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14 décembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/08772
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 3 – Chambre 1
ARRET DU 14 DECEMBRE 2022
(n° 2022/ , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08772 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDUD7
Décisions déférées à la Cour :
Arrêt du 13 Janvier 2021 – Cour de Cassation – n° 31 FS-D
Arrêt du 04 Avril 2019 – Cour d’appel de DOUAI – RG n°16/05012
Arrêt du 25 Mai 2016 – Cour de cassation – n° 536 FS – P + B + I
Arrêt 30 Octobre 2014 – Cour d’appel d’AMIENS – RG n° 12/03423
Jugement du 06 Mars 2012-Tribunal de grande instance de COMPIEGNE-RG n°08/01373
DEMANDEUR A LA SAISINE
Monsieur [Z] [I]
né le 27 Mai 1941 à [Localité 12] (60)
[Adresse 5]
[Localité 8]
représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
ayant pour avocat plaidant Me Jean-Pierre GASTAUD, avocat aux barreaux de NICE et PARIS
DEFENDEURS A LA SAISINE
Monsieur [W] [I]
né le 28 Août 1944 à [Localité 11] (60)
[Adresse 3]
[Localité 8]
Madame [L] [I]
née le 11 Décembre 1979 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 9]
Monsieur [H] [I]
né le 03 Mai 1983 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représentés et plaidant par Me Amaryllis BROSSAS, avocat au barreau de PARIS, toque: B0762
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 19 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Isabelle PAULMIER- CAYOL dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
[V] [I] est décédé le 20 mars 2007, laissant pour héritiers son épouse, [N] [X] instituée par testament légataire de l’universalité en usufruit de sa succession, leur fils [W], légataire de la quotité disponible, et un fils né d’une première union, M. [Z] [I].
Faisant grief à M. [W] [I] et [N] [X] veuve [I] d’avoir recélé certaines des donations directes ou indirectes consenties par le défunt à M. [W] [I] ainsi qu’une partie de la consistance réelle de l’actif successoral, M. [Z] [I] les a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Compiègne qui par jugement en date du 6 mars 2012 l’a débouté de ses prétentions, a ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession ainsi que de la communauté ayant existé entre les époux [I]/[X] et a condamné M. [Z] [I] au titre des frais irrépétibles.
M. [Z] [I] ayant formé appel à l’encontre de ce jugement, par arrêt du 30 octobre 2014, la cour d’appel d’Amiens a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Compiègne, sauf en ce qu’il a débouté M. [Z] [I] de ses demandes tendant à faire juger que M. [W] [I] s’était rendu coupable de recel successoral « s’agissant de la donation en nue-propriété de la villa d'[Localité 10] qui lui a été consentie par acte reçu le 14 décembre 1999, de la donation en nue-propriété des biens et droits immobiliers situés [Adresse 13] à [Localité 11] qui lui a été consentie par acte reçu les 22 et 25 mars 1995 et du solde du compte joint n° [XXXXXXXXXX01] (ancien n°[XXXXXXXXXX04]) à la date du 20 mars 2007 ouvert au Crédit Mutuel du Luxembourg, devenu Banque transatlantique du Luxembourg » et statuant à nouveau, la cour d’appel a retenu que M. [W] [I] s’était rendu coupable de recel au titre de ces donations et du compte bancaire ouvert à la banque Transatlantique du Luxembourg et a conséquence dit que M. [W] [I] était déchu de ses droits sur la nue-propriété de ces biens et sur la moitié du solde créditeur du compte au 20 mars 2007, augmenté des fruits et revenus produits par ce compte depuis cette date, rejeté la demande en dommages et intérêts et renvoyé les parties devant le notaire.
Par arrêt du 25 mai 2016, la Cour de cassation au visa de l’article 778, alinéa du code civil et sous l’attendu que « la sanction prévue par ce texte n’est applicable à l’héritier donataire que si le recel porte sur une donation rapportable ou réductible », a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens « seulement en ce qu’il a dit que [W] [I] s’était rendu coupable de recel successoral s’agissant de la donation en nue-propriété de la villa d'[Localité 10] qui lui a été consentie le 14 décembre 1999, de la donation en nue-propriété des biens et droits immobiliers situés [Adresse 13] à [Localité 11] qui lui a été consentie les 22 et 25 mars 1995 et dit que [W] [I] est déchu de ses droits sur la nue-propriété de ces biens » au motif que « pour décider que M. [W] [I] a commis un recel portant sur les donations en nue-propriété de la villa d'[Localité 10] et des biens et droits immobiliers situés [Adresse 13] à [Localité 11], l’arrêt retient que le donataire les a dissimulées à M. [Z] [I] en vue de les soustraire au rapport à la succession et de rompre l’équilibre du partage au détriment de ce dernier ; qu’en statuant ainsi, après relevé que ces donations avaient été consenties par préciput et hors part, ce qui en excluait le rapport, et alors qu’elle n’avait pas constaté qu’elles étaient réductibles » la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Après un arrêt mixte du 6 juillet 2017 ayant notamment débouté M. [Z] [I] de sa demande contre [N] [X] au titre d’un recel d’un bien de communauté, et ordonné deux expertises pour recueillir tous éléments en vue de déterminer la valeur au 20 mars 2007 (date du décès de [V] [I]) de la [Adresse 14] d'[Localité 10] et du bien immobilier [Adresse 13] à [Localité 11] et désigné respectivement Mme [M] [A] et M. [U] [R], la cour d’appel de Douai statuant comme cour de renvoi par un arrêt du 4 avril 2019 a :
– infirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Compiègne en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau
-constate que l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens le 30 octobre 2014 a définitivement statué sur le recel commis par M. [W] [I] concernant le compte n° [XXXXXXXXXX01] ouvert au Luxembourg, portant sur la moitié du solde créditeur du compte au 20 mars 2007, augmenté des fruits et revenus produits par ce compte depuis cette date
-rejette la fin de non-recevoir soulevée par M. [W] [I], Mme [L] [I] et M. [H] [I], agissant en qualité de légataires universels de [N] [X] veuve [I],
-dit que M. [W] [I] s’est rendu coupable de recel successoral sur les donations en nue-propriété de la villa d'[Localité 10] et des biens et droits immobiliers de l’appartement situé [Adresse 13] à [Localité 11], consenties le 14 décembre 1999 et les 22 et 25 mars 1995
-dit qu’est partiellement réductible la donation en nue-propriété de la villa d'[Localité 10] consentie le 14 décembre 1999
-dit que M. [W] [I] est redevable à l’indivision successorale d’une indemnité de réduction d’un montant de 209 542,46 euros, produisant intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt
-déboute M. [Z] [I] de ses autres demandes.
[N] [X] veuve [I] étant décédée le 25 octobre 2017, l’instance devant la cour d’appel de Douai interrompue par ce décès a été reprise par M. [W] [I], héritier et ses deux enfants Mme [L] et M. [H] [I], ces deux dernier ayant été institués par [V] [I] par voie testamentaire égalitaire de la quotité disponible pour le cas où son fils [W] serait mort avant lui et institués légataires universels de [N] [X].
Par arrêt du 13 janvier 2021, la première chambre civile de la cour de cassation au visa de l’article 455 du code de procédure civile, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 4 avril 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Douai et remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyé devant la cour d’appel de Paris, au motif que « pour rejeter la fin de non recevoir soulevée par Mme [L] [I] et MM. [W] et [H] [I] et Mme [L] [I], l’arrêt retient que ce n’est pas parce que le recel d’une donation réductible se limite à la perte de tout droit sur la réduction que la demande de reconnaissance et en sanction du recel d’une telle donation suppose la mise en ‘uvre d’une action en réduction. Il ajoute qu’il n’est pas contesté que l’action sur le fondement du recel a été engagée dans les cinq ans de la connaissance des faits et que cette action est autonome dans la mesure où, même si son sort dépend de la connaissance du caractère réductible de la donation en cause, qui constitue un fait, elle est indépendante de l’action en réduction elle-même, tendant à établir un droit découlant de l’action fondée sur le recel. En statuant ainsi, par des motifs inintelligibles équivalent à un défaut de motivation, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».
M. [Z] [I] a saisi la cour d’appel de renvoi par déclaration du 3 mai 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 octobre 2021, M. [Z] [I], appelant, demande à la cour de :
-dire recevable et bien fondé l’appel de [Z] [I],
-débouter [W], [L] et [H] [I] de leur appel incident et de toutes les autres demandes,
-dire que le recel successoral de la part de [W] [I] et portant sur le compte n° [XXXXXXXXXX01] (ancien n°[XXXXXXXXXX04]) ouvert au Crédit mutuel du Luxembourg, devenu Banque transatlantique du Luxembourg est acquis et a été définitivement constaté,
-confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Compiègne du 6 mars 2012 sauf en ses dispositions ayant débouté M. [Z] [I] de ses demandes tendant à faire juger que M. [W] [I] s’est rendu coupable de recel successoral s’agissant des donations d’une villa située à [Localité 10] et de biens et droits immobiliers situés [Adresse 13] à [Localité 11] lui ayant été consenties les 14 décembre 1999, 22 et 25 mars 1995 et ayant condamné M. [Z] [I] aux dépens ainsi qu’à verser à M. [W] [I] et à Mme [N] [X] [I], décédée depuis, « ensemble », la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
le réformant, statuant à nouveau et y ajoutant :
-dire que [W] [I] s’est rendu coupable de recel successoral :
*d’une part, de la donation à lui consentie le 14 décembre 1999 et portant sur la moitié de la propriété d’une villa sise à [Localité 10] [Adresse 2],
*d’autre part, de la donation à lui consentie les 22 et 23 mars 1995 et portant sur la propriété de biens et droits immobiliers situés [Adresse 13] à [Localité 11],
-constater que ces donations préciputaires sont réductibles,
en conséquence :
-dire M. [W] [I] déchu de tout droit sur les biens objets de ces donations,
-le condamner en outre aux intérêts de droits appliqués au montant des valeurs retenues des biens recelés à compter du 20 mars 2007 jusqu’à complet paiement, à savoir sur la somme de 895 500 euros ou subsidiairement sur la somme de 834 000 euros,
-condamner M. [W] [I] à payer à M. [Z] [I] la somme de 100 000 euros au titre de dommages et intérêts,
-condamner M. [W] [I], Mme [L] [I] et M. [H] [I] au paiement d’une somme de 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise avancés par le concluant dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs uniques conclusions notifiées le 3 septembre 2021, MM. [W] et [H] [I] et Mme [L] [I], intimés, demandent à la cour de :
-déclarer M. [W] [I], Mme [L] [I] et M. [H] [I] recevables et fondés en leur appel incident,
-déclarer M. [Z] [I] irrecevable et mal fondé en son appel principal,
-confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Compiègne le 6 mars 2012 en toutes ses dispositions,
y ajoutant :
1) sur le recel
à titre principal, sur l’irrecevabilité de l’action en recel :
-déclarer M. [Z] [I] prescrit depuis le 20 mars 2012 en sa demande de réduction des donations préciputaires consenties par [V] [I] et en particulier celles en litige intervenues les 25 mars 1995 et 14 novembre 1999, cette demande ayant été formée pour la première fois aux termes de conclusions signifiées le 20 juin 2018 devant la Cour d’appel de Douai soit plus de cinq années après le décès,
-en conséquence, en application de l’article 122 du Code de procédure civile, déclarer M. [Z] [I] irrecevable à agir, sa demande en recel portant sur deux donations préciputaires pour lesquelles il n’a plus d’intérêt à agir dans la mesure où aucune indemnité de réduction ne peut être due du fait de la prescription précitée,
à titre subsidiaire, sur le mal fondé de l’action en recel :
-juger que M. [W] [I] ne saurait se voir imputer un recel sur la base du document établi par Maître [D], intitulé « Succession de [V] [I] ‘ Masse à partager », dès lors que cette pièce ne correspond pas à une liquidation civile de la succession et se limite exclusivement à une liste des biens communs existants, sa signature ne pouvant pas constituer à elle seule les éléments matériel et intellectuel du recel successoral,
-juger qu’il ne saurait pas davantage être reproché à M. [W] [I] l’envoi par Maître [D] à M. [Z] [I] d’un document intitulé « projet de cession de droit successif », ledit projet n’ayant été ni validé ni signé par M. [W] [I] et sa mère et rien ne démontrant qu’ils en aient eu connaissance préalablement à son envoi par le Notaire à leur cohéritier,
-débouter en conséquence M. [Z] [I] de ses demandes en recel dirigées contre M. [W] [I] portant sur les donations préciputaires qui lui ont été consenties les 25 mars 1995 et 14 novembre 1999,
à titre infiniment subsidiaire, sur le périmètre du recel :
pour le cas où M. [Z] [I] serait déclaré recevable et fondé en sa demande de recel :
-cantonner ses droits à la seule réduction partielle de la donation portant sur la maison d'[Localité 10], celle antérieure de l’appartement de [Localité 11] n’étant pas réductible,
-fixer l’indemnité de réduction due par M. [W] [I] à la somme de 131 302,84 euros, montant qui devra être retenu par le Notaire liquidateur,
-débouter M. [Z] [I] de sa demande tenant à l’application des intérêts légaux à compter du décès sur l’indemnité de réduction due, les intérêts ne pouvant courir qu’à compter de l’arrêt à intervenir, ce point ayant déjà été jugé par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 janvier 2021,
2) en tout état de cause, sur la prescription de toute demande en réduction des donations non litigieuses
-juger que les donations les plus récentes, intervenues respectivement au bénéfice de Mme [L] [I] et de M. [H] [I] le 2 juillet 2005 et à titre préciputaire au bénéfice de M. [W] [I] les 1er juillet 2005 et 29 novembre 2000, par principe réductibles, ne seront cependant pas retenues au titre de la réduction, faute pour M. [Z] [I] d’avoir agi en ce sens avant le temps voulu pour prescrire,
-juger consécutivement qu’aucune indemnité de réduction n’aura à figurer à l’actif partageable au titre des trois donations précitées,
3) sur les conclusions expertales
-juger que les griefs de M. [Z] [I] à l’encontre des deux expertises conduites respectivement à [Localité 11] et à [Localité 10] ne sont pas pertinents, les experts locaux ayant correctement analysé les valeurs de marché comparables et retenu dans les deux cas des valeurs conformes auxdits marchés, en fonction de l’état des biens soumis à expertise,
-homologuer en conséquence les deux rapports et retenir pour les opérations de liquidation de la succession, la valeur de 120 000 euros pour le bien de [Localité 11] et celle de 1 130 000 euros pour le bien d'[Localité 10], ce dernier devant être décoté en considération de l’empiétement existant sur le fond voisin,
4) dommages et intérêts – Frais et dépens
-débouter M. [Z] [I] de sa demande de dommages et intérêts et de condamnation au titre des frais irrépétibles,
-confirmer le jugement de première instance, en ce qu’il a condamné M. [Z] [I] à régler ensemble à M. [W] [I] et à Mme [N] [I] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sauf à préciser, compte tenu du décès de cette dernière, que la condamnation bénéfice désormais à ses successibles,
-condamner M. [Z] [I] à régler à M. [W] [I] la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de celle déjà allouée en première instance,
-condamner M. [Z] [I] aux entiers dépens de l’instance d’appel, dont les frais des expertises immobilières conduites.
-juger que le recouvrement de ces dépens pourra être poursuivi par Maître Brossas en application de l’article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 septembre 2022.
L’affaire a été appelée à l’audience du 19 octobre 2022.
MOTIFS :
Le litige soumis à la cour d’appel de Paris, statuant comme cour de renvoi a pour objet l’existence d’un recel qu’impute M. [Z] [I] à M. [W] [I] portant sur les biens dont ce dernier a été gratifié par les donations hors part successorale consenties par le défunt à M. [W] [I] ; l’une de ces donations a été reçue par acte des 22 et 23 mars 1995, elle porte sur un appartement situé [Adresse 13] à [Localité 11] et les droits y attachés, l’autre reçue par acte du 14 mars 1999 porte sur une [Adresse 14] située à [Localité 10] et sur les sanctions à appliquer le cas échéant à un tel recel.
M. [Z] [I] s’attache pendant de longs développements à prouver les éléments matériels du recel que constituent ces deux donations dont M. [W] [I] a été gratifié et la volonté de ce dernier de les lui dissimuler, précisant qu’il a été aidé en cela par [N] [X] et par Me [D], notaire chargé par eux deux du règlement de la succession et qui avait reçu ces donations. Il met ainsi en exergue comme instruments du recel, le projet de déclaration de succession rédigé et adressé le 28 septembre 2007 par ce notaire, le document établi par ce même notaire intitulé dans son courrier d’envoi du 24 juin 2008 « l’actif et le passif de la masse à partager de la succession de votre père » et adressé à nouveau le 29 juillet 2008 mais revêtu de la signature de M. [W] [I] ou de [N] [X] précédée de la mention « bon pour accord » avec un projet de cession de droits successifs déjà signé par [N] [X] ou M. [W] [I] ; aucun de ces documents ne faisait référence aux donations litigieuses.
M. [Z] [I] fait également valoir que la sanction du recel qu’il se déduit de l’expression « sans pouvoir (y) prétendre à aucune part » figurant à deux reprises à l’article 778 du code civil doit s’agissant d’un recel d’une donation réductible comme faisant interdiction au receleur de prétendre à un quelconque droit sur les biens recelés et non pas seulement sur leur part réductible.
Cependant, tant l’élément matériel du recel que son élément intentionnel ainsi que l’assiette sur laquelle s’applique la sanction du recel relèvent du fond de l’action afin de recel ne pouvant donner lieu à un examen que si l’action afin de recel exercée par M. [Z] [I] est recevable.
Les intimés qui ne soulèvent pas la prescription de l’action afin de recel mais celle de l’action en réduction formée par les conclusions de l’appelant remises le 20 mai 2018 devant la cour d’appel de Douai, plus de 10 ans après le décès, soit postérieurement au délai butoir fixé par l’article 921 du code civil, font valoir que l’action en réduction étant prescrite, M. [Z] [I] est dépourvu d’intérêt à agir afin de recel.
En application du deuxième alinéa de l’article 778 du code civil, lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.
Si la donation consentie par le donateur à un héritier réservataire peut à la fois être rapportable et réductible, dans la présente espèce, les parties ne contestent pas que les actes ayant reçu les deux donations litigieuses indiquent qu’elles sont faites par « préciput et hors part ».
Si les termes de l’article 843 du code civil selon lesquels l’héritier peut retenir les dons que lui a consentis le défunt expressément hors part successorale, peuvent laisser entendre que les donations hors part successorale ne sont pas rapportables, cette possibilité est atténuée par l’article 844 qui prévoit que l’héritier venant à partage ne peut retenir les dons à lui faits hors part successorale « que jusqu’à concurrence de la quotité disponible : l’excédent est sujet à réduction ».
Les règles posées aux articles 919-2 et 920 de ce code complètent le régime des donations faites hors part successorale en prévoyant que « la libéralité faite hors part successorale s’impute sur la quotité disponible. L’excédent est sujet à réduction » et « les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d’un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible ».
Par ailleurs, si la réserve est d’ordre public, la réduction ne l’est pas car les héritiers réservataires présomptifs peuvent en application des articles 929 et suivants du code civil y renoncer.
A l’inverse du rapport auquel est tenu l’héritier gratifié envers ses co-héritiers et qui doit être spontané, la réduction aux termes de l’article 921 du code civil suppose une action des héritiers réservataires, des héritiers de ces derniers ou de leurs ayant cause enfermée dans les délais fixés par cet article.
M. [W] [I] impute à M. [W] [I] des faits recel portant sur des donations réductibles.
Si la réductibilité d’une libéralité comporte une dimension mathématique liée au montant de la quotité disponible qui se calcule en fonction des éléments la composant et d’après les règles de l’article 922 du code civil, elle comporte également une dimension juridique liée à celle de l’action en réduction puisqu’en l’absence de cette action, la donation consentie au gratifié qui excède le montant de la quotité disponible ne donne pas lieu à réduction.
En conséquence, de l’action en réduction dépend l’effectivité de la réductibilité des donations dont M. [Z] [I] impute le recel à M. [W] [I].
Les intimés ayant soulevé la fin de non recevoir tirée de prescription de l’action en réduction exercée par M. [Z] [I], il y a lieu de statuer sur cette fin de non recevoir qui conditionne le droit d’agir de ce dernier, tandis que la dimension mathématique de la réductibilité relevant du fond ne sera examinée que si l’action en réduction est recevable.
Le deuxième alinéa de l’article 921 dispose que « le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès. »
M. [Z] [I] a demandé cette réduction pour la première fois par des conclusions signifiées le 20 juin 2018 devant la cour d’appel de Douai, soit plus de dix ans après le décès de [V] [I] survenu le 20 mars 2007. Ce délai de dix ans étant un délai butoir qui ne peut être suspendu ou interrompu, l’action en réduction est prescrite.
Certes, les parties divergent sur l’assiette de la sanction du recel, M. [Z] [I] affirmant que la réduction frappe l’intégralité des libéralités recelées tandis que les intimés soutiennent qu’elle ne peut porter que sur leur portion réductible ; cependant, que cette réduction porte sur la totalité des libéralités ou à hauteur de leur seule portion excédant la quotité disponible, la réduction réclamée par M. [Z] [I] comme sanction du recel suppose impérativement une action en réduction qui obéit à des règles et conditions spéciales, ne pouvant être exercée que par un héritier réservataire, ses héritiers ou ayants cause, étant soumise à un délai de prescription qui lui est propre et étant d’abord de nature indemnitaire.
Or, comme il vient d’être vu, M. [Z] [I] n’ayant pas agi en réduction des donations excédant la quotité disponible dans les délais impartis par l’article 921 du code civil, il a perdu par voie de conséquence la possibilité de faire appliquer la peine privée frappant le recel successoral qu’il impute à M. [W] [I] et donc ses droits indemnitaires.
Partant, l’action de recel exercée par M. [Z] [I] portant sur les biens faisant l’objet des donations hors part successorale consenties le 22 et 25 mars 1995 et 14 novembre 1995, fusse-t-elle introduite dans le délai de cinq ans ayant couru à compter du décès de [V] [I], est irrecevable faute d’intérêt à agir de M. [Z] [I] ; le jugement du tribunal de grande instance de Compiègne ayant débouté M. [Z] [I] de l’ensemble de ses prétentions en ce qu’elles portaient sur ces donations est en conséquence réformé.
A titre surabondant, la lecture du jugement rendu le 6 mars 2012 renseigne sur le fait M. [Z] [I] avait connaissance des donations préciputaires des 22 et 25 mars 1995 portant sur l’appartement de la [Adresse 13] à [Localité 11] et du 14 novembre 1999 portant sur la [Adresse 14] située à [Localité 10] dont il imputait déjà le recel à M. [W] [I].
***
M. [Z] [I] n’ayant pas saisi la cour d’une demande en réduction des donations consenties à Mme [L] [I] et à M. [H] [I] le 2 juillet 2005 et de celles consenties les 1er juillet 2005 et 29 novembre 2000 à titre préciputaire au bénéfice de M. [W] [I], la demande des intimés tenant à voir dire prescrite toute action en réduction de M. [Z] [I] au titre de ces donations n’a pas d’objet. Il ne sera donc pas statué sur la demande des intimés et le dispositif de la présente décision ne contiendra pas pas de chef s’y rapportant.
Sur la demande de dommages et intérêts présentée par M. [Z] [I]
M. [Z] [I] se fondant sur les dispositions de l’article 778 qui prévoient qu’en sus de la peine privée du recel successoral, le receleur peut être condamné à des dommages et intérêts, fait grief à M. [W] [I] de l’avoir empêché par ses agissements frauduleux d’obtenir sa part de réserve héréditaire depuis plus de 14 ans, et réclame la somme de 100 000 € de dommages et intérêts.
MM. [W] et [H] [I] et Mme [L] [I] soutiennent que les dommages et intérêts prévus par l’article 778 du code de procédure civile en sus de la peine du recel suppose l’existence d’un préjudice autonome ou supérieur à celui que le recel indemnise déjà et que M. [Z] [I] ne fait pas la preuve d’un tel préjudice, affirmant n’avoir pour leur part fait qu’exercer les voies de recours qui leur étaient ouvertes par la loi et avec succès.
Le temps pris pour le règlement de la succession s’explique par les recours exercés tant par M. [Z] [I] (appel du jugement du tribunal de grande instance de Compiègne) que par M. [W] [I] (deux pourvois en cassation) ; or, l’issue apportée par la cour suprême montre que les recours exercés par les intimés n’étaient pas abusif.
Partant, la durée du règlement de la succession de [V] [I] ne constituant pas un préjudice indemnisable, M. [Z] [I] se voit débouté de sa demande de dommages et intérêts.
L’arrêt de la cour d’appel d’Amiens ayant débouté M. [Z] [I] de sa demande de dommages et intérêts, ce chef n’ayant pas été atteint par la l’arrêt de la Cour de cassation du 25 mai 2016, ce débouté est devenu irrévocable.
Sur les demandes accessoires
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
En l’espèce, il est constant que les donations portant sur l’appartement de la [Adresse 13] à [Localité 11] et la [Adresse 14] ne figuraient pas sur la déclaration de succession, ni sur les autres documents adressés à M. [Z] [I] par le notaire initialement chargé du règlement de la succession dont les intimés admettent le caractère erroné. En l’absence de réunion fictive de ces libéralités, la quotité disponible et les droits réservataires de M. [W] [I] ont été calculés sur une masse incomplète.
Ces considérations qui ont déterminé M. [Z] [I] à agir, quelque soit l’irrecevabilité de son action, justifient que les dépens de l’instance devant la cour d’appel de Douai et devant la présente cour soient mis à la charge de MM. [W] et [H] [I] et Mme [L] [I].
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposé et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à condamnation.
M. [W] [I], Mme [L] [I] et M. [H] [I] étant tenus aux dépens, ils se verront condamnés à payer à M. [Z] [I] la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Réforme les chefs du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Compiègne qui ne sont pas déjà définitifs et qui ont débouté M. [Z] [I] de ses demandes de recel portant sur les donations hors part successoral consenties par [V] [I] les 22 et 25 mars 1995 et 14 décembre 1999 ;
Statuant à nouveau :
Déclare irrecevable la demande de M. [Z] [I] tendant à voir dire que M. [W] [I] s’est rendu coupable de recel successoral :
– d’une part, sur la moitié de la propriété [Adresse 14] sise à [Localité 10], [Adresse 2], objet de la donation qui lui a été consentie le 14 décembre 1999,
– d’autre part, sur la propriété de biens et droits immobiliers situés [Adresse 13] à [Localité 11],
Déclare irrecevables les demandes subséquentes de M. [Z] [I] tendant à voir dire que M. [W] [I] est déchu de tout droit sur les biens objets de ces donations, et à sa condamnation aux intérêts de droit appliqués aux valeurs des biens recelés ;
Condamne solidairement MM. [W] et [H] [I] et Mme [L] [I] à payer à M. [Z] [I] la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidairement MM. [W] et [H] [I] et Mme [L] [I] aux dépens de l’instance devant la cour d’appel de Douai et devant la cour d’appel de Paris, en ce compris les frais d’expertise avancés par M. [Z] [I] dont distraction au profit de la SCP Grappotte Bénétreau qui en fait la demande.
Le Greffier, Le Président,