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27 janvier 2021
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-11.189
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 janvier 2021
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président
Arrêt n° 85 F-D
Pourvoi n° J 18-11.189
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 JANVIER 2021
M. R… O…, domicilié […] , a formé le pourvoi n° J 18-11.189 contre l’arrêt n° RG : 15/06422 rendu le 23 novembre 2017 par la cour d’appel de Colmar (2e chambre civile, section A), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société MMA IARD,
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège […] , venant aux droits de la SA Covea Risks,
3°/ à M. S… U…,
4°/ à Mme K… J…, épouse U…,
tous deux domiciliés […] ,
défendeurs à la cassation.
Les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal et les demanderesses au pourvoi incident invoquent, chacun, à l’appui de leur recours un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. O…, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. et Mme U…, après débats en l’audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Colmar, 23 novembre 2017, RG n° 15/06422), M. S… U…, dirigeant de la SAS […] (la société), dont il détenait 98 % du capital social, souhaitant transmettre son entreprise à sa fille, Mme I… U…, a consulté M. O…, expert-comptable de la société, qui lui a proposé de créer une EURL, ayant pour associé unique Mme I… U…, de céder ses actions à cette entité, le prix de cession étant financé par un emprunt et un crédit vendeur, et de conclure une convention prévoyant la facturation, par l’EURL, à la société, de prestations d’assistance technique.
2. M. U… a cédé ses actions à l’EURL par un acte du 6 janvier 2006, rédigé par M. O…, qui comportait une clause rappelant qu’en application des dispositions de l’article 150-O A du code général des impôts, la cession de droits sociaux à un conjoint, ascendant ou descendant était, à certaines conditions, exonérée d’impôt sur la plus-value et stipulant qu’afin de pouvoir bénéficier de ces dispositions, le cessionnaire s’engageait à ne pas céder tout ou partie des droits acquis par l’acte à un tiers pendant une durée de cinq années, le non-respect de cet engagement remettant en cause le bénéfice de cette exonération.
3. Le 25 novembre 2009, l’administration fiscale a adressé une proposition de rectification à M. S… U… et Mme K… J…, son épouse, (M. et Mme U…) portant sur un rappel d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2006, fondée sur le fait que les actions n’ayant été cédées ni à un conjoint, ni à un ascendant, ni à un descendant, mais à une personne morale distincte de sa gérante et unique associée, la plus-value réalisée ne pouvait faire l’objet de l’exonération prévue en cas de cessions intra-familiales.
4. Reprochant notamment à M. O… d’avoir proposé la cession des actions à une société holding plutôt que directement à Mme I… U…, les privant ainsi du bénéfice de l’exonération d’impôt sur la plus-value, M. et Mme U… l’ont assigné en responsabilité, ainsi que son assureur, la société Covea risks, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA).
Examen des moyens
Sur les moyens des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
5. M. O… et les sociétés MMA font grief à l’arrêt de les condamner, in solidum, à payer à M. et Mme U… les sommes de 152 876 euros au titre du redressement fiscal et de 73 229,40 euros au titre de la perte de chance d’éviter de payer des prélèvements sociaux indus, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt, alors :
« 1°/ qu’un préjudice ne pouvant découler du paiement d’un impôt auquel les parties à une cession d’actions sont légalement tenues dès lors qu’il n’est pas établi que, dûment conseillées, elles auraient bénéficié d’un régime plus favorable, la charge de prouver ce lien de causalité pèse sur le demandeur à l’action, auquel il revient d’établir qu’une solution alternative à cette cession était effectivement réalisable et que dans l’affirmative, c’est pour elle que les parties auraient certainement opté ; que pour condamner M. O…, en sa qualité de rédacteur de l’acte de cession du 6 janvier 2006, à tenir M. et Mme U… intégralement indemnes des conséquences du régime fiscal qui leur avait été appliqué au terme du redressement fiscal dont ils avaient fait l’objet, l’arrêt attaqué relève que M. O… ne démontrait pas “l’impossibilité d’une cession des actions à Mme I… U… plutôt qu’à une EURL dont elle était l’unique associée”, et que “dès lors qu’une cession à Mme I… U…, dont le caractère irréalisable n’est nullement établi, aurait suffi pour que l’exonération d’imposition sur la plus-value, mentionnée dans l’acte rédigé par M. O…, fût acquise, cette imposition est une conséquence directe de la faute commise par M. O…” ; qu’en statuant par ces motifs, quand il appartenait à M. et Mme U… d’apporter la preuve qu’une solution alternative à la cession finalisée au profit d’une EURL était effectivement réalisable, la cour d’appel a violé l’article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que l’acte de cession conçu et rédigé par M. O… rappelait expressément que pour pouvoir bénéficier de l’exemption prévue par l’article 150-0 A-I-3 du code général des impôts, “le cessionnaire s’engage à ne pas céder tout ou partie des droits acquis par le présent acte à un tiers pendant une durée de cinq années” et que “le non-respect de l’engagement ci-dessus entraînera l’imposition de la plus-value au nom du premier cédant au titre de l’année de revente des droits au tiers” ; qu’en retenant “qu’une cession à Mme I… U… aurait suffi pour que l’exonération d’imposition sur la plus-value, mentionnée dans l’acte rédigé par M. O…, fût acquise”, quand cette acquisition supposait que le cessionnaire conserve les titres pour une période de cinq ans au moins après leur acquisition, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1147 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ qu’un préjudice ne pouvant découler du paiement d’un impôt auquel les parties à une cession d’actions sont légalement tenues dès lors qu’il n’est pas établi que dûment conseillées, elles auraient bénéficié d’un régime plus favorable, le caractère causal de ce préjudice exige qu’une solution alternative à cette cession ait été effectivement réalisable et la certitude que mieux informées, les parties auraient opté pour elle ; qu’en se bornant à relever que “l’impossibilité d’une cession des actions à Mme I… U… plutôt qu’à une EURL dont elle était l’unique associée” n’était pas démontrée, sans s’assurer, ainsi qu’elle y était expressément invitée, que M. et Mme U… n’avaient pas volontairement choisi de céder les actions de la SAS […] à une EURL ayant leur fille pour unique associée plutôt qu’à cette dernière personnellement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ que le demandeur en réparation ne peut être indemnisé que de la perte d’une chance dès lors que l’obtention du gain espéré ou la faculté d’échapper à une perte dépendent d’événements aléatoires et qu’il ne peut être établi avec certitude que, sans le manquement invoqué, le gain aurait été obtenu ou la perte évitée ; qu’en condamnant M. O… à payer à M. et Mme U… la somme de 152 876 euros, soit le montant du redressement fiscal dont ils avaient fait l’objet, quand il n’était pas certain que mieux informés ces derniers auraient pris la décision de céder les actions à leur fille et qu’à supposer même qu’ils aient choisi cette voie les rendant éligibles à une exemption d’imposition des plus-values, il n’était pas certain que leur fille aurait conservé ces actions pendant au moins 5 ans, de sorte que les M. et Mme U… pouvaient tout au plus se prévaloir d’une perte de chance, la cour d’appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, après avoir relevé que l’exonération d’imposition sur la plus-value mentionnée dans l’acte de cession n’était pas fondée, dès lors que l’article 150-O A du code général des impôts n’était applicable qu’aux cessions intra-familiales, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel, ayant ainsi fait ressortir que, dûment informé, M. U… disposait d’une solution alternative pour échapper au paiement de l’impôt sur la plus-value, mis à sa charge et à celle de son épouse, en cédant ses actions à sa fille plutôt qu’à l’EURL et qu’il n’était pas établi que cette solution n’aurait pas été choisie, compte tenu des objectifs affichés par M. U… lorsqu’il avait consulté M. O…, a retenu que l’impossibilité d’une cession des actions à Mme I… U…, plutôt qu’à une EURL dont elle était l’unique associée, n’était pas démontrée, dès lors qu’aucune indication n’était fournie sur sa situation patrimoniale, ni sur les garanties qu’elle était susceptible de fournir au prêteur.
7. En second lieu, après avoir constaté qu’une cession à Mme I… U… aurait suffi pour que l’exonération d’imposition sur la plus-value mentionnée dans l’acte rédigé par M. O… soit acquise, la cour d’appel, qui n’avait pas à s’assurer que M. U…, dûment informé, n’aurait pas, volontairement, choisi de céder ses actions à une société plutôt qu’à sa fille directement, dès lors qu’il n’était pas allégué que le montage proposé présentait des avantages tels que le cédant aurait, en tout état de cause, opéré ce choix, a pu écarter l’existence d’un aléa susceptible d’affecter l’obtention, par M. et Mme U…, sans la faute commise par l’expert-comptable, de l’exonération fiscale espérée, et en déduire que le rappel d’impôt, conséquence directe de cette faute, constituait un préjudice entièrement consommé.
8. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. O… et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. O… et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et les condamne à payer à M. S… U… et Mme K… J…, épouse U…, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt et un.