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Cession d’actions : 7 juillet 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/08849

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Cession d’actions : 7 juillet 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/08849

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 07 JUILLET 2022

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/08849 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPPV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Juillet 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS / FRANCE – RG n° 17/01784

APPELANTE

Madame [K] [P]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Angélique LAMY, avocat au barreau de PARIS, toque : E1671

INTIMÉE

SAS ARTMEDIA

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère, rédactrice

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Emmanuelle DEMAZIERE,vice-présidente placée pour Mme Nathalie FRENOY, présidente empêchée, et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [K] [P] a été engagée par la sas Artmedia dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée du 1er mars 1986, en qualité de sténo-dactylographe.

Par avenant du 23 janvier 2001, Mme [P] est devenue assistante administrative.

Le 19 février 2016, la société Artmedia a convoqué Mme [P] à un entretien préalable fixé au 2 mars suivant puis l’a licenciée le 23 mars 2016 pour motif économique.

Le 2 mars 2016, Mme [P] avait accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé.

Contestant son licenciement, Mme [P] a, par acte du 9 mars 2017, saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin de faire valoir ses droits.

Par jugement du 4 juillet 2018, notifié aux parties le 14 février 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– dit le licenciement économiquement fondé,

– condamné la société Artmedia à payer Mme [P] les sommes de :

*3 830 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice tiré de la violation de l’article L1235-15 du code du travail,

*1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Mme [P] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Artmedia de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Artmedia aux dépens.

Mme [P] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 2 août 2019.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 8 avril 2022, Mme [P] demande à la cour de :

– faire sommation à la société Artmedia de produire le registre unique du personnel de 2014 à 2018,

– confirmer que Mme [P] est recevable en son appel,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* jugé que le licenciement économique de Mme [P] est fondé et débouté cette dernière de ses demandes indemnitaires,

* omis de statuer, à titre subsidiaire, sur la violation des règles des critères d’ordre des licenciements et débouté Mme [P] de ses demandes indemnitaires,

* débouté Mme [P] de ses demandes indemnitaires en réparation de son préjudice moral,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

* retenu que la société Artmedia avait violé les dispositions de l’article L1235-15 du code du travail,

* condamné la société Artmedia à verser un article 700 du code de procédure civile à Madame [P] ainsi qu’aux entiers dépens,

et statuant à nouveau :

à titre principal :

– juger que la rupture du contrat de travail procédant de l’acceptation par Madame [P] du contrat de sécurisation professionnelle est abusive et s’apparente à un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Artmedia à lui verser :

* la somme de 75 742,56 euros (soit 18 mois de salaire) au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* la somme de  25 247,52 euros (soit 6 mois de salaire) au titre des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

à titre subsidiaire :

– juger que la société Artmedia a violé les critères d’ordre de licenciement,

– condamner la société Artmedia à lui verser à les sommes de :

* 75 742,56 euros (soit 18 mois de salaire) en réparation de son préjudice matériel et financier,

* 25 247,52 euros (soit 6 mois de salaire) au titre des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

en tout état de cause

– condamner la société Artmedia à lui verser les sommes de :

* 25 247,52 euros (soit 6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice tiré de la violation de l’article L1235-15 du code du travail,

* 4 000 euros à titre d’article 700 du code de procédure civile,

* aux dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 14 mars 2022, la société Artmedia demande à la cour de :

– déclarer la société Artmedia recevable et bien fondée en son appel incident,

– juger irrecevable l’action de Mme [P] car prescrite en application des dispositions de l’article L.1235-7 du code du travail,

– juger que le licenciement de Mme [P] repose sur une cause économique réelle et sérieuse,

– juger que Mme [P] ne peut invoquer une quelconque violation des critères d’ordre de licenciement, dès lors qu’ils ne lui étaient pas applicables compte tenu de son emploi,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à Mme [P] les sommes de :

* 3 830 euros en réparation du préjudice tiré de la violation de l’article L.1235-1 du code du travail,

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [P] de ses demandes indemnitaires pour licenciement injustifié,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [P] de ses demandes indemnitaires en réparation de son préjudice moral,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [P] de ses demandes indemnitaires pour violation des règles d’ordre des licenciements,

– condamner Madame [P] aux dépens,

– condamner Madame [P] à payer à la société Artmedia une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 avril 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 13 mai 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

SUR QUOI

Sur la prescription de l’action

Aux termes de l’article L.1235-7 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n’est opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la lettre de licenciement.

La société Artmedia oppose la forclusion des demandes de Mme [P], par application de l’article précité, au motif que l’action a été engagée plus de 12 mois après le licenciement verbal du 19 février 2016 dont se prévaut la salariée ; elle ajoute qu’en tout état de cause, Mme [P] a été informée du délai d’un an précité lors de la remise de la lettre du 2 mars 2016, pendant l’entretien préalable au licenciement au cours duquel lui a été proposée la signature du CSP.

La salariée objecte que la rupture de son contrat de travail est consécutive à son adhésion au CSP qu’elle a accepté le 24 mars 2016, de sorte que l’action n’était pas prescrite lors du dépôt de sa requête devant le conseil de prud’hommes le 13 mars 2017.

Si Mme [P] affirme avoir entendu parler de son licenciement prochain le 19 février 2016, peu après l’arrivée de la nouvelle directrice, il est constant non seulement que l’intéressée n’en a pas tenu compte ( ayant continué à agir dans le cadre de ses attibutions, à son poste), que cette date correspond à sa convocation à entretien préalable, mais encore qu’il n’est pas objectivement démontré que cette information était constitutive intrinsèquement d’un licenciement verbal, l’employeur ayant mis en oeuvre concomitamment la procédure de licenciement.

Aux termes de l’article précité, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel de contester la régularité ou la validité du licenciement pour motif économique, toute contestation se prescrit par douze mois à compter de la notification du licenciement, ce délai n’étant opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la lettre de licenciement.

Par ailleurs, il est constant que l’acceptation d’un contrat de sécurisation professionnelle par le salarié entraîne la rupture de son contrat à la date d’expiration du délai de 21 jours courant le lendemain du jour où a été remise la proposition écrite.

En l’espèce, Mme [P] a adhéré le 24 mars 2016 au CSP, de sorte que son contrat de travail s’est trouvé rompu le 14 avril 2016 à l’expiration du délai de 21 jours alors que le délai de 12 mois lui était opposable dès lors que l’employeur l’avait rappelé dans la lettre de notification de la proposition de CSP du 2 mars 2016.

L’action, ayant été engagée le 13 mars 2017, n’est pas prescrite et le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déclarée recevable.

Sur le licenciement

La lettre de proposition du contrat de sécurisation professionnelle remise le 2 mars 2016 à Mme [P] est rédigée comme suit quant au motif économique et à la nécessité de procéder à des licenciements en vue « de sauvegarder sa compétitivité » :

– « ARTMEDIA connait, depuis trois ans, une érosion de son Chiffre d’Affaires (-12,55% entre 2014 et 2015, et une baisse importante de son résultat d’exploitation (-50,83% entre 2014 et 2015) ;

Sur un marché soumis à une concurrence exacerbée par l’émergence de nouveaux acteurs et la dérégulation de la profession, ARTMEDIA doit, non seulement, faire face à la baisse de ses revenus. (‘). Ces départs successifs et très rapprochés impactent fortement la situation économique de la Société qui se voit ainsi privée de manière immédiate d’au moins 40% de son Chiffre d’Affaires ».

– « qu’il s’agit d’adapter l’entreprise à ses nouveaux besoins compte tenu de la réduction prévisible de son Chiffre d’Affaires, en redimensionnant ses ressources et en rationalisant son organisation afin, d’une part, de diminuer les frais et coûts de fonctionnement pour les rendre compatibles avec son volume d’activité et d’autre part, de lui permettre de répondre aux défis actuels et à venir d’un marché en pleine mutation. Ce plan d’adaptation implique en premier lieu une réorganisation des fonctions supports devenues surdimensionnées au regard des besoins de la Société, se traduisant par une réduction des effectifs au sein du service comptabilité ».

Selon l’article L. 1233-3 du code du travail, en sa rédaction applicable à l’espèce, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Pour l’appréciation du bien-fondé du motif économique du licenciement tiré d’une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, il revient au juge de vérifier l’existence d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe dont elle relève et de caractériser celle-ci ainsi que la nécessité de prendre des mesures d’anticipation afin de préserver l’emploi.

L’article L. 1233-4 du même code, en sa rédaction applicable au litige, dispose que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré.

Cet article, en son deuxième alinéa, précise que le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupait ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. À défaut, sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’opère sur un emploi de catégorie inférieure.

Enfin, le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque le reclassement ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe auquel elle appartient.

En l’espèce, la société Artmedia – qui est une agence artistique française qui représente des «talents » dans tous les domaines du cinéma : artistes-interprètes, scénaristes, réalisateurs, metteurs en scène, compositeurs de musique – fait valoir que si une société justifie de « difficultés économiques » au sens de la loi, la sauvegarde de sa compétitivité est donc absolument nécessaire. À ce titre, elle soutient qu’elle pouvait, en 2016, se prévaloir d’une baisse d’activité « suffisante » pour justifier la nécessité de sa réorganisation et le licenciement de Mme [P].

Elle expose que depuis trois années, elle subit une érosion de son chiffre d’affaires

(- 12,55%) entre 2014 et 2015, ainsi qu’une baisse importante de son résultat d’exploitation (-50,83%) pendant la même période. Ces baisses étant consécutives à une concurrence exacerbée par1’émergence de nouveaux acteurs ainsi qu’au départ de son dirigeant historique ainsi que de deux agents artistiques, réalisant 40% du chiffre d’affaires, ceux-ci ayant emmené leurs clients.

Elle précise que l’augmentation de son résultat net après imposition est due à des produits financiers exceptionnels totalement indépendants de l’activité de l’entreprise, à savoir la cession d’actions détenues par la société ainsi que des cessions de clientèle.

Mme [P] répond que la procédure de licenciement économique opérée par l’intimée n’est pas fondée sur l’appréciation objective de la situation financière de la société Artmedia, mais sur sa seule volonté de se ‘délester de certains postes’ qu’elle considérait comme trop coûteux alors que, dans le même temps, elle distribuait des dividendes importants aux actionnaires.

Elle souligne l’absence d’alerte du commissaire aux comptes, telle que prévue par la loi du 10 juin 1994, alors que l’examen des comptes démontre que la baisse 50 % du résultat net d’exploitation doit être comparée avec le résultat net de l’exercice après impôt de 2014 et de 2015 ; que sur cette période, le bénéfice de l’entreprise a augmenté de 17,97%, que c’est sur ce seul point que l’on peut évaluer la performance financière de la société dès lors également que l’excédent brut d’exploitation, exprimant la capacité d’une entreprise à générer des ressources de trésorerie du seul fait de son exploitation, fait apparaître pour les années 2015 et 2016 une augmentation de 55 %.

Enfin, elle critique la légèreté blâmable de l’employeur s’agissant des créances clients à recouvrer.

La société Artmedia verse aux débats ses bilans comptables des exercices 2015, 2016 et 2017 établissant qu’effectivement son chiffre d’affaires a baissé de 12,33% entre 2014 et 2015 (passant de 6 007 339 € à 5 253 534 €), qu’en 2016, il s’élevait à 4 710 512€ (soit une baisse de 10,33% par rapport à 2015 et de 21,6% par rapport à 2014) et qu’en 2017, il s’élevait à 3 722 133 €, soit une baisse de près de 40 % sur les quatre derniers exercices sociaux ( pièces n°4, 5 et 10).

Toutefois, il résulte du dossier que la société Artmédia attribue elle-même la diminution de son chiffre d’affaires au départ de trois de ses agents artistiques, de sorte que leur remplacement est de nature à améliorer ses performances économiques par le recrutement de nouveaux artistes. Ainsi, la sas Artmédia a fait l’acquisition le 2 février 2016 d’un portefeuille client pour le prix de 85 000 euros.

En outre, la cour observe que l’intimée a fait preuve de négligence dans le recouvrement de ses créances, sans que cette attitude ne soit constitutive d’une légèreté blâmable, et qu’elle a distribué des dividendes aux actionnaires entre 2015 et 2016, ces versements révélant une situation sociale saine.

De même, le résultat comptable net, comme le souligne l’appelante, reste très bénéficiaire et en hausse sur les périodes ayant précédé le licenciement.

Il ressort en effet du dossier que la société Artmedia a vu son excédent brut d’exploitation augmenter de 36 % entre 2015 et 2016, et ce , indépendamment des produits exceptionnels dont elle a pu bénéficier ( pièce 37 du dossier de l’appelante).

De plus, il résulte du dossier que :

‘ le résultat net de l’exercice de la société est passé de 740 469 euros en 2014 à 873 582 euros en 2016, ce qui correspond à une augmentation de 17,97% (pièces n°16 et 17),

‘ l’excédent brut d’exploitation est passé de 467 585 euros en 2015 à 740 471 euros en 2016, ce qui correspond à une augmentation de 36% (pièce n°38 et pièce adverse n°5),

‘ les actionnaires de la société Artmedia ont voté lors de l’assemblée générale extraordinaire du 28 avril 2016 la distribution de 750 000 euros de dividendes correspondant au profit réalisé sur l’année 2015 (pièce n°18).

Il convient également de retenir que la société Artmedia est détenue à 100% par la société Artmedia Holding (pièce n°44) et que les comptes de cette dernière, arrêtés au 31 mars 2017, font apparaître un bénéfice de 459 095 euros pour l’exercice qui a débuté le 1er avril 2016 et qui a fini le 31 mars 2017.

Les comptes ont été approuvés lors de l’assemblée générale du 30 septembre 2017 par les associés et une partie du bénéfice, soit 82 000 euros, a été distribuée aux associés de la société Artmedia Holding ( pièce 44) ; de plus, il a été voté lors de l’assemblée générale extraordinaire du 30 juin 2017 la distribution intégrale du bénéfice 2016, à savoir la somme de 817 530 euros (pièce n°38).

Il convient encore de noter qu’une convention d’assistance et d’animation a été conclue entre l’appelante et la société Artmedia Holding au 1er octobre 2016. A ce titre, la société Artmedia a réglé à la société Artmedia Holding la somme de 142 000 euros HT au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2016.

Dès lors, il résulte de tout ce qui précède que ‘l’érosion’ du chiffre d’affaires avancée par l’intimée mais compensée par ailleurs par les résultats comptables en hausse, est insuffisante pour justifier de l’existence de difficultés économiques et de risques économiques anticipés par la société Artmédia.

S’agissant de la perte de compétitivité due à des départs successifs en 2015 et en 2016 de deux des agents artistiques de la société, parmi les plus importants de la profession, qui ont créé leur propre agence concurrente, entrainant avec eux le départ des artistes qu’ils représentaient, outre le fait que la société Artmédia ne justifie pas du nombre d’artistes maintenus en son sein, suite au départ de leur agent attitré et qui ont été naturellement affectés aux agents restants, ainsi qu’aux nouveaux agents recrutés à cette occasion, elle ne fournit aucun élément sur les commissions générées par leur placement qu’elle continue de percevoir intégralement.

De même, la société Artmédia ne produit ni les mandats qui prouvent que les artistes qu’elle déclare avoir perdus étaient représentés par ses soins à l’époque des faits, ni les lettres de rupture qui permettraient d’établir à quelle date ces talents auraient quitté l’agence au profit d’entités concurrentes.

S’agissant ainsi du tableau établi par l’intimée pour justifier des commissions perçues suite au départ de ses agents, en l’absence de preuves tangibles relatives à la répartition de son catalogue d’artistes consécutivement aux départs de deux agents et de l’ancien dirigeant, celui-ci est insuffisant pour attester de la perte du chiffre d’affaires subséquente, ou potentielle, du fait de ces départs.

Au surplus, il résulte des pièces produites aux débats que les agents qui ont quitté la société Artmédia ont été remplacés par de nouveaux agents, qui ont apporté une partie de leur clientèle et ont signé depuis leur arrivée de nouveaux mandats avec de nouveaux artistes, générant de nouvelles sources de revenus.

Enfin, pour fonder son moyen tiré d’une dégradation de sa situation, la société Artmédia communique également diverses coupures de presse annonçant son déclin lié à la concurrence féroce d’autres agences.

Cependant, des articles de presse parus entre 2014 et 2016 sont insuffisants pour justifier la concurrence exacerbée dont se prévaut la société Artmédia ou la menace que représenteraient d’autres agences artistiques dès lors qu’il n’est pas démontré que leur activité entraverait la compétitivité de l’employeur et le contraindrait ainsi à envisager en 2016 une réorganisation assortie d’une suppression d’emplois.

Il résulte également d’un mail du président de la société Artmédia, adressé au personnel de la société le 2 février 2016, à la suite de la cession de ses parts à la nouvelle présidente, que la société demeurait la première agence de France et qu’elle restait conséquemment leader sur le marché des agences artistiques. Il résulte en outre de l’un des articles de presse versés aux débats, qu’en 2014, la sas Artmédia constituait la plus grande agence artistique d’Europe.

Dès lors, le départ invoqué de trois agents emblématiques ainsi que les éventuelles difficultés économiques susceptibles d’en résulter, auxquels il a été pallié par ces recrutements et le versement de commissions dans les conditions précitées, ne peuvent justifier la suppression du poste de Mme [P], en l’absence de menace avérée sur sa compétitivité de l’activité.

En considération de l’ensemble des éléments qui précèdent, la cour retient que la société Artmédia échoue dans l’administration de la preuve de l’existence de difficultés économiques et d’une menace pesant sur sa compétitivité, de sorte que le licenciement de Mme [P] se révèle sans cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par les parties.

Le jugement sera dès lors infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières du licenciement

Il est constant que Mme [P] percevait un salaire de référence de 4 207,92 euros brut en tenant compte de la prime et du treizième mois contractuellement prévu.

Concernant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’appelante sollicite la condamnation de la société défenderesse à lui verser une somme de 75 742,56 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire l’équivalent de 19,8 mois de son salaire mensuel brut.

La société Artmedia argue du fait que Mme [P] ne démontre aucune recherche active d’emploi, de la même façon qu’elle ne justifie pas avoir été indemnisée sans interruption par l’assurance chômage de la date de sa prise en charge, le 23 mars 2016, à la date de liquidation de sa retraite, en janvier 2021.

Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, en sa version applicable au litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En effet, compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise (au moins 11 salariés), des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération servie à Mme [P], de son âge à la date du licenciement, soit 58 ans, de son ancienneté (30 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi, la salariée justifiant d’attestations de Pôle Emploi lui ouvrant droit à une Allocation Spécifique de Solidarité accordée pendant près de deux ans après qu’elle a épuisé ses droits aux allocations chômage (pièce n°71 de l’appelante) et que durant toute cette période son revenu mensuel était inférieur à 500 euros par mois (pièce n°72), du fait qu’elle a été contrainte dans ce contexte de liquider sa retraite au 1er janvier 2020, à l’âge de 62 ans (pièces n°73 et n°74) , la cour condamne la société Artmédia à verser à Mme [P] la somme de 75 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est en conséquence infirmé de ce chef.

Concernant les dommages et intérêts pour préjudice moral

Mme [P] sollicite la somme de 25 247,52 euros en réparation de son préjudice moral, soutenant que la rupture a été expéditive et vexatoire dès lors qu’elle a été informée de son prochain licenciement pour motif économique le vendredi 19 février 2016 en fin de journée par Madame [R], nouvelle dirigeante de la société depuis le 1er février 2016.

Elle souligne qu’il lui a été demandé de ne pas revenir le lundi suivant, ce qu’elle a refusé et qu’elle est restée jusqu’au jeudi 24 février 2016, prenant soin de ranger les dossiers ouverts, de faire du classement dans les modèles pouvant servir à l’entreprise, ainsi que du tri dans son bureau ; elle a également effectué son déménagement après trente ans de carrière sans que la société Artmédia prenne la peine de réunir les salariés pour un verre de l’amitié comme il est d’usage.

La société Artmédia s’oppose à la demande et soutient que Mme [P] ne justifie pas de la réalité du préjudice qu’elle invoque.

Lorsque les circonstances entourant le licenciement d’un salarié présentent un caractère vexatoire, il est fondé à obtenir des dommages-intérêts distincts de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour observe qu’il résulte des circonstances du licenciement que Mme [P] a dû quitter l’entreprise sans les égards dus à une salariée ayant 30 ans d’ancienneté, et sans que le motif du licenciement le justifie, ce qui caractérise une attitude fautive de la part de l’employeur et constitue une source d’humiliation ainsi qu’un préjudice moral incontestables pour l’intéressée, distinct de celui indemnisé par l’octroi de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour condamne conséquemment la société Artmédia à payer à Mme [P] la somme de 5 000 euros, suffisant à réparer son entier préjudice moral issu des circonstances vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail, le jugement étant infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de ce chef de demande.

Sur les dommages et intérêts pour violation de l’article L. 1235-15 du code du travail

Mme [P] sollicite le paiement de la somme de 25 247,52 euros au titre de la violation de l’article L. 1235-15 du code du travail, en arguant qu’elle a nécessairement subi un préjudice dans la mesure où la société Artmédia a failli à son obligation d’organiser durant 30 ans l’élection des représentants du personnel et que l’absence de représentants du personnel susceptibles d’être consultés et de donner leur avis sur son licenciement lui a nécessairement causé grief.

La société Artmédia s’oppose à la demande faisant valoir que Mme [P] ne justifie d’aucun préjudice et que la consultation des délégués du personnel n’est pas obligatoire dans le cadre d’un licenciement économique individuel, et au vu de ses effectifs inférieurs à 50, aucun salarié n’ayant été licencié dans les 30 jours de son licenciement, alors que l’article L. 1235-15 du code du travail ne concerne que les licenciements collectifs.

Aux termes de l’article L. 1235-15 du code du travail, en sa version applicable au litige : « Est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d’entreprise ou les délégués du personnel n’ont pas été mis en place alors qu’elle est assujettie à cette obligation et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi.

Le salarié a droit à une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis ».

Or, contrairement à ce qu’affirme la société Artmedia, il est démontré qu’elle a procédé au licenciement pour motif économique de plusieurs salariés, moins de dix, dans une même période de trente jours, s’agissant de Monsieur [R] qui a reçu une lettre portant proposition de CSP le 2 mars 2016 (pièce n°64), Madame U. qui a reçu la même lettre le même jour (pièce n°64) ainsi que Madame A. (pièce n°5).

L’intimée, qui ne répond pas sur ce point, échoue dans la charge de la preuve qui lui incombe d’établir qu’elle a conservé ces salariés à son service.

Il apparaît ainsi que la société Artmedia qui a donc licencié moins de dix salariés sur trente jours aurait dû consulter les délégués ou les représentants du personnel, ce dont elle s’est abstenue.

Mme [P] peut donc se prévaloir utilement d’un tel manquement.

L’absence de consultation des délégués du personnel et par conséquent l’absence de tout avis de cette instance représentive des salariés sur le licenciement de l’appelante lui a causé un préjudice.

Le jugement, qui a accordé à ce titre à Mme [P] la somme de 3830 euros, laquelle n’est contestée dans son montant, ni par l’appelante, ni par l’employeur, est en conséquence confirmé sur ce point.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Aux termes de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il sera fait application des dispositions qui précèdent à l’encontre de la société Artmédia dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage, étant précisé que la contribution versée par l’employeur à Pôle Emploi pour financer le contrat de sécurisation professionnelle doit être déduite de sa dette vis-à-vis de cet organisme.

Sur les autres demandes

La société Artmédia, succombant à l’instance, sera condamnée aux dépens d’appel, le jugement étant confirmé en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société Artmédia sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel par Mme [P], le jugement étant confirmé en ce qu’il a alloué la somme de 1 000 euros à la salariée sur ce fondement et débouté la sas Artmédia de ce chef de prétention.

La société Artmédia sera en outre déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il condamné la société Artmedia aux dépens et alloué à Mme [P] les sommes de :

– 3 830 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de respect des dispositions de l’article L. 1235-15 du code du travail,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Madame [K] [P] est sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Artmédia à verser à Madame [K] [P] les sommes suivantes :

– 75 000 euros euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié aux conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail,

ORDONNE le remboursement par la sas Artmédia aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Madame [K] [P] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage, étant précisé que la contribution versée par l’employeur à Pôle Emploi pour financer le contrat de sécurisation professionnelle doit être déduite de sa dette vis-à-vis de cet organisme,

CONDAMNE la société Artmédia à payer à Madame [K] [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE la société Artmédia aux dépens d’appel.

LE GREFFIER P/ LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE

 


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