2ème Chambre
ARRÊT N°592
N° RG 19/08074
N° Portalis DBVL-V-B7D-QKS6
SA BANQUE DU GROUPE CASINO
C/
Mme [R] [T]
Infirme la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me RIALLOT-LENGLART
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 Octobre 2022
devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Rendu par défaut, prononcé publiquement le 25 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
SA BANQUE DU GROUPE CASINO
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Johanne RIALLOT-LENGLART de la SELARL LRB, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
Madame [R] [T]
née le 28 Juillet 1973 à [Localité 5] (57)
[Adresse 6]
[Localité 2]
Assigné par acte d’huissier en date du 20/02/2020, n’ayant pas constitué
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre préalable acceptée à distance par signature électronique du 2 octobre 2017, la société Banque du groupe Casino (la Banque Casino) a consenti à Mme [R] [T] un crédit renouvelable d’un montant maximum de 6 000 euros, dont le taux d’intérêts et les mensualités dépendaient du capital utilisé.
Prétendant que les échéances de remboursement n’ont plus été régulièrement honorées à compter de novembre 2017 en dépit d’une lettre recommandée de mise en demeure de régulariser l’arriéré sous huitaine en date du 20 juillet 2018, le prêteur s’est, par un second courrier recommandé du 26 septembre 2018, prévalu de la déchéance du terme et, par acte du 14 mars 2019, a fait assigner l’emprunteuse en paiement devant le tribunal d’instance de Brest.
Estimant d’office que les pièces produites ne permettaient pas de vérifier que la signature avait bien été validée par un organisme certificateur, le premier juge a, par jugement du 21 novembre 2019 :
débouté la Banque Casino de ses demandes en paiement,
débouté la Banque Casino de ses demandes subséquentes en paiement d’intérêts sur les sommes réclamées,
débouté la Banque Casino de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
condamné la Banque Casino aux entiers dépens,
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
La Banque Casino a relevé appel de cette décision le 16 décembre 2019, pour demander à la cour de l’infirmer et de :
condamner Mme [T] au paiement de la somme de 7 634,16 euros, avec intérêts au taux nominal conventionnel de 11,94 % sur le principal de 7 132,84 euros et au taux légal sur le surplus, ce à compter de la mise en demeure du 26 septembre 2018,
ordonner la capitalisation des intérêts,
condamner Mme [T] au paiement d’une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.
Mme [T] n’a pas constitué avocat devant la cour.
L’appelante a été invitée à s’expliquer par note en délibéré sur la déchéance du droit du prêteur aux intérêts susceptible d’être encourue pour ne pas avoir saisi l’emprunteuse d’une offre préalable de crédit distincte lors de l’octroi de l’utilisation spéciale du 11 octobre 2017.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la Banque Casino le 19 février 2020 et signifiées à l’intimée défaillante le 20 février 2020, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 23 juin 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Pour débouter la Banque Casino de ses demandes fondées sur un contrat de crédit conclu à distance par signature électronique, le premier juge a estimé qu’il ne pouvait être considéré qu’il avait été fait usage d’un procédé fiable d’identification garantissant le lien avec l’acte auquel la signature électronique s’attache.
Il résulte cependant des articles 1366 et 1367 du code civil ainsi que du décret du 28 septembre 2017 que l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité, la signature nécessaire à la perfection de l’acte consistant, lorsqu’elle est électronique, en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache, et la fiabilité de ce procédé étant présumée jusqu’à preuve contraire lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié qui repose sur un certificat de signature répondant aux exigences de l’article 28 du règlement UE 910-2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur.
En l’espèce, la Banque Casino produit le fichier de preuve du contrat litigieux créé par la société OpenTrust, prestataire de service de certification électronique, attestant ‘du consentement du signataire ayant apposé sa signature électronique sur le document contenu dans le présent fichier de preuve (…) finalisé le 2 octobre 2017 (à) 15 : 31 : 48 suite à la signature effectuée par le signataire dénommé [R] [T]’.
Il est e surcroît précisé dans ce document que le signataire s’est authentifié en saisissant le code qui lui a été transmis automatiquement par SMS au numéro de téléphone [XXXXXXXX01], lequel correspond effectivement à celui figurant sur la facture de l’opérateur de téléphonie mobile remise par l’emprunteuse lors de sa demande de crédit.
Ainsi, la Banque Casino démontre que la signature électronique de Mme [T] a été établie au moyen d’un procédé présumé fiable d’identification garantissant son lien avec l’offre de prêt litigieuse.
Étant enfin observé que l’emprunteuse, défaillante en première instance comme devant la cour, ne conteste pas l’authenticité de cette signature, la présomption de fiabilité suffit à établir la preuve de l’existence du contrat fondant les demandes de la Banque Casino sans que, contrairement à ce qu’a retenu le jugement attaqué, cette dernière ait en l’état à faire exploiter devant le juge le fichier de traçabilité contenant les données techniques résultant du traitement des opérations effectuées pour l’ensemble des transactions constitutives du fichier de preuve, cette exploitation n’ayant à être réalisée que dans le cadre d’une expertise, en cas de contestation.
Le premier juge a par ailleurs surabondamment motivé sa décision de rejet des prétentions de la Banque Casino en relevant que le relevé d’identité bancaire (RIB) fourni par l’emprunteuse n’appartiendrait pas au signataire de l’offre.
Cependant, l’appelante fait à juste titre observer que, si le RIB transmis est au nom de ‘Melle [R] [T]’, la pièce d’identité également transmise et la fiche de dialogue révèlent que le nom de jeune fille de l’emprunteuse est [T] et qu’elle est l’ex-épouse divorcée de M. Mertes, étant au surplus ajouté qu’une anomalie du RIB ne saurait, en elle-même, avoir pour effet d’affecter la validité du contrat de crédit.
L’offre acceptée électroniquement le 2 octobre 2017 est donc opposable à Mme [T].
Cependant, il résulte des dispositions de l’article L. 312-57 du code de la consommation que le crédit renouvelable, qu’il soit ou non assorti de l’usage d’une carte de crédit, consiste en la possibilité de bénéficier d’un crédit d’un montant déterminé dès l’origine, et dont l’utilisation s’effectue de façon fractionnée, aux dates choisies par son bénéficiaire, l’émission d’une offre préalable étant obligatoire pour la conclusion du crédit initial, qui est limité à un an, ainsi que pour toute augmentation du crédit consentie ultérieurement.
Or, le contrat, qualifié de ‘crédit renouvelable’, conclu entre les parties le 2 octobre 2017 comporte une clause par laquelle ‘le prêteur pourra ponctuellement vous proposer d’appliquer, relativement à des utilisations de votre crédit en compte, des conditions particulières de taux, de remboursements et/ou de durée (… mais …) vous perdrez le bénéfice de ces conditions particulières en cas de défaillance de votre part à compter de la date de la défaillance’.
Et, il ressort des explications de la Banque Casino et des pièces produites que Mme [T] a effectivement fait usage de cette faculté d’une utilisation spéciale pour obtenir un financement de 1 800 euros le 11 octobre 2017, laquelle a été portée sur un compte distinct du compte général des utilisations normales du crédit et a généré des mensualités de remboursement distinctes, puis a été réintégrée au débit du compte général au moment de la déchéance du terme du 26 septembre 2018, faisant passer le solde de celui-ci à 7 531,66 euros.
Pourtant, il est de principe que, ne peut recevoir la qualification de crédit renouvelable un contrat, tel que celui de la société Banque Casino, qui permet de souscrire plusieurs emprunts distincts, combinant la faculté de reconstitution du crédit permanent avec les modalités de remboursement par échéances prédéterminées suivant un tableau d’amortissement établi lors de chaque emprunt d’une fraction de capital disponible, comportant un taux spécifique et ne prévoyant qu’une acceptation unique donnée par l’emprunteur lors de sa conclusion.
Dès lors, faute pour le prêteur d’avoir saisi l’emprunteuse d’une offre préalable distincte lors de ‘l’utilisation spéciale’ qui, quand bien même elle ne provoquait pas un dépassement du montant maximum du crédit, générait des échéances de remboursement supplémentaires, celui-ci doit être déchu en totalité de son droit aux intérêts.
Conformément à l’article L. 341-8 du code de la consommation, l’emprunteuse n’est plus tenue, du fait de la déchéance du droit du prêteur aux intérêts, qu’au seul paiement du capital.
Il ressort à cet égard des historiques de comptes produits et de la note en délibéré sollicitée par la cour qu’il a été prêté à Mme [T] une somme de 4 467,21 euros au titre des utilisation ‘normales’ et de 1 800 euros au titre de l’utilisation ‘spéciale’, tandis que l’emprunteuse a remboursé 1 206,34 euros au titre de l’utilisation ‘spéciale’.
Elle sera en conséquence condamnée au paiement de la somme résiduelle de 5 060,87 euros (4 467,21 + 1 800 – 1 206,34), avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 septembre 2018.
La demande de capitalisation des intérêts, prohibée en matière de crédit à la consommation par l’article L. 312-38 du code de la consommation, sera rejetée.
Il n’y a enfin pas matière à application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 21 novembre 2019 par le tribunal d’instance de Brest ;
Prononce la déchéance totale du droit du prêteur aux intérêts ;
Condamne Mme [R] [T] à payer la société Banque du groupe Casino la somme de 5 060,87 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2018 ;
Rejette la demande de capitalisation des intérêts ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [R] [T] aux dépens d’appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT