Votre panier est actuellement vide !
16 décembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/05452
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2022
(n°179, 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/05452 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CDK37
Jonction avec le dossier 21/05795
Décision déférée à la Cour : jugement du 11 février 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre 1ère section – RG n°18/05081
APPELANT
M. [O] [V]
Né le 21 mai 1991 à [Localité 8]
De nationalité française
Exerçant la profession de chargé de communication
Demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocate au barreau de PARIS, toque C 2477
Assisté de Me Boris KHALVADJIAN, avocat au barreau de PARIS, toque C 2492
INTIMEES
S.A.S. TRANSPORTURGENT.COM, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 1]
[Localité 6]
Immatriculée au rcs de Nantes sous le numéro 415 257 203
Représentée par Me Virginie KOERFER BOULAN de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 378
S.A.S. BESCENT – prise en la personne de ses mandataires – ayant son siège social situé
[Adresse 3]
[Localité 5]
Immatriculée au rcs de Nantes sous le numéro 811 541 911
Assignée à personne habilitée et n’ayant pas constitué avocat
S.C.P. MAURAS – [W], représentée par Me [R] [W], prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société BESCENT
[Adresse 7]
[Localité 5]
Non assignée et n’ayant pas constitué avocat
S.E.L.A.R.L. THEVENOT PARTNERS, représentée par Me [T] [K], prise en sa qualité d’administrateur judiciaire de la société BESCENT
[Adresse 4]
[Localité 5]
S.E.L.A.R.L. [R] [W], représentée par Me [R] [W], prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société BESCENT
[Adresse 7]
[Localité 5]
Immatriculée au rcs de Nantes sous le numéro 511 360 190
Assignées à personne habilitée et n’ayant pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 13 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Véronique RENARD, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Réputé contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement réputé contradictoire rendu le 11 février 2021 par le tribunal judiciaire de Paris qui a :
– déclaré irrecevable l’ensemble des demandes formées par M. [O] [V], tant à l’encontre de la société Bescent qu’à l’encontre de la société Transporturgent.com,
– condamné M. [O] [V] à payer à la société Transporturgent.com la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M.[O] [V] aux dépens de l’instance, qui pourront être recouvrés directement par maître Virginie Koerfer Boulan de la SCP Boulan Koerfer Perrault & associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire de la décision,
Vu les appels interjetés les 21 et 25 mars 2021 par M. [V], enregistrés sous les numéros RG n°21/05452 et RG n° 21/05795,
Vu la jonction des procédures par ordonnance du 24 juin 2021,
Vu l’absence de constitution d’avocat de la société Bescent, de la SELARL [R] [W] prise en la personne de Me [R] [W] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Bescent et de la SELARL Thevenot Partners prise en la personne de Me [K] ès qualités d’administrateur judiciaire de la société Bescent,
Vu la signification de la déclaration d’appel par acte d’huissier de justice du 20 mai 2021 à la société Bescent et à la société [R] [W] prise en la personne de Me [R] [W] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Bescent,
Vu la signification de la déclaration d’appel par acte d’huissier de justice du 3 juin 2021 à la SELARL Thevenot Partners prise en la personne de Me [K] ès qualités d’administrateur judiciaire de la société Bescent,
Vu la signification par actes d’huissier de justice du 30 juin 2021 des conclusions d’appelant du 18 juin 2021 à la SELARL Thevenot Partners prise en la personne de Me [K] es qualités d’administrateur judiciaire de la société Bescent et à la SELARL [R] [W] prise en la personne de Me [R] [W] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Bescent (actes remis à domicile),
Vu la signification par acte d’huissier de justice du 1er juillet 2021 à la société Bescent des conclusions d’appelant du 18 juin 2021 (acte établi en vertu des dispositions de l’article 659 du code de procédure civile),
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er septembre 2022 par M. [V], appelant, qui demande à la cour de :
– réformer le jugement,
Et statuant à nouveau :
– juger M. [O] [V] recevable et bien fondé en ses demandes,
En conséquence :
Sur les droits d’auteur :
– juger que M. [O] [V] est l’auteur des cinq ‘uvres musicales reproduites et représentées sans son autorisation au sein du réveil Sensorwake 2,
– juger que l’exploitation non autorisée des ‘uvres musicales de [O] [V] au sein du réveil Sensorwake 2 constitue une violation de ses droits patrimoniaux d’auteur,
– juger que l’exploitation non autorisée des ‘uvres musicales de [O] [V] au sein du réveil Sensorwake 2 sans la mention du nom de l’appelant porte atteinte à son droit de paternité d’auteur,
– juger que l’exploitation non autorisée des ‘uvres musicales de [O] [V] au sein du réveil Sensorwake 2 est attentatoire au droit au respect de l”uvre de l’appelant,
Sur les droits voisins :
– juger que M. [O] [V] est l’artiste interprète des cinq enregistrements musicaux reproduits et représentés sans son autorisation au sein du réveil Sensorwake 2,
– juger que M. [O] [V] est le producteur de phonogramme des cinq enregistrements musicaux reproduits et représentés sans son autorisation au sein du réveil Sensorwake 2,
– juger que l’utilisation non autorisée des enregistrements musicaux de [O] [V] au sein du réveil Sensorwake 2 constitue une violation de ses droits patrimoniaux d’artiste interprète,
– juger que l’utilisation des enregistrements musicaux de [O] [V] au sein du réveil Sensorwake 2 sans la mention du nom de l’appelant porte atteinte à son droit de paternité d’artiste interprète,
– juger que l’utilisation non autorisée des enregistrements musicaux produits par [O]
[V] au sein du réveil Sensorwake 2 constitue une violation de ses droits voisins de producteur de phonogrammes,
Sur les mesures de cessation et d’information
– ordonner à la SCP Mauras-[W] prise en la personne de Maître [W] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bescent de prendre toutes mesures propres à faire cesser l’exploitation des mélodies et enregistrements de M. [O] [V], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de trente jours suivant la signification du jugement (sic) à intervenir,
– ordonner à la SCP Mauras-[W] prise en la personne de maître [W] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bescent de communiquer :
– l’ensemble des contrats conclus ayant autorisé la fabrication et la commercialisation de réveils Sensorwake 2 reproduisant et représentant les ‘uvres n°1 à 5 ci-avant listées, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de trente jours suivant la signification du jugement à intervenir,
– l’identité de l’ensemble des sociétés faisant partie de son réseau de distribution (fabricants, distributeurs, revendeurs), et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de trente jours suivant la signification du jugement (sic) à intervenir,
Sur la responsabilité des intimées
– juger que la société Bescent engage sa responsabilité civile à raison de la fabrication et de la commercialisation du réveil Sensorwake 2,
– juger que la société Transporturgent.com engage sa responsabilité in solidum à raison de sa participation par l’organisation de la diffusion des objets contrefaisants et leur transport,
Sur les mesures réparatrices
– condamner la SCP Mauras-[W] prise en la personne de maître [W] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bescent à verser à M. [O] [V] :
– la somme de 30 000 euros à raison de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux d’auteur,
– la somme de 5 000 euros à raison de l’atteinte portée à son droit de paternité d’auteur,
– la somme de 5 000 euros à raison de l’atteinte portée à son droit au respect de l”uvre,
– la somme de 10 000 euros à raison de l’atteinte portée à ses droits voisins patrimoniaux d’artiste interprète,
– la somme de 5 000 euros à raison de l’atteinte portée à son droit de paternité d’artiste interprète,
– la somme de 10 000 euros à raison de l’atteinte portée à ses droits voisins de producteur de phonogramme,
– juger que la société Transporturgent.com sera tenue in solidum par les condamnations financières à hauteur de 20% ,
de manière subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour jugerait utile de désigner avant dire droit un expert pour apprécier la similitude des enregistrements et ‘uvres concernés,
– désigner tout expert de son choix ayant pour mission de comparer les enregistrements en cause, se faire remettre toute pièce utile par les parties et donner son avis sur la similitude des ‘uvres et enregistrements concernés,
Sur les frais irrépétibles
– condamner la SCP Mauras-[W] prise en la personne de maître [W] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bescent à verser à M. [O] [V] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et 5 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel, conformément aux termes de l’article 700 du CPC (code de procédure civile),
– condamner la SCP Mauras-[W] prise en la personne de maître [W] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bescent aux entiers dépens (en ce compris le coût des frais d’huissier engagés pour la saisie-contrefaçon),
Vu l’absence de justification de la signification des dernières conclusions de M. [V] aux intimés défaillants,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 22 juin 2022 par la société Transporturgent.com, intimée, qui demande à la cour de :
A titre principal :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré M. [O] [V] irrecevable,
à défaut,
– dire et juger M. [O] [V] mal fondé en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, l’en débouter purement et simplement,
A titre infiniment subsidiaire
– débouter M. [O] [V] de sa demande de désignation d’un expert pour procéder à la comparaison des mélodiques (sic),
A titre subsidiaire
– débouter M. [O] [V] de ses demandes indemnitaires,
à défaut,
– ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par M. [O] [V],
– ramener à un pourcentage symbolique la part imputable à la société Transporturgent.com,
– débouter M. [O] [V] de sa demande de condamnation in solidum de la société Transporturgent.com avec la société Bescent,
– le débouter du surplus de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [O] [V] à payer à la société Transporturgent.com la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du CPC (code de procédure civile),
Y ajoutant,
– condamner M. [O] [V] à payer à la société Transporturgent.com la somme de
4 000 euros en application de l’article 700 du CPC (code de procédure civile),
– condamner M. [O] [V] aux dépens qui pourront être recouvrés directement par maître Virginie Koerfer Boulan de la SCP Boulan Koerfer Perrault & Associés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Vu l’absence de justification de la signification des dernières conclusions de la société Transporturgent.com aux intimés défaillants,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 29 septembre 2022 ;
SUR CE,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que M. [V] se présente comme compositeur, interprète et producteur de musique.
La société Bescent, anciennement dénommée Sensorwake, avait pour activité la conception, le développement et la commercialisation de matériels et produits électroniques et électriques.
M. [V] expose que dans le courant de l’année 2017, un rapprochement a eu lieu entre lui et la société Sensorwake afin qu’il crée cinq mélodies destinées à être intégrées dans un réveil olfactif dénommé ‘Sensorwake 2’ mais qu’aucun accord n’est finalement intervenu entre les parties au sujet des dites mélodies.
A compter du mois d’octobre 2017, la société Sensorwake a commercialisé le réveil Sensorwake 2 à travers plusieurs réseaux de distribution et par le biais de son site internet. Elle a confié à la société Transporturgent.com le stockage ainsi que, selon l’appelant, la diffusion de ces réveils auprès du public.
M. [V] indique avoir découvert début 2018 que les mélodies intégrées dans le réveil Sensorwake 2 reproduisent, sans son autorisation, les séquences musicales dont il est l’auteur.
Suivant ordonnance présidentielle en date du 12 mars 2018 M. [V] a été autorisé à faire procéder dans les locaux des sociétés Sensorwake et Transporturgent.com à la saisie réelle de deux réveils olfactifs ‘Sensorwake 2’. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 9 avril 2018.
C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier de justice du 26 avril 2018, M. [V] a fait assigner les sociétés Bescent et Transporturgent.com en contrefaçon de droits d’auteur, de droits d’artiste interprète et de droits de producteur de phonogramme.
Par jugement du 6 février 2019, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Bescent (venant aux droits de la société Sensorwake) et par jugement du 13 mars 2019, le même tribunal a converti la procédure en liquidation judiciaire et ordonné la cession des éléments d’actifs de la société Bescent au profit de la société Produits Berger.
Par actes d’huissier de justice du 4 septembre 2019, M. [V] a fait assigner en intervention forcée la SELARL [R] [W] prise en la personne de maître [R] [W] et la SELARL Thevenot Partners prise en la personne de maître [K] en qualité respective de liquidateur judiciaire et d’administrateur judiciaire de la société Bescent.
Les procédures ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état du 22 octobre 2019.
C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement dont appel.
Sur la qualité à agir de M. [V]
* au titre des droits d’auteur
Selon l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle ‘l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous’.
En l’espèce, M. [V] revendique des droits d’auteur sur cinq mélodies dénommées WU 1, WU2, WAKE UP 7, WU 4 et WU 5 qu’il dit avoir composées pour les besoins d’un réveil Sensorwake 2.
La société Transporturgent.com conclut à l’irrecevabilité à agir de M. [V] au titre de la contrefaçon à raison de l’absence de titularité de droits d’auteur au vu des pièces versées aux débats, faisant valoir en substance que les partitions musicales ne sont pas produites, que les 4 sonneries révélées par le procès-verbal de constat d’ouverture de l’enveloppe Soleau du 17 février 2017 ont évolué postérieurement à cette date, selon les dires de M. [V] et ce, sur les instructions de la société Sensorwake, qu’aucune comparaison objective n’a été effectuée entre les musiques contenues dans l’enveloppe Soleau et les musiques insérées dans les réveils, que la clé USB contenant cinq mélodies, qui est produite aux débats, ne démontre en rien que M. [V] est l’auteur de ces mélodies ni même l’interprète ou le producteur des mélodies qu’il revendique, enfin que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 9 avril 2018 rend uniquement compte de la saisie de deux boites d’un réveil olfactif sous la marque Sensorwake.
M. [V] décrit dans ses écritures les cinq mélodies qu’il revendique et verse notamment aux débats :
– une clé USB comprenant cinq mélodies en format MP3,
– un échange de courriels intervenu entre le 14 février 2017 et le 17 février 2017 entre la société Sensorwake, son frère M. [X] [V] et lui-même, relatifs à la création de 5 mélodies avec 5 styles différents,
– un courriel adressé le 23 février 2017 à son frère [X] [V] ayant pour titre ‘WAKE UP’ contenant en pièces jointes en format MP3 cinq fichiers dénommés WU 1, WU 2, WU 3, WU 4 et WU 5 et pour contenu : ‘J’ai bossé ça en respectant ta contrainte de durée. J’attend(s) ton retour et surtout les contraintes d’exportation’,
– des échanges de courriels intervenus entre le 1er juin et le 6 juin 2017 avec M. [X] [V] relatifs aux ‘mélodies retenues pour le réveil’ et comportant en pièce jointe un fichier zip intitulé ‘Mélodies Réveil V2 ‘.
A l’appui de ses dernières écritures opposables à la société Transporturgent.com, l’appelant produit en outre, sur la même clé USB, les partitions des mélodies dénommées WU 2, WU 5, WU 4 et WU1, contrairement à ce que soutient la société intimée ; il produit également un procès-verbal de constat d’huissier de justice dressé le 9 septembre 2021 qui révèle qu’il a déposé en ligne le 17 févier 2017 auprès de l’INPI, avec son frère [X] [V], une enveloppe Soleau contenant un fichier MP3 qui comporte plusieurs musiques d’une durée totale de 2:22 ainsi que :
– l’envoi le 15 février 2017 d’un courriel à M.[X] [V] comportant en pièce jointe un fichier MP3 intitulé Wake Up 7,
– l’envoi le 23 février 2017 à M.[X] [V] d’un courriel ayant pour titre ‘WAKE UP’ contenant en pièces jointes en format MP3 cinq fichiers dénommés WU 1, WU 2, WU 3, WU 4 et WU 5, que l’huissier a téléchargés et conservés sur support numérique, et comportant le contenu déjà indiqué ci-dessus (‘J’ai bossé ça en respectant ta contrainte de durée. J’attend(s) ton retour et surtout les contraintes d’exportation’),
– l’envoi le 1er juin 2017 d’un courriel de M.[X] [V] ayant pour titre ‘Mélodies retenues pour le réveil’ contenant un fichier Zip intitulé ‘Mélodies Réveil V2 (version d’évaluation)’ composé de plusieurs fichiers MP3.
Ces éléments précis et concordants se réfèrent aux oeuvres revendiquées, permettent de les identifier et de déterminer leurs caractéristiques ; ils suffisent ainsi à établir la qualité d’auteur de M. [V], étant précisé que les observations, d’ordre purement technique, qui lui ont été faites lors de la créations des mélodies ne leur confèrent pas le caractère d’oeuvres collectives.
En conséquence, M. [V] doit être déclaré recevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur sur les cinq mélodies qu’il revendique.
* au titre des droits d’artiste-interprète
A ce titre, M. [V] indique dans ses écritures que les cinq mélodies ont toutes été intégralement interprétées et enregistrées par lui à partir d’un clavier qui enregistre non seulement son jeu mais encore la vélocité de chaque note jouée et que la mélodie n°1 (WU 1) est extraite d’une oeuvre plus grande qu’il a divulguée sous non nom sur internet en 2012.
Toutefois, la pièce n°1 à laquelle il renvoie expressément ici, n’identifie pas l’interprète de la musique qu’elle contient et il n’est nullement justifié d’une divulgation quelconque sous le nom de M. [V] sur internet en 2012.
En conséquence, ce dernier qui n’établit pas sa qualité d’artiste-interprète, sera déclaré irrecevable à agir en contrefaçon à ce titre.
* au titre des droits de producteur de phonogramme
Aux termes de l’article L 213-1 du code de la propriété intellectuelle :
‘Le producteur de phonogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son’.
En l’espèce, la qualité de producteur de phonogrammes de M. [V] ne peut se déduire de la simple absence de rémunération à son profit. Faute d’ apporter le moindre élément de preuve de quelconque investissements qui auraient été nécessaires à la fixation des oeuvres musicales en cause, il doit être déclaré irrecevable à agir en contrefaçon à ce titre.
Sur la contrefaçon de droits d’auteur
Les dispositions de l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par le droit d’auteur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, pourvu qu’elles soient des créations originales.
Selon l’article L 112-2 5° du même code, sont considérées notamment comme oeuvres de l’esprit les oeuvres musicales avec ou sans paroles.
Il est constant que seul l’auteur est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et que l’originalité d’une ‘uvre doit s’apprécier de manière globale en tenant compte de la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui conférant une physionomie propre et démontrant un effort créatif et un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
En l’espèce, la société Transporturgent.com ne fait que se référer aux écritures de première instance de la société Bescent pour alléguer l’absence d’originalité des mélodies dont M. [V] est l’auteur.
Ces mélodies sont ainsi décrites par l’appelant :
– mélodie n°1 (pièce n°11.5 + partition communiquée) : une mélodie musicale de nature à illustrer un univers atmosphérique étendu qui a pour objet de placer l’utilisateur hors du temps. Des notes rapides et très lentes se superposent pour créer une étrangeté harmonique et donner l’impression d’un réveil doux mais agité,
– mélodie n°2 (pièce n°11.1 + partition communiquée) :une mélodie musicale empreinte de mélancolie et d’étrangeté, dans un style volontairement « daté », sur un tempo volontairement bas qui permet d’accentuer l’attente du choix harmonique et le sentiment de malaise à l’écoute. L’auditeur se retrouve suspendu à chaque note et envoûté par l’harmonie unique spécialement créée. (…) L”uvre qui correspond parfaitement au réveil de l’individu, moment étrange, presque hors du temps, au cours duquel les sentiments et les heures se confondent sans le savoir,
– mélodie n°3 (pièce n°11.2) : une musique exotique incluant des références aux instruments traditionnels type Carimba, Xylophone, etc. L’arrangement répond de choix arbitraires et libres, à l’image de l’alternance entre l’instrument à corde en aigu et le xylophone en grave,
– mélodie n°4 (pièce n°11.4 + partition communiquée) :une mélodie musicale empreinte de mystère et d’étrangeté dans un univers rappelant les films d’animation oniriques (…) un
arrangement très épuré, donnant ainsi de l’importance à l’attente entre les harmonies successives, source d’introspection, et donnant l’impression à l’utilisateur qu’à son réveil, ce dernier serait hors du temps,
– mélodie n°5 (pièce n°11.3 + partition communiquée en pièce n°11.3.1) :une musique sur un rythme de valse. L’intention était aussi de réaliser une musique positive, sur des accords majeurs, cassant ainsi avec la mélancolie d’autres créations du réveil.
Il revendique ainsi des droits d’auteur sur des oeuvres musicales qu’il verse aux débats et dont il caractérise l’originalité par la combinaison des différents éléments qui les composent et des choix esthétiques propres, traduisant ainsi l’expression de sa personnalité.
Il s’ensuit que ces oeuvres doivent bénéficier de la protection au titre des droits d’auteur des livres I et III du code de la propriété intellectuelle.
Sur la contrefaçon
Selon l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque».
Dans ses écritures devant le tribunal (page 5 des conclusions produites devant la cour en pièce 22 par l’appelant) la société Bescent a reconnu que les sonneries objets du litige, qui lui ont été envoyées par M. [V], ont été intégrées dans le réveil olfactif.
En conséquence, et sans qu’il soit besoin de procéder à une analyse comparative ou d’ordonner une expertise sur ce point, la contrefaçon de droits patrimoniaux d’auteur est établie, la société Transporturgent.com qui invoque un accord de M. [V] à l’exploitation de ses oeuvres ne rapportant la preuve d’aucune cession de droits.
L’appelant fait par ailleurs valoir à juste titre que les oeuvres dont il est l’auteur ont été exploitées sans mention de son nom.
L’atteinte à son droit de paternité est donc également établie.
En revanche, l’allégation d’une atteinte au droit au respect de ses oeuvres de par leur dénaturation résultant d’une mauvaise qualité résulte d’une simple affirmation qui n’est corroborée par aucun élément. Ce chef de demande doit en conséquence être rejeté.
Sur les demandes de M. [V]
* à l’encontre de la société Bescent
Selon l’article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle :
‘Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à
gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies
d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de
l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée’.
En l’espèce, M. [V] réclame paiement, à l’encontre de la société Bescent, de la somme de 30 000 euros à raison de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux d’auteur et de 5 000 euros à raison de l’atteinte portée à son droit moral de paternité.
En application des dispositions de l’article L 622-22 du code de commerce auxquelles renvoie l’article L 641-3 du même code, ‘sous réserve des dispositions de l’article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan nommé en application de l’article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant’.
En l’espèce, la société Bescent a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nantes du 13 mars 2019, la SELARL [R] [W] prise en la personne de maître [R] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire a été appelée à la procédure le 4 septembre 2019 et il résulte du certificat d’irrecouvrabilité établi par le liquidateur judiciaire et produit en pièce 23 par l’appelant, qui est la seule pièce à avoir été produite en temps utile, que ce dernier a déclaré une créance de 130 000 euros, sans distinction, au passif de la société Bescent. La demande de M. [V] ne peut donc tendre qu’à la fixation de sa créance.
Pour déterminer son préjudice résultant des atteintes à ses droits patrimoniaux d’auteur, M. [V] se réfère dans ses dernières écritures devant la cour aux conséquences économiques négatives de ces atteintes, à son préjudice moral et aux bénéfices retirés par le contrefacteur du fait des mêmes atteintes.
Toutefois, seules les quantités de réveils vendus en 2017, soit 2505, et les quantités en stock au 11 janvier 2018, soit 7495, ont été communiquées par la société Bescent par courriel du 12 avril 2018, étant précisé que si le réveil Sensorwake a été vendu à un prix public moyen de 90 euros, les mélodies dont M.[V] est l’auteur ne constituent que l’une de ses composantes s’agissant essentiellement d’un réveil olfactif.
En considération de l’ensemble de ces éléments appréciés distinctement,la cour est donc à même de fixer à la somme de 5 000 euros l’indemnisation totale due à M. [V] en réparation de son préjudice patrimonial d’auteur du fait des actes de contrefaçon retenus et à la somme de 3 000 euros la réparation de son préjudice né de l’atteinte à son droit moral d’auteur.
Ces sommes seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Bescent.
Il sera fait droit, en tant que de besoin, à la meure d’interdiction sollicitée à l’encontre du liquidateur judiciaire de la société Bescent, et ce dans les termes définis au dispositif du présent arrêt. En revanche, la demande de communication de pièces supplémentaires sera rejetée.
* à l’encontre de la société transporturgent.com
Pour contester toute responsabilité dans la réalisation des faits de contrefaçon commis au préjudice de M. [V], la société Tansporturgent.com fait valoir qu’elle n’a fait qu’assurer le stockage des réveils litigieux.
Toutefois, étant observé qu’elle ne verse aux débats qu’une proposition tarifaire du 29 septembre 2019 qui comporte plusieurs options, les factures qu’elle produit révèlent qu’elle a facturé à la société Sensorwake devenue Bescent, des frais de préparation et d’expédition des commandes de réveils.
En conséquence, elle sera déclarée responsable, in solidum avec la société Bescent, à hauteur de 20 % conformément à la demande, la bonne foi invoquée, à la supposer établie, étant dès lors inopérante.
Compte tenu du montant de la créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Bescent, la société transporturgent.com sera condamnée à payer à M. [V] la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice patrimonial d’auteur et la somme de 600 euros au titre de son préjudice moral d’auteur.
Sur les autres demandes
Les dépens seront à la charge exclusive de la société Transporturgent.com qui succombe.
Enfin M. [V] a dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt, et ce également à la charge exclusive de la société Transporturgent.com.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement dont appel sauf en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes formées par M. [O] [V] au titre de la contrefaçon de droits d’artiste interprète et de producteur de phonogrammes.
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que M. [V] est recevable à agir au titre des droits d’auteur sur les cinq mélodies objets du litige.
Dit que ces cinq mélodies sont originales et protégeables conformément aux dispositions des livres I et III du code de la propriété intellectuelle.
Dit que la société Bescent et la sociétéTransporturgent.com ont commis des actes de contrefaçon des droits patrimoniaux d’auteur de M. [V] en fabriquant et distribuant des réveils Sensorwake 2 qui intègrent les mélodies dont il est l’auteur sans son autorisation,
Dit que la société Bescent et la sociétéTransporturgent.com ont en outre commis des actes de contrefaçon du droit moral d’auteur de M. [V] en ne faisant pas mention de son nom sur les réveils Sensorwake 2.
En conséquence,
Interdit en tant que de besoin à la SELARL [R] [W], prise en la personne de Me [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Bescent, la poursuite des agissements qui lui sont reprochés et ce, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée passé un délai de trente jours suivant la signification du présent arrêt.
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Bescent la somme de 5 000 euros au titre des atteintes portées au droit patrimonial d’auteur de M. [V] et la somme de 3 000 euros au titre de l’atteinte portée à son droit moral d’auteur.
Dit que la société Transporturgent.com sera tenue in solidum au paiement de ces sommes à hauteur de 20%, soit à la somme de 1 000 euros au titre du préjudice patrimonial d’auteur de M. [V] et à la somme de 600 euros au titre de son préjudice moral d’auteur.
Condamne la société Transporturgent.com à verser à M. [V] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.
Condamne la société Transporturgent.com aux entiers dépens.
La Greffière La Présidente