Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 08 NOVEMBRE 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/01056 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O4BD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 18 JANVIER 2021
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE RODEZ N° RG F 18/00009
APPELANTE :
SARL AFG FOIE GRAS
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Olivier ROMIEU de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME :
Monsieur [T] [B]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me NEGRE avocat pour Me Jean paul GARRIGUES, avocat au barreau d’AVEYRON
Ordonnance de clôture du 30 Janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 SEPTEMBRE 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.
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EXPOSE DU LITIGE
Entre le 24 mars 2015 et le 16 décembre 2016, Monsieur [T] [B] a été mis à disposition de la SARL AFG Foie Gras, au sein de laquelle il exerçait les fonctions de chauffeur-livreur, dans le cadre de vingt-six contrats de mission temporaire et de vingt avenants de renouvellement, conclus par l’intermédiaire de la société Crit Intérim.
Postérieurement au 16 décembre 2016, la SARL AFG Foie Gras n’a plus eu recours aux services de Monsieur [B].
Le 27 février 2018, Monsieur [T] [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Rodez aux fins de requalification des contrats de mission conclus entre le 24 mars 2015 et le 31 décembre 2016 en un contrat à durée indéterminée et de condamnation de la SARL AFG Foie Gras à lui payer les sommes suivantes :
‘ 2786,93 euros à titre de prime annuelle, outre 278,69 euros au titre des congés payés afférents,
‘ 1592,53 euros à titre d’indemnité de requalification,
‘ 1592,53 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 159,25 euros au titre des congés payés afférents,
‘ 557,39 euros à titre d’indemnité de licenciement,
‘ 10000 euros à titre de dommages-intérêts,
‘ 2400 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 18 janvier 2021, le conseil de Rodez a requalifié les contrats de mission conclus entre le 24 mars 2015 et le 31 décembre 2016 en un contrat à durée indéterminée, dit la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse, et il a condamné la SARL AFG Foie Gras à payer à Monsieur [T] [B] les sommes suivantes :
‘1592,53 euros à titre d’indemnité de requalification,
‘1592,53 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 159,25 euros au titre des congés payés afférents,
‘557,39 euros à titre d’indemnité de licenciement,
‘4592,53 euros à titre de dommages-intérêts,
‘1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SARL AFG Foie Gras a relevé appel de la décision du conseil de prud’hommes le 17 février 2021.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 9 novembre 2021, la SARL AFG Foie Gras conclut à l’infirmation du jugement entrepris, au débouté du salarié de l’ensemble de ses demandes et à sa condamnation à lui payer une somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 17 août 2021, Monsieur [T] [B] conclut à la confirmation du jugement attaqué ainsi qu’à la condamnation de la SARL AFG Foie Gras à lui payer une somme de 2400 euros au titre des frais irrépétibles en sus des 1500 euros alloués en première instance.
Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 30 janvier 2023.
SUR QUOI
> Sur la demande de requalification des contrats de mission temporaire en un contrat à durée indéterminée
Selon l’article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
>
Au soutien de ses prétentions, Monsieur [B] fait valoir qu’il a été employé à l’occasion de chaque contrat sur un même emploi de chauffeur-livreur, et que nonobstant l’existence de motifs de recours différents, les contrats de mission avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice, qu’en effet, il n’a jamais occupé le poste de préparateur de commandes occupé par les salariés qu’il remplaçait et que l’employeur ne justifie pas de l’organisation qu’il a retenue, pas plus qu’il ne justifie de l’accroissement temporaire d’activité allégué.
Il expose ensuite que, contrairement aux dispositions des articles L 1251-36 et L 1251-37 du code du travail dans leur rédaction applicable, à différentes reprises, le délai de carence n’a pas été respecté lorsqu’un nouveau contrat de mission pour accroissement temporaire d’activité a immédiatement suivi un contrat de mission conclu pour le remplacement d’un salarié absent.
>
La SARL AFG Foie Gras qui s’oppose aux demandes adverses fait valoir que la durée des différents contrats, renouvellement inclus, n’a à aucun moment dépassé la durée maximale de dix-huit mois. Elle expose ensuite que si les contrats de mission étaient conclus en vue du remplacement d’un salarié préparateur de commandes, ce remplacement s’opérait par glissement de poste, qu’ensuite la société dont l’effectif atteignait quarante-deux salariés n’avait d’autre choix que de procéder à des remplacements temporaires afin de pouvoir garantir à ses salariés le bénéfice des droits aux différents congés et repos, et que le seul fait de recourir à des contrats de mission de remplacement de manière récurrente ne caractérisait pas le recours aux contrats de mission pour faire face à un besoin structurel de main-d »uvre. Elle ajoute enfin que les différents accroissements temporaires d’activité sont justifiés et que le moyen tiré de l’inobservation du délai de carence ne lui est pas opposable.
>
En l’espèce, il n’est pas discuté que la durée de chaque contrat, renouvellements inclus le cas échéant, n’a à aucun moment dépassé la durée maximale de dix-huit mois. En outre, le remplacement « en cascade » ou par «glissement», qui conduit à ce que le salarié absent de son poste soit remplacé par un autre salarié de l’entreprise, lui-même remplacé par le salarié en contrat de mission, est admis, et il n’est pas discuté que les salariés remplacés aient été absents au cours des périodes concernées par les remplacements. Ensuite, les dispositions de l’article L 1251-40 du code du travail qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 par la requalification du contrat de travail temporaire en contrat à durée indéterminée ne sont pas applicables à la méconnaissance des dispositions de l’article L. 1251-36 relatif au délai de carence. C’est pourquoi ce moyen ne saurait être valablement invoqué à l’égard de l’entreprise utilisatrice.
S’agissant des contrats conclus pour accroissement temporaire d’activité, ceux-ci ont été conclus au cours de quatre périodes, respectivement du 4 mai 2015 au 31 juillet 2015 afin de réaliser une tournée spécifique supplémentaire en négoce, du 1er juillet 2016 au 31 août 2016 pour augmentation provisoire de l’activité pendant la période estivale, du 31 octobre 2016 au 30 novembre 2016 pour préparer une commande inhabituelle puis du 12 au 16 décembre 2016 pour augmentation provisoire de l’activité pendant les fêtes de fin d’année. Pour justifier du caractère temporaire de ces accroissements d’activité l’employeur présente notamment des statistiques qu’il a établies portant à la fois sur les clients, sur les livraisons internes, sur les extraits clients des tournées de Monsieur [B]. Il produit également un tableau des périodes hautes et basses d’activité dont il indique qu’il s’agit d’un document communiqué à l’inspection du travail dans le cadre de la modulation du temps de travail appliquée au sein de l’entreprise. Or, d’une part, les documents statistiques qu’il présente ne s’appuient sur aucune pièce comptable vérifiable permettant d’établir le caractère cyclique ou temporaire des accroissements d’activité revendiqués, d’autre part, aucun élément portant sur l’organisation effective de l’entreprise pour les périodes concernées ne vient corroborer le seul tableau présenté pour justifier de l’organisation alléguée au cours de ces périodes.
Enfin, il sera relevé que tandis que les contrats de mission, se sont succédés pendant vingt et un mois de manière quasiment ininterrompue et ont concerné à plus de 75 % le remplacement de salariés absents qui occupaient, sauf en septembre et octobre 2016, des fonctions de préparateur de commandes ou d’ouvrier, l’employeur sans produire d’élément sur les glissements de poste allégués, a systématiquement eu recours au recrutement d’un chauffeur-livreur. Ainsi, durant vingt et un mois consécutifs, et quel que soit le motif du contrat de mission le salarié a occupé le même emploi de chauffeur-livreur, ce dont il résulte que l’emploi qu’il occupait était lié durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Aussi convient-il de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande de requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée dès l’origine de la relation de travail entre Monsieur [B] et la SARL AFG Foie Gras.
> Sur les conséquences de la requalification
Au regard de la requalification intervenue, il convient de faire droit à la demande d’indemnité de requalification, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire. Partant, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande de requalification formée par le salarié à concurrence d’un montant de 1592,53 euros, correspondant à un mois de salaire.
L’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à monsieur [B] à l’expiration du dernier contrat de mission qui a été requalifié. Il a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié et ce sans qu’un courrier de licenciement faisant état d’une cause réelle et sérieuse de rupture ne soit notifié à monsieur [B].
La rupture injustifiée du contrat de travail du fait de l’employeur le 16 décembre 2016, ouvre droit pour le salarié au bénéfice des indemnités de rupture ainsi qu’à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’ancienneté de Monsieur [B] était inférieure à deux ans au sein d’une entreprise employant habituellement au moins onze salariés. L’employeur fait valoir à juste titre que le relevé de compte bancaire de Monsieur [B] pour le mois de mai 2017 mentionne un virement pour un montant de 899,15 euros sous le libellé « virement Cantal Express, paye avril 2017 ». Toutefois, même si le salarié ne produit pas d’éléments sur sa situation ultérieure, le salaire dont il bénéficiait après une période de trois mois de chômage n’était pas équivalent à celui dont il bénéficiait au sein de l’entreprise AFG Foie Gras. C’est donc par une juste appréciation des éléments de la cause que le conseil de prud’hommes a fixé à la somme de 4592,53 euros, le montant de l’indemnité réparant le préjudice subi du fait de la perte injustifiée de l’emploi.
Conformément aux dispositions de l’article L 1234-1-2° du code du travail, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande d’indemnité compensatrice de préavis formée par le salarié pour un montant de 1592,53 euros, correspondant à un mois de salaire, outre 159,25 euros au titre des congés payés afférents.
Compte tenu de ce qui précède, et en application des articles L 1234-9 et R 1234-1 à R 1234-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, il convient également de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande d’indemnité de licenciement formée par le salarié pour un montant de 557,39 euros.
> Sur les demandes accessoires
En cause d’appel, le salarié intimé sollicite le bénéfice de l’article 700 pour l’ensemble des sommes exposées à la fois en seconde et en première instance selon des montants respectifs de 1500 euros et de 2400 euros, soit un montant total de 3900 euros. Compte tenu de la solution apportée au litige, et en considération de l’équité, il convient de faire droit à la demande formée par le salarié qui a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits à concurrence d’un montant de 1500 euros pour les frais exposés en première instance et de 1500 euros pour les frais exposés en cause d’appel, soit une somme totale de 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à la fois en seconde et en première instance.
La SARL AFG Foie Gras, qui succombe, conservera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Rodez le 18 janvier 2021;
y ajoutant,
Condamne la SARL AFG Foie Gras à payer à Monsieur [T] [B] une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel;
Condamne la SARL AFG Foie Gras aux dépens;
Le greffier, Le président,