pas solliciter la mainlevée des actes de cautionnement qu’elle a évalué aux sommes auxquelles ils ont été condamné par la cour d’appel dans son arrêt du 18 janvier 2018.
Sur ce, si le tribunal n’a pas retenu les moyens soulevés par la société d’expertise-comptable, il n’en demeure pas moins qu’elle a parfaitement caractérisé la faute et le préjudice retenu, dont le montant est soumis à sa libre appréciation, tout en motivant la décision rendue de sorte qu’il ne saurait être fait droit à la demande d’annulation du jugement.
La société d’expertise-comptable sera donc déboutée de cette demande.
Au fond,
Sur la faute :
Le devoir de conseil de l’expert-comptable va au-delà des strictes limites qui sont définies dans la lettre de mission, se fondant sur l’ancien article 1135 du code civil (devenu article 1194), puis étant intégré au dispositif règlementaire par le décret 2012-432 du 30 mars 2012, lequel dispose en son article 155 que « dans la mise en ‘uvre de chacune de leurs missions, les personnes mentionnées à l’article 141 (professionnels de l’expertise comptable) sont tenues vis à vis de leur client ou adhérent à un devoir d’information et de conseil, qu’elles remplissent dans le respect des textes en vigueur ».
Le devoir de conseil inclut une obligation d’information du client quant à ses obligations, aux avantages dont il peut bénéficier et des conséquences des opérations ou décisions projetées, ainsi qu’une obligation de mise en garde contre les risques découlant d’insuffisances ou d’anomalies constatées.
Il a pour limite l’interdiction qui est faite à l’expert-comptable de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, et l’objet allégué du devoir de conseil ne doit pas être trop éloigné de la mission confiée à l’expert-comptable.
Au cas présent, il apparaît que le capital de la société en cause a été cédé par les intimés aux termes de plusieurs opérations :
Par acte sous seing privé du 28 septembre 2012, l’intimée a cédé 325 parts sociales, dont elle était propriétaire dans la société commerciale, à l’intimé ;
Par acte sous seing privé du 18 avril 2013, Madame [Z] a cédé à Monsieur [J] 320 parts sociales de cette même société ;
Par acte du 25 juin 2013, l’intimé a cédé à Monsieur [J] et Monsieur P. 650 parts sociales de la société commerciale ;
Par acte du 20 février 2014, l’intimé et Madame [Z] ont cédé 80 parts sociales qu’ils détiennent en pleine propriété au profit de Monsieur P.
Les trois premières cessions n’ont pas donné lieu à l’intervention de la société d’expertise-comptable laquelle n’a pas rédigé lesdits actes de sorte qu’aucune obligation ne lui incombait.
L’opération pour laquelle est mise en cause la responsabilité de l’expert-comptable est celle datée du 20 février 2014 et ne concerne que l’intimé, l’intimée n’étant pas en effet partie à la transaction et ne peut de ce fait revendiquer aucune faute, ni préjudice à l’encontre de l’appelant.
Faute de qualité et d’intérêt à agir, la demande présentée par l’intimée ne peut qu’être déclarée irrecevable et être rejetée contrairement à ce qu’a retenu le tribunal de commerce dont la décision sera infirmée sur ce point.
Pour le surplus, il est constant que la société d’expertise-comptable a rédigé l’acte du 20 février 2014 portant sur la cession de 80 parts concernant l’intimé, Madame [Z] et Monsieur P. conformément à l’ordre de services lequel prévoyait également la rédaction de l’assemblée générale et la mise à jour des statuts de la société commerciale outre les formalités à accomplir auprès du greffe du tribunal de commerce pour un montant d’honoraires de 300 euros.
Si le donneur d’ordre est la société commerciale et Monsieur [J], et bien que les honoraires ont été réglés par ladite société, pour autant l’obligation d’information incombant au cabinet d’expertise-comptable pris à sa qualité de rédacteur d’acte concerne l’ensemble des parties à l’acte de sorte que l’appelante ne peut valablement prétendre être dispensée de tout devoir d’information du fait que l’intimé n’est pas son client.
Il est effectivement acquis que l’expert-comptable, qui accepte dans l’exercice de ses activités juridiques accessoires, d’établir un acte de cession de droits sociaux pour le compte d’autrui, est tenu, en sa qualité de rédacteur, d’informer et d’éclairer de manière complète les parties à l’acte sur les effets et la portée de l’opération projetée.
Il est ainsi attendu en sa qualité de rédacteur d’acte qu’il se soucie de l’existence d’éventuelles garanties précédemment souscrites par les cédants afin d’évaluer le risque de leur maintien pour les cautions, et d’attirer leur attention sur ce danger.
De surcroît, l’expert-comptable n’est pas déchargé de cette obligation d’information par les compétences personnelles de l’une des parties à l’acte qu’il dresse de sorte qu’il lui appartenait d’informer le cédant de la persistance de son engagement de caution, peu important sa qualité de dirigeant jusqu’en 2013 puis sa qualité d’associé au sein de la société.
L’absence d’information donnée par la société d’expertise-comptable à l’intimé quant à la persistance de son engagement de caution malgré l’acte de cessions de l’ensemble des parts n’est pas contestée et constitue une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur le lien de causalité :
Pour engager la responsabilité civile de l’expert-comptable, encore faut-il que la faute qui a été retenue à sa charge, soit à l’origine du préjudice constaté.
En l’espèce, le lien de causalité est acquis dans la mesure où le manquement à son devoir de conseil a directement privé l’intimé de solliciter la mainlevée de l’acte de cautionnement le concernant et a ainsi permis la condamnation de la caution au paiement d’une somme de 85.631,43 euros par arrêt du 18 janvier 2018 prononcé par la cour d’appel de Nîmes.
Sur le préjudice :
S’agissant d’un manquement au devoir de conseil, le préjudice consiste en une perte de chance pour l’intimé de bénéficier d’une mainlevée de son acte de cautionnement alors même qu’il n’existe plus aucun intérêt patrimonial indirect pour lui à être partie au contrat.
Cette perte de chance n’est cependant pas égale à l’avantage qu’aurait procuré la chance si elle s’était réalisée, mais elle se mesure à la chance perdue. (Civ 1/ 9 avril 2002 n°00-13.314)
L’indemnisation ne peut être équivalente à la somme à laquelle la caution a été condamnée par la cour d’appel de Nîmes dans la mesure où il n’est pas certain que l’intimé correctement informé des conséquences du maintien de son engagement aurait obtenu la reprise des garanties par le cessionnaire et que le bénéficiaire de cette garantie accepte cette substitution. L’action engagée par la banque contre les cautions démontre même qu’elle tenait à cette garantie, de sorte que la chance perdue est infime. Aussi, il convient de réduire l’indemnisation à la somme de 5.000 euros et d’infirmer le jugement déféré de ce chef.
sur la demande au titre du préjudice personnel :
L’intimé invoque un préjudice moral distinct, qui découlerait du manquement de l’expert-comptable à son obligation d’information, opposant ainsi les désagréments nés des procédures judiciaires engagées alors qu’il pensait être libéré de toute obligation en lien avec l’acte de cautionnement.
Force est de constater qu’à cet égard, l’intimé ne justifie pas d’une faute indépendante du manquement contractuel déjà qualifié, ni d’un préjudice qui serait distinct de la perte de chance retenue. Il ne démontre pas davantage l’effectivité de ce préjudice moral.
C’est donc encore à juste titre que cette demande a été rejetée par les premiers juges.
sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive :
L’action de l’intimé étant bien fondée, elle ne peut être qualifiée d’abusive et la société d’expertise-comptable ne peut donc qu’être déboutée de la demande d’indemnisation formulée à ce titre. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
S’agissant de l’action engagée par l’intimée, une erreur d’appréciation dans l’étendue de ses droits n’est pas constitutive d’une faute et n’est pas l’illustration d’une procédure abusive de sorte que la demande de dommages et intérêts sera rejetée. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur les frais de l’instance :
La société d’expertise-comptable a été condamnée à payer aux intimés la somme totale de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le jugement déféré sera infirmé de ce chef, et il conviendra de la condamner à payer à l’intimé seul la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance.
La société d’expertise-comptable, qui succombe partiellement, devra supporter les dépens de l’instance et payer à l’intimé une somme équitablement arbitrée en appel à 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande qu’il ne soit pas fait droit à la demande exposée par la société d’expertise-comptable au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
reconnu le principe de la responsabilité de la société BDO Rhône Alpes pour manquement à son obligation de conseil et reconnu la perte d’une chance à l’égard de Monsieur [Z] [V];
débouté Madame [E] [O] épouse [Z] et Monsieur [Z] [V] de leur demande de dommages et intérêts pour leur préjudice moral ;
débouté la société BDO Rhône Alpes de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
Déclare les demandes présentées par Madame [E] [O] épouse [Z] irrecevables,
Condamne la société BDO Rhône Alpes à payer à Monsieur [Z] [V] une somme de 5.000 euros au titre de la perte de chance,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société BDO Rhône Alpes à payer à Monsieur [Z] [V] une somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
Condamne la société BDO Rhône Alpes à payer à Monsieur [Z] [V] une somme de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile en appel,
Condamne la société BDO Rhône Alpes aux dépens de première instance et d’appel.
La minute du présent arrêt a été signée par Madame Christine CODOL, Présidente, et par Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,