Cession de droits : 19 novembre 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00114

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Cession de droits : 19 novembre 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00114
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19 novembre 2020
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/00114

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

14e chambre

ARRET N°

PAR DEFAUT

DU 19 NOVEMBRE 2020

N° RG 20/00114

N° Portalis DBV3-V-B7E-TV3Y

AFFAIRE :

Société INFORAD CONNECT LIMITED

C/

[K] [Z] ancien prestataire informatique de la Société INFORAD CONNECT LIMITED

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 05 Décembre 2019 par le Juge de la mise en état de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 18/03302

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Bertrand LISSARRAGUE

TJ de NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Société INFORAD CONNECT LIMITED société de droit irlandais enregistrée auprès du Companies Registration Office sous le numéro 492666, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 7]

[Adresse 7] – IRLANDE

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 24791

Assistée de Me Jonathan BELLAICHE de la SELARL GOLDWIN, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur [W] [A]

né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Société INFORAD LIMITED société de droit irlandais enregistrée sous le numéro 386701 auprès du Compagnies Registration Office, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 11]

[Adresse 10] IRLANDE

Représentés par Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2063527

Assistés de Me Nicolas MAHASSEN, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [K] [Z]

né le [Date naissance 4] 1982 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Non représenté – Assigné à étude le 25 février 2020

Monsieur [V] [X]

né le [Date naissance 3] 1969 en IRLANDE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Non représenté – Assigné à étude le 21 février 2020

Société MSKA SOLUTIONS LIMITED société de droit irlandais enregistrée sous le numéro 602335 au Companies Registration Office, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 10]

[Adresse 10] – IRLANDE

Non représentée – Assignée à étude le 21 février 2020

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Octobre 2020, Madame Marina IGELMAN, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, Président,

Madame Marie LE BRAS, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie CHERCHEVE

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Inforad Limited (ci-après la société Inforad Limited) est une société irlandaise propriétaire de la marque INFORAD qui propose des dispositifs d’assistance à la conduite via des boîtiers connectables sur le véhicule ou via une application smartphone téléchargeable. Son représentant légal est M. [W] [A] et son directeur est M. [V] [X].

Elle est titulaire de la marque figurative de l’Union Européenne n° 005701685 Inforad driving road safety, enregistrée auprès de l’EUIPO le 14 février 2008.

Le 1er juillet 2016, la société Pixitis, qui avait repris l’exploitation commerciale d’INFORAD dans le cadre de la liquidation judiciaire d’un précédent exploitant, a cédé à la société Inforad Connect Limited (ci-après la société Inforad Connect), société de droit irlandais dirigée par M. [C] [R], pour un euro symbolique, son fonds de commerce, comprenant notamment ‘l’enseigne Inforad Services’ ainsi qu’un contrat à ‘resigner’ avec la société Inforad Limited.

Le 1er août 2016, un contrat de licence de droits intellectuels a été signé entre les sociétés Inforad Limited et Inforad Connect aux termes duquel la société Inforad Limited a consenti à la société Inforad Connect ‘un droit exclusif d’utilisation de la marque INFORAD, ainsi que des méthodologies, logiciels, bases de données, études et autres droits intellectuels qu’elle détient ou est susceptible de détenir en lien avec les dispositifs d’assistance à la conduite INFORAD, pour le monde entier.’

Selon courrier en date du 13 juin 2017, signifié à la société Fragola le 5 juillet 2017 que dirigent M. [R] et M. [B], la société Inforad Limited a mis fin de manière anticipée au contrat de licence en vertu de l’article 6 de ce même contrat pour divers manquements.

La société Inforad Connect, prétendant avoir été alors privée de l’accès et du contrôle de ses sites Internet, a fait établir un constat d’huissier le 21 juillet 2017 selon lequel l’ensemble des mentions légales des sites auraient été modifiées, faisant apparaître le nom d’un nouveau propriétaire, la société MSKA Solutions Limited de droit irlandais, dirigée par M. [V] [X], également ancien directeur et salarié de la société Inforad Connect.

Par acte d’huissier de justice délivré les 13, 15 et 16 mars et 3 avril 2018, la société Inforad Connect a fait assigner la société Inforad Limited, la société MSKA Solutions Limited, M. [Z] (ancien prestataire informatique de la société Inforad Connect), M. [X] et M. [A] aux fins principalement de voir constater que la rupture anticipée du contrat de licence de marque est abusive et procède d’une collusion frauduleuse entre les défendeurs, obtenir leur condamnation in solidum à lui verser la somme de 2 217 888 euros en réparation de son préjudice matériel et 1 million d’euros en réparation de son préjudice moral, voir constater que plusieurs noms de domaine sont bien la propriété de la société Inforad Connect, voir constater que la reprise illicite desdits sites Internet constituent des actes de contrefaçon de droits d’auteur et obtenir en conséquence leur condamnation in solidum à lui verser la somme de 756 306 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait de la concurrence déloyale ainsi que 1 million d’euros au titre du préjudice moral, obtenir le transfert, sous astreinte, de la propriété des sites internet à son profit ainsi que la publication sous astreinte du jugement dans les journaux Auto Plus et Auto Moto.

Par conclusions d’incident déposées le 15 mai 2019, la société Inforad Limited et M. [A] ont soulevé une exception d’incompétence territoriale au profit des juridictions irlandaises.

Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 5 décembre 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre a :

vu l’article 7 1) a) du Règlement Bruxelles I bis 11° 1215/2012 du 12 décembre 2012,

– déclaré recevable l’exception d’incompétence,

– constaté l’incompétence du tribunal grande instance de Nanterre pour connaître des demandes formées par la société de droit irlandais Inforad Connect Limited à l’encontre de la société de droit irlandais Inforad Limited, la société de droit irlandais MSKA Solutions Limited, M. [Z], M. [X] et M. [A] dans le cadre de son assignation délivrée par actes des 13, 15 et 16 mars et 3 avril 2018,

– renvoyé la société de droit irlandais Inforad Connect Limited à mieux se pourvoir devant les juridictions irlandaises compétentes pour connaître de l’entier litige,

– rejeté la demande de M. [S] au titre des frais irrépétibles,

– condamné la société de droit irlandais Inforad Connect Limited à payer à société de droit irlandais Inforad Limited et à M. [A] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société de droit irlandais Inforad Connect Limited aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Mahassen Nicolas, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 8 janvier 2020, la société Inforad Connect a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions, à l’exception de celle ayant rejeté la demande de M. [S] au titre des frais irrépétibles.

Par déclaration reçue au greffe le 10 janvier 2020, la même société a régularisé une seconde déclaration d’appel.

Par ordonnance rendue le 16 janvier 2020, les deux procédures ont été jointes sous le numéro RG n° 20/114.

Autorisée par ordonnance rendue le 16 janvier 2020, la société Inforad Connect a fait assigner la société Inforad Limited, M. [A], M.[Z], la société MSKA Solutions Limited et M. [X] pour l’audience fixée au 13 mai 2020 à 14 heures. L’affaire a été renvoyée à l’audience du 7 octobre2020.

Copie de l’assignation a été déposée au greffe le 3 mars 2020.

Dans ses dernières conclusions déposées le 1er octobre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Inforad Connect Limited demande à la cour, au visa des articles 7 et 8 du règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012, 42 alinéas 2, 56, 74, 75, 84 et 771 du code de procédure civile, L. 331-1, L. 716-3, L. 717-4, R. 717-11 du code d la propriété intellectuelle, R. 211-7 et R. 211-6 du code de l’organisation judiciaire, de :

– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 5 décembre 2019 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre ;

– dire que le tribunal judiciaire de Nanterre est compétent pour connaître de l’entier litige opposant les parties en l’espèce ;

– dire y avoir lieu à évocation de l’affaire sur le fond en application de l’article 88 du code de procédure civile et inviter en conséquence les parties à constituer avocats pour conclure sur le fond ;

– condamner la société Inforad Limited et M. [A] et M. [Z] à lui payer chacun la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Inforad Limited et M. [A] et M. [Z] aux entiers dépens, dont le montant sera recouvré par Me Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 5 octobre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Inforad Limited et M. [N] demandent à la cour, au visa des articles 4, 5, 7 et 8 du règlement CE n°12/2012 du 12 décembre 2012 et 88 du code de procédure civile, de :

in limine litis,

– confirmer l’ordonnance dont appel dans toutes ces dispositions ;

y ajoutant,

– rejeter la demande d’évocation par la cour du fond du litige ;

– débouter la société Inforad Connect Limited de l’intégralité de ses demandes ;

– condamner la société Inforad Connect Limited à payer à la société Inforad Limited la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Inforad Connect Limited à payer à M. [A] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamner la société Inforad Connect aux dépens d’appel qui pourront être directement recouvrés par la Selarl. Lexavoué Paris-Versailles, agissant par Maître Bertrand Lissarague – avocat du Barreau de Versailles, conformément à l’article 699 du code procédure civile.

M. [Z], la société MSKA Solutions Limited et M. [X], à qui l’assignation à jour fixe a été signifiée respectivement à étude le 25 février et le 21 février 2020 par acte transmis aux autorités irlandaises qui en ont accusé réception le 28 mai 2020, n’ont pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’appelante, la société Inforad Connect, sollicite l’infirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu’elle a déclaré incompétentes les juridictions françaises pour connaître du litige.

Elle fait valoir qu’en application de l’article 7 1) a) du règlement n° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit règlement Bruxelles I bis), dont l’application n’est pas contestée, il convient de ‘rechercher quel est le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande’ contractuelle, et entend démontrer que le lieu d’exécution de cette obligation est la France, s’agissant du contrat de licence de marque concerné, qui est l’accessoire à la reprise du fonds de commerce cédé par jugement du tribunal de grande instance de Nanterre dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, exécuté en France, et non en Irlande, puisque la France est le lieu où la marque INFORAD a été essentiellement exploitée.

Elle considère que cela découle des éléments suivants :

– moins d’1 % de son chiffre d’affaires entre les mois de juillet 2016 et mai 2017 a été réalisé hors de France,

– la rédaction de l’intégralité du contrat de licence de droits intellectuels est en français,

– les échanges entre les parties sont sans ambiguïté s’agissant notamment :

* du courrier du 10 mars 2017 que lui a adressé M. [U] [O], directeur financier de la société Inforad Limited, mentionnant ‘que l’objectif principal de ce contrat était de développer la marque notamment sur le marché français’, courrier rédigé en français,

* du courrier du 13 juin 2017 rédigé en français, mettant fin au contrat de licence, spécialement adressé à MM. [R] et [B], exerçant au sein de la société Fragola située à [Localité 13] en France.

Elle fait valoir que c’est donc à tort que le juge de la mise en état a considéré :

‘De ce fait, ainsi que le soutiennent la société de droit irlandais Inforad Limited et M. [A], l’obligation de mise à disposition des droits de propriété intellectuelle dont s’agit peut être considérée comme localisée au pays siège du titulaire des droits, à savoir en Irlande, qui est aussi celui du licencié’.

La société Inforad Connect fait ensuite valoir que les juridictions françaises sont également compétentes sur le fondement de son action en responsabilité délictuelle à l’encontre de M. [A], M. [K] [Z], M. [V] [X] et des sociétés Inforad Limited et MSKA Solutions Limited.

Elle indique que là encore, l’application de l’article 7 2) du règlement Bruxelles I bis n’est pas contestée, lequel prévoit une option et la possibilité pour le demandeur d’agir ‘en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’.

Elle soutient qu’en matière de délits commis par le biais d’Internet, soit en l’espèce les faits de vols de noms de domaine, de la base de données et des sites Internet lui appartenant, la jurisprudence de l’Union européenne considère que la simple accessibilité du site Internet permet de matérialiser le dommage subi dans l’Etat en question.

Elle indique également que les dommages qu’elle a subis se sont matérialisés en France puisque les différents sites Internet objets du litige sont tous rédigés en langue française et que celle-ci est la langue choisie par défaut, que les mentions légales sont rédigées en français, que les conditions générales de vente, d’utilisation et de service sont soumis au droit français, que les sites Internet avaient un hébergement en France, faisaient partie d’actifs incorporels composant un fonds de commerce en France et que les mailings adressés aux clients de la base de données étaient rédigés en français.

Elle prétend qu’à cette compétence s’ajoute une compétence globale fondée sur le lieu du centre des intérêts de la société lésée lorsque la responsabilité délictuelle est fondée sur l’atteinte aux droits de la personnalité de cette société, soit en l’espèce sur l’atteinte à sa réputation commerciale vis-à-vis de sa clientèle française.

Elle prétend qu’elle n’a en réalité aucun lien avec le lieu de son siège statutaire en Irlande et que son siège réel est la France car il s’agit du lieu où elle exerce son activité et où elle est contrôlée et administrée.

Elle souligne qu’en outre, les juridictions françaises sont également compétentes sur le fondement de l’article 4 du règlement Bruxelles I bis en raison du lieu du domicile du principal défendeur, M. [A], celui-ci ayant un rôle central dans la commission des faits litigieux ainsi que du domicile de M. [Z] en France.

Sur la connexité entre les demandes contractuelle et délictuelle, elle revendique l’application de l’article 8 1) du règlement Bruxelles I bis et fait valoir que si la cour devait rejeter la compétence des juridictions françaises sur le fondement de la responsabilité contractuelle de la société Inforad Limited, elle doit reconnaître l’existence d’un lien de connexité entre les deux demandes qui justifie que le litige soit traité par une seule et même juridiction, le tribunal judiciaire de Nanterre.

Les intimés, la société Inforad Limited et M. [A], sollicitent la confirmation de l’ordonnance critiquée ayant retenu la compétence des juridictions irlandaises.

Ils rappellent que par contrat du 1er août 2016, la société Inforad Limited a concédé un droit d’exploitation à la société Inforad Connect, ‘pour le monde entier’, que le contrat a été signé à [T] en Irlande entre deux sociétés de droit irlandais et ayant leurs sièges sociaux en Irlande.

Comme l’appelante, ils considèrent qu’en matière contractuelle et en présence d’éléments d’extranéité, le règlement Bruxelles I bis permet de déterminer la juridiction compétente, et que le choix offert par l’article 7) 1) a), en présence d’un contrat de cession de droits intellectuels, qui ne peut recevoir la qualification de contrat de fournitures de services, doit être déterminé selon le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande.

Ils font valoir qu’en matière de concession de droit, l’obligation principale est l’obligation du concédant de mettre à disposition les droits de propriété intellectuelle qui font l’objet du contrat jusqu’à son terme et que cette obligation est localisée au siège du concédant, soit en Irlande.

En réponse aux arguments adverses, ils rappellent que le contrat portant sur un ensemble de droits intellectuels (dont notamment des logiciels et bases de données) a pour objet l’exploitation de ces droits dans le monde entier.

Ils soulignent que l’appelante, la société Inforad Connect, n’a pas son siège social à [Localité 13], mais à [Localité 9] en Irlande et que la langue de rédaction d’un contrat n’a jamais permis d’établir la compétence juridictionnelle.

Ils prétendent que les sites Internet utilisés par la société Inforad Connect ont toujours fait l’objet de traductions dans plusieurs langues étrangères et que notamment, le site www.inforad.net est accessible en plusieurs langues et fait référence à des numéros d’assistance technique en Belgique et en Espagne.

Ils entendent rappeler qu’à leur connaissance, l’activité de la société Inforad Connect s’est déployée sur au minimum une douzaine de pays comme en attestent les factures et bons de commandes versés aux débats (leurs pièces 3 à 14) et insistent sur le fait que les courriels des dirigeants de la société Inforad Connect à M. [X] confirment sa volonté de ‘reprendre les ventes sur toute l’Europe’.

Ils contestent le fait que le contrat de licence soit l’accessoire de la reprise du fonds de commerce de la société Pixitis et soulignent que la théorie de l’accessoire est étrangère à la question de la compétence juridictionnelle.

Ils avancent enfin qu’ils ne s’opposent pas au constat selon lequel les demandes délictuelles découlent de la demande contractuelle formée par la société Inforad Connect et aux conséquences procédurales résultant de la connexité entre ces demandes mais font valoir que dans la mesure où le tribunal judiciaire de Nanterre n’est pas compétent pour statuer sur les demandes contractuelles, il ne saurait l’être pour les demandes formées sur un fondement délictuel.

Sur ce,

Le Règlement UE nº 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles I bis, dispose en son article 1er qu’il s’applique en matière civile et commerciale quelle que soit la nature de la juridiction.

Son article 4 prévoit que ‘sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre’.

L’article 5 précise que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.

L’article 7 dispose qu’ ‘Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre:

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande’.

Pour les contrats autres que les ventes de marchandises et de fourniture de services (étant rappelé qu’un contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle concède à son cocontractant le droit d’exploiter ce droit en contrepartie du versement d’une rémunération n’est pas un contrat de prestation de service selon l’arrêt CJCE, 23 avr. 2009, aff. C-533/07, Falco Privatstiftung et [P] [L] c/ [Y] [I]), il convient donc, pour désigner la juridiction compétente, de déterminer le lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou aurait dû être exécutée.

Or si les parties ne l’évoquent pas dans leurs conclusions, il est néanmoins constant (comme cela résulte en particulier de l’arrêt Tessili de la CJCE en date du 6 octobre 1976) que le juge national doit déterminer ‘en vertu de ses propres règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et définir, conformément à cette loi, le lieu d’exécution de l’obligation contractuelle litigieuse’.

Ainsi, si le demandeur, comme tel est le cas en l’espèce, opte pour attraire le défendeur devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, et en cas de situation comportant un conflit de lois, ce lieu doit être déterminé selon la loi applicable désignée par la règle de conflit de lois résultant du Règlement (CE) nº 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (désigné Règlement Rome I).

L’article 3.1 de ce Règlement prévoit que le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.

L’article 4 dispose quant à lui pour les contrats non nommés qu’à défaut de choix exercé conformément à l’article 3, comme tel est le cas en l’espèce, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.

En l’espèce, il résulte des éléments constants des débats que l’action en justice introduite par la société Inforad Connect est basée sur la rupture anticipée prétendument abusive du contrat de licence de droits intellectuels signé entre les parties le 1er août 2016.

Ce contrat contient notamment les éléments suivants, étant relevé que l’acronyme IL y désigne la société Inforad Limited, intimée, et celui ILC, la société Inforad Connect, appelante.

Au titre de l”Exposé préalable’, il est indiqué :

‘IL est propriétaire, pour l’avoir créée, de la marque européenne INFORAD ainsi que de différents éléments figuratifs associés. Elle en a par ailleurs assuré partiellement l’exploitation jusqu’à présent, et a développé et maintenu à cette fin des outils méthodologiques et des bases de données.

ICL s’est assurée, au travers de différents contrats, de disposer des droits d’exploitation de la marque INFORAD dans tous les pays dans lesquels elle est exploitée.

ICL a donc souhaité obtenir le concours d’IL, que cette dernière a accepté’.

Les parties sont ensuite convenues aux termes de l’article 1er du contrat qu’IL consent à ICL un droit exclusif d’utilisation de la marque INFORAD, ainsi que des méthodologies, logiciels, bases de données, études et autres droits intellectuels qu’elle détient ou est susceptible de détenir en lien avec les dispositifs d’assistance à la conduite INFORAD, pour le monde entier.

A l’article 3 du contrat, il est mentionné qu”ICL veillera à ne porter atteinte en aucune manière à l’image de la marque INFORAD, et s’engage à faire ses meilleurs efforts pour promouvoir et développer cette marque’ et à l’article 4, il est prévu qu”en contrepartie de ces droits, ICL versera à IL une redevance égale à 1 % hors taxes du chiffre d’affaires hors taxes (…) réalisé du fait de la vente de biens ou services liés aux dispositifs d’assistance à la conduite INFORAD’.

Il ressort par ailleurs des échanges entre les parties, antérieurs à la rupture, que la société Inforad Limited reprochait à la société Inforad Connect, en contrepartie de ‘l’exclusivité de la marque INFORAD, de ses bases de données et de ses clients’ de ne pas s’être conformée à son engagement découlant de l’article 3 du contrat, de ‘faire ses meilleurs efforts pour promouvoir et développer cette marque’ en soulignant les dysfonctionnements depuis que la société Inforad Connect avait ‘pris la gestion et le développement de cette marque’ (lettre de la société Inforad Limited à la société Inforad Connect du 10 mars 2017 – pièce 21 de l’appelante).

En réponse, la société Inforad Connect dans sa lettre du 13 mars 2017 (pièce appelante numéro 22) s’expliquait sur les nombreux dysfonctionnements constatés depuis qu’elle avait ‘pris la gestion et le développement de cette marque’.

Ce sont ces mêmes ‘dysfonctionnements’ qui sont allégués par la société Inforad Limited dans la lettre de rupture anticipée du contrat du 29 mai 2017.

Ainsi, la lecture des termes du contrat, à la lumière des échanges intervenus entre les parties à son sujet, fait apparaître qu’il s’agit essentiellement d’un contrat par lequel le titulaire des droits intellectuels a concédé à son cocontractant le droit de les exploiter en contrepartie d’une rémunération, ce dont il s’infère que la prestation caractéristique du contrat litigieux était l’exploitation et la commercialisation de la marque INFORAD par la société Inforad Connect.

Par ailleurs, il se déduit du lieu où la lettre de rupture a été adressée à la société Inforad Connect, à savoir à [Localité 13], siège de la société Fragola, de la pièce numéro 16 versée par l’appelante, mentionnant que les directeurs de la société Inforad Connect, MM. [B] et [R], sont français domiciliés en France, du constat d’huissier dressé le 20 juillet 2017 à la demande de la société Fragola, dans lequel il est indiqué que celle-ci est actionnaire majoritaire de la société Inforad Connect, que cette dernière doit être considérée comme ayant sa résidence habituelle en France.

Ainsi, c’est au regard de la loi française que doit être déterminé ‘le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande’, c’est-à-dire le lieu d’exécution de l’obligation litigieuse ou encore, le lieu d’exécution de l’obligation qui découle du contrat et dont l’inexécution est invoquée pour justifier l’action en justice.

Il n’est pas contestable au vu des éléments du litige que la demande principale de la société Inforad Connect vise à voir reconnaître le caractère abusif de la rupture anticipée par lettre du 29 mai 2017 du contrat de licence de droits intellectuels signé entre les parties le 1er août 2016 et des conséquences qui en ont prétendument découlé, à savoir l’appropriation des sites Internet et noms de domaine dont elle revendique la propriété par des tiers par suite de la cessation qui lui a été imposée de l’exploitation et de la commercialisation de la marque.

Le litige porte donc essentiellement sur la rupture par la société Inforad Limited de son obligation de concéder la licence des droits intellectuels d’INFORAD, de sorte qu’à cet égard, il doit être considéré que c’est la concession des droits permettant l’exploitation qui constitue l’obligation litigieuse.

Or cette obligation pesant sur le cédant, c’est en considération de sa localisation et notamment de celle de son siège social, soit en l’espèce à [T] en Irlande, que le lieu d’exécution sera déterminé.

Dès lors, c’est à bon droit que le premier juge a considéré que les juridictions irlandaises étaient compétentes en application de l’article 7 1) a) du règlement Bruxelles I Bis.

Pour écarter cette compétence juridictionnelle, l’appelante invoque ensuite ses demandes formées au titre de la responsabilité délictuelle et les règles de la connexité issues du même règlement.

L’article 8.1 du règlement Bruxelles I bis, prévoit en effet la possibilité pour le demandeur d’attraire une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre ‘s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément’.

Toutefois, il découle de ce texte que pour que trouve à s’appliquer la compétence dérivée qu’il prévoit, il faut que le for saisi par le demandeur soit celui du domicile du co-défendeur (c’est-à-dire comme l’énonce cet article, ‘la juridiction du domicile de l’un d’eux’).

Ainsi, l’article 8.1 précité et l’extension de compétence juridictionnelle qu’il prévoit au titre de la connexité ne joue pas si le for saisi est compétent à un autre titre (CJCE, 27 oct. 1998, aff. C-51/97, Réunion européenne).

Or en l’espèce, la demanderesse, la société Inforad Connect a choisi d’opter pour le for désigné en matière contractuelle par l’article 7 1) a) du règlement et non pour le for du domicile du co-défendeur visé à l’article 4 1) du même texte, de sorte que l’existence d’un lien de connexité dans ce cas ne permet pas de mettre en jeu la compétence spéciale prévue par l’article 8.1 précité car la connexité n’est pas, en elle-même, un chef de compétence général.

Ainsi donc, la société Inforad Connect est mal fondée à invoquer l’action en responsabilité délictuelle, accessoire par rapport au manquement principal de nature contractuelle et qui serait la conséquence de celui-ci, et la connexité pour justifier de la compétence des tribunaux français.

Par ailleurs, compte tenu du caractère principal de l’action en responsabilité contractuelle, seule la connexité permettant de rattacher l’action délictuelle à l’action contractuelle peut être invoquée, et non l’inverse.

Dès lors, les moyens de l’appelante fondés sur le critère de la compétence juridictionnelle au regard des faits de nature délictuelle, s’agissant notamment du domicile de M.[A] ou du centre des intérêts de la société lésée, ne sauraient prospérer.

Partant, l’ordonnance critiquée sera confirmée en ce qu’elle a constaté l’incompétence du tribunal de grande instance de Nanterre pour connaître des demandes formées par la société Inforad Connect et l’a renvoyée à mieux se pourvoir devant les juridictions irlandaises compétentes pour connaître de l’entier litige.

La demande d’évocation du litige est en conséquence dépourvue d’objet.

Sur les demandes accessoires

L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Inforad Connect ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d’appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Il est en outre inéquitable de laisser à la société Inforad Limited et à M. [A] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. L’appelante sera en conséquence condamnée à verser à chacun d’eux une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt rendu par défaut,

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge de la mise en état rendue le 5 décembre 2019,

Dit que la société Inforad Connect Limited supportera les dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Inforad Connect Limited à payer à la société Inforad Limited la somme de 2 500 euros et à M. [W] [A] celle de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinés de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, président et par Madame CHERCHEVE, greffier, auquel la minute de la décision a été remisepar le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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