N° RG 22/03620 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JGZE
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 07 DECEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 27 Octobre 2022
APPELANTE :
Société SANOFI PASTEUR
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT’AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEES :
Madame [H] [V]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Karim BERBRA de la SELARL LE CAAB, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sophie DUVAL, avocat au barreau de ROUEN
Société ADECCO FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me François VACCARO de la SARL ORVA-VACCARO & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS substituée par Me Elvire MARTINACHE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 11 Octobre 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 11 octobre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 décembre 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 07 Décembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [H] [V] a été engagée par contrat à durée indéterminée (CDI) intérimaire au sein de la société Adecco France à compter du 14 octobre 2019. Elle a été mise régulièrement à disposition de la société Sanofi Pasteur pour exercer les fonctions d’opérateur 3 formulation répartition liquide, dans le cadre de plusieurs missions :
– du 14 octobre 2019 au 5 janvier 2020, le motif étant de pallier l’absence pour maladie de Mme [I] [P],
– du 13 janvier 2020 au 11 janvier 2022, le motif étant de faire face à un accroissement temporaire d’activité « afin de reconstituer les niveaux de stock de sécurité sur les gammes de produits Hexaxim et Tétravac et renforcer les équipes de production détachés sur les projets de qualification des lignes LF2 et LS3 »,
– du 12 janvier 2022 au 11 novembre 2022, le motif étant de faire face à un accroissement temporaire d’activité « lié à une hausse exceptionnelle de la demande en vaccins grippe dans un contexte sanitaire COVID et dans des délais contraints par les préconisations OMS ».
Le 7 juillet 2022, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers afin d’obtenir la requalification de sa relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée avec la société Sanofi Pasteur.
Par jugement du 27 octobre 2022, le conseil de prud’hommes a :
– déclaré l’action en requalification de Mme [V] entièrement recevable,
– dit qu’il convenait de mettre hors de cause la société Adecco France,
– requalifié les relations contractuelles entre la société Sanofi Pasteur et Mme [V] en un contrat à durée indéterminée à compter du 14 octobre 2019,
– constaté que le contrat de mission était toujours en cours d’exécution,
– ordonné la poursuite des relations de travail entre Mme [V] et la société Sanofi Pasteur dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, avec toutes conséquences de droit et de fait,
– fixé le salaire de référence à 3 181,74 euros brut pour les besoins de l’exécution de la présente décision,
– condamné la société Sanofi Pasteur à verser à Mme [V] les sommes suivantes :
3 181,74 euros brut à titre d’indemnité de requalification,
15 000 euros net à titre de dommages et intérêts au titre de la participation et de l’intéressement,
– dit que les condamnations portaient intérêt légal à compter du dépôt de la requête,
– condamné la société Sanofi Pasteur à verser à Mme [V] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande de la société Sanofi Pasteur au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Sanofi Pasteur aux entiers dépens,
– rappelé qu’en application de l’article D. 1251-3 du code du travail, lorsqu’un conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification d’un contrat de mission en CDI, sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire,
– ordonné l’exécution provisoire de l’entier jugement.
La société Sanofi Pasteur a formé appel le 8 novembre 2022 en désignant comme intimées Mme [V] et la société Adecco France.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 octobre 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions remises le 28 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Sanofi Pasteur demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions, et en conséquence de :
– débouter Mme [V] de l’intégralité de ses demandes,
– juger que le contrat à durée indéterminée ainsi que les lettres de mission y afférentes sont régulières et ordonner la poursuite du contrat intérimaire conclu entre Mme [V] et la société Adecco,
– condamner Mme [V] à lui reverser les sommes indûment perçues, à savoir :
3 181,74 euros brut à titre d’indemnité de requalification,
2 100 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de chèques CADHOC,
15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation de participation et intéressement,
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire, si la cour venait à confirmer la requalification de la mission de détachement dans le cadre du contrat à durée indéterminée intérimaire conclu avec la société Adecco France en contrat à durée indéterminée au préjudice de la société Sanofi Pasteur, elle demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a ordonné que cette requalification ait pour effet une poursuite des relations contractuelles entre elle et Mme [V].
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de Mme [V] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Par conclusions remises le 7 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, Mme [V] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et y ajoutant, de condamner la société Sanofi Pasteur au paiement :
– de la somme de 210 euros à titre de dommages et intérêts résultant de l’absence de chèque CADHOC,
– de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– des dépens de l’instance.
A titre subsidiaire, elle demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf s’agissant de la date à compter de laquelle la requalification a été prononcée, et :
– statuant à nouveau de ce chef, requalifier ses missions en un contrat à durée indéterminée à compter du 13 janvier 2020,
– y ajoutant, condamner la société Sanofi Pasteur au paiement :
– de la somme de 210 euros à titre de dommages et intérêts résultant de l’absence de chèque CADHOC,
– de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– des dépens de l’instance.
Par conclusions remises le 20 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Adecco France demande à la cour de :
– « débouter la société Sanofi Pasteur de son appel »,
– confirmer la décision de première instance à son égard en confirmant sa mise hors de cause,
– condamner la ou les parties qui succomberont à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la mise hors de cause de la société Adecco France
La société Sanofi Pasteur expose que le contrat de travail intérimaire liant Mme [V] et la société Adecco France était toujours en cours lorsque le conseil de prud’hommes a rendu son jugement, de sorte que Mme [V] est à ce jour titulaire de deux contrats de travail à durée indéterminée à temps plein. Rappelant sa demande de poursuite du contrat à durée indéterminée entre Mme [V] et la société Adecco France, elle en déduit que cette dernière a manifestement un intérêt légitime à la présente instance.
Mme [V] ne développe aucun moyen à ce sujet.
La société Adecco France se prévaut d’un acquiescement des avocats de la société Sanofi Pasteur et de Mme [V] à sa mise hors de cause, lors de l’audience devant les premiers juges, et soutient que cet acquiescement n’est pas susceptible d’être remis en cause devant la cour d’appel. Elle ajoute que nul ne plaide par procureur, de sorte que la société Sanofi Pasteur n’a pas qualité pour demander la poursuite du contrat entre Mme [V] et la société intérimaire.
Sur le fondement de l’article 408 du code de procédure civile, l’acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien- fondé des prétentions de l’adversaire et renonciation à l’action.
Il est exact que devant le conseil de prud’hommes, Me [J] pour la société Sanofi Pasteur a déclaré ne pas s’opposer à la demande de mise hors de cause, de même que Me Berbra pour Mme [V].
Les adversaires de la société Adecco France, ayant acquiescé à sa demande, ne peuvent plus contester cette mise hors de cause dans le cadre de l’instance d’appel.
Le fait que la société Sanofi Pasteur demande à la cour d’ordonner la poursuite du contrat intérimaire conclu entre Mme [V] et la société Adecco ne saurait remettre en cause l’acquiescement intervenu. Il est d’autant plus inopérant que cette demande est déclarée irrecevable, la société utilisatrice n’ayant pas qualité pour demande la poursuite du contrat entre la salariée et la société d’intérim.
Il y a donc lieu, non de confirmer le jugement qui a mis la société Adecco France hors de cause, mais de l’infirmer et de constater que par l’effet de l’acquiescement la société était hors de cause, sans avoir à statuer sur cette demande.
II – Sur la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée liant la salariée à la société Sanofi Pasteur
La société Sanofi Pasteur fait valoir que les dispositions légales relatives au délai de carence entre deux missions successives sur le même poste de travail ne s’appliquent pas en matière de contrat de travail à durée indéterminée intérimaire.
Elle défend le bien fondé des motifs de recours aux lettres de mission, d’une part en soutenant que Mme [P] était effectivement absente, d’autre part en soutenant la réalité de l’accroissement temporaire d’activité allégué. Sur ce dernier point, elle évoque un pic d’activité durant les années 2020-2022 (augmentation du volume de consommation de flacons et seringues utilisés pour la production entre 2019 et 2020, puis diminution de 2020 à 2022), et souligne que la durée d’une mission pour en matière de contrat de travail à durée indéterminée intérimaire pouvait aller jusqu’à 36 mois. Elle signale que les représentants du personnel ont donné un avis favorable au recours au travail temporaire pour la mise sous forme pharmaceutique, en novembre 2019 puis août 2020. Elle estime que le taux de précarité persistant au sein de l’entreprise ne suffit pas à établir qu’un intérimaire a occupé un emploi pérenne et permanent, et soutient que le bien-fondé d’une action en requalification s’apprécie au cas par cas, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se référer à d’autres décisions de justice. Elle se prévaut de la spécificité de son secteur d’activité, fait valoir que son activité varie au gré notamment de la délivrance des autorisations de mise sur le marché et des enjeux sanitaires mondiaux, prend pour exemple le vaccin de la grippe à propos duquel l’activité dépend notamment de la composition de la souche, déterminée par l’OMS, et de son rendement. Elle souligne qu’elle doit adapter ses ressources humaines à son activité de production, avec réactivité, dès lors qu’elle manipule une matière vivante, qui en outre relève de la santé publique, et que son activité dépend d’organismes extérieurs.
Elle affirme n’avoir aucun besoin structurel de main d »uvre, au regard notamment de l’augmentation de ses effectifs en contrat de travail à durée indéterminée sur les dernières années et des perspectives du site.
Enfin, elle fait valoir qu’elle ne compense pas systématiquement l’absence d’un salarié en contrat de travail à durée indéterminée, cette décision dépendant de l’activité du service concerné, et la permutabilité d’un service à l’autre étant difficilement envisageable en raison notamment des formations et habilitations requises pour occuper certains postes. Elle soutient que l’employeur n’a pas l’obligation d’affecter l’intérimaire à des tâches directement liées au surcroît d’activité.
Mme [V] fait valoir que le site Sanofi-Pasteur de Val-de-Reuil a pour activité normale et permanente la production de différents vaccins, et ne peut donc sérieusement justifier le recours à l’intérim par les aléas ‘ inhérents à cette production – qu’elle rencontrerait. Elle estime que l’accroissement d’activité dure tout le temps de la phase de production du vaccin, et non seulement quelques jours ou quelques semaines ; que cette organisation de la production est amenée à se répéter chaque année, de sorte qu’il n’y a rien de temporaire ou d’exceptionnel. Elle considère que le vaccin contre la grippe n’a pas une part prépondérante dans l’activité normale et permanente de l’entreprise. Elle soutient ainsi qu’il existe un besoin structurel de main d »uvre, dont le non-respect des délais de carence, relevé par la présente cour d’appel dans un arrêt du 12 novembre 2020, est un indice flagrant.
Elle conteste les motifs de recours à l’intérim la concernant, soutenant que la nécessité de reconstituer les stocks de sécurité pour les produits Hexaxim et Tétravac fait partie intégrante de l’activité normale et permanente de l’entreprise, qu’il n’est pas justifié d’un accroissement temporaire d’activité, et qu’un hypothétique accroissement pouvait être affronté avec les effectifs normaux de la société Sanofi Pasteur. Elle soutient en particulier que le retard à rattraper, évoqué en 2020, pouvait l’être sur une période de 15 jours. Elle ajoute que les lignes LS3 et LF2 n’ont pas vocation à se substituer aux lignes existantes, mais sont des lignes supplémentaires, qui justifient une main d »uvre supplémentaire pour assurer l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Aux termes de l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Selon l’article L. 1251-6, sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans des cas limitativement énumérés, dont le remplacement d’un salarié ou l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
Il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.
En l’espèce, si Mme [V] prétend à la requalification de la relation de travail avec la société Sanofi Pasteur à partir du 14 octobre 2019, date de début de la première mission d’intérim motivée par le remplacement d’un salarié absent, elle ne développe cependant aucun moyen à l’appui, ne soutenant notamment pas que l’absence pour maladie de Mme [I] [P] serait inexacte.
Dès lors, la requalification ne saurait en aucune manière porter sur cette première mission d’intérim et ne pourrait intervenir, le cas échéant, qu’à compter du 13 janvier 2020.
Afin de justifier de la réalité d’un accroissement temporaire d’activité, la société Sanofi Pasteur produit différents documents internes évoquant les projets, validés respectivement en 2014 et 2016, de créer une nouvelle ligne « flacons (la LF2) et une nouvelle ligne « seringues » (la LS3) afin d’accroître sa capacité en répartition de vaccins. Ces documents soulignent que ces lignes, qui devaient être opérationnelles respectivement en mars 2016 et juin 2018, étaient toujours en phase de qualification en 2019 et n’ont démarré leur activité qu’avec retard ; que cela a eu des incidences sur les stocks de sécurité.
Néanmoins, la création d’une nouvelle ligne, qui n’engendre pas une suppression de celles existantes et est dictée par la nécessité de faire face à un besoin grandissant de production, s’inscrit dans l’activité normale de l’entreprise en ce que le besoin de main d »uvre est alors structurel sur l’ensemble des lignes, de sorte que le transfert d’un certain nombre de salariés vers la ligne en cours de qualification doit être compensé par des emplois permanents sur la ligne déjà qualifiée, et non par des recrutements précaires.
Par ailleurs, si dans le procès-verbal des réunions du comité social et économique des 21 et 28 novembre 2019, il est évoqué un volume d’activité non réalisé en 2019 au sein du service répartition liquide qui doit être reporté sur 2020, nécessitant un recours à 80 intérimaires répartis entre équipes de semaine et équipes de week-end, de sorte qu’a été recueilli à l’unanimité un avis favorable au surcroît d’activité temporaire pour ce service, néanmoins, cette analyse ne portait que sur l’année 2020 et il résulte de ce même document qu’un retour à la normale était prévu en 2021.
Or, la deuxième mission litigieuse de Mme [V] porte sur la période du 13 janvier 2020 au 11 janvier 2022, soit, en grande partie, postérieurement à la période concernée par ce surcroît d’activité sans qu’il ne soit produit d’éléments probants par la société Sanofi Pasteur de nature à justifier le report des difficultés de l’année 2020 sur l’année 2021.
En effet, s’il est versé aux débats un extrait du compte-rendu de la réunion ordinaire du comité social et économique du 27 août 2020, aux termes duquel il est indiqué sous le titre « Complément d’information et consultation sur un surcroît d’activité temporaire à la MFSP-répartition liquide en 2021 » qu’une équipe de suppléance en rythme samedi dimanche doit être reconduite en 2021 au B33 en raison d’éléments impactant la capacité de ses lignes et qu’il est fait état de la nécessité de produire des volumes plus élevés que la capacité disponible sur l’ensemble des lignes en semaine en raison d’un retard de production, ce document n’est cependant que très partiel puisque ne sont produites que les pages 31 et 37 et n’est au surplus corroboré par aucun autre élément chiffré, sachant que le seul graphique produit, outre son absence de tout caractère probant à défaut de pouvoir déterminer de quel document plus officiel il serait issu, est contradictoire puisque s’il montre une augmentation du volume de production B33 sur l’année 2020, il est fait état d’une baisse en 2021.
Surabondamment, s’agissant du troisième et dernier contrat litigieux, la société Sanofi Pasteur ne développe pas de moyens ni ne produit de pièces justifiant le motif « hausse exceptionnelle de la demande en vaccins grippe dans un contexte sanitaire COVID et dans des délais contraints par les préconisations OMS » mentionné sur la lettre de mission. Le seul graphique ci-dessus évoqué, qui montre que la baisse de production B33 constatée en 2021 s’est poursuivie en 2022 pour revenir cette année-là à peu près au niveau de production de 2019, est largement insuffisant à cet égard, voire contradictoire.
Dès lors, la société Sanofi Pasteur ne justifie pas d’un motif valable de recours à l’intérim à partir du 13 janvier 2020.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a fait droit à la demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée liant Mme [V] et la société Sanofi Pasteur, mais uniquement à compter de cette date.
Par suite, il y a lieu de condamner la société Sanofi Pasteur à lui payer la somme de 3 181,74 euros brut à titre d’indemnité de requalification, montant alloué par les premiers juges et non contesté en cause d’appel. Le jugement est donc confirmé de ce chef.
Cette somme porte intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la société Sanofi Pasteur de la requête ou des écritures contenant cette demande, en première instance. Le jugement est infirmé en ce sens.
III – Sur la poursuite des relations de travail entre Mme [V] et la société Sanofi Pasteur
La société Sanofi Pasteur dénie toute pertinence à l’évocation d’une jurisprudence du 1er septembre 2020, qui porte sur la requalification de contrat à durée déterminée et non d’une mission de détachement dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée intérimaire. Par ailleurs, elle s’oppose au maintien des relations contractuelles avec Mme [V], et fait valoir que la cour, dans des arrêts des 1er et 8 juin 2023, a jugé que la requalification constitue une fiction juridique permettant notamment de faire produire les effets d’un contrat à durée indéterminée au titre de la rupture du contrat temporaire et qu’elle n’impose pas de conserver le salarié dans les effectifs sauf volonté commune des parties, ce qui en l’espèce n’est pas le cas.
Mme [V] soutient qu’il convient de distinguer le cas d’une requalification postérieure au terme du contrat du cas d’une requalification antérieure, et en particulier du cas d’une requalification non seulement prononcée mais surtout notifiée avant le terme. Elle considère que dans cette dernière hypothèse, le salarié est fondé à rester dans les effectifs, au regard du caractère exécutoire de la décision. Elle se prévaut de l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme et du citoyen relatif au procès équitable, et fait valoir que l’exécution d’un jugement ou arrêt de quelque juridiction que ce soit doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de cet article (19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, n° 18357/91). Elle se prévaut également de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, d’une décision du Conseil constitutionnel (QPC 2014-455 du 6 mars 2015) et de l’article D. 1251-3 du code du travail. Elle souligne que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il n’est pas possible d’empêcher le maintien du salarié dans les effectifs lorsque la décision, exécutoire de droit par provision, a été notifiée avant le terme du contrat ; qu’à défaut, la nullité de la rupture est encourue et la réintégration de droit (Soc., 18 décembre 2013, 12-27.383 ; 21 septembre 2016, 15-15.165).
Mme [V] ajoute que la nature même de l’action en requalification implique un maintien dans les effectifs lorsque cette requalification intervient avant le terme du contrat ; qu’en effet, le législateur a prévu que l’affaire devait être portée directement devant le bureau de jugement, que le conseil de prud’hommes devait statuer dans le mois de sa saisine, et que sa décision était exécutoire de droit ; que la volonté du législateur instaurant ces dispositions par la loi 90-613 du 12 juillet 1990 était de faire reculer la proportion d’emplois précaires en facilitant leur transformation en emplois stables, ainsi que l’indiquent l’article 1 de cette loi et les travaux parlementaires. Elle en déduit qu’une décision de justice qui exclurait le maintien dans les effectifs du salarié « requalifié », hors le cas de l’arrivée du terme avant la requalification ou sa notification, irait à l’encontre de l’objectif fixé par le législateur et confirmé par la Cour de cassation (Soc ., 18 mars 2020, 19-21.535 ; 25 janvier 2023, 22-40.018).
Elle soutient ainsi que lorsque la requalification a été prononcée avant l’échéance du terme, l’employeur ne peut plus rompre le contrat en invoquant le terme initial mais doit mettre en ‘uvre la procédure de licenciement, ce qui suppose qu’il dispose d’un motif réel et sérieux pour ce faire ; qu’à défaut de licenciement, le contrat de travail est nécessairement maintenu, puisqu’il est devenu à durée indéterminée. Elle distingue, d’une part, l’obligation de maintien dans l’emploi, laquelle est une conséquence inhérente à la requalification du contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée (lorsque le contrat est toujours en cours au moment où le juge se prononce) et, d’autre part, une hypothétique interdiction de licencier, laquelle n’est consacrée par aucun texte et ne fait jamais l’objet des prétentions des salariés agissant en requalification. Elle considère que la nature même de l’action en requalification implique que le salarié soit maintenu dans les effectifs lorsque la décision de requalification est rendue et notifiée avant le terme du contrat, sans que le juge n’ait un quelconque pouvoir d’appréciation. Elle estime que, dès lors que le conseil de prud’hommes a requalifié les lettres de mission en contrat de travail à durée indéterminée, et dès lors que le jugement est exécutoire de droit par provision, la relation de travail s’est naturellement poursuivie en contrat de travail à durée indéterminée par l’effet du jugement.
Le conseil de prud’hommes, qui a justement requalifié la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, pouvait seulement constater que le contrat de travail (sans le qualifier de contrat de mission, dès lors qu’il y a eu requalification) était toujours en cours, sans avoir à ordonner la poursuite des relations de travail entre Mme [V] et la société Sanofi Pasteur, dès lors qu’il ne peut être interdit à un employeur de licencier un salarié.
Cette décision de requalification, exécutoire de droit à titre provisoire en application de l’article D. 1251-3 du code du travail, a été signifiée à l’initiative de Mme [V] à la société Sanofi Pasteur, le 4 novembre 2022, soit avant le terme de la dernière lettre de mission, fixé au 11 novembre 2022.
Dès lors, et étant noté qu’aucune des parties ne se prévaut d’une rupture de la relation de travail, celles-ci se trouvent toujours engagées dans un contrat de travail à durée indéterminée, sans que l’employeur ne puisse s’y opposer, sauf à licencier Mme [V].
Il y a donc lieu d’infirmer le jugement en ce qu’il a constaté que le contrat de mission était toujours en cours d’exécution et a ordonné la poursuite des relations de travail entre Mme [V] et la société Sanofi Pasteur dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Statuant à nouveau, il y a lieu, non pas d’ordonner la poursuite des relations de travail, mais de constater que le contrat de travail à durée indéterminée liant les parties se poursuit.
IV – Sur la demande indemnitaire relative aux chèques CADHOC
Le conseil de prud’hommes, qui dans la motivation de son jugement dit Mme [V] bien fondée à percevoir la somme de 210 euros net (et non 2 100 comme évoqué par la société Sanofi Pasteur) « correspondant à Noël 2019 à 2021 », n’a cependant pas statué sur cette prétention dans le dispositif de ce jugement, de sorte qu’il y a lieu de statuer sans préalablement confirmer ou infirmer un quelconque chef de décision.
Si, comme le soulève justement la société Sanofi Pasteur, l’attribution des chèques Cadhoc relève du comité d’établissement, lequel a la personnalité juridique et se distingue donc de l’employeur, néanmoins, alors que le contrat de travail a été requalifié en raison du non-respect par la société Sanofi Pasteur des conditions du recours au contrat précaire, elle a ainsi causé un dommage à Mme [V] en la privant de ses droits aux chèques Cadhoc, peu important qu’elle en ait par ailleurs bénéficié de la part de la société Addeco France.
La société Sanofi Pasteur ne conteste pas que chaque année, c’est un chèque de 70 euros qui est ainsi remis à chaque salarié.
Dès lors, compte tenu de la demande portant sur les années 2019 à 2021 et du fait que la requalification du contrat n’intervient qu’à compter du mois de janvier 2020, il convient de condamner la société Sanofi Pasteur à verser à Mme [V] la somme de 140 euros en réparation du préjudice subi au titre des années 2020 et 2021.
Par suite, la société Sanofi Pasteur est déboutée de sa demande de restitution, étant au surplus observé qu’elle ne justifie aucunement du versement effectif de la somme réclamée.
V – Sur la demande de dommages et intérêts relative à la participation et à l’intéressement
La société Sanofi Pasteur soutient que la salariée ne justifie d’aucune faute de sa part, ni d’aucun préjudice, ni d’un lien de causalité entre eux, dès lors que Mme [V] ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de telles primes de sa part, qu’il est fort possible qu’elle ait déjà perçu de telles primes de la part de l’entreprise de travail temporaire, et qu’en tout état de cause, le montant réclamé est parfaitement exagéré, s’agissant d’une simple perte de chance. Elle fait valoir que Mme [V] ne peut lui réclamer paiement d’une somme nette alors que le paiement, le cas échéant, de contributions et cotisations salariales incombe au salarié et non à l’employeur.
Mme [V] soutient que la société Sanofi Pasteur, qui a détourné abusivement les règles de l’intérim, a ainsi commis une faute, qui a eu pour conséquence dommageable de la priver des sommes qu’elle aurait dû percevoir en 2019, 2020 et 2021 comme les autres salariés en contrat de travail à durée indéterminée par application de l’accord d’intéressement en vigueur au sein de l’entreprise. Elle ajoute que le fait qu’elle ait pu percevoir de telles primes de la part de la société d’intérim ne peut suffire à exclure son admission à l’intéressement, due à la relation de travail requalifiée. Elle fait valoir que la société Sanofi Pasteur ne verse aux débats aucun élément permettant de chiffrer le montant de l’intéressement et de la participation.
Étant réputée liée à la société Sanofi Pasteur par un contrat à durée indéterminée dès le 13 janvier 2020, et ayant donc acquis plus de trois mois d’ancienneté comme imposé par les accords versés aux débats, Mme [V] aurait dû bénéficier, et ce, de manière certaine, de primes d’intéressement et de participation pour les années 2020 et 2021 litigieuses, peu important qu’elle ait déjà perçu de telles primes de la société Adecco.
Aussi, à défaut pour la société Sanofi Pasteur de transmettre les éléments de calculs permettant d’apprécier le montant dû à la salariée, dont elle est seule à disposer, il convient d’allouer à la salariée la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des années 2020 et 2021 compte tenu de la date de requalification du contrat de travail. Cette somme de nature indemnitaire est en net, et porte intérêt au taux légal à compter du présent arrêt. Le jugement est infirmé en ce sens.
VI – Sur les dépens, les frais irrépétibles et la demande de reversement des sommes indûment perçues
En qualité de partie succombante pour l’essentiel, la société Sanofi Pasteur est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel.
Par suite, elle est condamnée à payer à Mme [V] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en supplément de la somme de 1 500 euros allouée en première instance, qui est confirmée. Elle est en outre déboutée de sa propre demande à ce titre.
Il n’apparaît pas inéquitable de débouter la société Adecco France de sa demande formée sur ce même fondement.
Par ailleurs, l’employeur demande que soit ordonnée la restitution des sommes allouées par le conseil de prud’hommes, qu’il estime indûment perçues par la salariée. Il est rappelé à cet égard qu’un arrêt infirmatif vaut titre ouvrant droit à la restitution des sommes qui ont pu être versées en exécution de la décision de première instance et s’avèrent excédentaires, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’ordonner le remboursement de l’éventuel différentiel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant dans les limites de l’appel, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 27 octobre 2022 par le conseil de prud’hommes de Louviers, sauf en ce qu’il a :
– dit qu’il convenait de mettre hors de cause la société Adecco France,
– fixé au 14 octobre 2019 la date d’effet de la requalification en CDI des relations contractuelles entre la société Sanofi Pasteur et Mme [V],
– constaté que le contrat de mission était toujours en cours d’exécution,
– ordonné la poursuite des relations de travail entre Mme [V] et la société Sanofi Pasteur dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, avec toutes conséquences de droit et de fait,
– condamné la société Sanofi Pasteur à verser à Mme [V] la somme de 15 000 euros net à titre de dommages et intérêts au titre de la participation et de l’intéressement,
– dit que les condamnations portaient intérêt légal à compter du dépôt de la requête,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de la société Sanofi Pasteur tendant à voir ordonner la poursuite des relations contractuelles entre Mme [V] et la société Adecco France,
Constate que la société Adecco France est hors de cause,
Fixe au 13 janvier 2020 la date d’effet de la requalification en contrat à durée indéterminée des relations contractuelles entre la société Sanofi Pasteur et Mme [V],
Dit que la somme de 3 181,74 euros brut allouée à titre d’indemnité de requalification porte intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la société Sanofi Pasteur de la requête ou des écritures contenant cette demande, en première instance,
Constate que le contrat de travail à durée indéterminée liant les parties se poursuit,
Condamne la société Sanofi Pasteur à payer à Mme [V] la somme de 140 euros à titre d’indemnité relative aux chèques CADHOC,
Déboute la société Sanofi Pasteur de sa demande de restitution de la somme de 2 100 euros indûment perçue au titre de la privation de chèques CADHOC,
Condamne la société Sanofi Pasteur à verser à Mme [V] la somme de 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts au titre de la participation et de l’intéressement, avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la société Sanofi Pasteur aux dépens d’appel,
Condamne la société Sanofi Pasteur à payer à Mme [V] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel,
Déboute la société Sanofi Pasteur et la société Adecco France de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles,
Dit n’y avoir lieu d’ordonner la restitution des sommes excédentaires versées en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré, le présent arrêt valant titre de restitution.
La greffière La présidente