CDD pour accroissement d’activité : décision du 7 juillet 2023 Cour d’appel de Fort-de-France RG n° 23/00024
CDD pour accroissement d’activité : décision du 7 juillet 2023 Cour d’appel de Fort-de-France RG n° 23/00024

ARRET N° 23/140

R.G N° 23/00024 –

N° Portalis

DBWA-V-B7H-CLQB

Du 07/07/2023

S.A.R.L. MARTINIQUE RECYCLAGE

C/

[B]

COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU 07 JUILLET 2023

Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 29 Mars 2022, enregistrée sous le n° 20/0181

APPELANTE :

S.A.R.L. MARTINIQUE RECYCLAGE

[Adresse 1]

[Adresse 1] (MARTINQUE)

Représentée par Me Ferdinand EDIMO NANA, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMEE :

Madame [Y] [L] [B]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Viviane MAUZOLE, avocat au barreau de MARTINIQUE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 mai 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :

– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

– Madame Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

– Madame Anne FOUSSE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Rose-Colette GERMANY,

DEBATS : A l’audience publique du 19 mai 2023,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 07 juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la cour.

ARRET : Contradictoire

************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Suivant contrat à durée déterminée du 11 juin 2018, la SARL Martinique Recyclage a embauché Mme [Y] [B] en qualité d’opératrice de tri, du 11 au 30 juin 2018, en vue de faire face à un accroissement d’activité dû au retard pris dans le traitement des intrants.

Aux termes de deux avenants, le contrat a été renouvelé, du 1er juillet au 31 août 2018, puis du 1er septembre au 7 décembre 2019.

Le 2 juillet 2020, Mme [Y] [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Fort de France pour obtenir la requalification du CDD en CDI et voir dire que la rupture du contrat de travail constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement contradictoire du 29 mars 2022, le conseil de prud’hommes a :

requalifié le CDD en CDI,

dit que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamné la SARL Martinique Recyclage à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

1 860,88 euros, à titre d’indemnité de requalification,

1 860,88 euros, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

697,83 euros, à titre d’indemnité légale de licenciement,

3 721,76 euros, à titre de dommages-intérêts,

500,00 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonné l’exécution provisoire à hauteur de 5 582,64 euros,

rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraire,

condamné la SARL Martinique Recyclage aux dépens.

Par déclaration électronique du 2 mai 2022, la SARL Martinique Recyclage a relevé appel du jugement.

Par ordonnance du 25 novembre 2022, le conseiller de la mise en état, statuant sur incident, a ordonné la radiation de l’affaire du rôle pour défaut d’exécution du jugement.

Sur justification de l’exécution du jugement, l’affaire a été remise au rôle.

Par conclusions de remise au rôle du 16 janvier 2023, Mme [B] a demandé à la cour de constater l’acquiescement au jugement du fait de l’exécution du jugement.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 mars 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2023, l’appelante demande à la cour de :

dire que l’exécution de la décision querellée ne vaut pas acquiescement au jugement,

infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de débouter Mme [B] de toutes ses demandes,

condamner Mme [B] à lui payer la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la SARL Martinique Recyclage fait valoir qu’elle s’est trompée sur le montant de la somme assortie de l’exécution provisoire et a payé toutes les condamnations de première instance alors que sa volonté de voir réformer le jugement est démontrée par les conclusions remises au greffe.

Elle défend l’emploi de Mme [B] en CDD en raison de l’accroissement de l’activité habituelle de l’entreprise du fait de l’augmentation des intrants et des pannes de matériel.

Par ailleurs, elle critique le montant du salaire brut mensuel tel que calculé par l’intimée.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 mars 2023, Mme [Y] [B] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf à augmenter le quantum des différentes indemnités octroyées, et, en conséquence, de condamner la SARL Martinique Recyclage à lui payer les sommes suivantes :

1 929,12 euros, au titre de l’indemnité de requalification,

1929,12 euros, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

723,42 euros, à titre d’indemnité légale de licenciement,

9 645,60 euros, à titre de dommages-intérêts,

2 000,00 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’intimée réplique que le paiement sans réserve des sommes non assorties de l’exécution provisoire vaut acquiescement au jugement.

Elle fait valoir ensuite que la preuve de la réalité du motif du CDD repose sur l’employeur. Elle rappelle qu’elle a été embauchée 74 semaines, que le taux d’évolution des intrants est constant, voire nul, que l’appelante ne justifie, ni de l’avis des représentants du personnel sur l’embauche de salariés en CDD, ni d’un besoin de main d »uvre supplémentaire du fait de pannes ou d’une activité cyclique.

MOTIVATION

Sur l’acquiescement au jugement :

Selon les dispositions de l’article 410 du code de procédure civile, l’acquiescement au jugement peut être exprès ou tacite. L’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n’est pas permis.

Au regard d’une jurisprudence constante, l’exécution sans réserve d’un jugement non-exécutoire vaut acquiescement sans qu’il y ait lieu de rechercher si la partie qui a exécuté avait, ou non, l’intention d’acquiescer, fût-ce après avoir relevé appel.

Cependant, l’exécution par l’effet de la peur et en se méprenant sur le caractère exécutoire est affectée d’un vice et ne vaut pas acquiescement.

En l’espèce, en dépit d’un jugement ordonnant l’exécution provisoire à hauteur de 5 582,64 euros, l’appelante a exécuté la totalité des condamnations prononcées en première instance. Cependant, cette exécution n’est intervenue que postérieurement à une ordonnance du conseiller de la mise en état ordonnant la radiation de l’affaire du rôle. Il ressort des termes des conclusions de fond, comme des écritures d’incident de la SARL Martinique Recyclage, l’intention de celle-ci à voir rejuger l’affaire par la cour. Dès lors, elle démontre que la peur née de la radiation de l’affaire du rôle pour défaut d’exécution a pu la conduire à régler, par erreur, l’entièreté des condamnations de première instance.

L’exécution ainsi avérée ne vaut pas acquiescement au jugement, au regard des circonstances propres de la présente affaire.

Sur la requalification du CDD en CDI :

Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

L’article L. 1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°).

Aux termes de l’article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte; à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée.

Le motif du recours à un contrat de travail à durée déterminée s’apprécie au jour de sa conclusion.

La SARL Martinique Recyclage a précisé que le motif du CDD conclu le 11 juin 2018 était «un accroissement temporaire d’activité dû au retard pris dans le traitement des intrants» (pièce1). Elle a justifié le premier renouvellement du contrat par le défaut d’achèvement de la mission à la date initialement prévue (pièce 2) et le second par le retard opéré dans les travaux du fait des pannes auxquelles elle a dû faire face (pièce 3).

Comme parfaitement rappelé par Mme [B], il appartient à l’employeur de démontrer la réalité du motif du contrat à durée déterminée et, par conséquent, l’accroissement d’activité invoqué.

Les conseillers prud’homaux ont fait droit à la demande de requalification du CDD en CDI en relevant :

que la fonction occupée par Mme [B] est un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise,

que les éléments contenus dans le tableau produit ne sont pas validés par des pièces comptables,

que ce seul tableau ne prouve pas la pertinence du motif de l’accroissement d’activité.

Cependant, il n’est pas répréhensible que l’emploi occupé en CDD soit lié à l’activité permanente de la société. Par contre, celle-ci doit démontrer un accroissement de cette même activité.

Les pièces produites par la SARL Martinique Recyclage, en cause d’appel, appellent, en premier lieu les remarques suivantes :

Les relevés de pesées pour les mois d’août 2018 et avril 2019 (pièces 6 et 7) sont impropres à démontrer un accroissement d’activité sur la période d’embauche de Mme [B].

Les devis et factures relatives à des entretiens, audits ou réparations de machines (pièce3), qui ne concernent pas toutes la période étudiée, ne permettent pas à la cour de déterminer avec certitude, l’ampleur des pannes intrinsèquement imprévues créant pour la société, après-coup, un surcroît d’activité pour résorber le stock accumulé pendant le temps d’arrêt de la machine en cause et de les distinguer de la maintenance inévitable des machines laquelle est forcément inclus dans l’activité normale de la société.

La note sur le fonctionnement du centre de tri du 16 février 2023 rédigée par le directeur de la société (pièce 5) explique le fonctionnement du centre de tri et particulièrement le renforcement des équipes d’opérateurs de tri en cas de panne impliquant des arrêts de durée variable, une augmentation rapide du stock et la nécessité de le résorber. Néanmoins, comme indiqué ci-dessus, les factures produites sont insuffisantes à démontrer que du 11 juin 2018 au 7 décembre 2019, la SARL Martinique Recyclage a connu un accroissement temporaire de son activité du fait, en particulier, d’un nombre particulièrement important de pannes de machines et d’arrêts de fonctionnement imprévu du centre de tri.

L’éventuelle obsolescence de machines ne saurait, au surplus, justifier le recours à des salariés précaires.

La cour constate que le tableau excel produit devant le conseil de prud’hommes ne figure pas dans les pièces qui lui ont été remises. L’aperçu qui lui a été donné de ces éléments, au surplus dans les écritures de Mme [B], ne peut donc donner lieu à analyse de la part de la présente juridiction.

De ces considérations, il ressort que les éléments de preuve apportés par la SARL Martinique Recyclage pour justifier de l’emploi de Mme [B] en CDD renouvelé sont insuffisantes à démontrer l’accroissement temporaire d’activité.

Dès lors, la requalification du CDD en CDI ordonnée par les premiers juges s’impose à la cour.

La rupture du contrat de travail de Mme [B] s’analyse donc comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3- Sur les indemnités dues à la salariée :

Le salaire mensuel brut de Mme [B] fait l’objet d’un débat entre les parties.

Aux termes de son contrat de travail, il est précisé qu’elle percevra une rémunération mensuelle de base de 1 515,45 euros, à laquelle s’ajouteront les accessoires du salaire prévus par accord d’entreprise et convention collective de branche applicable à l’entreprise.

La cour, se basant sur les fiches de paye des mois de mars et décembre 2019 produites par la salariée (pièces non numérotées), additionne au salaire de base, les éléments de revenu brut qui s’y intègrent, prime de salissure, prime exceptionnelle, prime de transport et prime de panier, de sorte que le salaire brut de référence est de 1 919,37 euros.

Sur l’indemnité de requalification :

Aux termes de l’article L 1245-2 alinéa 2 du code du travail, lorsque le conseil fait droit à la demande de requalification du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Mme [B] réclame effectivement le paiement d’une indemnité d’un mois de salaire.

La cour octroie à l’intimée la somme de 1 919,37 euros, à titre d’indemnité de requalification.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis :

En application des dispositions de l’article L 1234-1 du code du travail, la salariée, qui compte une ancienneté de presque 18 mois, a droit à une indemnité compensatrice de préavis d’un mois.

Il est donc dû à Mme [B], la somme de 1 919,37 euros, de ce chef.

Sur l’indemnité légale de licenciement :

Selon les dispositions de l’article L 1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat à durée indéterminée licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service d’un même employeur a droit à une indemnité de licenciement.

Au regard des dispositions de l’article R 1234-2 du même code, le calcul s’effectue comme suit :

¿ x 1919,37 + ¿ x 1919,37 x 6/12 = 719,76 euros

L’appelante est donc condamnée à payer cette somme à l’intimée à titre d’indemnité de licenciement.

Sur les dommages-intérêts :

Selon les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail, si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise avec maintien des avantages acquis. A défaut, il octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui est fixée, en cas d’une ancienneté d’un an (et inférieure à 2 ans), entre 1 ou 2 mois de salaire.

Les premiers juges l’ont fixée à 2 mois de salaire. La réclamation de la salariée d’une indemnité équivalente à 5 mois de salaire dépasse le barème légal.

Au regard de l’ancienneté de 18 mois de Mme [B], de son âge et de la difficulté, du fait de son absence de qualification, à retrouver un emploi, la cour lui octroie une indemnité égale à 2 mois de salaire, soit la somme de 3 838,74 euros.

4- Sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :

La SARL Martinique Recyclage est condamnée aux entiers dépens et à verser à Mme [B] la somme de 2 000,00 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit que le paiement des condamnations du jugement de première instance par la SARL Martinique Recyclage ne vaut pas acquiescement au jugement,

Infirme le jugement uniquement sur le montant des indemnités octroyées à Mme [Y] [B],

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL Martinique Recyclage à verser à Mme [Y] [B] les sommes suivantes :

1 919,37 euros, à titre d’indemnité de requalification,

1 919,37 euros, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

719,76 euros, à titre d’indemnité légale de licenciement,

3 838,74 euros, à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Y ajoutant

Condamne la SARL Martinique Recyclage aux entiers dépens,

Condamne la SARL Martinique Recyclage à payer à Mme [Y] [B] la somme de 2 000,00 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier

La Greffière La Présidente

 


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