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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 10 MAI 2022
(n° / 2022, 16 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/20565 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6K7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Octobre 2019 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2018009033
APPELANT
Monsieur [D] [B]
Né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 7] (IRAN)
Demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050,
Assisté de Me Jean-Louis FOURGOUX de la SELARL FOURGOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0069,
INTIMÉE
SA FINOLE AG, société anonyme de droit suisse, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Ayant son siège social [Adresse 6]
[Adresse 5]
SUISSE
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
Assistée de Me Agathe AUMONT de l’AARPI PRISM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0258,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Septembre 2021, en audience publique, devant la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
La société de droit luxembourgeois Sebalea est l’unique actionnaire de la société de droit suisse Finole AG, elle-même devenue, en 2005 ou 2006, l’unique associé de la société Calestor, et détient la majorité des actions de la société Dexxon Groupe SA.
La société Sebalea est présidée par M. [S], la société Dexxon Groupe par M. [W] et le représentant légal de la société Finole AG est M. [X].
M. [B] a été nommé gérant de la société Calestor en 2007 puis président lorsque celle-ci a été transformée de SARL en SASU en 2013.
La société Finole AG et M. [B] ont signé un formulaire Cerfa daté du 2 février 2017 déclarant à l’administration fiscale la cession, par la première au second, des 2 300 actions composant le capital de la société Calestor, pour un prix de 600 000 euros.
Cette cession a été transcrite sur le registre des mouvements de titres de la société Calestor et le compte d’actionnaire de M. [B] qui, le 28 septembre 2017, a approuvé les comptes annuels de la société Calestor en tant qu’actionnaire unique.
Contestant avoir cédé les actions de la société Calestor, la société Finole AG a, par lettre du 22 novembre 2017, convoqué M. [B] à une assemblée générale qui s’est tenue le 7 décembre 2017 et, à cette dernière date, l’a révoqué de ses fonctions de président de la société Calestor.
Le 8 février 2018, la société Finole AG a assigné M. [B] à l’effet, principalement, de voir juger qu’aucune cession des actions de la société Calestor n’était intervenue, que la révocation du mandat de président de M. [B] était régulière et pour obtenir des dommages et intérêts.
M. [B], qui est intervenu volontairement à l’instance en qualité de président et d’actionnaire unique de la société Calestor, a sollicité qu’il soit dit que l’intégralité des actions de la société Calestor lui avait été cédée par la société Finole AG, qu’il était l’actionnaire unique de cette société, que l’assemblée du 7 décembre 2017 était nulle et qu’il n’avait pas été révoqué de ses fonctions de président.
Par jugement du 31 octobre 2019, le tribunal de commerce de Paris a :
– dit qu’aucune cession d’actions de la société Calestor n’était intervenue entre M. [B] et la société Finole AG,
– dit que l’associé unique de la société Calestor était la société Finole AG,
– dit que l’inscription prise dans le registre des mouvements de titres de la société Calestor ainsi que dans le compte d’actionnaire de M. [B] pour retranscrire la prétendue cession de la totalité des actions de la société Calestor au profit de ce dernier était irrégulière,
– dit que la révocation de M. [B] de son mandat social de président de la société Calestor, prise par son associé unique, la société Finole AG, le 7 décembre 2017, était régulière et valable,
– rejeté les interventions volontaires de M. [B], en qualité de président et d’actionnaire unique de la société Calestor,
– débouté la société Finole AG de sa demande de dommages et intérêts,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [B] aux dépens.
Pour juger que l’opération litigieuse n’était pas intervenue, le tribunal a relevé que l’acte de cession du 2 février 2017 invoqué par M. [B] était un formulaire administratif destiné à l’administration fiscale s’écartant en la forme d’un contrat qu’il est d’usage de signer en la matière alors même que la transaction était relativement complexe, que cet acte ne faisait référence ni au financement de l’opération, ni à la garantie de passif demandée par M. [B] et que des négociations sur des aspects essentiels, à savoir les conditions du crédit-vendeur, la valorisation des titres et la garantie de passif, s’étaient poursuivies après le 2 février 2017.
M. [B], tant en son nom personnel qu’en qualité de président et d’actionnaire unique de la société Calestor, a relevé appel du jugement selon déclaration du 6 novembre 2019.
Par ordonnances des 18 mai 2020 et 1er décembre 2020, le conseiller de la mise en état a, respectivement, ordonné l’exécution provisoire du jugement et débouté M. [B] de sa demande de production des comptes de la société Finole AG, de la composition de son actionnariat et de l’identité de son bénéficiaire effectif.
Dans ses conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 4 juin 2021, M. [B] demande à la cour, au visa des articles 1128, 1169, 1582, 1583 du code civil, L. 228-1 du code de commerce et L. 211-3, L. 211-4 et L. 211-16 du code monétaire et financier :
– de le recevoir en toutes ses qualités et demandes,
– de confirmer le jugement uniquement en ce qu’il a débouté la société Finole AG de sa demande de dommages et intérêts’et de l’infirmer pour le surplus,
– statuant à nouveau, de dire que la société Finole AG lui a cédé l’intégralité des 2 300 actions de la société Calestor moyennant le prix de 600 000 euros, qu’il est l’associé unique et le président de la société Calestor, que l’assemblée générale du 7 décembre 2017 est nulle, qu’il n’a pas été révoqué de ses fonctions de président de la société Calestor’et de le renvoyer à se pourvoir au fond pour obtenir réparation intégrale des man’uvres et pratiques découlant de sa révocation irrégulière par la société Finole AG,
– en conséquence, de rejeter toutes les demandes de la société Finole AG,
– en tout état de cause, de condamner la société Finole AG à lui payer la somme de 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Suivant conclusions n° 3 déposées et notifiées par voie électronique le 23 août 2021, la société Finole AG demande à la cour, au visa des articles 1128 (1108 ancien) et 1169 du code civil, L. 227-15 et R. 228-10 du code de commerce,
– de’rejeter les demandes de M. [B],
– de confirmer le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts et celle fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– statuant à nouveau, de condamner M. [B] à lui payer 100 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi à raison de l’usurpation illégale de la qualité d’associé unique de la société Calestor ainsi que 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
SUR CE
I- Sur les « interventions volontaires » de M. [B] en qualité d’actionnaire unique et de président de la société Calestor
L’article 66, alinéa 1, du code de procédure civile dispose que « constitue une intervention la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires ».
M. [B], défendeur assigné par la société Finole AG, et M. [B], disant agir en qualité d’actionnaire unique de la société Calestor, sont, à l’évidence, une seule et même partie, à savoir M. [B], agissant en son nom personnel.
Ne tendant pas à rendre un tiers partie au procès, l’intervention de M. [B], « en qualité d’actionnaire unique de la société Calestor », ne peut qu’être rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
Pour déterminer si l’invocation, par M. [B], de sa qualité de président de la société Calestor, permet de retenir la qualification d’intervention, il convient de rechercher si ce dernier a agi en son nom personnel ou au nom de la société Calestor, pour rendre cette dernière partie au procès.
Il ne résulte pas des mentions du jugement que des prétentions aient été élevées par la société Calestor à son profit ou pour appuyer celles présentées par M. [B].
En outre, le jeu d’écritures versé aux débats prises par le défendeur et les prétendus intervenants volontaires, désigne ces intervenants comme étant, d’une part, M. [B], en qualité d’actionnaire de la société Calestor et, d’autre part, non pas la société Calestor représentée par M. [B], mais M. [B], en qualité de président de la société Calestor.
Enfin, la déclaration d’appel mentionne comme seule partie appelante M. [B], personne physique, agissant en son nom personnel et en ses qualités d’actionnaire unique et de président de la société Calestor, et les conclusions d’appelant ont été prises au nom de M. [B] uniquement, circonstances qui confirment que, dans l’esprit de M. [B], la société Calestor n’était pas partie au jugement.
Il s’en déduit qu’en invoquant sa qualité de président de la société Calestor, M. [B] n’a pas entendu rendre cette dernière partie au procès et, partant, qu’il n’y a pas eu intervention au sens de l’article 66 du code de procédure civile.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté l’intervention de M. [B], en qualité de président de la société Calestor.
II- Sur la cession, par la société Finole AG à M. [B], des 2 300 actions de la société Calestor pour un prix de 600 000 euros
M. [B] argue qu’un accord sur la cession des 2 300 actions de la société Calestor était intervenu à la date du 2 février 2017, tandis que la société Finole AG prétend l’inverse. Leurs moyens respectifs seront exposés plus en détail lors de l’examen des différents points en débat mais il sera d’ores et déjà mentionné :
– que M. [B] fait valoir, pour l’essentiel, que l’accord des deux parties sur la chose et le prix à la date du 2 février 2017 résulte du formulaire Cerfa signé par elles, du contexte de la signature de ce document, notamment des échanges de courriels entre lui-même, Mme [R] et M. [S], ainsi que de circonstances postérieures au 2 février 2017, et que les modalités de paiement du prix avaient déjà été arrêtées à la même date et ne constituaient pas une condition à la cession ;
– que la société Finole AG soutient, en substance, que le formulaire Cerfa ne prouve pas la cession invoquée, qu’aucun prix n’a été convenu, ni réglé et que celui de 600 000 euros mentionné sur le formulaire est dérisoire, qu’il n’y a pas eu d’accord sur le financement de l’opération, qui constituait une condition déterminante pour les parties, qu’aucun ordre de mouvement n’a été signé par elle, que les négociations se sont poursuivies après le 2 février 2017 et que M. [B] n’établit pas avoir procédé à l’information des salariés prévue par l’article L. 23-10-1 du code de commerce.
a) L’accord sur la chose et le prix
La portée du formulaire Cerfa
La société Finole AG et M. [B] ont signé un formulaire Cerfa de déclaration à l’administration fiscale d’une « cession de droits sociaux non constatée par un acte » daté du 2 février 2017 mentionnant que, le même jour, la première a cédé au second 2 300 actions de la SAS Calestor, représentant la totalité du capital, pour un prix de 600 000 euros.
Il résulte des mentions apposées sur le formulaire que celui-ci a été reçu par l’administration fiscale le 24 février 2017 et que des droits de 600 euros ont été perçus sur l’opération.
Pour contester la portée du formulaire, la société Finole AG fait d’abord valoir que, compte tenu de l’importance de la société Calestor, qui a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 25 millions d’euros au titre de l’exercice clos le 31 mars 2017, il n’est pas crédible qu’un accord soit intervenu sans négociations préalables, ni audit, ni situation comptable intermédiaire.
La société Finole AG a elle-même indiqué, dans un courrier du 4 août 2017, qu’elle avait donné son accord pour entamer des négociations sur la cession du capital de la société Calestor à M. [B] après avoir été approchée par ce dernier au mois de novembre 2016, de sorte qu’elle est mal fondée à prétendre qu’aucune négociation préalable n’est intervenue même s’il n’en est produit aucune trace écrite par l’une ou l’autre partie.
Par ailleurs, si, comme le souligne la société Finole AG, il est inhabituel que la cession des actions d’une société de la taille de celle de la société Calestor intervienne sans audit, ni garantie d’actif et de passif, ni signature d’un acte constatant la cession, cette seule circonstance ne retire pas sa force probante au formulaire Cerfa, qui mentionne la chose vendue et son prix et a été signé par les deux parties. Au demeurant, M. [B] dirigeait la société Calestor depuis dix ans, de sorte que la réalisation d’un audit et l’établissement d’une situation comptable actualisée ont pu, comme ce dernier le fait valoir, apparaître superflus.
La société Finole AG argue encore que la signature du formulaire Cerfa, document « franco-français », répondait à une demande de M. [B] qui, abusant de sa crédulité, réclamait celle-ci à titre de gage de bonne foi dans les négociations et pour soumettre le document à son banquier dans le cadre d’une recherche de financement, et qu’elle pensait signer un document « provisoire », dans l’attente de la finalisation des pourparlers et de la signature d’un acte de cession en bonne et due forme.
La signature du formulaire Cerfa a été précédée d’échanges de courriels entre M. [B], M. [S], président de la société Sebalea, et Mme [R], « Responsable juridique / Chief legal officer » de la société Dexxon Groupe et chargée, dans des conditions qui seront explicitées plus bas, du suivi juridique de la société Calestor dans le cadre d’un contrat de prestations de services intra-groupe liant cette dernière et la société Dexxon Groupe.
Par courriel du 20 janvier 2017, transféré le même jour pour information à M. [B], Mme [R] a écrit à M. [S] : « Comme convenu ce matin, je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le formulaire Cerfa relatif à la cession de 2 300 actions de Calestor à M. [B]. / Je vous prie de bien vouloir compléter les informations manquantes avant d’imprimer ce formulaire en 2 exemplaires et le faire signer par le représentant légal de la société Calestor. / Les originaux doivent être envoyés à M. [B] pour signature. Concernant le contrat de prêt entre la société Finole AG et M [B], je vous adresse le premier draft dans les meilleurs délais. / Je vous confirme également avoir déjà commandé un registre des mouvements de titres pour Calestor […] ».
Par courriel du 1er février 2017, Mme [R] a écrit à M. [S], en mettant en copie MM. [B] et [W] (dirigeant de la société Dexxon Groupe) : « Suite à notre échange téléphonique avec [D] [[B]] de ce jour, je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le formulaire Cerfa finalisé. Je vous remercie de bien vouloir : / – imprimer ce formulaire en 3 exemplaires ; / – faire signer les 3 exemplaires par le représentant légal de la société Finole ; et / m’adresser les 3 originaux à l’adresse ci-dessous ».
Par courriel du 8 février 2017, dont M. [B] était destinataire en copie, M. [S] a répondu à Mme [R] : « Normalement le retour des documents de cession originaux signés devrai[t] arriver début de semaine prochaine ».
Par courriel du 17 février 2017, adressé en copie à M. [B], Mme [R] a écrit à M. [S]: « Je reviens vers vous concernant la cession de Calestor à [D] [[B]]. / Pour votre parfaite information, je n’ai toujours pas reçu les documents signés. Pourriez-vous avoir la gentillesse de vérifier s’ils ont bien été envoyés ‘ / Pour rappel, le formulaire Cerfa signé par les 2 parties doit être déposé aux impôts dans un mois suivant la date de cession, ie avant le 2 mars. Je vous remercie d’avance pour votre aide. »
Une heure plus tard le même jour, Mme [R], a adressé un nouveau courriel à M. [S], M. [B] étant à nouveau en copie, en ces termes : « Je viens de retrouver le DHL avec les documents signés et je vous en remercie. […] Merci encore pour votre aide. / Bonjour [D] [[B]], Les formulaires Cerfa signés sont à votre disposition dans mon bureau. Comment voulez-vous qu’on procède ‘ ».
Par courriel du 1er mars 2017, M. [B] a écrit à Mme [R] : « Vous trouverez ci-joint la copie de cession enregistrée. / Concernant le contrat de prêt, je vais le lire attentivement et je reviens vers vous ».
Loin de se référer à une exigence formulée par M. [B] de signature du formulaire Cerfa à titre de preuve de bonne foi dans le cadre de négociations en cours, ces échanges désignent ce formulaire comme étant un « document de cession », à déposer auprès du service des impôts dans le mois de la cession, soit au plus tard le 2 mars, et, plus généralement, se rapportent sans ambiguïté possible à une « cession », et non à un projet de cession en cours de discussion.
La société Finole AG conteste la portée probante des messages en cause en arguant que Mme [R] se trouvait dans une situation « de détachement d’une fonction support » et « travaillait […] pour la société Calestor et son représentant M. [D] [B] » et que seul M. [X], et non M. [S], pouvait l’engager.
La société Dexxon Groupe a conclu avec la société Calestor un contrat en exécution duquel la première s’engageait à fournir à la seconde divers services, dont un support financier, juridique, informatique, téléphonique et « services généraux » ou encore la gestion du service comptable, de la trésorerie et de la paye.
Il n’est pas discuté que Mme [R] était chargée du suivi juridique de la société Calestor dans le cadre du contrat précité.
Pour autant, il n’est produit aucun contrat établissant un lien de subordination entre Mme [R] et la société Calestor, étant observé, en sens contraire, que la convention de prestation de services stipule que la société Dexxon Groupe fournit ses prestations « en toute indépendance […] et sans aucun lien quelconque de subordination avec Calestor ».
Par ailleurs, tant l’adresse électronique utilisée par Mme [R] ([…]@dexxon.eu) que les éléments d’identification mentionnés dans ses messages (« Responsable juridique / Chief legal officer » de la société Dexxon Groupe au [Adresse 4] (92), lieu du siège social de cette dernière) confirment qu’elle a bien participé aux échanges pour le compte de la société Dexxon Groupe, son employeur.
La société Finole AG est donc mal fondée à soutenir que Mme [R] est intervenue dans le cadre d’un « détachement » et « travaillait […] pour la société Calestor et son représentant M. [D] [B] ».
S’agissant de M. [S], il n’avait, certes, pas le pouvoir d’engager la société Finole AG, dont le représentant légal était M. [X], mais dirigeait la société Sebalea, actionnaire unique de la société Finole AG. En outre, il ressort des messages précités que c’est à M. [S] que Mme [R] s’est adressée pour obtenir la signature, présentée comme une simple formalité, du formulaire Cerfa par M. [X]. Les échanges relatifs au prêt à consentir par la société Finole AG devant servir à financer l’acquisition, qui seront évoqués plus bas, mettent également en exergue le rôle central de M. [S], auquel Mme [R] a demandé de valider le projet de contrat et de le « faire signer » par le représentant légal de la société Finole AG (message de Mme [R] à M. [S] du 6 mars 2017).
A l’inverse, la société Finole AG ne produit aucune pièce permettant de retenir qu’elle a elle-même participé aux échanges relatifs à la cession, jusqu’à un courrier du 4 août 2017 par lequel elle a contesté l’existence de celle-ci en réponse à un courrier de M. [B] du 31 juillet 2017 lui demandant la remise d’un exemplaire du contrat de prêt signé, transmettant un chèque de règlement de 100 000 euros et sollicitant des coordonnées bancaires permettant de procéder au paiement de tout ou partie du solde du prix par virement.
Plus généralement, des messages électroniques de 2009, 2012 et 2013 attestent de l’importance du rôle de la société Sebalea et de son dirigeant M. [S] dans la gestion et la vie sociale des sociétés Calestor et Finole AG.
C’est ainsi que, le 22 octobre 2009, à l’occasion de la signature d’un contrat d’affacturage par la société Calestor, la société Sebalea, et non la société Finole AG, a établi, à la demande de la société Dexxon, une lettre d’intention réclamée par le factor ainsi rédigée : « notre société a souscrit, par l’intermédiaire de sa filiale spécialement dédiée Finole AG, à 100 % du capital de sa filiale, la société Calestor […]. / Notre société apporte son entier concours à la bonne marche et au contrôle de l’exploitation de Calestor. […]. Cette lettre d’intention, suivant votre demande, traduit l’entier soutien de notre société à cette filiale et par la même notre engagement de faire tous nos efforts pour que la société Calestor puisse tenir ses engagements vis à vis de votre établissement ».
Le 30 octobre 2012, M. [S] a écrit au directeur financier de la société Dexxon : « je dois me rendre le 06/11 à Zurich afin de régulariser tous les docs et faire signer [à] M. [X] tous les bilans et AG relatifs à Calestor/ Finole, merci de me fournir ces éléments au plus vite ».
Le 14 novembre 2013, M. [B] a adressé à M. [S], dans le cadre de la transformation de la société Calestor en SAS, « le[s] statut[s] mis à jour de Calestor en SAS, le PV de l’AGO du 27/09/2013, le PV de décisions du 04/11/2013 » en lui demandant « de les faire parapher (toutes les pages) et signer en 4 exemplaires […] » et M. [S] lui a répondu, le 27 novembre 2013 : « en annexe les docs Calestor sign[é]s par advance scan. Les originaux te seront adressés directement […] par DHL ».
Il convient également de relever, d’une part, que le papier à en-tête de la société Finole AG mentionne une adresse située chez M. [X] à Neuheim en Suisse et pas de coordonnées électroniques ou téléphoniques et, d’autre part, que ce dernier, dans un message transmettant à M. [B] un courrier de la société Finole AG du 9 avril 2018 relatif au différend les opposant sur la cession, ne s’identifie pas comme dirigeant de cette société mais comme un expert fiscal agréé, contrôleur agréé et médiateur d’entreprise officiant au sein de la société Conselnet AG située à Baar en Suisse (« Kurt [X] / Certified tax expert / Certified controller / Business mediator / Conselnet AG / Lindenstrasse 16 […] Baar / […]@wyssmueller.ch / www.wyssmueller.ch »), laquelle apparaît également comme expéditeur sur les accusés de réception de deux autres courriers datés des 26 mars et 11 décembre 2018 adressés par la société Finole AG à M. [B] (pièces 25 et 31 de l’intimée).
Si ces éléments sont insuffisants pour retenir, comme l’affirme M. [B], que la société Finole AG est « une société écran, sans aucune activité », ils témoignent de l’importance du rôle de M. [S] et de la société Sebalea par rapport à celui de la société Finole AG et de M. [X].
La société Finole AG n’est donc pas fondée à remettre en cause la force probante des messages précités.
Par ailleurs, M. [X], dont il n’est pas discuté qu’il est l’auteur de la signature apposée pour le compte de la société Finole AG sur le formulaire Cerfa, est une personne avertie dans le domaine des affaires, en particulier fiscal, puisqu’il se présente sur son site internet comme expert fiscal, agréé contrôleur et auditeur et médiateur d’entreprise dans les PME pendant 20 ans. Il n’est donc pas plausible qu’il ait pu penser signer « à titre provisoire » un formulaire fiscal déclarant une cession de 2 300 actions pour un prix de 600 000 euros, alors en outre que ce montant est qualifié de dérisoire par la société Finole AG.
Enfin, comme l’a relevé le tribunal, un formulaire Cerfa signé n’est, à l’évidence, pas de nature à faciliter l’obtention d’un financement bancaire.
A la lumière des développements qui précèdent, les explications avancées par la société Finole AG pour justifier la signature du formulaire Cerfa apparaissent dépourvues de toute vraisemblance.
Le formulaire Cerfa constitue donc bien une preuve de la cession alléguée par M. [B].
Le prix
La société Finole AG soutient qu’aucun accord sur le prix n’est intervenu en faisant valoir que celui de 600 000 euros mentionné dans le formulaire Cerfa est dérisoire, ce que M. [B] conteste, et qu’aucun règlement n’est intervenu, tandis que M. [B] argue qu’un paiement a été adressé le 31 juillet 2017 et qu’il a été empêché de payer le prix par la société Finole AG.
La société d’expertise comptable Kreston Conseil, mandatée par la société Finole AG dans le cadre du présent litige, a estimé la valeur de la totalité des titres de la société Calestor dans une fourchette de 3 288 827 à 3 563 643 euros.
Toutefois, les sociétés d’expertise comptable mandatées par M. [B] ont considéré, la première (Stengelin), que le prix de 600 000 euros n’était pas « déphasé » au regard des résultats obtenus par une approche d’évaluation financière et se situait même dans une fourchette haute et, la seconde (BDO), que la valeur des titres de la société Calestor au 2 février 2017 s’élevait à 188 000 euros.
Dans ces conditions, la société Finole AG échoue à démontrer la vileté du prix.
Quant au paiement du prix, M. [B] justifie avoir adressé, le 31 juillet 2017, un chèque de banque d’un montant de 100 000 euros libellé à l’ordre de la société « Finiole » – qui ne pouvait être encaissé en raison d’un erreur matérielle affectant le nom du bénéficiaire – et demandé le même jour, puis les 31 août 2017 et 5 janvier 2018, les coordonnées bancaires de la société Finole AG pour effectuer d’autres versements par virement, que cette dernière ne justifie pas avoir communiquées. Il apparaît ainsi que l’absence de règlement du prix est, au moins pour partie, imputable à la société Finole AG.
Dès lors, la prétendue vileté du prix et le défaut de règlement de celui-ci ne sont pas des indices probants de l’inexistence de la cession, étant observé, en tout état de cause, qu’ils ne constituent que des éléments de preuve indirects, contrairement au formulaire Cerfa.
Il résulte des développements qui précèdent et de ceux, ultérieurs, retenant une absence de poursuite des négociations sur la chose et le prix que, contrairement aux allégations de la société Finole AG, la volonté des parties s’est rencontrée sur ces deux éléments essentiels de la cession.
b) Le financement de l’acquisition des actions
La société Finole AG prétend que la mise en place d’un financement constituait pour les parties un élément déterminant de la cession des actions de la société Calestor et qu’elle n’a pas donné son accord à l’octroi d’un crédit-vendeur, tandis que M. [B] soutient la position inverse.
Dans son courriel précité du 20 janvier 2017, transféré le même jour pour information à M. [B] et dans lequel elle a invité M. [S] à faire signer le formulaire Cerfa par le représentant légal de la société Finole AG, Mme [R] a également indiqué : « Concernant le contrat de prêt entre la société Finole AG et M [B], je vous adresse le premier draft dans les meilleurs délais. ».
Trois jours plus tard, le 23 janvier 2017, Mme [R] a adressé un courriel à MM. [S] et [B] indiquant : « Je reviens vous concernant la cession de Calestor à M. [B] et vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le premier projet du contrat de prêt rédigé conformément à ce qui a été convenu lors de notre dernière réunion. Je vous demande de bien vouloir valider les dispositions soulignées en jaune et compléter, le cas échéant les informations manquantes ».
Le 28 février 2017, Mme [R] a écrit à M. [B] : « Comme convenu je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le contrat de prêt entre vous même et la société Finole. Je vous remercie d’avance pour votre validation afin que je puisse adresser ce draft à [Z] [[S]] pour lancer la signature ».
Par courriel du 1er mars 2017, précité, M. [B] a transmis la copie du formulaire Cerfa enregistré par le service des impôts à Mme [R] et lui a indiqué : « Concernant le contrat de prêt, je vais le lire attentivement et je reviens vers vous ».
Le 6 mars 2017, M. [B] a écrit à Mme [R] : « J’ai regardé le contrat et c’est OK vous pouvez l’adresser à [Z] [[S]] pour lancer la signature. Par ailleurs, j’en ai parlé au notaire qui pour l’enregistrer au rang des minutes à son étude a besoin de ce contrat signé au plus vite » et cette dernière lui a immédiatement répondu : « C’est noté. J’adresse le contrat à [Z] sans délai et vous tiens au courant ».
Le même jour, Mme [R] a adressé un courriel à M. [S], dont M. [B] a été rendu destinataire en copie, ayant pour objet « Cession de Calestor / Contrat de prêt / A signer SVP et indiquant : « Je reviens vers vous concernant la cession de Calestor à [D] [[B]] et notamment le contrat de prêt. / Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le contrat de prêt dont les termes viennent d’être validés par [D]. / Je vous remercie de bien vouloir : / – imprimer ce contrat en 3 exemplaires ; / faire signer les 3 exemplaires par le représentant légal de la société Finole ; et / – m’adresser les 3 originaux à l’adresse ci-dessous ».
Enfin, par courriel du 3 mai 2017, ayant pour objet « draft emprunt », M. [S] a écrit à M. [B] : « merci de trouver en annexe le draft à signer en 3 ex originaux et me les faire parvenir rapidement à mon adresse pour les faire contresigner par qui de droit ».
Les contrats annexés aux courriels précités des 28 février et 3 mai 2017, identiques, désignent les parties comme étant la société Finole AG, prêteur, et M. [B], emprunteur, et exposent en préambule : « le prêteur a accepté de céder à l’emprunteur 2 300 actions ordinaires représentant 100 % du capital social et des droits de vote de la société Calestor […] moyennant un prix forfaitaire de 600 000 euros. Aux fins de financer cette acquisition l’emprunteur a sollicité auprès du prêteur un prêt […] ».
Ils prévoient, pour l’essentiel, que le prêt est consenti pour une durée de 5 ans à compter du 20 janvier 2017 et jusqu’au 19 janvier 2022, date ultime de son remboursement en principal et intérêts, que des intérêts sont dus au taux de 2 % l’an, que les paiements seront effectués par virement sur le compte du prêteur, que l’emprunteur affecte à titre de nantissement, au profit du prêteur, les 2 300 actions de la société Calestor et qu’en cas de liquidation ou de dissolution volontaire ou forcée du prêteur, ses droits et obligations au titre du contrat seront automatiquement transférés à la société Sebalea.
Compte tenu de l’appréciation qui a été portée précédemment sur les rôles respectifs de MM. [S] et [X], c’est vainement que la société Finole AG fait valoir que son représentant légal n’ayant pas participé aux échanges précités, ceux-ci sont dépourvus de portée à son égard.
Ni ces échanges, ni aucune autre pièce versée aux débats, ne corroborent l’affirmation de la société Finole AG selon laquelle la mise en place d’un financement constituait une condition déterminante d’un accord sur la cession.
Au contraire, il ressort desdits échanges que c’est en toute connaissance de cause que le formulaire Cerfa a été signé à un moment où l’octroi d’un crédit-vendeur par la société Finole AG à M. [B] avait été convenu sans avoir été matérialisé par un contrat signé, dont le projet se référait d’ailleurs à une cession déjà intervenue (« le prêteur a accepté de céder à l’emprunteur 2 300 actions […] »).
La signature du contrat de prêt ne constituait donc ni un élément essentiel à la cession pour les parties, ni une condition suspensive à la conclusion de celle-ci.
c) La poursuite des négociations
La société Finole AG prétend que l’absence d’accord sur la cession ressort de la poursuite des négociations sur le contrat de prêt, le prix (pièce 24 et pièce adverse 13) et la conclusion d’une garantie de passif (pièce 21).
M. [B] réplique que les parties s’étaient accordées sur l’octroi d’un crédit-vendeur mais que le contrat n’a pas été signé en raison de sa démission du conseil d’administration de Dexxon Groupe le 19 juillet 2017, qui a conduit à un changement de stratégie de la part de M. [W] et, pour le surplus, que les négociations invoquées s’inscrivaient dans le cadre d’une recherche de solution amiable au conflit l’opposant à la société Finole AG sur la cession.
Alors qu’il ressort des échanges reproduits plus haut qu’à la date du 3 mai 2017, la signature du contrat de prêt se présentait comme une simple formalité, celui-ci n’a, en définitive, pas été signé.
La société Finole AG soutient avoir reçu le contrat de prêt « au mois de mai 2017 » et refusé de le signer, sans produire aucune pièce exprimant ce refus permettant de déterminer sa date, son motif et la personne dont il émanait.
Par ailleurs, un courriel de Mme [R] du 28 juillet 2017 intitulé « Important et Confidentiel / Calestor », adressé à M. [S] et dont M. [W] était destinataire en copie, fait état, dans les termes reproduits ci-après, de la nécessité de bloquer la signature du contrat de prêt pour faciliter la mise en place d’une stratégie d’acquisition de Calestor par Dexxon Groupe :
« Je vous écris à la demande de M. [W] qui souhaite procéder à l’intégration de Calestor. / Pour ce faire, il propose deux options : / – l’acquisition directe par Dexxon Groupe ; ou / – l’apport dans le capital de Dexxon Groupe. / Afin de faciliter les démarches liées à la mise en place de cette stratégie, il est indispensable que vous bloquiez la signature du contrat de prêt entre M. [B] et la société Finole ».
Neuf jours auparavant, M. [W] avait déjà tenté d’obtenir la cession des actions de la société Calestor par M. [B], tentative matérialisée par un courriel du 19 juillet 2017 adressé à ce dernier par Mme [R], avec copie à MM. [W] et [S], qui indiquait lui transmettre, à la demande de M. [W], pour signature en trois exemplaires, un formulaire Cerfa et un ordre de mouvement, étant précisé que ces documents faisaient état de la cession, par M. [B] à M. [W], de 2 300 actions de la société Calestor (le formulaire Cerfa indiquant en outre que la base taxable était de 0 euro).
Il résulte de ce qui précède que l’absence de signature du contrat de prêt ne révèle pas une poursuite des négociations sur la cession mentionnée par le formulaire Cerfa daté du 2 février 2017 mais résulte de la mise en oeuvre d’une stratégie de rachat des actions Calestor à M. [B].
S’agissant du prix et de la garantie de passif, la société Finole AG invoque :
– un courriel du 15 janvier 2018 adressé à son conseil par celui de M. [B] indiquant : « Je vous confirme bien volontiers que M. [D] [B], mon client, est toujours disposé à trouver une solution amiable au conflit qui l’oppose à la société Finole AG et ses associés sur la cession des titres de la société Calestor. / « Nous travaillons actuellement sur la valorisation de la société Calestor » ;
– une phrase d’un courrier du 30 janvier 2018 envoyé à son conseil par celui de M. [B] rédigée en ces termes : « Mais compte tenu du nombre important de factures établies par la direction financière de la société Dexxon Groupe à Calestor et des flux financiers existant entre ces sociétés, mon client souhaite avoir une garantie de passif limité[e] aux relations commerciales avec Dexxon Groupe et au bien-fondé de ces facturations à Castelor pour les 5 dernières années ».
Entre le 31 juillet 2017 et le 5 janvier 2018, avant que n’interviennent ces écrits, divers courriers avaient été échangés entre la société Finole AG et M. [B], directement ou par conseil interposé, dans lesquels M. [B] ou son conseil affirmaient à chaque fois qu’une cession était intervenue le 2 février 2017 (lettres des 31 juillet 2017, 31 août 2017 et 5 janvier 2018), tandis que la société Finole AG ou son conseil soutenaient l’inverse (lettres des 4 août et 29 novembre 2017).
Parallèlement, les deux parties ont accompli des actes relevant de l’actionnaire unique de la société Calestor : M. [B] en approuvant les comptes annuels de l’exercice clos le 31 mars 2017 (procès-verbal des décisions de l’actionnaire unique du 28 septembre 2017), ce qui a suscité des protestations de la part du conseil de la société Finole (lettre du 29 novembre 2017), et la société Finole AG en convoquant M. [B] à une « réunion » du 7 décembre 2017 aux fins de révocation éventuelle de son mandat de président, puis en décidant celle-ci, après des échanges au cours desquels M. [B], présent à cette réunion, a déclaré dénier la qualité d’actionnaire unique à la société Finole AG (minutes de la réunion prises sous le contrôle d’un huissier de justice).
Ainsi, dans les cinq mois qui ont précédé les deux écrits invoqués par la société Finole AG, les deux parties ont maintenu leurs positions respectives quant à l’existence, ou non, d’une cession intervenue le 2 février 2017.
Des négociations ont toutefois eu lieu, ainsi qu’en atteste un courrier adressé le 30 octobre 2017 par la société Finole AG à l’avocat de M. [B] indiquant « Nous constatons que les pourparlers engagés suite à ce courrier [du 31 août 2017] avec M. [B] n’ont pas permis, à ce jour, de trouver une solution amiable ».
Compte tenu du contexte décrit ci-dessus, ces négociations tendaient, à l’évidence, à résoudre amiablement le différend relatif à la cession, et non à parfaire celle-ci. Le courrier précité du 31 octobre 2017 fait d’ailleurs référence à la recherche d’une « solution amiable ».
Dans ces conditions, les deux écrits invoqués par la société Finole AG ne peuvent être compris comme s’incrivant dans le cadre d’un processus de finalisation de la cession. La phrase du premier « Nous travaillons actuellement sur la valorisation de la société Calestor » vient d’ailleurs après une confirmation de l’ouverture de M. [B] à une solution amiable au litige et celle du second dont se prévaut la société Finole AG est précédée et suivie de développements réaffirmant qu’une cession est intervenue le 2 février 2017.
Il n’est donc pas établi, contrairement à ce que prétend la société Finole et à ce qu’a retenu le tribunal, que les négociations se sont poursuivies après le 2 février 2017 sur des éléments essentiels conditionnant l’accord à la cession.
d) Les circonstances postérieures à la signature du formulaire Cerfa
Les faits suivants, postérieurs à la cession alléguée par M. [B], révèlent que celle-ci était considérée comme acquise par un certain nombre de personnes :
– le projet de contrat de prêt rédigé par Mme [R] et transmis pour signature à M. [B] par M. [S] le 3 mai 2017 mentionne que le prêteur (la société Finole AG) « a accepté » de céder à l’emprunteur (M. [B]) 2 300 actions de la société Calestor moyennant le prix de 600 000 euros ;
– le formulaire Cerfa et l’ordre de mouvement de titres préremplis transmis par Mme [R] à M. [B] le 19 juillet 2017 désignent ce dernier comme propriétaire de 2 300 actions de la société Calestor et la société Finole AG comme précédent propriétaire de celles-ci jusqu’au 2 février 2017 :
– interrogée par la société SAP, cocontractante de la société Dexxon Groupe, sur le point de savoir si cette dernière et la société Calestor « dépendaient d’une même holding », ce qui aurait permis de qualifier la seconde « d’affiliée » au sens du contrat, Mme [R] a répondu, par courriel du 24 juillet 2017 : « pas à ce jour » ;
– le 7 décembre 2017, lors de la « réunion » à l’issue de laquelle la société Finole a décidé la révocation du mandat social de M. [B], M. [H], commissaire aux comptes des sociétés Dexxon groupe et Calestor depuis plusieurs années (par le truchement de la société Union Fiduciaire de Paris) a déclaré : « […] à ma connaissance et cela n’a jamais été contesté jusqu’à présent, l’associé unique de la société est M [D] [B]. / Donc je dois comprendre entre les lignes qu’il y a une contestation sur le fait que M [D] [B] soit associé unique de la société et j’en suis particulièrement surpris puisqu’au cours de mes missions cela n’a jamais été évoqué par le service Dexxon. »
e) L’obligation d’information des salariés prévue par l’article L. 23-10-1 du code de commerce
La société Finole AG fait valoir que si M. [B] avait considéré qu’un accord sur la cession était intervenu le 2 février 2017, il aurait mis en oeuvre la procédure d’information des salariés prévue par l’article L. 23-10-1 du code de commerce, ce qu’il n’a pas fait.
L’article L. 23-10-1 du code de commerce prévoit que le cédant, lorsqu’il n’est pas le chef d’entreprise de la société dont la vente est projetée, doit notifier le projet à ce dernier qui, ensuite, en informe les salariés.
La société Finole AG ne prétendant pas avoir notifié un projet de vente à M. [B], il ne peut être tiré aucun enseignement du fait, à le supposer établi, que ce dernier n’en ait pas informé les salariés de la société Calestor.
f) Les ordres de mouvement
Au sein d’une partie de ses écritures intitulée « Sur l’absence d’accord de cession résultant du formulaire Cerfa du 2 février 2017 », la société Finole AG expose :
– qu’à défaut d’ordre de mouvement signé par elle, l’inscription de la cession alléguée par M. [B] dans le registre des mouvements de titres est irrégulière comme contrevenant à l’article 10 des statuts de la société Calestor et que le non-respect des statuts entraîne la nullité de la cession en application de l’article L. 227-15 du code de commerce ou, à tout le moins, son inopposabilité à la société Calestor,
– que le formulaire Cerfa ne vaut pas ordre de mouvement ;
– que les premiers juges ont retenu à juste titre qu’en l’absence de signature, par elle-même, d’un ordre de mouvement, la propriété des actions n’avait pas été transférée.
Elle indique ensuite que « pour toutes ces raisons, les registres de mouvement de titres et compte d’actionnaires de la société Calestor établis et produits par M. [D] [B] sont faux et devront être écartés des débats ».
L’argumentation de la société Finole AG mélange plusieurs questions distinctes tenant à l’existence d’un accord entre les parties sur la cession, au transfert de propriété des actions objets de la cession, à l’opposabilité de la cession à la société Calestor et à la validité de la cession.
Ne sera abordé ici que le point de savoir si l’absence d’ordre de mouvement signé par la société Finole AG s’oppose à ce que soit retenue l’existence d’un accord entre les parties sur la cession, les autres moyens étant examinés ultérieurement.
C’est de manière inopérante que la société Finole AG invoque l’article 10 des statuts de la société Calestor aux termes duquel « la transmission d’actions s’opère, à l’égard des tiers et de la société, par un ordre de mouvement signé du cédant ou de son mandataire et mentionné sur le registre des mouvements de titres de la société », dès lors que ces stipulations ne régissent pas la formation d’un accord de cession entre les parties.
Ensuite, aucun texte ne subordonne la formation d’un tel accord à la signature d’un ordre de mouvement par le cédant.
Enfin, et en tout état de cause, la volonté de céder de la société Finole AG et l’accord intervenu entre les parties sur la cession résultent amplement des développements figurant aux a) à e) ci-avant.
Il est ainsi établi que les parties sont convenues, le 2 février 2017, de la cession, par la société Finole AG à M. [B], de 2 300 actions de la société Calestor pour un prix de 600 000 euros. Il convient d’infirmer le jugement en sa disposition décidant le contraire.
III- Sur la régularité de l’inscription de la cession dans le registre des mouvements de titres de la société Calestor et le compte d’actionnaire de M. [B] et la qualité d’actionnaire unique de la société Calestor
Il a été dit que la société Finole AG concluait à l’irrégularité de l’inscription de la cession dans le registre des mouvements de titres de la société Calestor et le compte d’actionnaire de M. [B] pour les motifs déjà exposés plus haut.
M. [B] soutient quant à lui que le formulaire Cerfa, compte tenu de sa signature par le cédant et de son contenu, remplace l’ordre de mouvement et que l’article L. 227-15 du code de commerce n’est pas applicable aux SASU, ce dont il déduit que l’inscription de la cession dans le registre des mouvements de titres et les comptes d’actionnaires est régulière.
L’article L. 227-15 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiée, dispose que « toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle ».
L’article L. 228-1 du code de commerce dispose que « le transfert de propriété résulte de l’inscription des valeurs mobilières au compte de l’acheteur, dans des conditions fixées par décret au Conseil d’Etat » et l’article R. 228-10 du même code précise que « l’inscription au compte de l’acheteur est faite à la date fixée par l’accord des parties et notifiée à la société émettrice ».
L’article 10 des statuts de la société Calestor stipule que « la transmission d’actions s’opère, à l’égard des tiers et de la société, par un ordre de mouvement signé du cédant ou de son mandataire et mentionné sur le registre des mouvements de titres de la société ».
En premier lieu, la société Finole AG n’a pas, dans le dispositif de ses conclusions, saisi la cour d’une demande de nullité de la cession.
A supposer qu’elle ait entendu invoquer cette nullité à titre d’exception, il doit être souligné, d’une part, que les clauses statutaires dont la violation entraîne la nullité de la cession en vertu de l’article L. 227-15 du code de commerce sont celles régissant les conditions de cette cession et non, comme en l’espèce l’article 10 des statuts de la société Calestor, celles gouvernant l’opposabilité du transfert de propriété des titres.
En outre, l’application de l’article L. 227-15 est écartée par l’article L. 227-20 du même code lorsque la société ne comprend, comme la société Calestor, qu’un seul actionnaire.
Le moyen de nullité est donc mal fondé.
En deuxième lieu, le formulaire Cerfa du 2 février 2017 indique que la cession est intervenue à cette dernière date et aucune autre pièce versée aux débats ne permet de retenir que, contrairement à cette mention, les parties se sont accordées pour reporter le transfert de propriété.
La cession a fait l’objet d’une inscription au registre des mouvements de titres tenu par la société Calestor, coté et paraphé par le greffe du tribunal de commerce de Nanterre le 31 juillet 2017, ainsi qu’au compte d’actionnaire de M. [B], étant observé que ce dernier, en tant que président de la société Calestor, était habilité à faire procéder à une telle inscription.
S’il ressort de l’article 10 des statuts que l’inscription au registre des mouvements de titres doit s’effectuer au vu d’un ordre de mouvement signé par le cédant, aucun texte législatif ou réglementaire ne régit la forme et le contenu de ce dernier document.
Dès lors, M. [B] est fondé à soutenir que le formulaire Cerfa du 2 février 2017, qui est signé par le cédant et précise toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres et le compte d’actionnaire (identités des cédant, cessionnaire et société émettrice, nature et date du transfert, nombre de droits sociaux cédés) vaut ordre de mouvement.
Il s’ensuit que l’inscription de la cession dans le registre des mouvements de titres de la société Calestor et le compte d’actionnaire de M. [B] est régulière, que le transfert de propriété est bien intervenu et que ce dernier a la qualité d’actionnaire unique de la société Calestor.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a dit que l’associé unique de la société Calestor était la société Finole AG et que l’inscription prise dans le registre des mouvements de titres de la société Calestor et dans le compte d’actionnaire de M. [B] pour retranscrire la cession était irrégulière. La cour, statuant à nouveau, rejettera la demande de la société Finole AG tendant à voir dire irrégulières les inscriptions en cause et dira que l’actionnaire unique est M. [B].
IV- Sur la révocation du mandat de président de la société Calestor de M. [B]
Il résulte des développements qui précèdent que, le 2 février 2017, la société Finole a cédé l’intégralité des actions composant le capital de la société Calestor à M. [B], que les formalités relatives au transfert des titres par inscription en compte et inscription sur le registre des mouvements des titres ont été effectuées et, en conséquence, que la société Finole AG était sans qualité pour convoquer une assemblée générale de la société Calestor le 22 novembre 2017, tenir cette assemblée le 7 décembre suivant et décider la révocation de M. [B] à la même date.
Dès lors le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit que la révocation était régulière et valable et la cour, statuant à nouveau, dira que l’assemblée du 7 décembre 2017 est nulle et que M. [B] n’a pas été révoqué de ses fonctions de président de la société Calestor.
V- Sur la demande de dommages et intérêts de la société Finole AG
La société Finole AG demande 100 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de « l’usurpation illégale », par M. [B], de la qualité d’actionnaire unique de la société Calestor.
Dès lors qu’il a été dit que M. [B] avait bien la qualité d’actionnaire unique de la société Calestor, la faute invoquée n’est pas établie.
La demande de dommages et intérêts sera donc rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
VI – Sur le renvoi de M. [B] à se pourvoir au fond
En sollicitant de la cour qu’elle le « renvo[ie] […] à se pourvoir au fond pour obtenir réparation intégrale des man’uvres et pratiques découlant de sa révocation irrégulière par la société Finole AG », M. [B] ne présente pas une demande tendant à ce que soit tranché un point litigieux.
Il n’y a donc pas matière à statuer sur ce point.
VII- Sur les dépens et frais irrépétibles
La société Finole AG, qui succombe, sera tenue aux dépens et ne peut donc prétendre à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sera condamnée, en application de ce dernier texte, à payer à M. [B] la somme de 20 000 euros.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles seront infirmées.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement uniquement en ce qu’il a rejeté les interventions volontaires de M. [D] [B], en qualité d’actionnaire unique et de président de la SAS Calestor, et débouté la société Finole AG de sa demande de dommages et intérêts,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit qu’une cession des 2 300 actions composant le capital de la SAS Castelor est intervenue le 2 février 2017 entre la société Finole AG, cédant, et M. [D] [B], cessionnaire, pour un prix de 600 000 euros,
Dit que les inscriptions relatives à cette cession prises dans le registre des mouvements de titres de la société Calestor ainsi que dans le compte d’actionnaire de M. [D] [B] sont régulières,
Dit que M. [D] [B] est l’actionnaire unique de la société Calestor,
Dit que l’assemblée générale des actionnaires de la société Calestor du 7 décembre 2017 convoquée par la société Finole AG est nulle et, en conséquence, que le mandat de président de la société Calestor de M. [D] [B] n’a pas été révoqué,
Condamne la société Finole AG à payer à M. [D] [B] la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Finole AG aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT