COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 09 FEVRIER 2023
N° 2023/
MS
Rôle N° RG 19/18264 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFHI7
[V] [Y]
C/
Société DUMEZ COTE D’AZUR
Société VCF PROVENCE
Société CELAUR
SASU JOB EMPLOI
SAS JOB INTERIM
Copie exécutoire délivrée
le : 09/02/23
à :
– Me Lucie HOSSANN, avocat au barreau de MARSEILLE
– Me Alain GALISSARD, avocat au barreau de MARSEILLE
– Me Anaïs COHEN, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CANNES en date du 12 Septembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le N° RG F17/00244.
APPELANT
Monsieur [V] [Y], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Marc LE HOUEROU, avocat au barreau de TOULOUSE,
et Me Lucie HOSSANN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Société DUMEZ COTE D’AZUR, tant en son nom personnel que venant aux droits de la Société CAMPENON BERNARD COTE D’AZUR, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Alain GALISSARD, avocat au barreau de MARSEILLE
Société VCF PROVENCE, venant aux droits de VCF MANAGEMENT PROVENCE, demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Alain GALISSARD, avocat au barreau de MARSEILLE
Société CELAUR, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Anaïs COHEN, avocat au barreau de MARSEILLE,
et Me Vincent LE FAUCHEUR, avocat au barreau de PARIS
SASU JOB EMPLOI, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Anaïs COHEN, avocat au barreau de MARSEILLE,
et Me Vincent LE FAUCHEUR, avocat au barreau de PARIS
SAS JOB INTERIM, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anaïs COHEN, avocat au barreau de MARSEILLE,
et Me Vincent LE FAUCHEUR, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Février 2023.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
A compter du 19 septembre 2011, M. [V] [Y] a été embauché par les entreprises de travail temporaire du Groupe Celaur, les sociétés Celaur, Job Emploi, Job Intérim et mis à disposition des entreprises utilisatrices membres du Groupe Vinci, les sociétés Campenon Bernard, Dumez Côte d’Azur /VCF Management Provence, le dernier contrat de mission venant à échéance, le 31 mai 2016.
Le 6 juin 2017, M. [V] [Y] a saisi la juridiction prud’homale pour demander la requalification de ses contrats de travail temporaires en un contrat à durée indéterminée avec toutes conséquences de droit.
Par jugement rendu le 12 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Cannes, après avoir jugé l’action prescrite pour la période postérieure au 27 janvier 2015, a débouté M. [Y] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens en rejetant les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [V] [Y] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique, le 22 novembre 2022, M. [V] [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré partiellement prescrite son action et l’a débouté de l’intégralité de ses prétentions, et, statuant à nouveau, de :
«-juger l’action de M. [V] [Y] comme non-prescrite,
-requalifier l’ensemble des contrats temporaires du 19 septembre 2011, 3 janvier 2012, 1er février 2012, 5 mars 2012, 1er octobre 2012 ; 1er octobre 2012, 7 janvier 2013, 1er février 2013, 8 avril 2013, 12 février 2014, 12 août 2014, 27 janvier 2015, 13 avril 2015, 1er juillet 2015, 14 septembre 2015, 4 janvier 2016, en un contrat à durée indéterminée à temps complet,
-dire que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement tant irrégulier que dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamner in solidum, les Sociétés Vcf Provence, Dumez Côte D’azur, Celaur, Job Interim et Job Emploi au paiement des sommes suivantes :
– 3.501,27 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 350,12 € à titre d’incidence congés payés
– 1470,58 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
-leur enjoindre sous astreinte de 150,00 € par jour de retard, 30 jours à compter de la notification
du jugement à intervenir d’avoir à délivrer à M. [V] [Y] les documents suivants :
o Bulletins de salaire du chef de la rémunération due,
o Une attestation Pôle Emploi rectifiée du même chef et mentionnant au titre de la rupture un « licenciement sans cause réelle et sérieuse »,
o Un certificat de travail rectifié.
-juger que les créances salariales précitées porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud’hommes soit le 6 juin 2017,
-condamner en outre, in solidum, les sociétés intimées au paiement des sommes suivantes :
– 1.750,63 € nets à titre d’indemnité spéciale de requalification,
– 1.750,63 € nets à titre d’indemnité pour procédure de licenciement irrégulière,
– 10.000 € nets à titre de dommages-intérêts pour exécution gravement fautive du contrat de travail,
– 28.010,08 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, – condamner in solidum, les sociétés intimées à la somme de 2.000 € à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance et à la somme de 3.500 € pour la procédure d’appel,
– juger que les sommes précitées produiront intérêts à compter du jugement à intervenir en application des dispositions de l’article 1231-6 du code civil,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner in solidum, les sociétés intimées aux entiers dépens, y compris les honoraires d’Huissier qui pourraient être dus au titre de l’exécution de l’arrêt à intervenir, ce en application des dispositions de l’article 10 du décret du 12 décembre 1996. »
L’appelant fait valoir :
– qu’en application de l’article L.1471-1 du code du travail, l’action en requalification n’est pas prescrite, dès lors que le salarié ayant été embauché selon des contrats temporaires successifs, le point de départ du délai de prescription ne commence à courir qu’à compter du dernier contrat, étant précisé que l’action concerne l’intégralité des contrats et que peu importe l’existence de périodes interstitielles ; qu’ayant saisi le conseil de prud’hommes par acte du 6 juin 2017, son action n’est dès lors aucunement prescrite, et ce, au regard de l’ensemble des contrats litigieux.
– qu’il est fondé à agir concurremment contre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire qui n’ont pas respecté les obligations légales relatives au cas de recours limitatif, à l’interdiction de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice, à la durée maximale du contrat temporaire ; que les entreprises de travail temporaire n’ont pas respecté leurs obligations spécifiques relatives au formalisme du contrat temporaire, au délai de transmission légal fixé à 2 jours, ainsi qu’au délai de carence.
– que les sociétés intimées ont également, frauduleusement, réservé l’usage exclusif et régulier de M. [V] [Y] à la même entité utilisatrice en éludant l’interdiction de recours au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; que la stratégie consistait à embaucher le salarié au même poste de travail d’ouvrier polyvalent, sur le même lieu de travail, avec la même équipe de travail, sous la subordination hiérarchique des mêmes personnes, sans les mêmes conditions de travail, les entreprises utilisatrices tentant de donner l’apparence du respect des dispositions applicables aux contrats temporaires (durée maximale, délai de carence, emploi sur un poste temporaire etc.)
– qu’il peut prétendre à une indemnité de requalification et à des indemnités au titre de la rupture
du contrat de travail.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 novembre 2022, la société Celaur demande à la cour :
A titre principal de confirmer le jugement et dire et juger qu’à son encontre toutes les demandes de M. [V] [Y] sont prescrites, la mettre hors de cause et condamner [V] [Y] à lui verser la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
A titre subsidiaire, sur le rejet de la demande requalification des contrats de mission en CDI débouter M. [V] [Y] de ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire en cas de requalification et de reconnaissance de licenciement sans cause réelle et sérieuse
– débouter M. [V] [Y] de sa demande d’indemnité au titre de l’irrégularité de la procédure
– le débouter de sa demande au titre de l’indemnité de requalification
– fixer l’indemnité de préavis à la somme de 1750,63 euros et les congés payés y afférents à la somme de 175,06 euros
– fixer l’indemnité légale de licenciement à la somme de 554,37€
– ramener à un plus juste montant l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sollicitée par M. [V] [Y]
– débouter M. [V] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fortement déloyale du contrat de travail
La société Celaur rappelle qu’une action en requalification de contrat de mission en CDI constitue nécessairement une action portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail et qu’elle est donc soumise à la prescription de deux ans depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, le 17 juin 2013.
M. [V] [Y] ayant saisi le conseil de prud’hommes en date du 6 juin 2017. Il ne pouvait agir à l’encontre des sociétés intimées que pour des contrats de mission conclus ou même expirant postérieurement au 6 juin 2015 (deux ans avant le 6 juin 2017).
Elle ajoute qu’il existe une interruption de presque 4 mois entre les contrats de mission établis par la société Celaur et ceux établis la société Job Interim puis par la société Job Emploi.
Sur la prétendue violation de la règle selon laquelle il est interdit de recourir au travail temporaire pour pouvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice et sur l’absence de véracité de l’accroissement temporaire d’activité, la société Celaur répond que :
-il appartient à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif invoqué ce qui s’explique par le fait qu’une entreprise de travail temporaire n’est pas en mesure de le faire. En effet, seule l’entreprise utilisatrice est à même d’analyser ses besoins.
– une entreprise de travail temporaire ne peut donc être reconnue responsable du défaut de réalité
d’un motif indiqué dans un contrat de mission.
– la société Celaur ne peut être reconnue responsable d’un prétendu recours au travail temporaire pour pouvoir un emploi durable des sociétés du Groupe Vinci.
Sur l’absence de remise des contrats de mission dans les 48 heures et sur l’absence de signature, que M. [V] [Y] fait preuve d’une parfaite mauvaise foi, de sorte qu’aucune requalification de ses contrats de mission ne pourra être ordonnée sur ce fondement.
La société Celaur ajoute qu’il n’est pas contestable que le code du travail impose en cas de recours au travail temporaire, qu’un contrat de mission soit établi par écrit entre l’entreprise de travail temporaire et le salarié temporaire et transmis dans les 48 heures.
Elle ajoute qu’une action en requalification de contrats de mission en CDI à l’encontre d’une entreprise de travail temporaire ne peut pas être accueillie si cette dernière arrive à démontrer, par un faisceau d’indices, qu’elle a adressé lesdits de contrats de mission au salarié concerné dans le délai légal de 48 heures, qui, de sa propre initiative, ne lui a alors pas retournés signés ; qu’en l’espèce, elle est en mesure de rapporter la preuve de la signature de 15 contrats sur les 18 et que M. [V] [Y] verse aux débats les 3 contrats non-signés ce qui démontre qu’il en a bien été destinataire et que par conséquent, c’est de sa propre initiative qu’il ne les a pas signés.
Elle observe que pour la première fois en cause d’appel, M. [V] [Y] sollicite la requalification de ses contrats de mission en invoquant une violation des délais de carence, lequel n’est pas sanctionné par la requalification et ne relève pas en tout état de cause de la responsabilité de l’entreprise de travail temporaire
Sur la prétendue collusion frauduleuse entre la société Job Interim, la société Job Emploi, la société Celaur, et les sociétés du Groupe Vinci, la société Celaur répond que la jurisprudence a considéré qu’une entreprise de travail temporaire pouvait être condamnée de manière solidaire avec une entreprise utilisatrice uniquement si elle avait agi de concert avec cette dernière dans le cadre d’une entente illicite ; qu’en l’espèce, M. [V] [Y], sur qui pèse la charge de la preuve de cette entente illicite, n’apporte aux débats aucun élément en ce sens et se contente de se prévaloir de l’appartenance des sociétés de travail temporaire à un même groupe de société.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 novembre 2022, la société Job Emploi demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions
– dire que l’action en requalification des contrats de mission en CDI est prescrite pour la période antérieur au 27 janvier 2015
– débouter M. [V] [Y] de l’intégralité de sa demande de requalification de ses contrats de mission en CDI et de ses demandes subséquentes ;
– condamner M. [V] [Y] à verser à la société Job Emploi la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [V] [Y] aux entiers dépens de l’instance
A titre subsidiaire en cas de requalification et de reconnaissance de licenciement sans cause réelle et sérieuse
– fixer l’ancienneté de M. [V] [Y] à 1 an et 7 mois
– débouter M. [V] [Y] de sa demande d’indemnité au titre de l’irrégularité de la procédure
– débouter M. [V] [Y] de sa demande au titre de l’indemnité de requalification
– fixer l’indemnité de préavis à la somme de 1750,63 euros et les congés payés y afférents à la somme de 175,06 euros
– fixer l’indemnité légale de licenciement à la somme de 554,37€
– ramener à un plus juste montant l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sollicitée par M. [V] [Y]
– débouter de M. [V] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution
fortement déloyale du contrat de travail
Sur la prescription des faits antérieurs au 27 janvier 2015, la société Job Emploi fait valoir que le salarié sollicite la requalification de ses contrats de mission à compter du 19 septembre 2011 alors qu’il ne pouvait agir à l’encontre des sociétés défenderesses que pour des contrats de mission conclus ou même expirant postérieurement au 6 juin 2015 (deux ans avant le 06 juin 2017) en application de cette prescription biennale ; que, toutefois, en matière de requalification, il convient de « remonter » jusqu’au premier contrat de la série de contrats de mission conclus de manière successive et ininterrompue ; qu’il existe une interruption de presque 4 mois entre les contrats de mission établis par la société Celaur et ceux établis la société Job interim puis par la société Job emploi ; que la Cour ne pourra que constater que toutes les demandes relatives à la période antérieure au 27 janvier 2015 sont prescrites.
Sur la violation de la règle selon laquelle il est interdit de recourir au travail temporaire pour pouvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice et sur l’absence de véracité de l’accroissement temporaire d’activité, la société Job Emploi fait valoir que Monsieur [Y] procède par voie d’affirmation et non de démonstration.
Elle répond qu’une action en requalification en CDI de contrats de mission fondée sur le recours à l’intérim pour pouvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise utilisatrice ne peut pas être dirigée à l’encontre d’une entreprise de travail temporaire.
En application de l’article L1251-40 du code du travail précité et de la jurisprudence, la société Job Emploi fait valoir qu’elle ne peut être reconnue responsable d’un prétendu recours au travail temporaire pour pouvoir un emploi durable des sociétés du Groupe Vinci ; que M. [Y] sollicite la requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l’encontre de la société en invoquant la méconnaissance des dispositions légales relatives au formalisme et à la transmission des contrats de travail temporaire ; que Monsieur [Y] fait preuve d’une parfaite mauvaise foi.
Elle soutient que Monsieur [Y] ne craint pas d’affirmer que ses contrats de mission devraient être requalifiés en contrat à durée indéterminée sous prétexte qu’ils ne lui auraient pas été remis dans le délai de 48 heures et qu’il ne les a pas signés ; que le demandeur tente donc de se prévaloir de sa propre turpitude en se prévalant de cette absence de signature alors même qu’il ne conteste pas le fait que les contrats de mission lui ont bien été remis. Il n’est pas contestable que la société Job Emploi n’est pas en mesure de produire aujourd’hui l’intégralité des contrats de mission qu’elle a établis signés par Monsieur [Y] ; que si ces contrats ne peuvent être présentés signés, c’est en raison de la parfaite mauvaise foi de Monsieur [Y] qui, bien que les ayant reçus conformément aux dispositions légales, a manifestement fait le choix de ne pas les retourner signés à la société Job Emploi.
Sur la violation du délai de carence, la société Job Emploi répond que l’article L. 1251-36 du code du travail prévoit que le délai de carence doit être respecté entre deux contrats de mission, sauf exception particulière. Toutefois, à l’inverse du contrat de travail à durée déterminée, aucune sanction de requalification du contrat de mission en contrat à durée indéterminée n’est prévue par le code du travail. La société Job Emploi précise que, en tout état de cause, le respect des règles relatives au délai de carence ne relève pas de la responsabilité de l’entreprise de travail temporaire.
Sur la prétendue collusion frauduleuse entre la société Job Interim, la société Job Emploi, la société Celaur, et les sociétés du Groupe Vinci, la société Job Emploi répond que Monsieur [Y], sur qui pèse la charge de la preuve de cette entente illicite, n’apporte aux débats aucun élément en ce sens et se contente de se prévaloir de l’appartenance desdites à un même groupe.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 novembre 2022, la société Job Interim par les mêmes moyens, demande de confirmer le jugement en toutes ses dispositions :
-A titre liminaire, sur la prescription partielle de la demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée,
– dire que l’action en requalification des contrats de mission en CDI est prescrite pour la période antérieur au 27 janvier 2015
– A titre principal, sur le rejet de la demande requalification des contrats de mission en CDI
– Débouter M. [V] [Y] de l’intégralité de sa demande de requalification de ses contrats de mission en CDI et de ses demandes subséquentes ;
– Condamner Monsieur [Y] à verser à la Société Job Interim la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Monsieur [Y] aux entiers dépens de l’instance
A titre subsidiaire en cas de requalification et de reconnaissance de licenciement sans cause réelle et sérieuse :
-fixer l’ancienneté de M. [V] [Y] à 1 an et 7 mois
– débouter M. [V] [Y] de sa demande d’indemnité au titre de l’irrégularité de la
procédure
– débouter M. [V] [Y] de sa demande au titre de l’indemnité de requalification
– fixer l’indemnité de préavis à la somme de 1750,63 euros et les congés payés y afférents à la somme de 175,06 euros
– fixer l’indemnité légale de licenciement à la somme de 554,37€
– ramener à un plus juste montant l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
sollicitée par M. [V] [Y]
– débouter de M. [V] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fortement déloyale du contrat de travail
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription de l’action
Les contrats de mission d’intérim ont été souscrits :
– par la société Celaur du 19 septembre 2011 au 30 septembre 2014
– par la société Job Cannes 06 du 27 janvier 2015 au 6 juillet 2015
– par la société Job emploi du 14 septembre 2015 au 31 mai 2016
Selon l’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Selon l’article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d’une action en requalification d’une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.
La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription.
En l’espèce, le terme du dernier contrat de mission de l’intéressé au sein de l’entreprise utilisatrice était le 31 mai 2016. Le salarié a introduit, le 6 juin 2017, une action en requalification des contrats de mission souscrits à compter du 19 septembre 2011 en un contrat à durée indéterminée, en soutenant que la conclusion successive de contrats de mission avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Il en résulte que l’action de M. [V] [Y] n’était pas prescrite. Le jugement sera infirmé de ce chef et il convient de se prononcer au fond.
Sur le bien-fondé de l’action
M. [V] [Y] a été engagé par une succession de contrats de mission temporaire par les sociétés Celaur, Job Emploi puis Job Intérim entre 2011 et 2016. Il a été mis à disposition des entreprises utilisatrices Dumez Côte d’Azur Campenon Bernard, VCF Management provence. Il était toujours affecté au dépôt sis [Adresse 7]. Le recours au contrat de mission était à chaque fois motivé soit par un accroissement temporaire d’activité, soit par le remplacement d’un salarié absent (1 seul contrat). Selon les contrats versés au dossier, lesquels ne portent pas tous la signature du salarié, il était employé tantôt en qualité de manoeuvre, tantôt en qualité de préparateur de commandes, ou bien en qualité de monteur de banches.
Le salarié, qui soutient avoir réalisé plusieurs missions successives renouvellement compris pendant 5 ans, fait valoir, notamment, que le recours à ces contrats de mission avait pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il sollicite la requalification de l’ensemble de ces contrats de mission en contrat à durée indéterminée tant à l’égard de la dernière entreprise utilisatrice qu’à l’égard de la première en faisant valoir :
– la conclusion d’un contrat de travail temporaire en dehors des cas de recours limitativement énumérés par la loi certains contrat sn’étant même pas signés,
– l’inobservation des règles relatives à la fixation du terme, la durée du contrat
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
* sur la demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée
Le salarié fait valoir sans être utilement contredit qu’il exerçait les mêmes fonctions sur le même lieu de travail, soit le dépôt de matériel situé [Adresse 7] avec la même référence commande, soit « Dépôt Matériel Ax90 » et le même Responsable Hiérarchique, Monsieur [I].
Il soutient sans contradiction opérante que l’accroissement d’activité invoquée comme recours au contrat précaire, n’est pas temporaire mais constante au regard de la durée de son embauche et qu’à cet égard les entreprises intimées procèdent pas voie de simple affirmation sans démontrer le surcroît temporaire de leur activité.
Il fait exactement valoir qu’il ressort de l’examen des contrats de mission que ceux-ci ne sont pas revêtus, à l’exception de trois d’entre eux d’aucune signature de sa main, sans que son intention frauduleuse consistant à n’avoir pas, sciemment, retourné le contrat signé, ne soit caractérisée.
Il découle de ces constatations que le salarié est fondé à obtenir la requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à compter du premier jour de son embauche ce qui lui ouvre droit, en application de l’article L1251-41 du code du travail à une indemnité que la cour fixe à un mois de salaire.
Lorsqu’une société utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions légales applicables en la matière, le salarié peut faire valoir auprès de l’utilisateur les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière. Le salarié peut agir concurremment à l’encontre des sociétés utilisatrices et des sociétés de travail temporaire d’où il suit que les condamnations prononcées par la cour le seront in solidum à l’encontre de sociétés intimées.
* sur la demande de dommages-intérêts au titre de la déloyauté contractuelle
Aux termes de l’article L1222-1 du code du travail le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Si les manoeuvres frauduleuses alléguées par le salarié entre les entreprises concernées dans le but sciemment d’éluder la loi ne sont pas établies, le maintien du salarié en situation de précarité par le recours à des contrats de mission irréguliers, en toute connaissance de cause, caractérise de leur part une déloyauté contractuelle causant au salarié un préjudice.
Ce préjudice sera intégralement réparé par le versement d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
La rupture des relations contractuelles à l’expiration d’un contrat de mise à disposition à l’initiative de l’employeur s’analyse, si le contrat est requalifié en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, à des indemnités de rupture.
En l’espèce, infirmant la décision entreprise, la cour alloue à M. [V] [Y] des indemnités au titre de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée calculées sur la base d’une ancienneté de 4 ans et 6 mois et d’un salarie de 1750,63 euros, soit :
– 3.501,27 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 350,12 € au titre des congés payés y afférents,
– 1470,58 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
En application des dispositions de l’article L1235-3 du contrat de travail en sa version applicable à la cause, le salarié qui totalisait plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise comptant plus de onze salariés a droit à une indemnité au moins égale à six mois de salaire. Cette indemnité ne peut se cumuler avec l’indemnité pour irrégularité de procédure de licenciement.
En conséquence, il sera alloué à M. [V] [Y] la somme de 16.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Infirmant la décision déférée la cour condamne les sociétés intimée in solidum au paiement lesdits montants.
Sur les intérêts
Les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2, du code civil.
Sur les autres demandes
La cour ordonnera aux sociétés intimées de remettre à M. [V] [Y] les documents de fin de contrat rectifiés : l’attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.
Il n’est pas nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.
Sur le droit proportionnel
La demande tendant à voir juger que les sommes retenues par l’huissier en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 seront supportées par tout succombant en plus des frais irrépétibles et des dépens, est sans objet dès lors que s’agissant de créances nées de l’exécution du contrat de travail, le droit proportionnel n’est pas dû.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau sur le tout,
Déclare l’action de M. [V] [Y] recevable comme non prescrite,
Requalifie les contrats de mission en un contrat à durée indéterminée,
Condamne in solidum les sociétés VCF Management Provence, Campenon Bernard CA, Cumez Côte d’Azur, Celaur, Job Intérim et Job emploi, à payer à M. [V] [Y] :
– 3.501,27 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 350,12 € au titre des congés payés y afférents,
– 1470,58 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 1.750,63 € nets à titre d’indemnité spéciale de requalification,
– 5.000 € nets à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
– 16.000 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Ordonne aux sociétés VCF Management Provence, Campenon Bernard CA, Dumez Côte d’Azur, Celaur, Job Intérim et Job emploi à de remettre à M. [V] [Y] un bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi rectifiés conformes au présent arrêt,
Dit n’y avoir lieu de prononcer une astreinte,
Dit que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2, du code civil,
Condamne in solidum les sociétés VCF Management Provence, Campenon Bernard CA, Dumez Côte d’Azur, Celaur, Job Intérim et Job emploi à payer à M. [V] [Y] une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les sociétés intimées de leur demande d’indemnité de procédure en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés VCF Management Provence, Campenon Bernard CA, Cumez Côte d’Azur, Celaur, Job Intérim et Job emploi aux dépens de première instance et d’appel,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.
LE GREFFIER LE PRESIDENT