Cession de droits : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/01986

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Cession de droits : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/01986
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24 octobre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/01986

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01986 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHARE

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Janvier 2023 rendue par le Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2022048617

APPELANTS

S.A.R.L. VALLEOVIC prise en la personne de sa gérante, Madame [D] [H] domiciliée ès qualités audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 5]

S.A.S. [Y] prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [X] [A] domicilié ès qualités audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentés par Me Jérôme BENYOUNES de la SELARL VINCI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0047 et assistés par Me Anne Charlotte BARBEDETTE, avocat au Barreau de Paris

INTIMES

M. [O] [P]

[Adresse 4]

[Localité 6]

M. [J] [I]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentés par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334 et assistés par Me Loïc EPAILLARD, avocat au Barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 18 Septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre, chargé du rapport

Patricia LEFEVRE, Conseillère

Valérie GEORGET, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Stefanie VERSTRAETEN

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière présente lors du prononcé.

*****

Le 17 mai 2011, M. [I], pharmacien, a constitué la SARL Valleovic en qualité d’associé unique en vue d’une activité d’achat et de gestion de biens immobiliers à usages commerciaux, d’exercice de l’activité de marchand de biens et de promotion immobilière.

Le 28 février 2013, Mme [H], agent immobilier, compagne de M. [A] qui avait été apporteur d’affaires pour la société Valleovic, est devenue associée de cette dernière. Le 15 juin 2014, elle en a pris la gérance. Le 16 juin 2014, M. [O] [P] est devenu associé de la SARL Valleovic en acquérant une fraction des parts sociales de M. [I]. Ce dernier a racheté ses parts sociales le 17 décembre 2019.

Par assignation devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris du 14 juin 2021, MM. [I] et [P] ont sollicité la désignation d’un administrateur provisoire pour une durée de six mois, avec pour mission d’administrer et de gérer la société Valleovic aux lieu et place de Mme [H]. A l’appui de leurs demandes, ils expliquaient qu’en l’absence de réponse de la gérante à ses questions, M. [I] avait pu consulter l’espace de stockage en ligne de la société qu’il avait lui-même installé, et découvert des opérations qui n’avaient pas été portées à la connaissance des associés par la gérante, aucune assemblée générale n’ayant été réunie depuis 2019 et aucun rapport de gérance n’ayant été remis aux associés.

Par ordonnance du 7 juillet 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné Mme [S], administrateur judiciaire, en qualité de mandataire ad hoc avec mission de :

convoquer une assemblée générale afin d’approuver les comptes de l’exercice 2020 de la SARL Valleovic ;

dresser un rapport sur la situation de la société sur le plan financier, économique et sociale ;

se faire communiquer l’ensemble des éléments nécessaires à l’exercice de sa mission, et notamment ceux détenus par Mme [H].

Expliquant que Mme [S] avait indiqué dans son rapport du 27 octobre 2021 que l’examen des comptes de la société Valleovic avait suscité des interrogations sur un certain nombre de points, MM. [I] et [P] ont, par assignation du 17 octobre 2022, sollicité du président du tribunal de commerce de Paris la désignation d’un expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations semblant constitutives de fautes de gestion, par application de l’article L. 223-37 du code de commerce.

Par ordonnance « en la forme des référés » du 10 janvier 2023, rendue entre, d’une part, M. [P] et M. [I] et, d’autre part, La société Valleovic, la société [Y], Mme [H] et M. [A], le président du tribunal de commerce de Paris a :

désigné M. [W] [B] en qualité d’expert, avec pour mission de :

déterminer les conditions de la substitution au profit de la société [Y] en lieu et place de la société Valleovic dans l’opération immobilière du [Adresse 2] ;

déterminer les conditions de la cession des parts que la société Valleovic détenait dans la société [Y] et évaluer les éventuelles conséquences financières préjudiciables découlant de cette opération pour la société Valleovic ;

établir le montant des sommes qui ont été versées par la société Valleovic à Mme [H] et à M. [A] ;

se faire remettre les éléments relatifs à la revente du Range Rover et du scooter, acquis en 2017 ;

dit que les honoraires de l’expert seront à la charge de M. [P] et M. [I], et seront directement versés à l’expert ;

dit que, à la demande de l’expert ou de l’une des parties, le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction réglera toute difficulté liée à l’exécution de la présente expertise ;

rejeté les demandes des défendeurs de voir condamner M. [P] et M. [I] pour abus de minorité et pour procédure abusive ;

dit qu’il n’y a lieu de faire application de l’article 700 code de procédure civile ;

rejeté les parties de toutes demandes contraires au présent dispositif ;

laissé la charge des dépens à M. [P] et M. [I].

Par déclaration du 18 janvier 2023, la société Valleovic, la société [Y], Mme [H] et M. [A] ont interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 6 septembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, ils demandent à la cour de :

infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

juger que la demande d’expertise de gestion au visa de l’article L. 223-37 du code de commerce ne présente ni d’utilité ni de caractère sérieux ;

débouter MM. [I] et [P] de leur demande d’expertise de gestion au visa de l’article L. 223-37 du code de commerce ;

condamner solidairement MM. [I] et [P] à payer à la société Valleovic la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts provisionnels pour abus de minorité ;

condamner solidairement MM. [I] et [P] à payer à Mme [H], M. [A] et la société [Y] la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts provisionnels pour procédure abusive ;

En tout état de cause,

condamner solidairement MM. [I] et [P] à leur payer respectivement la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à la charge des entiers dépens.

MM. [P] et [I], aux termes de leurs dernières conclusions en date du 7 avril 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :

confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

rejeter toutes les demandes, fins et prétentions des appelants ;

condamner in solidum la société Valleovic, Mme [H], M. [A] et la société [Y] aux entiers dépens ;

condamner in solidum la société Valleovic, Mme [H], M. [A] et la société [Y] à leur payer respectivement la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

En vertu de l’article L. 223-37 du code de commerce, un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social d’une société à responsabilité limitée peuvent demander en justice la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. La juridiction saisie est tenue de faire droit à la demande dès lors qu’elle relève des présomptions d’irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées (Com., 27 janvier 2009, 07-16.771).

Sur l’existence d’éléments nouveaux

La société Valleovic, la société [Y], Mme [H] et M. [A] (ci-après les consorts [H]) concluent au rejet de la demande d’expertise de gestion en soutenant que les griefs et irrégularités invoqués par les intimés avaient été soumis à plusieurs reprises, et sans succès, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, et que les intimés ne font état d’aucun élément nouveau.

Cependant, il y a lieu de constater que tout en affirmant la nécessité d’un élément nouveau, les appelants n’ont formulé aucune fin de non-recevoir tiré de l’autorité de chose jugée. En outre, les suspicions d’irrégularités de gestion développées dans le cadre d’une demande d’expertise fondée sur l’article 145 ou d’une demande de désignation d’administrateur provisoire viennent à l’appui de moyens qui tendent vers la réalisation de ces demandes. Or dans la présente instance, la prétention des consorts [I] consiste en une expertise de gestion fondée sur l’article L. 223-37 du code de commerce, de sorte que les demandeurs sont fondés à développer les griefs déjà évoqués dans des instances passées, puisque ceux-ci étayent des moyens tendant à une autre fin. La demande de rejet sera donc écartée en ce qu’elle affirme improprement que les griefs formulés par les intimés doivent être des éléments nouveaux.

Sur l’opération immobilière du [Adresse 2] à [Localité 8]

Les consorts [I] établissent que par acte sous seing privé du 20 septembre 2017 (pièce 9 [I]), la société Valleovic et une société Gai Scop ont entrepris de réaliser conjointement une opération d’acquisition portant sur un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 8] et ont formulé à cet effet une offre d’achat à concurrence de 13 millions d’euros.

Ils établissent que l’opération immobilière s’est finalement concrétisée par acte authentique de vente du 30 juin 2022 bénéficiant à une société STM, dont les associés étaient une société apparentée à Gai Scop et une société [Y] (pièce 14 [I]). Ils justifient également que la société [Y] a été créée le 22 mars 2018 par Mme [H] et M. [A], ceux-ci détenant 90 % du capital social, et la société Valleovic 10 %. Enfin, ils produisent un acte de cession de droits sociaux (pièce 12) du 20 novembre 2018 permettant de vérifier que Mme [H], en qualité de gérante de la société Valleovic, a cédé au prix de 100 euros à elle-même à titre personnel les parts sociales que la société Valleovic détenait dans la société [Y].

Il résulte de ces constatations qu’à l’issue de la cession du 20 novembre 2018, la société Valleovic n’avait plus aucun intérêt dans l’opération immobilière portant sur l’immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 8], après avoir été co-signataire de l’offre d’achat du 20 septembre 2017.

Les consorts [H] font valoir que la société [Y] a été créée et a été substituée à la société Valleovic parce que cette dernière ne disposait pas de fonds propres pour participer à l’opération, et souligne que la faculté de substitution était prévue dans l’offre du 20 septembre 2017. Cependant, une présomption d’irrégularité est caractérisée au regard de la décision de substituer la société Valleovic dans le bénéfice de l’offre d’achat par la société [Y], dès lors que les consorts [H]-[A] détenaient le capital de cette dernière à 90 %, la société Valleovic ne détenant que 10 %. Au demeurant, il n’est pas démontré que cette société [Y] disposait d’une surface financière plus importante que la société Valleovic. Il importe de vérifier si cette substitution était conforme à l’intérêt de la société Valleovic, alors qu’elle constituait par ailleurs un appauvrissement possible des associés non gérants et minoritaires concomitant avec un enrichissement de la gérante et associée.

S’agissant de la décision de Mme [H] prise en qualité de gérante de se vendre à elle-même les parts sociales que Valleovic détenaient dans la société [Y], les appelants affirment que ce rachat a été décidé en accord avec M. [P]. Ils précisent que la cession a été dûment votée en assemblée générale annuelle ordinaire par MM. [I] et [P]. Ils ajoutent la qualité et l’intérêt à agir de M. [I] fait défaut puisqu’il n’était pas associé de la société Valleovic à l’époque des faits.

Cependant, une présomption d’irrégularité est caractérisée dès lors que la cession litigieuse avait pour effet d’exclure complètement la société Valleovic dans le bénéfice de l’offre d’achat du 20 septembre 2017. Il y a lieu d’observer que la preuve de l’assentiment de M. [P] n’est pas rapportée. Le rapport de gestion de la gérance du 20 août 2020 mentionne la cession, intervenue près de deux ans avant, sans en indiquer le bénéficiaire. L’assemblée générale ordinaire du 4 septembre 2020 ne contient pas plus d’information. Dès lors que M. [I] est associé de la société à la date de la demande d’expertise, son intérêt à agir est caractérisé même s’il n’était pas associé à la date de l’acte suspecté. Il importe de vérifier si cette cession d’action, qui n’apparaît pas avoir été passée comme une convention réglementée, était conforme à l’intérêt de la société Valleovic, alors qu’elle la privait de toute participation aux bénéfices attendus d’une opération immobilière, et constituait par ailleurs un appauvrissement possible des associés non gérants et minoritaires concomitant avec un enrichissement de la gérante et associée.

Sur les versements à Mme [H] et à M. [A]

Les consorts [I] ne démontrent pas l’existence d’indices de versements frauduleux de la société Valleovic à Mme [H] et à M. [A], le tableau Excel qu’ils produisent ayant été élaboré par leurs soins à l’aide de données dont ils ne précisent pas l’origine. Il n’est au demeurant pas exploitable en l’état, compte tenu de son caractère opaque et de l’absence de mise en forme conforme au plan comptable. Au demeurant, ils ne démontrent pas que les versements allégués constituent une opération de gestion. Enfin, ils soutiennent que l’expertise de gestion doit permettre de prendre connaissance des comptes dont aucune copie n’est en la possession des associés, les comptes ayant été déposés en 2018, 2019 et 2020 avec déclaration de confidentialité : ce moyen sera rejeté puisqu’il ressort des procès-verbaux d’assemblées générales de 2018 à 2020, que les compte sociaux ont été mis à la disposition des associés et les comptes approuvés à l’unanimité pour chacun de ces exercices (pièces Valleovic 55, 58 et 60). En l’absence de présomption d’irrégularité, l’ordonnance sera infirmée de ce chef.

Sur la revente d’un véhicule Range Rover et d’un scooter

Les consorts [I] font valoir que dans son rapport, Mme [S] avait noté que l’acquisition en 2017 de matériel de transport pour 65 000 euros, à savoir une Range Rover et un scooter apparaissait à l’actif immobilisé, et que la revente cet actif en 2018 occasionnait le constat d’une moins-value de cession d’un montant de 44 000 euros. Mme [S] avait demandé vainement à quoi était due cette moins-value, qui, en comptant les 11 000 euros d’amortissement passés, suggérait que le matériel avait été revendu pour environ 4 000 euros, et à qui la cession avait bénéficié. Les appelants affirment que la valeur nette comptable des deux véhicules cédés a atteint la somme de 44 000 euros et que le produit de la vente figure en produits exceptionnels et 4 000 euros de moins-value ont été constatés.

Les écritures comptables de la cession n’ont pas été produites par les appelants, alors que leur explication n’est pas compatible avec les constats de l’administrateur judiciaire. En outre, ils ne fournissent aucun renseignement sur les bénéficiaires de la cession. Une présomption d’irrégularité est caractérisée dès lors que le prix des cessions apparaît anormal et l’identité des acheteurs n’est pas connue. L’ordonnance sera confirmée sur ce point.

Sur les autres demandes

La demande d’indemnisation provisionnelle au titre de l’abus de minorité sera rejetée, celle-ci n’étant pas démontrée alors que les appelants succombent en leur recours pour l’essentiel. Pour la même raison, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée. L’ordonnance entreprise sera confirmée de ces chefs.

L’ordonnance entreprise sera confirmée dans ses dispositions concernant les dépens et les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile. En cause d’appel, la société Valleovic, la société [Y], Mme [H] et M. [A] seront tenus in solidum aux dépens et condamnés à payer à chacun des intimés une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

Infirme l’ordonnance en ce qu’elle a dit que l’expert avait pour mission de : « établir le montant des sommes qui ont été versées par la société Valleovic à Mme [H] et à M. [A] ; »

La confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur la disposition infirmée,

Rejette la demande d’expertise de gestion en ce qu’elle porte sur le montant des sommes qui auraient été versées par la société Valleovic à Mme [H] et à M. [A] ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum la société Valleovic, la société [Y], Mme [H] et M. [A] à payer à M. [I] et à M. [P] une somme de 3 500 euros chacun, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

Condamne in solidum la société Valleovic, la société [Y], Mme [H] et M. [A] à payer à M. [I] et à M. [P] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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