Cession d’actions : 24 mai 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/08054

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Cession d’actions : 24 mai 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/08054
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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 24 MAI 2022

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/08054 – N° Portalis DBVK-V-B7D-ON5X

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 NOVEMBRE 2019

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

N° RG 2018002938

APPELANT :

Monsieur [X] [E]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Fabrice BABOIN de la SELAS PVB AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIME :

Monsieur [G] [E]

né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Olivier CHARLES GERVAIS de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représenté par Me Edouard BOUSQUET, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 24 Février 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 MARS 2022, en audience publique, Madame Anne-Claire BOURDON, Conseiller ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

Mme Marianne ROCHETTE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Audrey VALERO

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

*

**

FAITS, PROCEDURE – PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

[W] [E] a eu deux enfants, [X], issu d’un mariage avec [O] [U] et [G], issu d’une autre union avec [T] [N].

Il a créé en 1983 la SAS Collectivision, qui est spécialisée dans l’acquisition et la commercialisation de droits de représentation de films et documentaires à partir de supports DVD auprès de collectivités ou groupes.

En 1988, [V] [M] est devenu, notamment, associé.

En 1998, les deux associés ont créé à hauteur de 50 % chacun la société de droit anglais Pic Buying Consortium Limited (la société Pic Buying), à laquelle ils ont apporté près de 80% (950 parts sur 1 200) des titres qu’ils détenaient dans le capital social de la société Collectivision (restant titulaires respectivement de 10,41 %).

Par une assemblée générale du 29 juin 2010, M. [M] n’a pas renouvelé ses fonctions de cogérant de la société Collectivision. [X] [E] est devenu cogérant, non associé, par assemblée générale du 15 décembre 2010.

Suivant un ‘protocole d’accord de cession’ en date du 3 novembre 2010, portant conditions suspensives, [W] [E] a acheté à [V] [M] et [I] [H], son épouse, les 125 parts qu’ils détenaient dans la société Collectivision pour la somme de 21 196,25 euros ; l’acte étant réitéré le 30 décembre 2010.

Par ‘protocole d’accord portant sur la cession’ en date du 8 novembre 2010 (annulant celui du 3 novembre précédant), portant conditions suspensives, [W] [E] a acheté à [V] [M] et [I] [H], son épouse, les 50 parts qu’ils détenaient dans la société Pic Buying pour la somme de 408 754,80 euros. Par avenant du 17 juin 2011, la SAS Micxel Invests, créée le 2 décembre 2010 par [W] [E] et dont [X] [E] est le président statutaire, a substitué [W] [E] et les modalités de paiement ont été modifiées (paiement comptant immédiat de 16 744 euros et de 2 009,28 euros au titre d’honoraires au profit d’une société tierce et règlement du solde de 390 001,52 euros au plus tard le 30 juin 2011).

Suivant un ‘protocole d’accord portant sur la cession’ en date du 3 novembre 2010, portant conditions suspensives, [W] [E] a cédé à [X] [E] les 50 parts sociales qu’il détenait dans la société Pic Buying pour la somme de 529’172 euros. Par avenant du 17 juin 2011, la société Micxel Invests a substitué [X] [E], et les modalités de paiement ont été modifiées (paiement comptant immédiat de 16 744 euros au titre d’honoraires au profit d’une société tierce, règlement à hauteur de 200000 euros avant le 30 juin 2011 et crédit-vendeur de 312 428 euros réglé en 48 échéances à compter du 1er janvier 2012).

Par acte authentique du 27 décembre 2010, [W] [E] a, dans le cadre d’une donation-partage, donné à ses fils :

– 51 % de ses droits dans la société Micxel Invests à [X] [E],

– 49 % de ses droits dans cette même société à [G] [E].

Compte tenu de résultats d’exploitation déficitaires, la société Micxel Invests a cessé de rembourser le crédit vendeur en septembre 2013, celle-ci faisant l’objet d’une mise en demeure de [W] [E] le 26 février 2014.

Par une assemblée générale extraordinaire en date du 9 avril 2014 de la société Micxel Invests, les associés ont voté à l’unanimité la poursuite de son activité et la continuation du remboursement du crédit-vendeur tandis que [G] [E] a rejeté la résolution relative à la liquidation de tout ou partie de ses actifs, qu'[X] [E] a approuvé.

Par ‘protocole d’accord portant sur la cession’ en date du 30 mai 2014, la société Micxel Invests a cédé à la SARL Sonely, ayant pour activité le conseil pour les affaires, immatriculée le 9 septembre 2013 par [X] [E] et [Z] [Y], cogérants et associés à 50%, 90 parts de la société Pic Buying moyennant un prix de 190’000 euros.

Par ‘protocole d’accord portant sur la cession’ en date du 30 avril 2015, la société Micxel Invests a cédé à la société Sonely 10 parts de la société Pic Buying moyennant le prix de 21’111,12 euros.

Saisi par acte d’huissier en date du 16 février 2018 par [G] [E], le tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement du 27 novembre 2019:

‘- jugé que l’assignation est bien motivée en fait et en droit ;

– rejeté la demande de nullité de l’assignation formulée par M. [X] [E];

– jugé que l’action de M. [G] [E] n’est pas prescrite ;

– jugé irrégulière l’opération de cession de la participation détenue par la société Micxel Invest dans la société Pic Buying Consortium Limited à la société Sonely puisque réalisée en violation de la procédure des conventions réglementées, de l’obligation d’information auprès du commissaire aux comptes, de l’approbation de la collectivité des associés, et des statuts de la société Micxel sur les compétences, droits et pouvoirs des associés en matière de décisions collectives ;

– jugé que le non-respect des dispositions légales et statutaires est constitutif de fautes imputables à M. [X] [E] ;

– condamné M. [X] [E] à payer la somme de 443 175,11 euros en réparation du préjudice résultant de la cession irrégulière de la participation détenue dans la société Pic Consortium Limited ;

– rejeté la demande de Monsieur [G] [E] d’être indemnisé pour préjudice moral ;

– débouté Monsieur [G] [E] de toutes les autres demandes ;

– débouté Monsieur [X] [E] de toutes ses autres demandes ;

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire ;

– condamné M. [X] [E] à payer à M. [G] [E] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens (…).’

Par déclaration reçue le 16 décembre 2019, [X] [E] a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Il demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 24 novembre 2021, de :

«- vu les articles 9, 56, 114, 115, 122, 696, 700 du code de procédure civile, les articles L. 225-252 du code de commerce, l’ancien article 1382 et l’article 1844-14 du code civil,

– déclarer recevable et bien fondé son appel,

– infirmer le jugement (…), statuant à nouveau :

I. A titre principal :

– Dire et juger :

– que l’assignation délivrée ne contenait pas de fondement juridique permettant d’engager la responsabilité de M. [X] [E],

– qu’elle ne contenait pas de fondement juridique permettant d’annuler les résolutions de l’assemblée générale du 9 avril 2014, et a fortiori les [mot manquant] intervenues en suite de ladite assemblée, qu’elle ne contenait pas la liste des fautes de gestion reprochées,

– que l’assignation délivrée n’était pas fondée en droit ni en fait,

– Déclarer nulle l’assignation délivrée le 16 février 2018 par Monsieur [G] [E] (…)

– Prononcer la nullité subséquente du jugement du 27 novembre 2019 statuant sur les demandes contenues dans l’assignation annulée,

– dire n’y avoir lieu à évocation.

II. A titre subsidiaire,

– Déclarer :

– prescrites les demandes formulées par M. [G] [E] en annulation de l’assemblée générale du 9 avril 2014 et irrégularité des cessions intervenues subséquemment,

– prescrites les demandes formulées par M. [G] [E] au titre des soi-disant fautes de gestion,

– irrecevables pour défaut de qualité à agir les demandes aux fins d’«irrégularité» ou de nullité de l’assemblée générale du 9 avril 2014 et des actes de cession subséquents,

– irrecevable la demande en paiement d’une « somme de 443 175,11 euros en réparation du préjudice résultant de la cession irrégulière de la participation détenue dans Pic Buying Consortium Limited » pour défaut de préjudice personnel distinct de la société Micxel Invests SAS,

– En conséquence, déclarer irrecevables toutes les demandes de Monsieur [G] [E],

III A titre infiniment subsidiaire,

– Rejeter l’ensemble des demandes (…) de Monsieur [G] [E],

– En tout état de cause, écarter des débats la pièce adverse 8 par nature confidentielle,

– Condamner M. [G] [E] à lui payer la somme de un euro symbolique pour procédure abusive ; (…)

– Condamner Monsieur [G] [E] à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.»

Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :

-en application de l’article 56 du code de procédure civile, l’assignation introductive d’instance est nulle ; les demande formulées étaient particulièrement vagues, il lui était impossible de répondre à des moyens de droit et de fait inexistants et la production des statuts n’a pas fait disparaître le grief subi, puisque n’a jamais été visée la disposition statutaire qui aurait été prétendument violée,

-ces demandes, s’il s’agit de demandes en nullité des cessions, sont irrecevables pour défaut de qualité à agir en défense en l’absence en la cause des sociétés concernées, puisqu’il n’était pas partie aux opérations de cession,

-ces demandes, s’il s’agit d’une action en responsabilité à son encontre en sa qualité de président de la société Micxel, sont irrecevables pour défaut de qualité à agir, l’associé ne pouvant rechercher la responsabilité du dirigeant d’une société mère à raison de fautes de gestion commise par des filiales (au titre de choix de gestion au demeurant approuvés),

-les demandes sont irrecevables puisque le préjudice évoqué est un dommage causé à la société et n’a aucun caractère personnel,

-la prescription applicable est une prescription triennale (art. 1844-14 du code civil), l’assemblée générale ayant décidé à la majorité la liquidation de tout ou partie des actifs est en date du 9 avril 2014, alors que l’assignation a été délivrée le 16 février 2018 et qu’une précédente assemblée générale en date du 15 novembre 2013 s’était déjà tenue en ce sens (que [G] [E] avait refusé de signer),

-aucune faute de gestion personnelle détachable des fonctions ne peut lui être imputée, la réalisation des actifs, qui entre dans l’objet social, a permis d’éviter un état de cessation des paiements,

– les fautes de gestion reprochées concernent les décisions de gestion prises dans le cadre des sociétés filiales, dans lesquelles [G] [E] n’est pas associé, ces décisions ont été approuvées par les associés,

-il n’a pas agi dans son intérêt personnel,

-la lettre d’intention confidentielle doit être écartée des débats,

-l’EBE retenu par [G] [E] ne peut fonder la valorisation de la société Micxel en ce qu’il n’est pas adapté à la valorisation des titres d’une holding,

-la valorisation à retenir ne peut être que celle de 246 000 euros pour 100 % de la valeur de la société en 2013 (correspondant aux capitaux propres), telle que retenue dans un rapport d’un cabinet d’expertise comptable de janvier 2020,

-cette valorisation doit aussi tenir compte de la distribution des dividendes ayant diminué la valeur de son actif pour rembourser les comptes courants des ancien associés, du crédit-vendeur, de l’existence d’un redressement fiscal en 2013, de la concurrence existante et des investissements de la société Collectivision en 2011-2012.

Formant appel incident, [G] [E] sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 18 février 2022 :

«-1. Sur l’exception de nullité,

– vu l’article 56 du code de procédure civile, (…) rejeter l’appel interjeté par Monsieur [X] [E] visant à faire déclarer nulle l’assignation ;

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’assignation bien motivée en fait et en droit et rejeté la demande de nullité de l’assignation (…);

II Sur les deux moyens d’irrecevabilité

– vu les articles 122 et 31 du code de procédure civile, les articles 1240, 1844-14 et 2224 du code civil, rejeter le premier moyen d’irrecevabilité fondé sur le défaut de qualité à agir et le second moyen visant à faire déclarer l’action engagée (…) et les demandes qui s’y rattachent comme prescrites ;

– Juger que :

– il n’a eu connaissance de la conclusion de ces actes de cession de titres qu’au mois de juin 2016 lors de la convocation à l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes ;

– le délai d’action visant à contester les actes de cession d’actions conclus en 2014 et 2015 n’a commencé à courir qu’à compter du jour où l’associé minoritaire en a eu connaissance ;

– que l’action engagée par assignation au fond devant le tribunal (…) délivrée le 16 février 2018 à Monsieur [X] [E], et visant à contester la régularité des actes de cession d’actions a donc bien été engagée dans le délai légal de trois ans ;

– En conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action de [G] [E] bien fondée et non prescrite,

III. Sur l’irrégularité des cessions et la mise en jeu de la responsabilité personnelle du dirigeant

– vu l’article 1240 du code civil, les articles L. 225-38 et L 227-10 du code de commerce (…)

– Rejeter l’appel interjeté par Monsieur [X] [E] visant au rejet des demandes indemnitaires (…) à son encontre ;

– Juger l’opération de cession de la participation détenue par la société Micxel dans Pic Buying Consortium Limited à la société Sonely est irrégulière puisqu’elle a été conclue dans l’intérêt personnel du dirigeant :

i) sans respecter la procédure des conventions réglementées qui devait pourtant s’appliquer.

ii) en violation de l’objet social qui n’autorise pas le président à céder seul l’ensemble des actifs de la société,

iii) sans modification statutaire et sans autorisation préalable de l’associé minoritaire (…),

iv) en violation du droit d’information statutaire de (…l’) associé minoritaire (…),

– Juger que le non-respect des dispositions légales et statutaires précitées est constitutif de fautes imputables au dirigeant qui engage sa responsabilité civile personnelle (…) ;

– Fixer à un montant de 443 175,11 euros le préjudice subi (…) en raison des agissements de Monsieur [X] [E] ;

– En conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Monsieur [X] [E] à lui payer une somme de 443 175,11 euros, en réparation du préjudice résultant de la cession irrégulière de la participation détenue dans Pic Buying Consortium Ltd et l’a condamné à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de la procédure,

Et statuant à nouveau sur appel incident de l’intimé

– Condamner Monsieur [X] [E] à lui payer une somme de 100 000 euros, en réparation du préjudice moral qu’il fait subir à son frère par son comportement frauduleux et déloyal visant à le spolier de l’ensemble de ses droits d’actionnaires de la société Micxel Invests ;

– Condamner Monsieur [X] [E] à lui verser une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de la procédure d’appel.’

Il expose en substance que :

-le litige ne concerne que deux associés d’une SAS, l’assignation initiale mentionne qu’il s’agit d’une action en responsabilité au titre de fautes de gestion du dirigeant, fondée sur les dispositions de l’article 1240 du code civil; elle est motivée en fait et en droit, aucun grief n’est rapporté,

-il n’a jamais demandé la nullité de l’assemblée générale ayant prétendument autorisé les cessions litigieuses et les sociétés concernées n’avaient pas à être attraites,

-les fautes de gestion justifiant la mise en cause sont celles qui ont été commises dans le cadre de l’exercice du mandat de président de la société mère ; elles se rattachent au non-respect des procédures légales et statutaires applicables,

-la cession irrégulière lui cause un préjudice personnel puisque elle le prive de la participation qu’il détenait, et des dividendes futurs (qui sont établis par la perception de dividendes de la société Sonely depuis les cessions),

-il ne conteste pas l’assemblée générale du 9 avril 2014, mais seulement les cessions intervenues en 2014 et 2015 et il n’a été informé de ces cessions que le 6 juin 2016 à réception de la convocation pour l’assemblée générale du même mois et n’a reçu les actes que le 6 juillet suivant ; l’action n’est pas prescrite,

-le groupe Collectivisation présentait en 2010 une situation financière équilibrée, un niveau d’endettement extrêmement bas et une très bonne rentabilité ; [X] [E] a en réalité, dans le cadre d’un stratagème, accru substantiellement les dépenses de la filiale (emprunts, charges d’exploitation -autos, motos-, honoraires de management de la société Sonely, loyers élevés à la SCI Collectimmo-) pour empêcher toute remontée de dividendes auprès de la société holding,

-l’ensemble de ces charges, qui ont asphyxié la société Micxel, a permis de justifier la cession à bas prix des participations détenues par la société mère dans la société Pic Buying au profit de la société Sonely,

– les actes de cession des participations de la société Pic Buying des 30 mai 2014 et 30 avril 2015 ont été réalisés sans qu’il soit ni informé, ni consulté ;

-ces cessions visant à céder tous les actifs de la société auraient dû être autorisées par une assemblée générale extraordinaire à l’unanimité des associés et ne relevaient pas du seul pouvoir du président (l’objet social ne le permettant pas),

-il avait d’ailleurs lors de l’assemblée générale d’avril 2014 rejeté la résolution relative à la liquidation de tout ou partie des actifs,

-le commissaire aux comptes de la société Micxel n’a jamais été ni informé ni consulté préalablement à ces cessions, s’agissant pourtant de conventions réglementées,

-[X] [E] a agi dans son propre intérêt, étant gérant associé de la société Sonely et ayant ainsi évincé son frère en lui faisant perdre les actions qu’il détenait dans la société Pic Buying, de manière intentionnelle et préméditée,

-il n’a pas à démontrer l’existence d’une faute détachable des fonctions (qui ne concerne que les tiers), même si c’est le cas en l’espèce,

– lors des cessions en 2011, la société Collectivision a été évaluée à la somme de 904 439 euros et son préjudice représente 49 % de cette somme,

-la demande visant à voir être écartée des débats la lettre d’intention en date du 3 mars 2017, est devenue sans objet compte tenu du dépôt au greffe d’un extrait du procès-verbal de l’assemblée générale de la société Collectivisation en date du 5 mai 2017 qui reprend le contenu de ladite lettre,

-cette lettre d’intention enseigne que la valorisation de la société Collectivisation était au 31 décembre 2016 de 5’013’000 euros (sur la base de l’EBE), étant rappelé qu’il s’en tient à l’évaluation retenue par le jugement,

– il a subi une ‘trahison et a le sentiment d’avoir été spolié sans raison, ni motifs’.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 24 février 2022.

MOTIFS de la DECISION :

1- Sur la nullité de l’assignation introductive d’instance devant le premier juge:

Selon l’article 56 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, l’assignation introductive d’instance contient à peine de nullité, notamment l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit.

L’assignation délivrée le 16 février 2018, qui comprend seize pages, détaillant les manoeuvres imputées à [X] [E] tend, au visa des articles 1240 et suivants du code civil, à la condamnation de ce dernier ‘en qualité de dirigeant et associé majoritaire de la société Micxel Invests’à diverses sommes en réparation de préjudices résultant de ‘graves fautes de gestion en engageant sa responsabilité personnelle envers l’associé minoritaire’, de sorte que celle-ci n’encourt aucune nullité et ce moyen, ainsi que celui subséquent relatif à la nullité du jugement entrepris, sera rejeté.

2- Sur les irrecevabilités:

2.1- [G] [E] ne sollicite pas l’annulation de l’assemblée générale en date du 9 avril 2014 de la société Micxel Invests recherchant seulement la responsabilité de son frère en sa qualité de dirigeant de cette société au titre des deux cessions signées les 30 mai 2014 et 30 avril 2015, action régie par les dispositions des articles L. 225-251 et suivants du code de commerce, et soumise à une prescription triennale, prévue par l’article L. 225-254, dont le point de départ est le fait dommageable, ou s’il est dissimulé, sa révélation.

Il est établi que [G] [E] n’a eu connaissances desdites cessions qu’à la lecture du rapport de gestion du dirigeant, qu’il a reçu le 6 juin 2016 dans le cadre de la convocation à l’assemblée générale du 24 juin suivant, l’assemblée générale du 9 avril 2014 n’ayant, au demeurant, soumis au vote qu’une résolution relative à ‘la liquidation de toutes les parties des actifs’, sans autre précision.

L’assignation introductive d’instance en date du 16 février 2018 n’est dès lors pas tardive et l’action en responsabilité n’est pas prescrite.

2.2- De même cette action ne tendant nullement à la nullité des cessions des 30 mai 2014 et 30 avril 2015, l’absence de mise en cause des sociétés concernées par lesdites cessions ne peut entraîner l’irrecevabilité de l’action de [G] [E] pour défaut de qualité à agir en défense et absence de préjudice personnel, ce dernier se prévalant d’un préjudice découlant de sa qualité d’associé (et non d’une perte financière, susceptible d’avoir été subie par la société cédante).

Les moyens d’irrecevabilité soulevés seront donc rejetés.

3- Sur la demande de rejet des débats d’une pièce:

Il n’est pas contesté que le procès-verbal de l’assemblée générale de la société Collectivisation en date du 5 mai 2017, reprenant le contenu d’une lettre d’intention en date du 3 mars 2017 relative à la valorisation de ladite société au 31 décembre 2016, a été déposé au greffe du tribunal de commerce compétent, le rendant ainsi public, de sorte que la demande visant à ce que cette lettre d’intention (pièce n°8 du dossier de l’intimé) soit écartée des débats est dépourvue d’objet.

Le jugement sera complété de ce chef.

4- Sur la responsabilité du président de la société Micxel Invests:

Selon les articles L. 225-251 et L. 225-252 du code de commerce, les administrateurs et le directeur général sont responsables, individuellement ou solidairement selon le cas envers la société ou les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion et l’actionnaire peut intenter une action en réparation du préjudice subi personnellement.

En l’espèce, il est établi que les actes de cession des 30 mai 2014 et 30 avril 2015 ont été réalisés sans que [G] [E] ne soit, en sa qualité d’associé, ni informé, ni consulté contrairement à l’article 28 des statuts, ni que le commissaire aux comptes de la société n’ait lui-même disposé de cette information contrairement à l’article 25 de ces mêmes statuts alors qu’il s’agissait de conventions réglementées, Monsieur [X] [E] étant le dirigeant ou co-dirigeant et associé de chacune des sociétés signataires.

L’objet social de la société Micxel Invests, qui correspond à celui de toute société holding au titre de l’acquisition, la détention, et la gestion de toute participation, en cela l’achat ou la vente de tout portefeuille d’actions, de parts, d’obligations et de titres de toutes sortes, ainsi que l’animation de la politique des filiales n’autorise nullement son représentant légal, en l’espèce, en application de l’article 22 des statuts, à céder l’intégralité des actifs de la société, qui entraîne nécessairement des modifications de celle-ci devant être soumises aux associés.

L’assemblée générale extraordinaire (pour lesquelles les statuts prévoient un vote à la majorité qualifiée) du 9 avril 2014 n’a pas adopté la résolution relative à la liquidation totale ou partielle des actifs de la société Micxel Invests, le procès-verbal d’assemblée mentionnant uniquement que M. [X] [E] (51%) l’a adoptée et M. [G] [E] (49%) l’a rejetée.

[X] [E] a donc, en signant en sa qualité de représentant légal de la société Micxel Invests, les deux actes de cession critiqués, agi en violation des dispositions légales applicables et des statuts de la société et commis des fautes de gestion.

Au regard des cessions, intervenues en 2011, des actions composant le capital social de la société Pic Buying au profit de la société Micxel Invests pour la somme globale de 904’439 euros, figurant au bilan des exercices 2012 et 2013 de la société Micxel Invests au titre de l’actif immobilisé, les cessions critiquées pour un montant global de 211’111,12 euros trois années plus tard reflètent une dévalorisation certaine.

[X] [E] considère que celle-ci traduit l’endettement de la société Collectivision, dû principalement au coût du départ des anciens associés, à un redressement fiscal, à la concurrence et aux investissements réalisés, et à l’impossibilité corrélative de remontée de dividendes au profit de la société Micxel Invests, la vente étant la seule solution pour éviter un état de cessation des paiements.

Toutefois, le crédit-vendeur accordé par l’un des deux cédants, ancien associé, était supporté par la société cessionnaire, soit la société Micxel Invests et non la société Collectivision, les investissements allégués sont limités, selon les propres explications d'[X] [E], à une somme globale de 71 090,63 euros, la concurrence d’une société tierce, certes régulièrement évoquée, n’a fait l’objet d’aucune évaluation et il n’est pas contesté que la mise en demeure de payer de l’administration fiscale en date du 29 mars 2013 concerne un redressement fiscal de la société Pic Buying en cours avant les cessions de 2011 (période vérifiée allant de janvier 2009 à décembre 2011).

De même, si l’endettement de la société Collectivision ne peut constituer une faute de gestion d'[X] [E] en sa qualité de président de la société Micxel Invests, il est certain que sa position de dirigeant au sein de chacune des sociétés concernées lui a permis d’anticiper et de gérer lesdites sociétés au regard de sa seule vision et de ses propres objectifs entrepreneuriaux et partant, de ses intérêts personnels, devenus, compte tenu du conflit familial, contraires à ceux de son frère, seul associé au sein de la société Micxel Invests.

Il apparaît par ailleurs que la société Collectivision a pu, dès après les cessions, lors de l’exercice 2016, procéder à une remontée de dividendes au profit de la nouvelle société mère (la société Sonely), sur laquelle celui-ci ne s’explique pas.

L’analyse financière effectuée par le cabinet d’expertise comptable Jonquet-Onde, datée de janvier 2020, aurait opportunément pu faire l’objet de débats à l’occasion des assemblées générales de la société Micxel Invests, relatives aux cessions des actions de la société Pic Buying. Sa production dans la présente instance, pour les besoins de laquelle elle a été réalisée, sans analyse des causes de l’endettement et de l’absence de trésorerie de la société filiale, retenus pour confirmer une valorisation à la baisse, ne permet pas d’en retenir les conclusions.

Enfin, le caractère inéluctable d’un état de cessation des paiements de la société Micxel Invests à défaut d’une cession rapide de l’intégralité de ses actifs n’est pas étayé, étant relevé que l’assemblée générale extraordinaire du 9 avril 2014 avait également voté une quatrième résolution relative à la renégociation du montant du crédit-vendeur ou de rééchelonnement de ses échéances.

Ainsi, les fautes de gestion d'[X] [E] ont privé [G] [E] de la valeur de ses droits d’associé dans la société Micxel Invests ; il justifie d’un préjudice financier et matériel, qui peut être fixé à hauteur de 49 % de la valorisation de celle-ci lorsqu’il en est devenu associé en 2011, soit la somme de 443 175,11 euros ainsi que d’un préjudice moral, découlant de cette perte, patiemment organisée, de tout actif de ladite société (dont la dénomination avait été choisie par le père des parties, dans le cadre de sa volonté de transmission, en contractant deux syllabes de leurs prénoms), qui sera fixé à la somme de 15 000 euros.

Le jugement entrepris sera ainsi confirmé, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de réparation de [G] [E] au titre d’un préjudice moral.

5- Succombant sur son appel, [X] [E] sera condamné aux dépens et au vu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 3 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 27 novembre 2019, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral de [G] [E],

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Condamne [X] [E] à payer à [G] [E] la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que la demande de rejet des débats de la pièce n°8 produite par [G] [E] est dépourvue d’objet,

Condamne [X] [E] à payer à Monsieur [G] [E] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande d'[X] [E] fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne [X] [E] aux dépens d’appel.

le greffier, le président,

 


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