Cession d’actions d’une société de production

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Cession d’actions d’une société de production

Une cession d’actions peut être annulée / remise en cause en cas lorsque le cessionnaire (société de production) cache au cédant une information déterminante telle que l’existence d’un accord / pacte d’associés impactant la valeur des actions cédées.   

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 10 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00115 –��N° Portalis 35L7-V-B7F-CC3PM auquel a été joint le N°RG 21/883

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Décembre 2020 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2020033188

APPELANTES ET INTIMEES

S.A.S. THE JOKERS FILMS représentée par Monsieur E X, Président

[…]

[…]

Représentée et assistée par Me Hubert D’ALVERNY de la SELEURL PHISERGA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0532

S.A.S. A B représentée par son président en exercice

[…]

[…]

Représentée par Me Rémi ANTOMARCHI de la SELARL AYRTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1289

Assistée par Me Charles Yves RIVIERE, avocat au barreau de LYON

INTIMEES

S.A. DISTRICUP Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053

Assistée par Me Tehani GOY, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 Avril 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par Thomas RONDEAU, Conseiller conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Hélène GUILLOU, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Lauranne VOLPI

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Hélène GUILLOU, Présidente de chambre et par Lauranne VOLPI, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Exposé du litige

La SAS The Jokers Films, dirigée par M. X, est spécialisée dans la production et la distribution de films pour le cinéma, tandis que la SA Districup est spécialisée dans la distribution.

En octobre 2015, la société Districup est entrée au capital de la société The Jokers Films, à hauteur de 30 %.

Un pacte d’associés a été conclu, prévoyant notamment que tout projet de cession de titres détenus au sein de la société The Jokers Films à un autre actionnaire ou à un tiers doit impérativement être notifiée à la société et aux autres actionnaires afin de leur permettre d’exercer, le cas échéant, leurs droits de préemption et/ou de sortie conjointe.

La SAS A B, présidée par la SAS A Technologies, elle-même présidée par la SAS F Y G, est spécialisée dans le cinéma.

En juillet 2018, la société A B est entrée au capital de la société The Jokers Films, à hauteur de 1,32 %.

La société The Jokers Films considère que M. X détiendrait 66,39 %, la société A B détiendrait 1,32 %, et la société Districup détiendrait 29,34 %.

Toutefois, la société Districup conteste les conditions de la dilution de sa participation au capital, et ajoute que malgré un avenant au pacte d’associés, elle a conservé son droit d’accord préalable en cas de sortie forcée.

En décembre 2019, des discussions sont intervenues entre M. X et la société A B afin de faire investir cette dernière dans la société The Jokers Films, sachant qu’elle y détenait déjà une participation de 1,32 %.

Son investissement était soumis à l’acquisition préalable de l’intégralité des actions des associés minoritaires de la société The Jokers Films, dont les actions de la société Districup.

La société A B s’est rapprochée de la société Districup pour discuter d’un prix de cession de ses titres. Elle lui a adressé une lettre d’intention fixant le rachat de ses titres pour une valeur de 510.000 euros. La société Districup n’était pas d’accord avec cette valorisation des titres et a refusé ce rachat.

Suite à ses demandes, la société Districup a été informée que la valeur de ses titres était bien plus élevée que le montant proposé par la société A B.

La société The Jokers Films a toutefois refusé de communiquer l’accord établi en décembre 2019 avec la société A B à la société Districup. Elle a précisément indiqué qu’il n’existerait pas de tel accord, et que la société A B n’était pas engagée irrévocablement à investir dans la société The Jokers Films depuis le refus de l’offre de valorisation faite à la société Districup.

Le 11 juin 2020, la société Wanderers a fait une offre d’achat de 100 % des titres de la société The Jokers Films.

Le 1er juillet, M. X et une autre actionnaire ont accepté cette offre d’achat.

Le 2 juillet 2020, la société Districup s’est vue notifier par la société The Jokers Films deux projets de transferts de titres pour une valeur de 500.000 euros.

Tandis que la société The Jokers Films estime que le litige se restreint au prix de cessions des titres, la société Districup considère avoir été victime d’un stratagème établi entre la société The Jokers Films et la société A B visant à la contraindre à céder ses titres qu’elle détient dans la société The Jokers Films.

Pour pouvoir appliquer l’article 8 du pacte, M. X et M. Y auraient créé une société, la société Wanderers, pour qu’elle fasse une offre d’achat de 100 % des titres de la société The Jokers Films. M. X, actionnaire à plus de 60 %, et sa compagne, actionnaire également, auraient accepté cette offre.

Ensuite, M. X aurait substitué la société Wanderers dans le bénéfice de la promesse de vente prévue à l’article 8 du pacte, et aurait notifié à la société Districup son obligation de sortie forcée.

Afin de démontrer ce qu’elle avance, la société Districup souhaite notamment se faire remettre l’accord conclu en décembre 2019 entre la société The Jokers Films et la société A B qui aurait été passé en violation de son droit de préemption.

Dans cette attente, il lui fallait également voir procéder au séquestre des actions objet de la cession totale.

Le 10 juillet 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a rendu une ordonnance sur requête de la société Districup, par laquelle il a autorisé à faire pratiquer des mesures de saisies de documents aux sièges des sociétés The Jokers Films, A B et F Y G, ainsi qu’au domicile de M. X.

Le président du tribunal de commerce a précisé que l’huissier avait pour mission de se faire remettre ou rechercher sur tout support :

– tout accord conclu au mois de décembre 2019 entre M. X et A B et/ou F Y G et/ou la société Wanderers et/ou toute autre société dirigée par

M. Y concernant la cession au groupe A des participations de M. X au sein de The Jokers Films ;

– se faire également remettre l’ensemble des correspondances électroniques envoyées et/ou reçues par MM. X et Y contenant l’un des mots clés suivants : « TJF », « THE JOKERS FILMS », « Jokers », « DISTRICUP », « LOI », « C D », « C », « A », « Pacte », « Valorisation », « Valo », « Cession », « Wanderers », sur la période courant du 1er décembre 2019 au 30 juin 2020.

Le 28 juillet 2020, un huissier a pratiqué les mesures de saisies autorisées.

Par acte du 7 août 2020, la société A B a fait assigner la société Districup et la société The Jokers Films devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins notamment de :

— principalement, voir prononcer la rétractation sans délai et dans toutes ses dispositions de l’ordonnance sur requête du 10 juillet 2020 ;

— subsidiairement, voir prononcer le maintien sous séquestre et la destruction sous la responsabilité de l’huissier instrumentaire de l’intégralité des éléments saisis par le mandataire de justice, à l’exception des éléments de l’accord conclu entre M. X et la société A B en date du 13 décembre 2019 non couverts par le secret des affaires et strictement nécessaires à la résolution du litige ;

— subsidiairement, voir prononcer le maintien du séquestre et la destruction sous la responsabilité de l’huissier instrumentaire de l’ensemble des éléments indiqués en pièce n7 et au point B (ii), sans qu’aucune communication ne soit faite à la société Districup ni que son conseil ne soit autorisé à en faire ou à en conserver copie.

Par ordonnance de référé rendue le 17 décembre 2020, la juridiction saisie a :

— débouté la société A B et la société The Jokers Films de leurs demandes de rétractation ;

— dit que la société A B et la société The Jokers Films se rapprocheront de la SCP H I & J K aux fins de procéder à un premier tri des pièces saisies ; la société A B et la société The Jokers Films justifieront auprès du juge avant le 11 janvier 2021 du secret des affaires invoqué dans les conditions des articles R.153-3 et suivants du code de commerce ;

— renvoyé la cause à l’audience de référé cabinet du 28 janvier 2021 à 14h00 pour statuer sur la communication des pièces ;

— condamné solidairement la société A B et la société The Jokers Films à payer à la société Districup la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamné solidairement la société A B et la société The Jokers Films aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 61,95 euros TTC dont 10,11 euros de TVA.

Le premier juge a fondé cette décision notamment sur les motifs suivants :

— que l’article 8 du pacte prévoyait un droit de sortie forcée dès lors qu’un ou plusieurs tiers feraient une offre ferme de transfert de titres portant sur 100 % du capital et des droits de vote de la société et que des parties détenant ensemble au moins 60 % du capital et des droits de vote de la société,

incluant la société Districup, accepteraient l’offre ;

— qu’il a été établi que l’offre du tiers en cause, à le supposer ayant cette qualité au sens du pacte, a été acceptée par M. X et une autre actionnaire détenant ensemble plus de 60 % du capital de la société Districup et qu’ils ont ensuite substitué la société Wanderers dans le bénéfice de la promesse de vente avant de notifier la mise en oeuvre de la sortie forcée à effet du 16 juillet 2020 sans qu’il n’ait été démontré que la société Districup aurait été appelée à se prononcer, et ce dès le stade de l’offre ;

— que l’acceptation de la cession de titres par la société Districup n’a pas été démontrée ; qu’il existait un litige sérieux quant à la validité de la cession ;

— qu’il était possible de déroger au principe du contradictoire ; qu’en effet, la cession de titres aurait pu être faite rapidement et emporter des conséquences irréversibles au détriment de la société Districup si les sociétés A B et The Jokers Films avaient été informées de la mesure de saisie ;

— qu’en conséquence, il fallait débouter les sociétés The Jokers Films et A B de leur demande de rétractation de l’ordonnance relativement aux documents saisis.

Par ordonnance du 8 février 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a notamment ordonné la communication des pièces saisies, à l’exception de celles dont la destruction a été acceptée et de celles couvertes par le secret des affaires.

Par déclaration en date du 22 décembre 2020, la société The Jokers Films a interjeté appel de l’ordonnance du 17 décembre 2020, à l’encontre de l’ensemble des chefs de son dispositif (RG 21/00115).

Par déclaration en date du 8 janvier 2021, la société A B a interjeté appel de l’ordonnance du 17 décembre 2020, à l’encontre de l’ensemble des chefs de son dispositif (RG 21/00883).

Les deux procédures ont été jointes.

Au terme de ses conclusions remises le 24 février 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société The Jokers Films demande à la cour, sur le fondement des articles 145, 493, 495, 496 et 700 du code de procédure civile, de :

— constater qu’aux termes de la requête et de l’ordonnance, il n’est justifié d’aucune circonstance particulière permettant d’évincer le principe du débat contradictoire ;

— constater que la société Districup ne dispose pas d’aucun droit d’information préférentiel ;

— constater que la société Districup ne justifie d’aucun motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;

— constater que la société Districup a sciemment dissimulé, lors de la présentation de sa requête, des informations essentielles à la décision requise ;

et en conséquence de quoi,

— infirmer l’ordonnance du 17 décembre 2020 en ce qu’elle a refusé de rétracter l’ordonnance du 10 juillet 2020 ;

— rétracter l’ordonnance du 10 juillet 2020 ;

— annuler le procès-verbal dressé le 28 juillet 2020 sur la foi de l’ordonnance rétractée, afin qu’il ne puisse en demeurer aucune copie, et rappeler que cette annulation interdit l’utilisation de toute copie quelle qu’en soit l’origine et à quelque fin que ce soit ;

— ordonner la restitution à la société The Jokers Films des copies et autres biens matériels et immatériels ayant fait l’objet de l’exploit d’huissier du 28 juillet 2020 et conservés sous séquestre par l’huissier instrumentaire désigné, ainsi que la destruction de toute copie supplémentaire de sorte qu’il ne puisse en demeurer aucune ;

— dire que la décision à intervenir est opposable à l’huissier de justice instrumentaire ayant procédé aux opérations du 28 juillet 2020, la SCP H I & J K, en ce qu’elle prononce la rétractation de l’ordonnance et l’annulation du séquestre ;

— condamner la société Districup à verser à la société The Jokers Films une somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société Districup aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La société The Jokers Films fait valoir en substance les éléments suivants :

— que selon la jurisprudence, la dérogation au principe du contradictoire doit être justifiée par une prise en compte d’éléments propres au cas d’espèce ;

— que pourtant, en l’espèce, la société Districup ne fait que des affirmations générales en indiquant craindre que la société A B et M. X fassent disparaître leur accord relatif à la cession des titres de la société Districup dans la société The Jokers Films, sans aucune justification et démonstration ;

— que le projet de cession de titres de la société Districup à la société A B, discuté entre cette dernière et la société The Jokers Films, était conditionné à un accord sur la valorisation des actions de la société Districup ; que cet accord n’ayant pas abouti, le projet entre la société A B et la société The Jokers Films n’était pas ferme et l’article 3.1.1 du pacte relatif à la notification de la cession de titres n’était donc pas applicable ;

— que d’ailleurs, en juillet 2020, la société Wanderers a fait une offre ferme de rachat de 100% des titres de la société The Jokers Films, dûment notifiée selon l’article 3.1.1 du pacte, et acceptée par les associés représentant plus de 60% du capital ;

— qu’une mesure est légalement admissible quand elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à des intérêts ayant une plus grande légitimité ; qu’elle doit être circonscrite aux faits litigieux et proportionnée à l’objectif recherché ;

— qu’en l’espèce, la société Districup est un associé minoritaire, n’ayant pas de droit d’information préférentiel, et les informations faisant l’objet de la mesure d’instruction sont protégées par le secret des affaires.

Au terme de ses conclusions remises le 24 février 2021, la société A B, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, sur le fondement des articles 145, 495, 700 et 875 du code de procédure civile, de :

— constater l’absence d’urgence et de circonstance nécessitant de déroger au principe du contradictoire, tant dans la requête de la société Districup que dans l’ordonnance ;

— constater l’absence de motif légitime d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige ;

— constater que la société Wanderers est tiers au sens du pacte ;

— constater l’absence de fraude à l’encontre des droits de la société Districup ;

— constater que la société Districup détient moins de 30 % du capital social et des droits de vote de la société The Jokers Films et a sciemment trompé la juridiction sur ce point ;

en conséquence,

— infirmer l’ordonnance de référé du 17 décembre 2020 dans toutes ses dispositions et en ce qu’elle a débouté la société A B de sa demande de rétractation de l’ordonnance ;

— rétracter sans délai et dans toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 10 juillet 2020 ;

— ordonner la destruction pure et simple de l’ensemble des éléments saisis par l’huissier instrumentaire, sans qu’aucune communication préalable ni copie ne soit communiquée à la partie adverse ni à son conseil ;

— en tout état de cause, dire que la décision à intervenir est opposable à l’huissier de justice instrumentaire ayant procédé aux opérations de séquestre, la SCP H I & J K ;

— condamner la société Districup à verser à la société A B la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La société A B fait valoir en substance les éléments suivants :

— qu’en application de l’article 875 du code de procédure civile, le président peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes quand les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement ; que pourtant en l’espèce, rien ne justifiait que le principe du contradictoire soit évincé ;

— que le droit de préemption n’a jamais été ignoré ; qu’en effet, l’article 5.3 et l’article 8.1 du pacte d’associés prévoient qu’en cas de cession forcée, le droit de préemption est neutralisé ;

— que la société Districup n’a pas non plus de droit d’information renforcé ;

— que le droit de veto n’existe plus ; qu’en effet, l’article 8.1 prévoit que la cession forcée doit être acceptée par des associés de la société The Jokers Films détenant plus de 60 % du capital et par la société Districup, pour autant qu’elle détienne qu’encore 30 % du capital et des droits de vote ; qu’or, la société Districup détient moins de 30 % du capital depuis juillet 2018 ;

— que l’article 1 du pacte d’associés définit le tiers comme « toute personne physique ou morale n’étant ni une partie, ni la société » ; qu’il n’est pas exigé que la personne morale tierce ne soit pas détenue par une partie signataire du pacte ; que la société Wanderers est donc bien un tiers ;

— qu’en conséquence, il doit être ordonné la destruction pure et simple de l’ensemble des éléments saisis par l’huissier, sans qu’aucune communication préalable ni copie ne soit communiquée à la partie adverse ni à son conseil.

La société Districup, par conclusions remises le 24 mars 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, sur le fondement, des articles 145, 496, 497, 874 et 875 du code de procédure civile, et des articles R. 153-1 à R. 153-10 du code de commerce, de :

— constater que la mesure ordonnée par l’ordonnance du 10 juillet 2020 rendue sur requête du 9 juillet 2020 et confirmée par l’ordonnance du 17 décembre 2020 repose sur un motif légitime d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige ;

— constater que les circonstances telles qu’exposées dans la requête du 9 juillet 2020, dans l’ordonnance du 10 juillet 2020 et l’ordonnance du 17 décembre 2020 justifiaient qu’il soit dérogé au principe du contradictoire ;

— constater que la mesure ordonnée par l’ordonnance du 10 juillet 2020 rendue sur requête du 9 juillet 2020 et confirmée par l’ordonnance du 17 juillet 2020, est légalement admissible ;

— constater qu’il existe un litige sur la capacité de la société Districup à s’opposer à la mise en oeuvre de l’option d’achat stipulée au pacte dont la résolution pourrait dépendre de la mesure d’instruction ordonnée ;

— constater que la société A B, conjointement avec M. E X, ont indûment tenté de tenir en échec les droits de la société Districup en vertu du pacte ;

en conséquence,

— débouter la société The Jokers Films et la société A B de l’ensemble de leurs demandes ;

— confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance du 17 décembre 2020 ;

— ordonner la communication ou la production à la société Districup de l’ensemble des éléments recueillis par l’huissier mandaté et conservés jusqu’alors en séquestre ;

— condamner les sociétés The Jokers Films et A B à verser chacune à la société Districup une somme complémentaire de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société The Jokers Films et la société A B aux entiers dépens ;

— condamner la société A B aux entiers dépens.

La société Districup expose en résumé ce qui suit :

— que l’offre de la société Wanderers n’est pas valable au sens du pacte d’associés ; qu’en effet, d’une part elle n’émane pas d’un tiers, cette société étant totalement dirigée par M. X et M. Z, et d’autre part elle aurait dû être acceptée par le partenaire Districup ;

— que le désaccord des parties ne concerne pas le prix de la participation au capital dans la société The Jokers Films par la société Districup, mais les violations successives du pacte d’associés et la détermination de sa détention d’actions dans la société The Jokers Films ; que ce désaccord fera l’objet d’une procédure au fond ;

— que la jurisprudence admet que le demandeur à la mesure d’instruction in futurum doit simplement justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions ;

— qu’en l’espèce, et en application de la clause 3.1.1 du pacte d’associés, la société Districup veut se

voir communiquer l’accord de décembre 2019 conclu entre la société The Jokers Films et la société A B ; que M. X avait l’obligation de notifier cet accord à la société Districup, par écrit, pour qu’elle puisse exercer son droit de préemption ou son droit de sortie ; que la clause est claire et le fait que le projet de transfert de titres soit certain ou incertain ne fait pas obstacle à l’obligation de notification ;

— que la société The Jokers Films et la société A B se contredisent dans leurs écritures et reconnaissent l’existence de cet accord ;

— que l’offre faite par la société Wanderers ne fait pas perdre son intérêt à la société Districup d’avoir accès à l’accord de décembre 2019 ; qu’en effet, une offre portant sur l’acquisition de 100 % du capital de la société The Jokers Films ne pouvait prospérer notamment que si elle émanait d’un tiers au pacte et si elle était approuvée par la société Districup détenant au moins 30% du capital ; qu’or d’une part, la société Wanderers n’est pas un tiers ; que d’autre part, la société Districup conteste la dilution de ses droits dans le capital mais surtout, une fois en possession de l’accord de 2019, elle pourra faire valoir son droit de préemption et deviendra propriétaire de bien plus que 30% du capital de la société The Jokers Films ;

— que les premiers juges ont admis que le comportement des sociétés The Jokers Films et A B permettait de douter de leur propension à faire preuve de transparence ;

— que la jurisprudence admet que des emails ou des actes sous-seing privé sont aisément dissimulables et qu’il convient de procéder par voie de requête pour conserver l’effet de surprise et éviter la perte de preuves ;

— que les pièces saisies ont été précisément déterminées pour faire aboutir le litige et sont placées sous séquestre pour l’instant inaccessible à la société Districup ; que la procédure relative à la protection du secret des affaires a été respectée.

SUR CE, LA COUR

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Il en résulte que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer la réalité de ses suppositions à cet égard, cette mesure in futurum étant précisément destinée à l’établir, mais qu’il doit justifier d’éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il sollicite la mesure n’est pas dénué de toute chance de succès. Ni l’urgence ni l’absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d’application de ce texte.

Les mesures d’instruction prévues à l’article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

En l’espèce, il y a lieu de rappeler à titre liminaire que la cour n’est pas tenue, sauf exceptions prévues par la loi, de statuer sur les demandes de ‘dire et juger’ et de ‘constater’, s’agissant de moyens et non de prétentions la saisissant.

Sur le fond du référé, il sera relevé :

— que Districup, d’une part, et The Jokers Films et A B, d’autre part, s’opposent sur la nature du litige, Districup indiquant que le contentieux ne se limite pas au prix et à la mise en oeuvre

de la clause de sortie forcée mais serait en réalité constitué en substance par une dissimulation de la dilution de sa participation, une dissimulation de la lettre d’intention signée entre M. X et A B et la création d’une entité ad hoc par ses adversaires, la société Wanderers, pour tenter de mettre en oeuvre le droit de cession forcée pourtant réservé aux seuls ‘tiers’ ;

— que, s’agissant du motif légitime, la société Districup, qui rappelle valablement qu’elle n’a pas en l’état à démontrer les griefs reprochés mais simplement la présence d’éléments rendant crédibles ses suppositions, indique, à juste titre, que la communication de l’accord entre M. X et le groupe A peut lui servir dans le cadre du litige à venir, notamment à raison de l’article 3.1.1. du pacte qui était de nature à imposer une telle communication pour l’exercice éventuelle de ses droits de préemption et de sortie conjointe partielle proportionnelle ;

— que si les sociétés The Jokers Films et A B font respectivement état de ce que le projet de vente n’était pas certain ou de ce que certains éléments de leur partenariat n’avaient pas à être communiqués à Districup pour des motifs de confidentialité, il n’en demeure pas moins que Districup a bien un intérêt à en obtenir communication en vue de préserver ses droits dans le procès à venir, Districup exposant que, quel que soit le sort des offres de A ou de Wanderers, elle est en tout cas susceptible de faire état devant les juges du fond de ce que sa possibilité de devenir propriétaire de la majorité de The Jokers Films aurait été contournée ;

— que, concernant la dérogation au principe du contradictoire, la requête indiquait notamment en page 8 les motifs d’y déroger, tenant notamment au fait que, selon Districup, elle a sollicité amiablement la communication de cet accord en vain, M. X ‘s’y [étant] d’abord opposé, avant d’en nier subitement l’existence avec l’aide et la complicité du groupe A’ ; que la requête précise que, ‘dans pareil contexte, Districup avait toutes raisons de craindre que, formant sa demande de mesure d’instruction in futurum de manière contradictoire, M. X et le groupe A ne s’empressent, pour y faire échec, de détruire définitivement toutes traces de leur accord’ ;

— que l’ordonnance sur requête précise d’ailleurs que ‘le comportement des personnes visées permet de douter de leur propension à faire preuve de transparence et que les éléments recherchés sont facilement dissimulables’ ;

— que la recherche ne portait pas ici en outre, comme le rappelle à juste titre Districup, sur des documents fiscaux ou comptables à la conservation réglementée mais bien sur des actes privés ou correspondances électroniques facilement effaçables ;

— que les pièces versées aux débats établissent suffisamment la volonté de dissimulation, en atteste le procès-verbal de réunion du Comex de The Jokers Films du 26 mai 2020 (pièce 24 Districup), qui indique notamment ‘Districup a demandé à plusieurs reprises d’avoir accès aux termes des accords entre le management, TJF et A […] Il lui a d’abord été répondu que Districup n’y aurait pas accès, puis que cet accord ne concernait pas Districup et enfin qu’un tel accord n’existait pas. […] Districup réitère sa demande d’accès à ces accords. […] M. F Y prend la parole et déclare qu’il n’existe qu’une seule lettre d’intention de A concernant TJF, celle adressée à Districup, qui n’a pas abouti à un accord […] A toutes fins utiles, M. F Y réitère qu’il n’existe aucun accord ni projet d’accord ou de cessions de titres entre A et E X et/ou TJF’ ;

— que Districup a ainsi parfaitement établi les motifs de déroger au débat contradictoire, compte tenu des éléments très contradictoires qui lui ont été rapportés sur le supposé accord et d’une volonté de dissimulation laissant craindre un risque très réel d’effacement et de destruction de documents ;

— qu’à cet égard, la société A B ne peut faire valoir que le litige serait limité à l’interprétation des clauses du pacte, alors que le procès en germe de Districup concerne un éventuel contournement des stipulations du pacte en cause ;

— que l’urgence, qui n’est pas une condition d’application de l’article 145 du code de procédure civile mais peut aussi justifier le recours à la procédure sur requête, est en tout cas établi, Districup relevant que la notification du 2 juillet 2020 de MM. X et Y de mise en oeuvre de la clause de sortie forcée prévoyait expressément que le transfert des titres et le paiement du prix interviendraient le 16 juillet 2020 ;

— que c’est en vain que The Jokers Films fait état d’affirmations générales non fondées, alors que les circonstances précises de l’affaire justifiées par les pièces établissent la nécessité de ne pas passer par une procédure contradictoire ;

— que les développements sur le fond du litige relèvent du procès à venir, l’article 3.1.1 du pacte établissant à tout le moins la possible existence d’un droit de préemption ; que, de même, l’application de la clause de sortie forcée, et la question de savoir si, au sens de l’article 8.1 du pacte, Wanderers est un tiers au sens du pacte ou n’est en réalité qu’une société aux mains de MM. X et Y, ne remettent pas en question la légitimité de la mesure et la nécessité de déroger au contradictoire, ces divers points relevant du litige à venir ;

— que la légalité de la mesure ordonnée sur requête ne saurait non plus être utilement contestée, les supposées possibles atteintes à la vie privée ou au secret des affaires faisant l’objet de mesures de protection et de contrôle spécifiques, par la mise en place de mesures de séquestre ;

— que les termes définis dans l’ordonnance sur requête sont en rapport étroit avec les faits de l’espèce, de sorte que les mesures ordonnées n’apparaissent pas disproportionnées.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, en ce compris le fait que le premier juge n’ait pas fait droit à la demande de Districup, formulée à nouveau en appel, tendant à ordonner la communication ou la production à la société Districup de l’ensemble des éléments recueillis par l’huissier mandaté et conservés jusqu’alors en séquestre, la communication ayant à juste titre été déjà organisée par le premier juge selon les modalités spécifiques rappelées ci-avant.

Ce qui jugé en cause d’appel commande de condamner les sociétés The Jokers Films et A B à indemniser les frais non répétibles exposés à hauteur d’appel par la société Districup, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dans les conditions indiquées au dispositif.

The Jokers Films et A B seront enfin condamnés aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS The Jokers Films à verser à la SA Districup la somme de 5.000 euros au titre des frais non répétibles exposés à hauteur d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS A B à verser à la SA Districup la somme de 5.000 euros au titre des frais non répétibles exposés à hauteur d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS The Jokers Films et la SAS A B aux dépens d’appel ;

La Greffière, La Présidente,


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